Raymond Ruyer se moquait doucement des philosophies de l’Histoire à la Hegel ou à la Marx. Selon lui, la philosophie de l’histoire à la Spielberg & Lucas, avec Star Wars, avait une envergure philosophique beaucoup plus importante. Est-ce qu’il est possible d’envisager philosophiquement cet horizon-là ? Comment penser l’évolution du rapport de l’Homme à la Terre ? S’il est vrai que la philosophie, comme l’indiquait (semble-t-il) Gilles Deleuze, ce n’est pas simplement l’empirisme ordinaire du roman policier à la Conan Doyle au détective enquêtant pour connaître la vérité sur ce qui s’est passé (au passé donc) mais aussi bien l’empirisme supérieur du roman de science-fiction à la Lovecraft au protagoniste essayant de soulever le couvercle de l’inconnu, terrifiant et sublime, alors ces questions là aussi doivent être approchées. Peut-être faudrait-il distinguer trois choses : l’Avenir ; le Futur ; le Devenir. 1) L’Avenir, c’est le Futur comme porteur de solution possible : on utilise la référence à l’avenir comme un outil rhétorique de persuasion au sujet d’une évolution positive possible à laquelle on veut que l’autre adhère. Quand on dit : « ceci, c’est l’avenir ; ceci a de l’avenir », on veut dire qu’il faut investir dans cette chose, y croire, la soutenir, et la développer de façon préférentielle à toute autre parce qu’elle porterait en elle une série de solutions clefs-en-mains nous permettant d’affronter le futur. 2) Le Futur, c’est simplement ce qui pourrait advenir eu égard à la forme actuelle de la situation présente et dans l’optique où une relative inertie humaine et sociale aurait pour effet d’en prolonger le développement continu dans la dynamique actuelle qui est la sienne. 3) Le Devenir, c’est ce qui adviendra sans que l’on sache où, quand et comment ; ce qui adviendra nécessairement mais n’adviendra qu’en décalage avec tout ce que l’on pouvait attendre ou prévoir ; c’est une nouveauté qui n’était pas incluse dans l’état des choses, qui change l’ensemble des données du présent et modifie les coordonnées des évolutions futures. Le problème n’est pas de connaître ou prédire l’avenir. En réalité nul ne le peut. Car ce que l’on imagine aujourd’hui comme positif pour demain changera en même temps que passera l’aujourd’hui : l’avenir change dès qu’il devient présent, remplacé par un nouvel avenir issu de ce nouveau présent, selon un cycle sans fin d’espoirs trompés ou de chanceuses prévisions. Quant aux devenirs, seul l’artiste « sait » ce qu’ils sont quand il est pris dans le tourbillon autant créateur que destructeur dont son œuvre sortira. Des devenirs, on ne peut parler ; ce sont eux, en leur heure, qui parleront à travers nous. Seul le futur du rapport à l’Homme à la Terre est (philosophiquement) dicible dans la mesure où il est l’effet (déterminé mais non-linéaire) de son passé. L’homme est un animal biologique produit d’une évolution par lequel le vivant organique s’est dégagé de l’environnement inorganique. Ce serait cependant une erreur que d’opposer le vivant organique à l’environnement inorganique. En réalité, autant l’environnement inorganique a défini les contraintes que le vivant organique avait à surmonter, autant le vivant organique a imposé en retour à l’environnement inorganique des modifications permettant sa propre survie. Ainsi l’atmosphère terrestre et indirectement par là le bleu du ciel sont le produit non de la Terre mais du vivant lui-même dans son interaction avec la Terre. Terre et Vie sont le fruit d’une commune histoire faite de coévolutions progressives et de catastrophes successives. L’homme est à la fois un des produits de cette coévolution et un des facteurs potentiels d’une nouvelle catastrophe. L’homme est, comme disait Nietzsche, le parasite de la …