VariaChronique

Que cache le succès mondial de la pop suédoise ?[Record]

  • Églantine de Boissieu and
  • Catherine Guesde

Peter Von Poehl, Frida Hyvönen, I’m From Barcelona, Nina Kinert, The Hives… A parcourir les rayons de disques pop indépendante ou la presse spécialisée, on est frappé par l’omniprésence d’artistes suédois qui, en plus d’infiltrer nos playlists, obtiennent la plupart du temps un succès critique et public considérable (pour ne citer que lui, The Tallest Man On Earth est ainsi comparé au jeune Bob Dylan dans Magic, revue pop moderne). Autre indice de cet essor, le festival ÅÄÖ – créé en 2009 par l’Institut suédois à Paris, et qui rassemble des musiciens suédois dans plusieurs salles réputées (la Maroquinerie, le Point Ephémère entre autres) – attire chaque année un public considérable. Plus récemment, le photographe Julien Bourgeois a publié un très beau livre aux éditions Microcultures, dans lequel il rassemble des portraits de musiciens suédois pris dans leur pays natal, dans des lieux importants pour eux. A la fois investigateur et témoin de cet engouement pour la pop nordique, il trace ainsi des pistes pour saisir les éléments d’une esthétique suédoise, qui se trouverait autant dans les paysages que dans la musique. Ces différents événements témoignent d’une chose : si la pop s’est historiquement constituée et exportée autour de pays anglo-saxons, il faut désormais compter avec un nouvel acteur de taille, la Suède, troisième pays exportateur de musique au monde, qui s’impose tant par la quantité d’artistes exportés que par leur qualité. Le phénomène n’est pas si récent : depuis les années 90 (de Ace of Base à Dr Alban), les plus grands « faiseurs de tubes » habitent à Stockholm et programment, depuis leur studio, d’importants succès mondiaux (des titres de Britney Spears, Jennifer Lopez ou encore Katy Perry sont composés par une bande de producteurs suédois spécialisés dans la fabrique de hits ). Mais à présent, ce ne sont plus seulement ces tubes formatés qui s’exportent : ce sont aussi et surtout des chanteurs compositeurs qui obtiennent du succès avec leurs créations propres. Comment comprendre que les Suédois s’expriment de façon aussi fructueuse par la musique ? Et par quel miracle les morceaux qui en résultent, à la fois accessibles et exigeants, rencontrent-ils un tel succès ? La maîtrise parfaite de la langue anglaise, ainsi que la tendance, pour un petit pays, à absorber les modèles de la pop anglo-saxonne peuvent expliquer que ce pays soit devenu une telle usine à tubes. Mais que dire alors de la pop indépendante suédoise, bien plus personnelle, qui ne vise pas le même public ? La première hypothèse qui vient à l’esprit convoque la géographie, à la manière de Montesquieu dans sa théorie des climats. Quoi de plus propice à l’introspection que le froid hivernal et la nuit qui n’en finit pas ? Les complaintes d’Anna Ternheim ou de Rebekka Karijord sondent d’ailleurs l’âme humaine pour en explorer les recoins les plus insoutenables. Quant à l’été et son soleil de minuit, il est connu pour stimuler la créativité, que ce soit dans la musique ou dans le cinéma – un festival portant ce nom de « Midnight Sun » s’est d’ailleurs créé en Laponie pour célébrer cette source d’inspiration. Mais il semble difficile de s’en tenir à cette interprétation. En plus d’être relativement simpliste, une telle théorie ne rend pas compte de la spécificité de la Suède (le climat est, grossièrement, le même en Suède, en Norvège et en Finlande), pas plus qu’elle n’explique le succès international d’une telle musique. Pour mieux comprendre ce phénomène, il convient peut-être d’aller chercher du côté des politiques culturelles propres à la Suède. Les chiffres sont sans ambiguïté : 31% du budget de la …