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Depuis quelques années le mot « interculturalité » est très à la mode en didactique des langues. Dans les maintes didactiques des langues et les publications, le terme est traité et remanié dans tous les sens, ce qui prouve l’intérêt croissant des didacticiens pour ce sujet. Cette réalité ne nous étonne pas et semble logique, étant donné la situation actuelle en Europe. L’Union européenne s’élargit, les frontières disparaissent. Dans ce cadre, le nouveau citoyen doit être différent de son prédécesseur. Il est poussé à vivre avec des gens de nationalités diverses. Dans ce contexte, les cultures ont/auront sans doute un rôle essentiel à jouer. Leur confrontation est inévitable et la formation culturelle devient ainsi indispensable à la population européenne. L’enseignement des langues présente un domaine par excellence où l’on se heurte inévitablement à ce type de formation, ainsi qu’à l’approche interculturelle. En effet, la classe de langue présente un lieu idéal pour connaître et comprendre une autre culture, étant donné le croisement entre la langue et la culture.

Dans la classe de langue, la culture de l’apprenant est confrontée à la culture étrangère, ce que l’on appelle « dialogue des cultures ». Dans ce dialogue, la propre culture de l’apprenant est enrichie au contact de la culture de l’Autre et mène à la compétence interculturelle (à la « troisième » culture de l’élève). Kollárová nous propose le schéma qui illustre ce phénomène : 

Figure 1

(Kollárová, 2000)

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Cette compétence se forme dans la situation où deux cultures en contact ont plusieurs points communs, mais aussi surtout dans les situations conflictuelles. « Apprendre à parler une langue signifie donc se sensibiliser aux questions identitaires et culturelles. » (Chovancová, 2007)

Notre article s’interroge sur la place de la littérature dans les méthodes des langues (dans les méthodes du FLE plus précisément) et vise la question de l’interculturalité à laquelle on se heurte nécessairement en abordant le sujet de la littérature et du texte littéraire dans l’enseignement de la langue étrangère. Notre communication commence par un court aperçu concernant l’importance de la littérature dans l’enseignement du FLE. On analysera ensuite les objectifs visés par l’utilisation des textes littéraires et finalement on essayera de voir en quoi la littérature pourrait devenir à l’heure actuelle un espace privilégié où se déploie l’interculturalité.

La littérature et l’enseignement du FLE

Dans la didactique du français langue étrangère, le statut du texte littéraire connaît trois périodes importantes, qu’on peut résumer en trois mots : grandeur, décadence et renouveau. Cette grandeur, connue surtout dans les années 50, se manifeste avant tout par l’existence du quatrième volume de certaines méthodes, consacré entièrement à la littérature (les trois premiers correspondaient à l’apprentissage de la langue). Il s’agit par exemple du dernier volume du Cours de langue et de civilisation française intitulé La France et ses écrivains (1957), du sous-titre Textes littéraires (1972) du volume 4 de la France en direct ou encore du titre Pages d’auteurs contemporains du quatrième volume de la méthode Le Français et la vie. La littérature était à cette époque conçue comme l’aboutissement de l’apprentissage d’une langue.

Ensuite, à partir des années 80, les textes littéraires se font de plus en plus rares. Ils apparaissent « au niveau 3 des méthodes de français langue étrangère, mais leur présence illustre un thème d’étude, un phénomène de société, etc. » (Naturel, 1995).

Vers la fin des années 80, on redécouvre le texte littéraire. On le voit réapparaître au niveau 4 des méthodes consacrées à la littérature, mais aussi à d’autres formes d’expressions artistiques. On le retrouve également dans les autres niveaux des méthodes, cependant le texte littéraire s’intègre généralement dans les manuels pour le niveau avancé. Malgré la réapparition du texte littéraire, la recherche ne suit pas le cours des événements et s’intéresse à peine à l’exploitation de ce type de document.

Ce n’est que dans les années 90 et au début du nouveau millénaire que les recherches menées en France témoignent de l’intérêt que portent la plupart des didacticiens du FLE au texte littéraire. Les ouvrages de Jean-Pierre Goldenstein, de Jean-Michel Adam, de Mireille Naturel ou encore de Marie-Claude Albert et Marc Souchon ou bien d’autres manifestent la volonté de prendre en charge la problématique de littérature dans la classe de langue.

Les objectifs visés par l’étude des textes littéraires

Évidemment, dans l’enseignement du FLE, les objectifs visées par l’utilisation des textes littéraires variaient selon les méthodes utilisées dans telle ou telle période.

À l’époque où la littérature couronnait l’apprentissage de la langue, c’est à dire autour des années 50, les méthodes manifestaient deux objectifs prioritaires : l’apprentissage linguistique, essentiellement grammatical qui conduit à une formation culturelle. La formation culturelle présente alors une étape où la littérature est considérée comme le représentant de la norme, mais aussi comme la manifestation la plus intérieure de la culture du pays et « la voie royale » (Cuq, 2005) pour accéder à une certaine civilisation. Les méthodes, en introduisant les textes littéraires en classe de langue, cherchaient avant tout à faire des apprenants des personnes distinguées, ce qui est clairement exprimé dans le propos de Marc Blancpain qui explique, entre autres, que l’objectif visé dans l’apprentissage du français est de « cultiver et orner les esprits des apprenants par l’étude d’une littérature splendide, et devenir, véritablement, des personnes distinguées. » (Mauger, 1953) L’interculturalité à cette époque n’était pas apparemment à l’ordre du jour. La littérature, comme je l’ai expliqué un peu plus haut, refait surface dans les années 80 avec l’approche communicative. Le texte littéraire considéré comme simple « document authentique » apparaît parmi les supports des unités didactiques sans être vraiment accompagné d’une réflexion didactique ou méthodologique. Une fois les compétences linguistiques acquises, l’apprenant se trouve confronté aux morceaux choisis des anthologies traditionnelles. « Paradoxalement, tout se passe comme si la fréquentation des textes des grands auteurs ne pouvait se mériter qu’après une longue fréquentation des textes fabriqués à des fins linguistiques et pédagogiques. » (Cuq, 2005)

