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Autour de nous dans les médias, dans les journaux, même à l’école, on parle beaucoup de la citoyenneté européenne, mais sait-on vraiment ce que cela signifie ? Manifestement, ce concept garde quelque chose d’obscur. En tant que juriste, je me concentrerai ici sur les aspects juridiques du concept. Je décrirai d’abord brièvement son histoire, ainsi que sa base juridique, pour pouvoir me concentrer dans la seconde partie aux conséquences pratiques des prérogatives prévues par les traités constitutifs dont peuvent bénéficier les citoyens européens. Ensuite, je me poserai la question de savoir comment cet instrument juridique est perçu et utilisé par la population des États membres de l’Union européenne. Je terminerai par une petite réflexion sur les possibilités du renforcement de la « conscience européenne » des enseignants. 

Genèse du concept et sa consécration juridique

Approche historique

Le concept de citoyenneté européenne n’a émergé qu’il y a environ quinze ans dans le cadre du Traité de Maastricht. Il instituait la Communauté européenne (ci-après « TIC ») dans l’objectif d’encourager un rapprochement toujours plus étroit entre les peuples des divers États membres, ainsi que leur attachement à l’organisation supranationale nouvellement créée. Il s’agit donc d’un institut juridique récent. Le fait qu’il ne soit pas fortement marqué dans la conscience juridique collective se fait sentir en particulier chez les nouveaux États membres en Europe centrale et orientale.

Dès les débuts de l’intégration européenne, les « pères fondateurs » rêvaient d’une Europe qui regroupe les nations européennes autour de l’idée de la construction d’un destin commun et cherchaient à éveiller ce sentiment dans la population de leurs pays respectifs. Dans cet effort pour trouver des liens capables de souder les peuples jadis hostiles, ils jouaient notamment sur la carte économique en mettant en relief la libre circulation des personnes au sein des premières Communautés. Ce principe de l’intégration européenne a subi une évolution importante allant d’un droit limité à certaines catégories de personnes, à commencer par les travailleurs dans les secteurs du traitement du charbon et de l’acier en 1951, pour être étendu successivement aux autres bénéficiaires définis sur la base de l’activité économique comme les étudiants ou les retraités, jusqu’à son universalisation à tous les Européens grâce justement au concept original de « citoyenneté européenne » qui toutefois ne se borne pas à garantir la seule libre circulation, mais offre toute une gamme d’autres prérogatives.

Sa consécration dans le cadre du TIC en 1992 ne doit donc rien au hasard, tout au contraire. Elle représente l’aboutissement des tendances intégrationnistes qui cherchaient à dépasser le cadre économique des Communautés en les englobant dans cette entité aux ambitions plus politiques qu’est l’Union européenne (ci-après « UE »). C’est justement la citoyenneté européenne qui devrait assurer la légitimité de ce projet, car elle représente à la fois la réalisation pratique du principe sous-jacent de toute intégration européenne, à savoir de celui de la non-discrimination sur la base de nationalité, en même temps que le symbole abstrait de l’unité présumée de l’Europe bâtie sur la volonté politique de ses citoyens. 

Base juridique

La citoyenneté européenne peut être analysée dans un sens plus ou moins large. Largo sensu la citoyenneté européenne est un symbole pétri de valeurs européennes. Néanmoins ce contenu symbolique n’est précisé nulle part de façon obligatoire et chacun peut l’interpréter à sa manière. Le contenu juridique, en revanche, est bien clair.

De jure, la citoyenneté européenne est définie à l’article 17 du TIC comme suit : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. » Cela veut dire en pratique que tout ressortissant d’un État membre jouit automatiquement de la citoyenneté européenne avec les droits qui en découlent sans perdre sa citoyenneté nationale dont l’attribution (ainsi que la privation) reste à titre plein sous le contrôle des États membres.

La citoyenneté européenne n’est évidemment pas de même nature que les citoyennetés nationales. Celles-ci représentent un lien juridique forcé rattachant des hommes aux collectivités étatiques définies territorialement, démographiquement et administrativement. La citoyenneté européenne doit être comprise plutôt comme un statut juridique unique conférant aux citoyens des États membres quelques prérogatives supplémentaires qui ne trouvent leur justification que sur le plan dépassant le cadre national.

