Apparues dans les années 60, les sous-cultures sont d’emblée constituées autour de genres musicaux : le psychédélisme est lié aux utopies des hippies, de même que le satanisme est associé au black metal. Pourquoi associer des idées et des valeurs à certains sons ? Peut-on envisager la musique comme la source de valeurs morales ? L’exemple du grindcore, réputé pour être l’une des musiques extrêmes les plus violentes, permet de s’interroger sur le lien entre les caractéristiques formelles d’une œuvre et les valeurs qui y sont associées. Cette musique née de la rencontre des scènes anarcho-punk, hardcore et métal à Birmingham dans le contexte de la récession du début des années 1980, et d’une volonté de radicaliser ces deux genres à un moment où ils étaient accusés de se compromettre en se vendant et en s’édulcorant, met l’auditeur dans une situation à l’opposé du bien être : les chants gutturaux, les guitares abrasives sur fond de blast beat (ce rythme au tempo inhumainement rapide – plus de 150 bpm) constituent une véritable agression sonore. Cette violence que l’auditeur s’inflige a-t-elle des conséquences sur le plan moral ? Parmi les caractéristiques visibles de la sous-culture grindcore, on trouve avant tout une esthétique de la destruction et du morbide, qui se remarque depuis l’onomastique (de Napalm Death à Carcass en passant par Genocide et Aborted) jusqu’à l’univers visuel (peuplé de zombies et de mutilations). L’engagement politique (anarchiste) est fréquent même s’il tend à décroître, et la contestation prend souvent la forme de la violence. De fait, cette musique a pu être critiquée comme une incitation à l’agressivité et à la destruction. On trouve dans le grindcore quelques indices qui pourraient expliquer un tel point de vue. Cette musique aux sonorités peu amènes a un effet physique sur l’auditeur, particulièrement sensible en concert. Les hurlements gutturaux, à la fois agression sonore et appel au cri, s’adressent aux pulsions de l’auditeur bien plus qu’à sa raison, suscitant tantôt l’effroi, tantôt la rage. Les percussions bombardées à un rythme effréné ont également un effet physiologique. La musique parle ici au corps avant de parler à l’esprit, qu’elle suscite un état semblable à la transe ou une sensation d’asphyxie. De fait, on est davantage dans le registre des pulsions que dans celui des émotions ou des idées – des pulsions qui s’expriment dans une gestuelle (poings levés, hochements répétitifs de tête). Proche de la dépossession, l’expérience du grindcore conduit à un éclatement des repères et des valeurs ; elle tend vers le dionysiaque bien plus que vers l’apollinien. De fait, si la musique a un effet physiologique, on peut très bien redouter qu’un comportement dit déviant ou immoral en découle. Mais le discours des auditeurs de grindcore montre que valeurs associées à la communauté grindcore – refus de l’ordre établi au profit du rêve d’un ordre utopique, anarchisme, végétalisme occasionnel – sont souvent mises sur le même plan que les choix esthétiques. Du côté des groupes comme des fans, le contenu militant des textes semble accessoire. Pete Hurley, de la formation grindcore Extreme Noise Terror, commente ses pairs musiciens en ces termes : « La scène anglaise était pleine de groupes qui voulaient jouer sans réfléchir, aussi vite qu’il était humainement possible de faire » . Sur les forums de fans de grindcore, le militantisme passe également au second plan, les sensations provoquées par la musique étant la préoccupation principale. Il faut donc minimiser l’impact qu’aurait cette musique en termes d’adhésion à des valeurs. Plutôt que d’encourager l’idée d’un déterminisme pur – selon lequel l’écoute de musiques violentes rendrait violent –, il faudrait plutôt parler d’un …
VariaChronique
Musique et valeurs dans les sous-cultures : le cas du grindcore[Record]
- Églantine de Boissieu and
- Catherine Guesde
Online publication: Aug. 23, 2019
A document of the journal Sens public
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