On a beaucoup parlé du printemps arabe. Les médias du monde entier se sont penchés sur les bouleversements politiques en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen et au Bahreïn. La rue arabe veut changer l’air politique et s’offre un printemps. On a pu laisser entendre que ces mutations – imperceptibles avant décembre – étaient portées par le numérique, qu’elles résultaient des réseaux sociaux et qu’elles transformeraient l’espace public. Les diagnostics sur notre temps sont rapides, plus rapides que le temps qui change, et l’établissement de la démocratie exigera sans doute plus que des messages textes. Partant du printemps arabe, nous réfléchirons ici sur le climat politique global qui est actuellement le nôtre. L’association des saisons à la politique relève de la météorologie politique. Ce savoir est métaphorique avant d’être scientifique. Cette discipline estime qu’il importe de prendre périodiquement les températures du monde car la politique dépend du temps qu’il fait. Elle lie la chaleur à la révolte et la froideur au statu quo. Pour elle, les révolutions apparaissent lorsque le temps se réchauffe rapidement et que la distance du pouvoir fond. Quand on parle par exemple du printemps arabe, on parle d’un vent chaud, d’un air de changement. La force de l’expression tient au fait que les mouvements politiques sont imperceptibles l’hiver – les gens sont à l’intérieur – et qu’il surviennent au printemps du calendrier, lorsque le soleil réchauffe les fleurs qui sortent de terre. On l’oublie souvent, mais la météorologie politique doit se montrer sensible au travail des médias (généraux, nationaux ou sociaux), et exige une analyse de nouveaux espaces public, médiatique et numérique. Si le printemps arabe a occupé beaucoup d’espace médiatique, c’est en raison de sa nature révolutionnaire, de sa capacité d’entraînement, mais aussi parce que l’on assistait en direct, à la télévision, aux révoltes. Or, derrière les images, une charge émotionnelle cherchait à se libérer. L’espace émotionnel renvoie la politique à sa dimension psychopolitique : l’énergie de la colère, après s’être concentrée, se dispersait partout dans le monde. Si la politique ne parvient plus désormais à temporiser, encadrer et à protéger, personne ne peut arrêter la mondialisation sentimentale. À l’ère numérique, toutes les formes de distance disparaissent et les événements du monde semblent se dérouler dans notre cours, ce qui excite la société des sensations. La proximité du direct et l’interaction des réseaux font sentir l’événement comme si l’on y participait : en janvier, nous étions tous Arabes… C’était une haute saison pour la mondialisation des émotions. Leçon : il y a bien quelque chose de commun dans la réponse médiatique aux manifestations, aux désastres et aux catastrophes ; un pouvoir qui façonne les communautés, une indignation sentimentale aussi puissante qu’éphémère. Cette « communauté d’émotions » est circonstancielle et artificielle car l’éloignement et la proximité sont des grandeurs troublées dans la globalisation. L’émotion n’est plus vécue dans le temps et ne coïncide plus avec la distance géographique. Au Québec par exemple, en février et en mars, tous parlaient du printemps arabe, alors que nous étions aux prises avec les plus importantes tempêtes de neige hivernales, sans rien dire des froides politiques du gouvernement libéral qui, austères et insensibles, détournaient la leçon de liberté donnée par les manifestants. Le printemps des uns peut correspondre à l’hiver des autres… Si les événements se fabriquent et que la charge émotionnelle cherche à s’exprimer dans les canaux disponibles, la catastrophe affecte le monde en réchauffant un espace médiatique en quête équilibre. Pour les médias, la catastrophe arrive comme un scandale, une affaire à élucider, un gain en capital à dilapider. Dans ces nouveaux espaces, les émotions …