VariaLecture

Âme et iPad de Maurizio FerrarisMaurizio Ferraris, Âme et iPad, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, coll. « Parcours numériques », 2014, 214 p.[Record]

  • Peppe Cavallari

Je commencerais par un avertissement : Âme et iPad met celui qui s’essaye à une recension devant un choix embarrassant, celui entre sa version papier, traduction de l’ouvrage en italien, et son inédite version numérique augmentée (disponible ici : http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/ameetipad). L’édition augmentée fournit un texte « interactif » sollicitant l’implication et l’imagination du lecteur qui créé son propre parcours de lecture à l’aide d’un appareillage de contenus additionnels tels que des notes, des références, des vidéos (où l’auteur présente le livre, les différents chapitres et certains concepts clés). J’ai donc choisi cette version numérique augmentée. Pourquoi ? Pour ne pas être obligé de suivre le parcours habituel d’une lecture linéaire, singulière, et pouvoir ainsi me lancer dans une expérience de lecture et de réflexion alternative, enrichie, multi-médiale, de ce qui avait été conçu comme un livre et qui ici aboutit à une multiplication de ses lectures possibles. Le nom de la nouvelle collection qui nous offre l’œuvre de Maurizio Ferraris est d’ailleurs « Parcours Numériques », au pluriel justement, l’éditorialisation d’un même ouvrage permettant des lectures et donc des parcours différents. La question du rapport entre livre papier et livre numérique trouve ici une très intéressante et prometteuse réponse et, par conséquent, même la pratique de recension ne peut passer à côté : par exemple, pas de référence aux pages ici, étant donné qu’il n’y en a pas dans le livre numérique, mais des références aux vidéos par contre, car elles aident à suivre le fil rouge d’un ouvrage riche. Qu’est-ce que l’âme ? Dans le premier vers du poème de Vittorio Sereni, point de départ de la réflexion de Maurizio Ferraris, le poète parle de « ce que nous appelons l’âme », comme s’il était impossible de nommer simplement cet « objet » mystérieux. Sa signification nous échappe toujours, comme un souffle, ànemos en grec, un des innombrables mots ayant servi à nommer ce que nous connaissons tous mais que personne ne saurait définitivement expliquer. Ce mot, inévitable dans l’histoire de la philosophie et des religions, galvaudé par l’usage désinvolte et insouciant qu’il en est fait dans le langage courant (où l’on parle de l’âme des lieux comme de l’âme de la personne aimée) et par d’autres déclinaisons littéraires animistes qui trouvent de l’âme partout (L’âme du vin est le titre d’un poème de Baudelaire), est ici associé dès le titre à iPad : l’iPad en tant qu’outil encore plus universel que l’ordinateur parce que plus maniable, plus séduisant et plus transportable. Quel est ici le rapport entre ces deux « choses » ? C’est évidemment la question à laquelle Ferraris promet de répondre dans cet ouvrage où les deux mots les plus récurrents – c’est l’analyse de texte de Voyant Tools (outil développé par Stefan Sinclair et Geoffrey Rockwell) incluse dans les contenus additionnels qui me le dit – sont « corps » et « esprit », soit les deux termes incontournables du dualisme philosophique opposant res extensa et res cogitans, le matériel et l’immatériel, le périssable et l’immortel. Ferraris soutient que ce dualisme n’existe pas, ou bien, tout du moins, qu’il a moins d’influence qu’on ne le pense sur notre manière d’envisager les choses. Selon l’auteur, nous ne sommes pas dualistes, nous croyons simplement l’être : la facilité avec laquelle nous acceptons l’hypothèse de l’origine psychique pour expliquer des troubles affectant notre corps tout comme le temps et l’attention que nous consacrons aux soins esthétiques démontreraient que nous avons conscience d’être un indissoluble synolon de matière et de forme, une forme qui, loin de rester abstraite et insaisissable, se réalise en tant que forme …

Appendices