VariaChronique

La démocratie comme fin de l’histoire et aprèsPhilo-fictions : Après l’Histoire 1[Record]

  • Jean-Yves Heurtebise

Le philosophe Michel Foucault montrait dans Les Mots et les Choses que la perception humaine de l’Histoire comme mouvement de progrès était une invention récente. Au dix-septième siècle, la notion d’Ordre fondait l’épistémologie, comme elle fondait la politique (la classification des espèces fixes répondant à la stratification sociale des castes et des ordres). A la fin du dix-huitième siècle se dégage l’idée que les formes figées sont le produit d’une évolution réelle et constante – idée qui va peu à peu envahir toutes les disciplines scientifiques : de la théorie de l’évolution au Big Bang en passant par la linguistique comparée et la révolution industrielle, matière, vie ou esprit, tout le réel n’existe plus que comme le résultat d’une transformation dans le temps. L’Histoire désigne non pas une réalité universelle, mais le moment épistémique, daté et local, entre 1750 et 1950, où une lecture historique du Monde et du Réel s’est mise en place ; et ce conjointement avec la domination Européenne du monde, l’émergence du capitalisme industriel et le début de l’impact irréversible de l’homme sur la Terre. Or c’est tout cela qu’il faut à présent re-questionner. Le mouvement de révolte qui traverse les pays du Maghreb et du Proche Orient est historique. Historique au sens commun où il marque un événement politique qui va transformer durablement la région. Historique plus encore au sens philosophique où il marque le réamorçage, et peut-être la « fin », de l’Histoire comme moteur de changement. Ce mouvement de l’histoire, comment le comprendre ? Les révoltes actuelles en « Méditerranée orientale » révèlent-elles que la Démocratie est la fin de l’histoire politique – c’est-à-dire l’horizon universel des transformations sociales à travers le temps ? Ce qu’indiquent les révoltes secouant presque en son ensemble le « monde Arabe », malgré l’hétérogénéité très grande existant entre les différents pays concernés, c’est d’abord l’erreur manifeste des généralisations culturalistes. En pensant l’Histoire contemporaine dans l’optique d’un choc des civilisations, on a commis l’erreur d’absolutiser les différences géographiques. Or si la géographie nous sépare, l’histoire nous réunit. Certes, nous vivons tous en des lieux différents, aux mœurs spécifiques, mais nous sommes aussi tous connectés à un même processus historique. Ce processus historique peut être soit indéfiniment ralenti par des régimes conservateurs et réactionnaires, soit subitement accéléré par des mouvements de révolte ; il n’en avance pas moins. En une nuit, en une semaine, c’est vingt, trente années ou plus qui passent : le conservatisme faisait une hypothèque sur le futur, la révolte solde d’un coup  tout le passé. Si ce mouvement de révolte semble avoir pris de cours les chancelleries mondiales, c’est donc qu’il était impensable dans le cadre de pensée que l’Occident s’était donné. Et qu’il va falloir complètement réviser. L’erreur de l’Occident, de l’Europe comme des États-Unis, fut d’avoir eu une compréhension étroitement culturaliste de l’Histoire, d’avoir cru que l’Histoire leur appartenait. Nous autres européens avons cru que nous avions inventé l’Industrie, les Sciences, le Capital, la Démocratie alors que nous avons simplement eu la chance relative d’être aux premières loges d’un mouvement de fond, qui n’est pas lui-même européen, et qui ne sera achevé que lorsqu’il se sera diffusé complètement à l’ensemble du globe. Comme si le Temps était réductible à l’Espace, comme si l’Histoire suivait la Géographie, nous avons cru que la « Modernité », le « Capitalisme », la « Démocratie », la « Liberté » étaient incompatibles avec « l’Orient » et « l’Asie ». Certes le Japon nous démontra le contraire mais l’essor de la Chine fut interprété comme la preuve que la meilleure manière de diffuser l’économie de marché dans …