VariaChronique

Clôtures[Record]

  • Milad Doueihi

La fin du printemps approche et les mutations au monde arabe suivent leur cours. La répression reprend la main et les violences sectaires resurgissent. Une sorte de retour à la normale malheureusement trop familière. Même en Tunisie et en Égypte, les manifestants retrouvent la rue. En Libye, une situation de partition de facto semble s’imposer. En Syrie, les chars imposent leur loi. Et au Yemen, une sorte de tragicomédie de négociations et de lutte prolonge le pouvoir de Saleh. Au Bahrein, avec l’intervention saoudienne, la monarchie a elle aussi opté pour la répression : arrestation et enlèvement des opposants, fermeture des journaux, et destruction des mosquées chiites sont les signes d’un durcissement silencieusement accepté par l’Europe et les États-Unis. Dans d’autres pays de la région, la Jordanie, le Maroc, pour ne citer que ces deux, les demandes de réformes se poursuivent. Ce paysage complexe ne nous surprend plus. On s’est vite habitué aux appels au changement et à la résistance acharnée de ceux au pouvoir. Même la mort d’Oussama ben Laden, après la première euphorie médiatique, s’est avérée épisodique. La disparition de celui qui avait un moment incarné la lutte opposant Orient et Occident s’est vite avérée une occasion d’introspection, surtout aux États-Unis. On aurait espéré une clôture d’un épisode tragique dans l’histoire des rapports entre Orient et Occident. Ou, faudra-t-il dire, une fin aux fantasmes autour de l’islam et ses ambitions politiques. Survenu trop tard pour certains, devenu tout simplement impertinent pour d’autres, l’architecte du 11 septembre s’est transformé dans sa mort en un spectacle (presque) purement occidental. Il suffit de lire la presse pour se rendre compte de ce clivage séparant les deux mondes. La couverture des magazines, les premières des journaux cherchent les conséquences et les suites de cette mort. Curieusement aujourd’hui, il semble que ben Laden a surtout changé notre monde à nous. Les protocoles de sécurité, les guerres déclarées, les luttes menées, tout porte à croire que c’est bien l’héritage tout occidental de cette figure d’un jihad aujourd’hui épuisé. Pire encore, son image nous interroge toujours. Son quotidien banal nous rappelle les pouvoirs de cette image toujours problématique. Son corps absent, laissé à la mer, mais dans le respect de la tradition, ne fait que mettre au jour les différences entre l’étiquette et le protocole en matière de politique. Mais de nos jours, ces bonnes intentions ne suffisent plus. Nous avons tous besoin de preuves, et les preuves, à l’âge de la technique, passent par la documentation. Si on nous montre ben Laden en train de se regarder sur l’écran, tout conscient de sa présence médiatique, on a besoin de le voir mort. Qu’on nous le dise et qu’on le confirme partout ne suffit plus. Il faut montrer, il faut voir (et les politiques le savent bien car ils ne cessent de le faire). C’est un remède par l’image. Un remède de l’image par l’image. A l’âge des chaînes satellites, les mots seuls ne nous apaisent pas. Est-il légitime de comparer ce silence partiel de l’image aux silences des images de la répression et des violences rencontrées par les révoltes du monde arabe aujourd’hui ? Bien-sûr que non. Et pourtant, une logique de la manipulation de l’image dans le paysage médiatique nous amène à réfléchir sur les liens entre ces manipulations et les expectations auxquelles elles prétendent répondre. La répression craint l’image car elle fait voir la violence. Elle cherche à nous faire croire au calme et la stabilité, les deux fondations de sa légitimité. L’isolement, le silence et la quarantaine sont ses armes premiers. Ses preuves passent toujours par le mensonge, le simulacre et …