Ces droits dont peuvent bénéficier les citoyens des États membres au titre de leur citoyenneté européenne, et que je cite en vertu des pages internet officielles de l’UE dédiées à la citoyenneté européenne, sont les suivants:

-  le droit de circuler et séjourner librement dans l’UE (art. 18)

-  le droit de voter et et de se porter candidat aux élections municipales et aux élections du Parlement européen, quel que soit l’État membre dans lequel le citoyen réside (art. 19)

-  l’accès à la protection diplomatique et consulaire d’un autre État membre en dehors de l’UE dans le cas où son propre État membre n’y est pas représenté (art. 20)

-  le droit d’adresser une pétition au Parlement européen et au Médiateur européen (art. 21).

Conséquences pratiques

Libre circulation des personnes

L’atout le plus précieux de la citoyenneté européenne reste toujours la libre circulation des personnes. En pratique, ce principe comporte plusieurs éléments. Les ressortissants européens ont les droits d’entrer, de séjourner et de résider sur le territoire de tout État membre pour une période de trois mois sans devoir accomplir d’autre formalité administrative que la présentation du passeport ou de la carte d’identité le cas échéant. Après l’écoulement de cette période, ils peuvent se munir d’un permis de séjour dont l’octroi n’est pourtant pas une obligation, mais un droit.

Cela signifie que les Européens peuvent non seulement voyager à travers l’Europe en tant que touristes, mais, en plus, ils peuvent étudier, travailler, exercer une activité économique indépendante ou simplement résider ailleurs sans devoir subir trop de contraintes administratives. Cet avantage est renforcé grâce au progrès accompli dans le domaine de la reconnaissance des qualifications, de même que par la mise en œuvre de divers outils pratiques facilitant la circulation. Nous pouvons citer en titre d’exemple le réseau EURES (Réseau européen pour l’emploi) qui s’occupe de l’orientation des gens à la quête du travail en dehors de leur État d’origine ou les programmes d’échange pour les étudiants ERASMUS/SOCRATES.

Bien sûr, il y a des dérogations existant dans ce domaine qui peuvent être relevées par les États membres, pour freiner ou mieux contrôler les flux des personnes, dans le cas de problèmes liés à des valeurs comme l’ordre, la sécurité ou la moralité publics. Des barrières pour la libre circulation des personnes qui méritent aussi d’être mentionnées sont les dérogations temporaires qui ont été négociées au détriment des nouveaux pays membres lors de leur adhésion dans l’UE en 2004 et 2007.

Malgré une avancée significative depuis la mise en place du principe dans les années 1950, la libre circulation est loin d’être pleinement atteinte. Pour que ce droit soit totalement efficace, il faut d’abord appliquer dans toute l’UE un paquet de normes en rapport aux questions de libre mouvement connu sous le nom de l’acquis Schengen, ce qui aura pour conséquence l’abolition véridique des contrôles aux frontières internes des États membres. En même temps, il faut poursuivre la coordination au niveau européen des politiques des visas, d’immigration et d’asile, afin que la libre circulation n’entraîne pas de résultats négatifs sur le plan sécuritaire. 

Droits électoraux

Les droits visés dans l’article 19 du TIC tendent à impliquer davantage les citoyens dans la vie publique des collectivités qu’ils habitent. Il est clair que le droit de participer aux élections municipales et européennes, tant activement que passivement, renforce considérablement le sentiment d’appartenance collective d’un citoyen européen résidant dans un État membre autre que le sien. Ces droits doivent d’abord lui permettre de mieux s’identifier avec la communauté locale, qui gère les questions de sa vie quotidienne, ensuite avec les Communautés européennes qui s’occupent des enjeux dont les dimensions ou les effets potentiels nécessitent la recherche d’une solution adéquate au niveau administratif supranational.

Là encore, il peut y avoir dérogation par rapport à ces droits. En ce qui concerne les élections municipales, une restriction peut toucher des non-nationaux quant à leur éligibilité aux organes exécutifs des gouvernements locaux. En outre, en présence d’une proportion de citoyens européens venus d’autres États membres supérieure à 20% de personnes habilités à voter, les États membres peuvent conditionner l’exercice du droit de vote aux non-nationaux par une durée de séjour plus longue. Cette dernière restriction peut être relevée par les États membres également pour les élections au Parlement européen.

Ces élections doivent être organisées dans tous les États membres en respectant un cadre commun. Les députés européens sont partout élus au suffrage universel direct et secret, par tout citoyen européen âgé d’au moins de 18 ans, pour un mandat de 4 ans. En plus, dans la quête d’une intégration toujours croissante des peuples européens, les élections se déroulent selon une formule spécifique quand les candidats se présentent non seulement en tant que candidats des partis nationaux, mais aussi comme candidats des partis politiques au niveau européen. 

