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À en croire les sondages les plus récents, Marine Le Pen figurerait en troisième position pour l’élection présidentielle avec plus de 20% d’intentions de vote si elle venait à recueillir les 500 signatures nécessaires[1]. La candidate du Front national obtiendrait ainsi un score supérieur à celui de son père en 2002 lorsqu’il avait accédé au second tour avec 16,68% des suffrages exprimés. Le choc causé par la présence d’un candidat de l’extrême-droite au second tour de l’élection présidentielle s’était ressenti lors des élections présidentielles de 2007 au cours desquelles Jean-Marie Le Pen avait recueilli son plus mauvais score avec 10,44% des suffrages exprimés.
Évolution des intentions de vote au premier tour des élections présidentielles (en %)
L’ampleur des intentions de vote dont est créditée Marine Le Pen atteste d’un changement important. L’éventualité d’une présence de la droite radicale au second tour d’une élection présidentielle ne semble pas rebuter les Français quand bien même elle s’accompagnerait de l’éviction du président sortant. Le vote en faveur de Marine Le Pen est ainsi beaucoup plus assumé que celui en faveur de son père ; ce qui le rend plus prévisible pour les instituts de sondage[2]. Il présente à cet égard les caractéristiques d’un vote d’adhésion beaucoup plus prononcé que celui en faveur de Jean Marie Le Pen.
Le programme de Marine Le Pen se présente toutefois comme une compilation de mesures dont la mise en œuvre serait dans le meilleur des cas impossible et dans le pire des cas catastrophique. Ainsi, la suppression du regroupement familial porterait atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. De même le rétablissement du contrôle aux frontières conduirait la Commission européenne à diligenter une procédure à l’égard de la France à l’instar de celle qu’a connu le Danemark récemment. En effet, le parti du peuple danois – figurant à l’extrême droite de l’échiquier politique – avait monnayé son soutien à la coalition de droite au pouvoir en imposant le rétablissement des contrôles aux frontières cours de l’été 2011. Ces propositions illustrent la tension au sein des démocraties modernes entre l’État de droit qui garantit les libertés fondamentales et le populisme qui pose le primat de la souveraineté populaire. De même, la sortie de l’euro serait tout simplement catastrophique pour l’économie française qui verrait aussitôt son endettement public progresser brutalement avec un risque important de poussées inflationnistes. La promotion de la souveraineté nationale s’accommode mal de la réalité d’une interdépendance croissante de l’économie française. Ainsi, 65% de la dette publique française est actuellement détenue par des non résidents alors que ce taux n’était que de 32% en 1993[3]. Une grande majorité des Français juge du reste peu crédible le programme économique du Front national[4].
Une partie de la capacité d’attraction de Marine Le Pen provient de la fin de l’ultralibéralisme qui caractérisait jusqu’ici la pensée économique et sociale du Front national. Le programme de 2012 promet ainsi une revalorisation de l’aide aux adultes handicapés et la fin de la barrière pour le versement de la prestation de compensation du handicap, l’extension du périmètre des services publics ainsi que la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Le Front national opère ainsi une mue similaire à celle qu’ont connue les partis de droite radicale dans les pays où la préservation de la protection sociale constitue un catalyseur du vote. La xénophobie qui sous-tend la plupart des propositions s’exprime de surcroît avec plus de subtilité qu’auparavant. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen qui avaient choqué l’opinion publique ont été reformulées et les manifestations les plus criantes de xénophobie ont donné lieu à des expulsions du parti. Marine Le Pen offre ainsi au Front national un visage plus acceptable pour une société qui figure parmi les plus libérales dans son attitude aux étrangers[5].
Le Front National entretient traditionnellement la confusion autour du clivage gauche/droite pour rassembler des groupes sociaux hétérogènes. Il soude ainsi l’alliance entre la boutique et l’atelier – à savoir un électorat de travailleurs indépendants et de classes populaires – qui se retrouvent dans la mise en scène d’une lutte des petits contre les gros. La montée du vote ouvrier en faveur du Front national avec l’avènement de Marine Le Pen a accéléré la captation d’un électorat traditionnellement acquis à la gauche[6]. Le Front National ne diffère pas des autres partis populistes de droite qui ont essaimé à travers l’Europe contribuant à saper – entre autres – les puissants partis sociaux-démocrates d’Europe du Nord. Les partis traditionnels oscillent ainsi entre la réactivation des lignes de fracture traditionnelles et la réinvention du clivage partisan[7].
Toutefois, la vraie force de Marine Le Pen semble résider dans la défiance à l’égard des institutions politiques. Les Français témoignent ainsi d’une défiance croissante à l’égard de leurs responsables politiques[8]. En outre, le président sortant ne semble pas assurer de passer le premier tour des élections présidentielles pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième république. Quelle que soit l’issue de ces élections, le vainqueur du scrutin ne pourra ignorer le désenchantement politique qui affecte un nombre croissant de Français.
Appendices
Notes
- [1]
- [2]
- [3]
- [4]
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[5]
K. P. Dunn & S. P. Singh, « The Surprising Non-Impact of Radical Right-Wing Populist Party Representation on Public Tolerance of Minorities », Journal of Elections, Public Opinion and Parties, vol. 21, No. 3, August 2011, p. 320.
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[6]
J. Fourquet, Hénin-Beaumont, le Vitrolles de Marine Le Pen?, IFOP, Juin 2007.
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[7]
Cf. notamment C. Premat, Que signifie la gauche aujourd’hui ?, Sens Public.
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