VariaChronique

Le silence brisé, l’oubli et la droite espagnole[Record]

  • Carlos Benguigui

Cette chronique est une réponse à l’appel lancé par Astrid Menasanch Tobieson. L’Espagne vit actuellement l’un des moments les plus incertains de son histoire. Le système hérité de la Constitution de 1978 s’épuise et montre son vrai visage. Suite aux scandales de corruption qui entourent la famille royal, le compte du roi sauvant la patrie d’un nouveau conflit civil ne fait plus le consensus comme jadis. L’Espagne s’est enfin réveillée de son sommeil démocratique et les fantômes du franquisme la hantent. La politique de mémoire historique menée en Espagne pendant les dernières décennies – à l’exception des propositions timorées du gouvernement socialiste de Zapatero – a été une politique de l’oubli, une anomalie jamais dénoncée par ses partenaires européens, trop inquiets d’être remboursés. Dans la constitution des États-nations modernes, un mythe fondateur permettrait aux citoyens de se raconter leur passé commun, renforcé par toute une série de symboles rendant possible une sorte de « fierté patriotique ». En Espagne, cette « fierté » a été le privilège exclusif de la droite, qui s’est appropriée des symboles nationaux depuis la Transition – parmi lesquels la croix catholique présente dans les actes officiels d’investiture –, n’ayant pas intérêt à construire une vraie cohabitation – ô vieille convivencia forgée au temps d’Al-Andalus ! C’est ainsi que la mémoire des républicains espagnols fut bannie du pacte de 1978, quand l’Europe et le monde entier applaudirent l’exemplaire « transition » à l’espagnole. Aujourd’hui le modèle de 1978 est un modèle révolu, incapable de répondre aux exigences démocratiques et de transparence de la population espagnole. Alors qu’une grande partie des Espagnols demandait des reformes de la Constitution, les deux partis majoritaires se sont mis d’accord, du jour au lendemain, pour rajouter un article : le remboursement de la dette devenait la priorité budgétaire, et cela écrit noir sur blanc dans la Constitution. Le 3 septembre 2011 cet article 135 de la Constitution espagnole signait l’échec du système constitutionnel espagnol. Récemment, Rodriguez Zapatero, publiait dans ses mémoires la lettre envoyée par la Banque Centrale Européenne dans laquelle celle-ci demandait l’application de la « règle d’or ». Avec la publication de cette lettre, jamais présentée au parlement, Zapatero prétendait s’excuser des mesures adoptées par son gouvernement, contraires à ses idées « socialistes », donnant ainsi raison au slogan que l’on peut voir actuellement dans les manifestions en Espagne : « Dimitir no es un nombre ruso » (« Dimitir – démissionner en espagnol – n’est pas un prénom russe »). Quelques mois avant l’adoption de cet article, le gouvernement socialiste de Zapatero avait annoncé des élections anticipées pour le mois de novembre. La date choisie était fort significative, l’anniversaire de la mort du dictateur Franco, le 20 novembre. Le mécontentement de la population allait pouvoir s’exprimer par le vote. Les urnes allaient punir une gestion chaotique de la crise, en faisant oublier les conquêtes sociales que le gouvernement Zapatero avait menées – mariage homosexuel, allocation dépendance, « chèque bébé », réforme de la loi régulant l’avortement, loi de mémoire historique, etc. La droite espagnole a toujours su profiter de cet oubli, elle en a fait son instrument pour s’accrocher au pouvoir. Que le Parti Populaire (PP) gagne les élections de novembre 2011 ne fut donc pas une surprise, encore moins la majorité absolue permise par le disproportionné système électoral espagnol. Deux ans après la victoire de Mariano Rajoy, les mesures ultra-conservatrices adoptées par le gouvernement du PP sont un objet d’étonnement en Europe. Aujourd’hui la droite espagnole ne cherche plus à cacher ses vraies intentions, et elle essaie d’imposer un modèle national qui rappelle les périodes les …

Appendices