Le lecteur du Vent, plus encore celui qui connaît d’autres œuvres de Claude Simon, ne peut que ressentir une certaine surprise tant devant le titre attribué par l’écrivain à son roman, Le Vent, puisque celui-ci ne semble absolument pas être le héros de l’histoire racontée, que devant ce que nous appellerons pour l’instant son sous-titre : Tentative de restitution d’un retable baroque. En effet, contrairement à la majorité des écrits simoniens, Le Vent ne contient, à quelques exceptions près, pas de références à d’autres œuvres d’art, qu’il s’agisse de peinture, de littérature, de musique ou de sculpture. Et tant l’intrigue que les personnages qui y figurent (des gitans, une serveuse, un héros que presque tous considèrent comme un idiot) semblent apparenter le roman bien plus à un courant réaliste qu’à des œuvres qui, comme celles de Proust, ne peuvent être lues que dans leur rapport avec d’autres œuvres d’art, avec l’Art. Or on sait, notamment depuis Genette, l’importance du titre, mode d’emploi destiné à commander toute notre lecture. Celui choisi par Simon semble à tout le moins un mode d’emploi paradoxal. Est-il tout entier thématique? Mais quel rapport alors entre le vent et un retable baroque ? Et comment considérer l’un ou l’autre comme sujet principal du roman? Ou bien l’un ou l’autre, ou les deux, sont-ils à déchiffrer en fonction de leur valeur symbolique ou métaphorique ? Et dans ce cas quelle serait cette ou ces valeurs ? Ou encore s’agirait-il, au moins en partie, d’une indication générique ? Le Vent serait dans ce cas une tentative de restitution d’un retable baroque de même que Le Rouge et le Noir est un roman. Ou encore, le sous-titre serait un sous-titre rhématique qui vise le texte lui-même, non son objet . Toutes ces hypothèses peuvent et doivent être envisagées tant le choix de Simon est énigmatique et, à première vue, obscurcit plus qu’il ne l’éclaire la lecture du « roman », si l’on ose encore désigner ainsi le livre en question. Il faut donc tenter de comprendre la signification de ce titre et la façon dont celui-ci doit infléchir et guider notre lecture de l’œuvre. Comme hypothèse de lecture, nous prendrons l’analogie, parce que c’est la plus immédiate et parce qu’elle permet de mettre en relief de nombreux éléments de l’œuvre. Il existe bien évidemment d’autres possibilités de lecture que nous n’explorerons pas ici parce qu’elles excèdent la portée d’un travail de cette dimension. Ce faisant, nous n’oublierons pas non plus que cette analogie peut être plus ou moins précise, plus ou moins générale. Nous ne devons pas forcément établir la ressemblance du roman avec un retable précis, mais plutôt avec le retable en tant que genre, en tant que catégorie : en effet, nous sommes apparemment ici devant le type d’ekphrasis ne se référant pas à un tableau ou à une sculpture précis mais à un modèle pictural, un dénominateur commun, une image visuelle générale. Nous nous attacherons tout d’abord à la ressemblance la plus évidente du roman avec un retable baroque, à savoir les motifs religieux qu’on peut y trouver de manière récurrente. Nous nous pencherons ensuite sur la construction même de l’œuvre, en tentant de dégager sa similitude avec celle du retable. Enfin, nous essaierons de découvrir le sens profond de cette équivalence entre le Vent et le retable baroque. Lors de toutes ces étapes dans la tentative d’établir une analogie entre l’œuvre de Simon et un retable baroque, nous ferons en sorte de ne pas perdre de vue l’importance des mots : tentative de restitution. Littré, dans son dictionnaire, donne entre …