Droit à l’assistance dans les pays tiers

Alors que le premier droit conféré par TIC aux citoyens européens assure la libre circulation au sein de l’UE, le droit à la protection diplomatique et consulaire s’avère utile lors de leur circulation en dehors de l’UE. Si l’État membre dont ils proviennent n’est pas représenté dans un pays tiers, ils peuvent demander l’assistance en cas de besoin auprès de n’importe quelle représentation d’un autre État membre.

Selon les informations sur le site de la CE "Freedom, Security and Justice", cette assistance  peut couvrir les situations suivantes:

-   assistance en cas de décès

-   assistance en cas d’accident ou maladie grave

-   assistance en cas d’arrestation ou de détention

-   assistance aux victimes de délit violent

-   assistance matérielle et rapatriement de citoyens de l’UE dans la détresse. 

Droits politiques

Finalement, le quatrième droit prévu par TIC s’efforce de contribuer à combler le fameux déficit démocratique, par l’ouverture de nouvelles pistes allant directement du citoyen vers l’administration dans l’objectif de rendre son exercice plus efficace en l’approchant du citoyen. En premier lieu, lorsqu’un individu est directement affecté par une issue européenne, il peut adresser une pétition au Parlement européen. Elle peut avoir la forme d’une demande de nature plus générale ou bien d’une plainte visant son intérêt individuel. Dans les deux cas, la procédure déclenchée à la suite de la pétition est achevée par une réponse du Parlement décrivant les actions réalisées.

Deuxièmement, les citoyens européens mais aussi les personnes morales ayant leur siège sur le territoire de l’Union européenne peuvent s’adresser au Médiateur européen pour dénoncer des cas de mauvaise administration commis par toute institution communautaire à l’exception des juridictions (irrégularité, injustice, discrimination, abus de pouvoir, retard injustifié...). Les compétences du Médiateur vont d’une simple information de l’institution en question, à la recherche d’une solution si nécessaire par l’intermédiaire d’une enquête, jusqu’à l’envoi de recommandations contenant des instructions pour remédier au problème à l’encontre des institutions concernées. 

Propositions relatives aux enseignants

Utilisation et perception de la citoyenneté

Après avoir analysé la citoyenneté européenne de manière juridique, considérons maintenant le thème propre de ce colloque, soit le renforcement de la « conscience européenne » chez les enseignants.

Dans les statistiques, ceux-ci ne représentent pas une catégorie spéciale de citoyens. Voyons donc d’abord les tendances générales relatives à la citoyenneté européenne, comment celle-ci est perçue et utilisée.

En ce qui concerne l’utilisation des droits conférés par le concept en question, l’impression est plutôt positive, vu par exemple l’accroissement annuel du nombre des plaintes reçues par le Médiateur européen (en 2004 selon http://ec.europa.eu/justice_home/fsj/citizenship/ombudsman avec 3726 plaintes, le taux a été cinq fois plus élevé que l’année précédente) sans parler de l’augmentation du nombre des personnes profitant de divers outils facilitant la libre circulation, tel le nombre des personnes cherchant de l’aide par l’intermédiaire du réseau EURES.

Par contre, savoir su cette utilisation des prérogatives attachées à la citoyenneté européenne influence la perception de la population reste une question embrouillée. Les chiffres publiés récemment par Eurobaromètre dans le sondage intitulé L’opinion publique et les citoyens montrent que seuls 47% de citoyens européens se sentaient en 2004 à la fois citoyens de leur pays et Européens ; 41% des interviewés se sentaient uniquement « nationaux » .

Même s’il est probablement trop tôt pour tirer des conclusions générales, ces statistiques suggèrent l’idée que le concept de citoyenneté européenne reste avant tout un projet politique à développer, qu’il n’est pas encore vraiment partagé par ses destinataires. Il peut paraître un peu paradoxal que l’utilisation toujours plus grandissante des droits civiques n’ait pas d’impact sensible sur l’édification de la conscience (pro)européenne des utilisateurs.  

Pourquoi les enseignants ?

