VariaEntretien

Avant l'heureLecture de "La tombe du divin plongeur" de Claude Lanzmann (Gallimard, 2012) et de "L’écriture et la lecture : des phénomènes miroir ? L’exemple de Sartre", dir. Natalie Depraz et Noémie Parant (PURH, 2011)Claude Lanzmann, La tombe du divin plongeur, Paris, Gallimard, 2012, 448 p.Natalie Depraz et Noémie Parant (dir.), écriture et la lecture : des phénomènes miroir ? L’exemple de Sartre, Presses universitaires de Rouen et Du Havre, 2011, 166 p.[Record]

  • Gérard Wormser

De l’une de mes excursions italiennes, la première à laquelle ils participèrent, mes enfants ont sans doute le souvenir d’une ferme-auberge remarquablement située au sommet des anciennes terres du marquis de Positano. Ils se souviennent de Pompéi et de Paestum, moins sans doute du musée archéologique du lieu : aucun n’avait dix ans. Quelques photos et cartes postales leur en rappelleraient cependant les vitrines. On y compte la fresque mortuaire de ce plongeur rouge, cambré dans son mouvement arrêté, dessiné voici plus de 2500 ans pour symboliser une synthèse de la vitalité associée au passage vers l’au-delà ? C’est elle qui inspire Claude Lanzmann pour présenter le recueil d’article qu’il vient de faire paraître. Entièrement adossée au refus de la mort, son œuvre n’a cessé d’en côtoyer l’imminence. Pour autant que la vie fut définie comme l’ensemble des forces qui résistent à la mort, les textes qui composent ce volume interrogent le principe de vie. La métaphore du plongeur fait tout autant signe vers l’écriture : n’est-elle pas une manière de s’élancer vers autrui sans garantie d’être reçu, comme le pensait Sartre en 1947 ? Et la lecture ne cherche-t-elle pas un sens en s’immergeant dans l’imaginaire d’une autre vie ? Un récent colloque aborde ces questions. « Je suis revenu à Paestum à tous les âges de ma vie », écrit Lanzmann, depuis qu’il y vint avec Beauvoir et Sartre avant 1960 : « De même qu’il y a des imitations de Jésus-Christ, il y avait chez moi une imitation du divin plongeur de Paestum » qui enjoignit à l’auteur de fréquenter les falaises abruptes de la côte amalfitaine, voire de s’élancer lui-même d’un de ses promontoires. La métaphore de l’élan dans le vide est donc revendiquée par Lanzmann pour caractériser l’énergie qui le pousse à s’engager. De fait, il en fallait aussi pour associer à son rôle aux Temps modernes, au début des années soixante, la rédaction, sous pseudonyme, d’articles pour Elle : le pape à Jérusalem en 1964, des portraits de comédiens (Edwige Feuillère, François Périer, le mime Marceau...), ces textes n’entendent pas rivaliser avec les Mythologies de Barthes, mais disent, en mode mineur, une soif et un goût pour une vie imprégnée d’une force venue de la fréquentation du péril. Son portrait de Sami Frey est exemplaire : « Ce regard qui appelle, pour moi, d’autres visages, celui de Kafka, celui de Chaplin, celui de Schwarz-Bart et des millions d’autres encore, graves visages d’enfants dévorés d’yeux immenses, qui attendaient la mort aux murs des ghettos » , écrit-il en 1962. Sartre vient de publier la Critique de la raison dialectique et les lectrices de Elle trouveront sous sa plume des expressions tout droit venues de Sartre : « Disons que c’est un tailleur raté, c’est à dire un intellectuel »  ; « Cette violence, il va la reprendre à son compte et la changer en contre-violence » ou encore « On l’a vu, il s’est inventé lui-même, à partir de rien, au prix d’une réelle conquête » . Il y a donc une générativité des phrases de Sartre, qui deviennent un mode d’écriture sous une variété de signatures. Lues par des milliers de lectrices, ces phrases ne firent initialement partie d’aucune œuvre, paraissant sous pseudonyme dans le cadre rédactionnel d’un magazine féminin. Écrire, lire, ce sont des actes asymétriques. Nombre des textes qui circulent n’ont pas de véritables auteurs – c’est encore plus vrai aujourd’hui de l’écriture en réseau. Nombre d’auteurs délimitent leur public en adoptant des conventions d’écriture qui destinent leurs écrits à des lecteurs avertis. Le cas d’un Balzac feuilletoniste ou celui …

Appendices