Les textes littéraires et l’interculturalité

À l’heure actuelle, comme on l’a déjà expliqué, les didacticiens du FLE expriment une attention croissante à la problématique du texte littéraire en classe de langue. De même, n’oublions pas de noter que Le français dans le monde ne néglige pas non plus ce côté de l’enseignement (il ne l’a jamais tout à fait négligé d’ailleurs) et propose dans chaque numéro des activités pédagogiques de plus en plus élaborées pour l’utilisation du texte romanesque, poétique et théâtral. Même si certains didacticiens se montrent assez pessimistes en ce qui concerne la présence des textes littéraires dans les méthodes actuelles en déclarant que depuis les années 90 : « on observe une distorsion importante entre les recherches et le matériel pédagogique » (Cuq, 2005), notre analyse centrée sur quelques manuels utilisés dans les lycées slovaques montre que les manuels sont suffisamment "chargés" des textes littéraires, au moins pour ce qui est la prose et la poésie, car on s’aperçoit assez rapidement de l’absence totale du texte théâtral dans certains manuels. Malgré la présence des textes littéraires dans les manuels du FLE, notons qu’il existe des incohérences au niveau de l’appareil pédagogique : certains textes "faciles" sont accompagnés d’un questionnement alors que d’autres, plus complexes, sont donnés dans leur nudité et présentés sans aucune piste pour favoriser un accès. On chercherait en vain également le questionnaire ou la proposition des activités qui mettraient en relief l’approche interculturelle dans l’étude des textes. L’enseignant est obligé de "se débrouiller" et de chercher lui même les instruments ou les outils d’analyse. L’analyse a également montré que, dans le choix des textes, les auteurs des méthodes abandonnent petit à petit les grands classiques et se penchent de plus en plus du côté des auteurs contemporains qui permettent, suivant les auteurs et textes sélectionnés, de rendre compte de certains phénomènes de la société française. Les textes littéraires qui apparaissent dans les manuels du FLE sous formes de courts extraits de romans ou de nouvelles, de textes poétiques ou encore sous forme des extraits des pièces de théâtre, n’ont rien perdu de leur objectif formulé dans les années 50, c’est-à-dire qu’ils visent chez l’apprenant un intérêt pour la littérature, ils l’amènent à découvrir la beauté et la richesse d’une œuvre et le conduisent à vivre une expérience esthétique. Ajoutons cependant que depuis les années 50, l’éventail des objectifs s’est quelque peu enrichi. Quoique un peu démodé, l’analyse du sens et du vocabulaire peut être d’un intérêt important, car le texte présente un "réservoir lexical" (Albert, 1995) et élargit par conséquent le vocabulaire de l’apprenant par les mots appartenant à différents registres et par les moyens linguistiques permettant de s’exprimer sur un texte littéraire. Mais ce qui nous intéresse d’avantage, c’est l’étude des textes littéraires dans laquelle la question de la culture entre en jeu, ce qui permet de développer la compétence culturelle et interculturelle de l’apprenant. En effet l’étude des textes littéraires fait souvent place à plusieurs interprétations. L’interprétation et la compréhension du sens d’un texte en langue étrangère se fait en fonction de l’univers de références du lecteur qui sont fortement influencées par la culture d’origine. Le texte littéraire véhicule des images qui renvoient à des mythes reconnus et acceptés par le groupe dont l’auteur fait partie et où son œuvre est d’abord reçue. La culture de l’élève va être confrontée avec le monde de l’Autre. Ce fait lui permettra de relativiser le statut de sa propre culture et de vivre une expérience interculturelle.

Un extrait de récit est un document culturel. L’enseignant pourrait donc également aborder, suivant le contenu du texte, certains faits de société (racisme, pauvreté, etc.) qui peuvent servir de comparaison dans les deux cultures, celle de l’apprenant et celle du pays étranger. Cependant, il faut se méfier, comme le signale Alfred Noé, car « un récit n’est pas un document pour enseigner la civilisation ou la réalité française. Aucun écrivain ne cherche dans son œuvre de donner à son lecteur une image statistiquement objective de la réalité. » (Noé, 1993) Il existe un risque d’interprétations erronées et de contresens dans la réception d’un texte, ceux-ci relèvent des éléments socioculturels de référence et du culturel en général. « La lecture d’un texte littéraire peut fournir des contenus fort divers selon les lecteurs compte tenu de leurs expériences, de leur idéologie, de leur culture, voire même du contexte particulier de la lecture. » (Cuq, 2005) L’apprenant peut donc se retrouver face à face avec ce que l’on appelle généralement le choc culturel. Pour le réduire il est possible de favoriser « le contact avec l’ailleurs et la rencontre avec l’autre par des données civilisationnelles, par des références aux réalités extra-linguistiques et extra-textuelles qui permettent de construire une compétence culturelle. » (Cuq, 2005) Ainsi, malgré « la dichotomie culture et civilisation qui a partagé en deux le siècle dernier » (Cuq, 2005), la littérature et la civilisation peuvent se rencontrer en classe de langue pour poursuivre le même objectif et faciliter à l’apprenant l’accès à la culture de l’Autre.

Pour finir, affirmons que l’approche interculturelle est bien "ancrée" dans la didactique du FLE. Ajoutons cependant qu’elle n’est pas encore tout à fait opérationnelle en littérature, même si celle-ci a confirmé son existence dans les manuels du FLE et son potentiel incontestable pour l’approche interculturelle.