VariaChronique

Un gouvernement qui nous fait marcher[Record]

  • Dominic Desroches

Nous proposons l’idée que le gouvernement ne craint plus les marches pacifiques, et même les casseurs qui s’infiltrent dans les manifestations, car les marches, quand elles ne sont pas déstabilisantes, en viennent à justifier le pouvoir en place. Elles favorisent la constitution d’otages par images. Il convient dès lors pour les autorités de diviser la population afin de profiter de diversions médiatiques qui lui permettront de faire oublier son bilan et d’espérer une réélection lorsque bon lui semblera. S’il utilise habilement les médias circulaires, il parviendra à renforcer son pouvoir. Il n’hésitera pas à stigmatiser des individus et à construire des ennemis faciles à identifier. Et même si des articles traitent du printemps érable à l’étranger, les élections concernent des citoyens qui pourraient avoir oublié le bilan du gouvernement quand ils se présenteront aux urnes. D’abord, contrairement à l’idée reçue, ce ne sont pas les associations étudiantes qui font marcher les étudiants et les manifestants, mais bien le gouvernement. Les marches sont des réponses au mépris du gouvernement libéral. En effet, les marches, en dépit du fait qu’elles galvanisent les plus radicaux, ont peu d’effet dans les démocraties avancées plus préoccupées d’économie que d’avenir collectif. Les marches et les tintamarres, s’ils ne sont sans doute pas recherchés par le gouvernement, sont des mouvements qui ne le défavorisent pas électoralement parce qu’ils lui permettent de construire une opposition facile à identifier. Au fond, il y a le gouvernement, garant de l’ordre et de la sécurité, et les petits groupes d’éternels insatisfaits de gauche, ceux qui manifestent au sujet de tout et que les médias se plaisent à dépeindre comme des irréalistes. Il y a une étiquette syndicale comme il y a une étiquette pour les carrés rouge et une autre, plus foncée, pour la CLASSE. Au chaud dans les marches, hébergés parmi ceux qui veulent vraiment changer le monde, vivant intensément dans une fraternité en mouvement, certains étudiants ont respiré dans les manifestations et ont été étiquetés. Il n’y a pas d’auteur de manifs, il n’y a que des étiquettes que l’on colle sur ceux qui portent le carré rouge de la résistance à la spirale libérale. Et il se peut que, pour cette raison, le mouvement étudiant soit devenu otage de sa propre mobilisation historique, otage de son image, otage de son label aussi. Dans une démocratie économique et technologique, une population peut s’accommoder des manifs, espérer une « normalisation » rapide et perdre de vue la raison même de la contestation. Devant une télévision, on peut tout oublier. Il est dès lors très difficile dans nos sociétés complexes de distinguer ce qui se passe, d’analyser, faire des liens ; il est plus facile de juger comme Jacques Villeneuve ou Christine Saint-Pierre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus marcher, mais que les marches ont leurs limites car elles sont devenues des marques, comme le carré rouge. On a beau les répéter, en faire des marées humaines, dans la réalité elles font encore trembler mais pas tomber le gouvernement, lequel peut se permettre de mépriser les gens qui s’opposent à lui tant il est puissant par rapport à la rue. Le gouvernement reconnaît le droit de marcher pacifiquement tant et aussi longtemps que les marches ne sont pas trop importantes : il accepte qu’elles revivent afin qu’elles s’essoufflent et deviennent des caricatures d’elles-mêmes. Devenues étiquettes, elles sont faciles à « démoniser ». Si elles parviennent à paralyser l’économie, alors il modifiera les lois dans le but de reprendre ce pouvoir concédé à la rue. C’est ce que l’on a vu avec la loi spéciale 78. Le gouvernement a …