Il est des livres qu’on aurait dû avoir découvert avant qu’une actualité nous envahisse et d’autres qui aident à appréhender des événements difficiles à analyser voire à tenter de comprendre. Le livre de Jamil Sayah, universitaire grenoblois de Pierre Mendès France, relève à la fois de ces deux catégories. Écrit avant que le « printemps arabe » ou plutôt les « printemps arabes » ne s’imposent dans les médias, l’ouvrage n’en est pas pour autant prophétique : il tente de fournir aux lecteurs des clés de compréhension de la « tragédie arabe », dans ces pays où « l’Islam est […] omniprésent comme fondement aussi bien des structures sociales que politiques » (p. 9). Jamil Sayah analyse en multiples « crises » la situation de ce « monde arabe » qui peut donner « l’illusion d’une uniformité certaine » mais qui n’est pourtant « point la somme des parties ». La question de départ est évidemment fondamentale : « existe-t-il un espace politique arabe ? » (p. 11). Au sein de ce monde arabe qui n’est donc pas un espace politique homogène », la « pluralité culturelle et la diversités des modes de vie accentuent grandement cette discontinuité » (p. 12). Puisque cette unité serait en premier lieu une « construction conceptuelle » (occidentale ?), il est bien difficile d’identifier un espace politique arabe, un « modèle arabe ». Mais les « habitants partagent une langue commune et un passé commun aussi sacralisé que leur présent est troublé et leur avenir incertain » (p. 11), de plus, la « médiation linguistique » est effectivement un « formidable vecteur de rapprochement » (p. 14) qui peut inciter à considérer une unité relative. L’invitation nous est donc faite de partager une grille de lecture originale, sur la base d’une analyse des systèmes juridiques, entre droit coranique et droit constitutionnel, au sein des sociétés arabes. Il n’est pas question dans cette analyse de relier le développement de terrorismes ou d’intégrismes à une confrontation entre « civilisations », ou bien en érigeant en cause principale la misère des peuples. « Ce que veulent les arabes, c’est s’émanciper, se libérer » (p. 23). Cette réflexion de Jamil Sayah nous renvoie aussi à la « bête endormie » évoquée par Milad Doueihi dans « La troisième voie ». L’ouvrage traite donc de cette crise du « constitutionnalisme arabe », sans user d’un jargon de spécialiste. Avec la « crise de la modernité » (p. 41), et la « crise de la raison arabe » (p. 50), « il faut que les arabes changent leur appréhension du Temps » (p. 61). Cette installation dans le « Temps de l’humanité » nécessite donc la remise en cause de « l’hégémonie d’un irrationalisme moyenâgeux » (p. 62). L’analyse du fondamentalisme proposée par Jamil Sayal s’inscrit dans cette démarche volontariste, somme toute séduisante. En particulier, le développement (« essai d’interprétation ») sur la sécularisation dans le monde arabe (pp. 79-88) est passionnant et nous amène en particulier à l’exemple Tunisien dans ses différenciations au sein de la « pluralité du monde arabe ». Ces crises se conjuguent avec la « crise de l’Universel » et la démonstration de l’auteur est linéaire : dans ce constitutionnalisme arabe qui s’appuie sur le droit coranique, le citoyen est inexistant (p. 120) et les « droits fondamentaux » sont en souffrance (p. 129) : La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la « crise des sources » car le « monde arabe ne s’interroge plus » (p. 163). Le Coran est un « droit sans État » et les récits (hadiths) …