VariaLecture

La fabrique du romanLecture de "Un roman estonien" de Katrina Kalda (Gallimard, 2011)Katrina Kalda, Un roman estonien, Paris, Gallimard, 2011, 208 p.[Record]

  • Christophe Premat

Katrina Kalda était présente à Stockholm lors de la dixième édition de la journée européenne des langues. Son roman Un roman estonien, écrit en français et traduit en estonien, nous plonge dans un univers où un narrateur donne naissance à un personnage qui peu à peu va s’émanciper. L’histoire de ce malentendu fictionnel permet de faire percevoir au lecteur les bouleversements connus par un petit pays, l’Estonie, qui soudainement se trouve plongé dans un tout autre univers culturel. Les fétiches d’alors (bureaucratie soviétique) se trouvent remplacés par de nouveaux (argent, consommation, mondialisation). La double narration (August, Helmut) est terriblement efficace en ce qu’elle fait sentir au lecteur l’alchimie des évolutions inévitables de l’Estonie dans les années 1990. La « transsubstantiation » ne désigne pas seulement le changement idéologique, mais caractérise la nouvelle valeur que revêtent les choses. La succession des possessifs dans la phrase (« son modèle de rideaux », « sa voiture »…) illustre à merveille l’appropriation privée des marchandises. Le récit des amours d’August et de Charlotte doublé par celui d’Helmut et de Carlotta révèle ce nouveau climat, le roman tout entier est habité par cette tentation de la nouveauté. Les incipit des chapitres sont de ce point de vue évocateurs puisque le chapitre 16 s’ouvre sur : Et le chapitre 17 sur : L’auteur joue avec les attentes convenues du lecteur et déréalise la fiction car ce conte imaginaire est à l’image d’un petit pays qui lutte pour sa culture et son identité. Au fond, l’Estonie a presque la stature d’un personnage à qui on change les habits et c’est peut-être cela qui ressort de cette double narration fictionnelle.

Appendices