VariaLecture

Une réflexion philosophique inédite sur le webL’être et l’écran. Comment le numérique change la perception, de Stéphane Vial, Puf, 2013[Record]

  • Peppe Cavallari

Personne n’avait dit peut-être, d’une façon aussi explicite et catégorique, ce que Stéphane Vial affirme à plusieurs reprises dans ce livre, comme au moment où, à propos de la révolution numérique, il écrit que celle-ci « n’est pas seulement un événement technique mais aussi philosophique » (p. 23) et que : Son œuvre ne se limite pas à revendiquer le droit des philosophes, un droit désormais reconnu, à s’occuper de web, d’applications, d’algorithmes et d’interfaces : il va bien au-delà de cette constatation pour encadrer l’ensemble des instruments techniques qui engendrent le web dans la pertinence d’une analyse philosophique, voire phénoménologique, qui les prend en compte en tant qu’instruments « phénoménotechniques », instruments qui « font le monde et nous le donne » et déterminent « la qualité de notre expérience d’exister » (p. 250). La pensée de l’auteur marche donc sur les traces de ceux qui soutiennent l’effective réalité du web contre toute « rêverie de l’irréel ». Cette rêverie, invoquée tout au long du livre comme les rêves d’un visionnaire et ceux de la métaphysique blâmés par Kant, a d’ailleurs déjà été dépassée, non seulement par les auteurs que mentionne régulièrement Stéphane Vial (entre autres : Bernard Darras et Sherry Turkle, Philippe Queau, Gilbert Simondon, ainsi que les incontournables Michel Serres et Pierre Lévy), mais aussi par des philosophes comme Milad Doueihi, Marcello Vitali-Rosati et Maurizio Ferraris, ou dans l’œuvre de l’original géographe humain qu’est Boris Beaude . Une confrontation avec ces derniers auteurs aurait certainement complété l’état de l’art avec lequel commencent la critique et l’analyse de Vial, étant donné que ceux-ci ont, il y a quelques années, anticipé l’idée selon laquelle les technologies numériques ne sont pas simplement des outils mais, dans leur ensemble, une manière nouvelle d’habiter le monde. En tout cas, Vial désengorge encore une fois le concept de virtuel de tous les malentendus qui l’avaient réduit au domaine abstrait de l’irréel et du cyberespace. Ce qui marque la différence entre l’œuvre de Vial et celles qui l’ont précédée, c’est que son approche n’est pas épistémologique ni culturelle, mais sincèrement phénoménologique. Vial s’occupe de la nouvelle perception des choses : dans cette optique, les interfaces numériques sont des instruments tout à fait phénoménotechniques car « elles créent un nouvel angle de vue phénoménologique » et ainsi « voir les choses sous l’angle des interfaces, c’est précisément les voir comme les interfaces nous les donnent à voir » (p. 181). À travers les interfaces, à travers la « fabrique » de cette innovante « ontophanie » (« c’est-à-dire la manière dont les êtres (ontos) apparaissent (phaïno) » (p. 98)), comparaissent dans le monde des êtres naissants, des choses inédites qui font partie de notre monde et le transforment en transformant notre perception et, enfin, notre capacité d’action et d’interaction : Dans les deux premiers chapitres (La technique comme système et Le système technique numérique), Vial, après avoir récupéré la notion de « système technique » élaborée par Bertrand Gilles dans son Histoire des techniques, pour la transposer à l’ère du numérique, affirme que le système technique étant « le plus haut niveau de combinaison technique observable dans une société », l’ensemble complexe des machines et des actes qui font partie des différentes filières et niveaux de production engendrés par le système n’est pas la forme frigide d’une rationalité externe à l’individu et à la société mais, avec les mots de Simondon, « c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent ». Ainsi, Vial se lance dans une passionnante attaque de la « technophobie » ou …

Appendices