De ce qui précède, deux choses résultent par rapport à notre sujet. Premièrement, il y a un effort à faire dans le domaine de l’information et de la communication pour promouvoir davantage le concept de citoyenneté européenne et par conséquent l’UE en tant que telle. Deuxièmement, comme l’école reste un terrain privilégié pour ce qui est de la diffusion des informations, ce sont justement les enseignants, et parmi eux notamment les institutrices et les instituteurs à l’école primaire dont les possibilités formatives vis-à-vis des plus jeunes sont les plus grandes, qui pourraient concourir à accomplir cette tâche s’ils étaient intéressés à cette fin.

Toutefois, pour que les enseignants puissent eux-mêmes devenir les sources d’information pour leurs élèves et éventuellement pour un public plus large, il faut d’abord les sensibiliser aux questions européennes. Cela nécessite non seulement de répandre entre eux plus d’informations concernant l’UE, son fonctionnement et notamment ses principes et ses valeurs, mais avant tout de les persuader de l’utilité de l’affaire. Ce dernier devoir me semble être particulièrement délicat, car on ne peut pas supposer que tous les enseignants forment une masse homogène de partisans de l’intégration européenne. Dès lors, pour ne pas copier sur les régimes totalitaires avec leur indoctrination forcée, il faut rester sur la base du bénévolat tant du côté des enseignants que du côté des élèves. Proposer des cours obligatoires sur l’Europe aux enfants, ou inventer du travail supplémentaire pour les professeurs, en parlant par exemple de leur devoir à l’égard de l’Europe unie irait au détriment de la cause. Comment donc procéder pour motiver les enseignants, afin qu’ils participent au projet de la diffusion des valeurs européennes symbolisées par la citoyenneté commune ? 

Comment les impliquer?

Si on refuse la méthode persuasive, on pourrait tenter le contraire, c’est-à-dire essayer de motiver les enseignants intéressés à devenir les « agents publicitaires » de l’UE, en les soutenant matériellement, financièrement et même au niveau de leur statut social. Ce dernier point fait allusion au prestige du métier des enseignants qui ne cesse de diminuer. Cette perte du respect pourrait être en partie compensée si on arrivait à les élever en tant que classe professionnelle à un niveau semblable à la catégorie des conseillers ou autres professions libérales.

En réfléchissant aux pistes qui mèneraient au résultat souhaité, je me suis laissé inspirer par le Rapport analytique de la Commission sur un sondage concernant la politique de la communication européenne effectué en 2006 auprès de la population européenne. Ses auteurs citent des mesures proposées par la Commission européenne visant à « impliquer les citoyens » :

-   « améliorer l’éducation civique (par exemple par la création d’un réseau d’enseignants, connectés numériquement aux bibliothèques européennes),

-   établir un lien entre les citoyens (par exemple par l’institution des lieux de réunions physiques et virtuels),

-   renforcer la relation entre les citoyens et les institutions (par exemple par l’établissement de normes minimales applicables aux consultations) ».

Ces propositions devraient à mon avis se réaliser de préférence dans les écoles. Surtout, l’apprentissage de l’éducation civique pourrait être assuré même en dehors des cours classiques, pendant le temps libre des élèves, par tous les enseignants intéressés. Ceux-ci pourraient s’inspirer mutuellement au sein du réseau en échangeant leurs expériences, méthodes ou savoirs-faire. Les écoles pourraient devenir également ces lieux privilégiés connectés aux institutions européennes où l’on organiserait des réunions physiques ou virtuelles, par l’intermédiaire desquels les gens pourraient consulter les fonctionnaires européens.

Les écoles deviendraient des pôles importants d’information sur les issues européennes et les enseignants impliqués pourraient partiellement profiter du prestige de ceux qui connaissent, devenir en quelque sorte des initiés.

Dans la présente contribution, j’ai tenté de présenter le contenu du concept de citoyenneté européenne stricto sensu en décrivant les possibilités juridiques qu’il offre à ses bénéficiaires. Nous avons vu que ces possibilités sont de plus en plus utilisées par les citoyens européens. Pourtant, cette tendance n’a qu’une portée restreinte sur la « conscience européenne » des gens. Ceci justifie le bien-fondé des appels pour une meilleure communication de la part des institutions européennes qui pourraient profiter davantage de l’aide des enseignants, agents stratégiquement placés auprès de la jeune population. Si l’on arrivait à les impliquer dans l’affaire, ils pourraient jouer un rôle plus important dans le domaine de l’information qui, comme nous le savons, peut se transformer invisiblement en formation.