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Le déracinement est une condition presque sine qua non de la pensée car il implique une mise à distance nécessaire. Pourtant, le déracinement abrite quelque chose de contraint, une souffrance assez forte. Deux auteurs grecs contemporains ont travaillé cette question : l’un s’appelle Kostas Axelos, il est philosophe et a fui son pays en proie à la guerre civile pour arriver en France. Il est décédé en 2010 et nous a légué une pensée originale questionnant à partir d’un horizon conceptuel mêlant analyses marxistes et interrogation heideggérienne. L’autre est écrivain, il s’agit de Yannis Kiourtsakis connu aussi pour animer la revue L’atelier du roman.
Yannis Kiourtsakis est plutôt un exilé de l’intérieur, celui qui se sent membre à part entière d’une patrie d’exilés cherchant son destin au-delà du naufrage. Kostas Axelos avait pour sa part réfléchi dans les années 1960 au destin de la Grèce alors que Yannis Kiourtsakis part d’un événement singulier, le suicide de son frère après un exil manqué en Europe. Dans Le Dicôlon, il réeffectue l’odyssée de son frère Haris pour lui donner un sens collectif[1]. Dans la souffrance du départ, on retrouve l’étymologie de la nostalgie, l’algos et le nostos. Kostas Axelos s’est concentré sur cette notion d’errance qui est au centre de notre humanité. L’homme se sait suspendu au chaos, il vagabonde dans un monde qu’il découvre au gré de ses pérégrinations. Il pense dompter cet environnement par la technique qui en fin de compte se dérobe. Plus il pense maîtriser cet environnement, plus le monde s’échappe. C’est pour cette raison qu’il importe de repenser une relation au monde et de questionner le sens de la technique ou plutôt de la technostructure qui s’est emparée de nos existences avec une finalité toujours plus comptable.
J’ai eu la chance de réaliser un entretien avec lui en 2006, un entretien que nous avions construit à deux sur les grands défis de notre époque. Cet entretien vient de paraître dans l’ouvrage collectif qui lui est dédié, L’exil est une patrie de la pensée [2]. Quant à Yannis Kiourtsakis, nous avons eu des échanges assez approfondis sur le destin collectif de la Grèce retrouvé au sein d’une histoire familiale[3]. À l’heure où le débat politique porte sur le fait migratoire et ses raisons, il est important de regarder du côté de la littérature et de la philosophie pour nous faire ressentir cette quête incessante. L’exil de la pensée est la recherche d’une patrie sans territoire. Patriotes penseurs de tous les pays, unissons-nous !
Appendices
Notes
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[1]
Yannis Kiourtsakis, Le Dicôlon, Paris, éditions Verdier pour la traduction française, Traduit du grec par René Bouchet, 2011.
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[2]
Christophe Premat, « Il y va de la pensée pensante. Entretien avec Christophe Premat », dans Kostas Axelos, L’exil est la patrie de la pensée, Paris, éditions de la rue d’Ulm, 2014, pp. 65-74.
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[3]
Christophe Premat, « À la recherche du frère perdu, Lecture du ’Dicôlon’ de Yannis Kiourtsakis (Verdier, 2011). Voir en ligne sur Sens Public.