Abstracts
Résumé
Cet article entre dans la catégorie liée à la formation initiale des futurs enseignants dans le monde contemporain. Quelle Europe ? Comment enseigner une matière en constante évolution ? Quelles sont les fins d’une telle éducation?
Mots-clés :
- enseignement,
- Europe,
- Union européenne,
- enseignant de géographie,
- méthodes
Abstract
The communication fits into the category relative to the formation training of the teachers in the current world. What Europe? How to teach a subject in constant evolution? What are the ends of such an education?
Keywords:
- education,
- Europe,
- European Union,
- geography teacher,
- methods
Article body
Enseigner l’Europe, c’est mettre en relation les contenus et les méthodes d’analyse des deux valences que sont l’histoire et la géographie. C’est prendre en compte un temps long, mais également l’instantané de ce qu’est l’Europe aujourd’hui grâce à l’étude géographique de l’unité et de la diversité du territoire européen. L’Europe est cet espace géographique actuel qui doit être enseigné. Il s’agit de permettre aux élèves de construire leur citoyenneté tant à l’échelle nationale que communautaire. Il s’agit de bâtir de grands repères sur l’Europe, l’Union européenne et son fonctionnement. Ces thèmes suscitent une quantité d’interrogations chez les élèves. Ces derniers sont sensibles à ce qui concerne l’Europe et l’Union européenne, mais les connaissances réelles sur ce qu’est, notamment, l’Union européenne restent floues et confuses. Il semble que cette Union apparaisse, ce qui peut sembler paradoxal, à la fois comme quotidienne et lointaine. Dès lors, enseigner l’Europe devient une priorité, car comment agir de manière citoyenne si l’on ignore le fonctionnement du système, ses droits, ses devoirs, les instances représentatives ?
Un questionnement scolaire ancien et aujourd’hui très présent
Les programmes scolaires traduisent la demande sociale d’une société à une époque donnée en même temps que l’avancée scientifique sur la thématique. Il est intéressant de constater que la thématique de l’Europe est présente dans les programmes depuis la troisième République. Inscrit dans un objectif militaire de revanche, exaltant le sentiment patriotique (reconquête des provinces perdues de l’Alsace-Moselle), les programmes scolaires parcouraient les pays d’Europe à travers le bilan de leurs forces, aussi bien à l’école primaire que dans le secondaire. Dans les programmes de l’entre-deux guerres, les programmes scolaires insistaient sur les conséquences spatiales des traités mettant fin à la première guerre mondiale. L’Europe était également abordée à travers des thématiques transversales, telles les grandes voies de communication européennes. Depuis la seconde guerre mondiale perdure une analyse de l’Europe, bientôt concurrencée par la construction européenne. C’est dans ce contexte qu’apparaît l’étude de quelques états européens.
« Plus que tout autre continent sans doute, l’Europe porte la marque de l’histoire ; il est donc indispensable de s’appuyer sur les acquis des classes de sixième et de cinquième et de croiser les informations avec le programme d’histoire de quatrième[1] ».
Enseigner l’Europe en classe de quatrième, c’est partir des connaissances acquises au cours des années scolaires précédentes de la vie de l’élève. En outre, la construction même des programmes de quatrième invite à construire des passerelles entre les séquences d’histoire et de géographie puisque le thème de l’Europe traverse les deux valences enseignées. Cette transversalité du thème de l’Europe est d’ailleurs renforcée par la programmation annuelle qui permet de juxtaposer, par exemple, le chapitre de la présentation de l’Europe moderne avec celui de l’unité et la diversité de l’Europe. Naturellement, et sans s’en rendre compte, les élèves construisent des liens entre ces deux premiers chapitres de l’année. Cette convergence des contenus, cet enrichissement mutuel des deux valences paraissent très intéressants puisqu’ils permettent aux élèves de donner une cohérence aux enseignements reçus à l’école. Ces passerelles luttent contre la tendance au morcellement des connaissances, une imperméabilité totale entre les différentes matières dans le travail de l’élève. De plus, le réinvestissement des connaissances acquises au cours du ou des chapitres précédents donne un sens à l’apprentissage et permet aux élèves de goûter au plaisir d’avoir en mains des éléments de réponses.
Par ailleurs, « les contenus des programmes croisent les contenus de presque toutes les disciplines [2] ». Ces convergences disciplinaires autour de la thématique européenne devraient permettre d’apprendre à travailler de concert avec d’autres professeurs et surtout de donner plus de sens à l’ensemble des contenus que les élèves étudient.
Les programmes de première se construisent autour des mêmes exigences : ils se situent dans la continuité du programme de seconde. L’étude de l’Europe en géographie (première ES et L) s’organise autour de trois thèmes, à savoir d’abord son organisation politique (grand nombre d’États) marquée par une organisation commune, l’Union européenne. Puis sont analysés les rôles des métropoles et des axes de communication, qui dessinent une carte de l’Europe spécifique. Enfin, le fait régional en Europe fait l’objet d’une attention particulière.
La présentation de l’Europe moderne, premier thème enseigné en histoire en classe de quatrième, doit être introduit « à partir de cartes [3] » ce qui amène à poser les bases d’une géo-histoire de l’Europe, à inscrire le phénomène européen dans la longue durée. De plus, « le croisement de données historiques, naturelles, culturelles, démographiques et économiques évite de s’en tenir à la démarche analytique qui ne peut rendre compte de la complexité de l’organisation des territoires [4] ». Enseigner l’Europe, en suivant la logique des programmes, permet de réaffirmer les liens entre espaces et temps, entre géographie et histoire. En outre, autour de ce thème, on exerce les élèves à comparer (cartes d’évolution de l’Europe, diachroniques et synchroniques), à observer, à lire, à trier, à exercer leur esprit critique. Dès lors, il est possible de ne pas séparer les contenus et les méthodes de travail acquises dans l’une des disciplines. De plus, étudier l’Europe permet une réelle interaction entre les contenus historiques, géographiques et d’éducation civique.
L’un des thèmes au programme des classes de quatrième en éducation civique concerne l’Europe. Au-delà même des contenus et des méthodes disciplinaires, enseigner l’Europe revêt cette autre réalité : l’éducation à la citoyenneté.
« L’Europe est là, vécue tous les jours, plus ou moins bien comprise mais bien présente, et apprendre à s’y placer selon la double contrainte de l’accomplissement de soi et du respect des autres qui sont si proches, c’est donner sa place à la vie dans l’éducation[5] ».
Cette séquence doit permettre d’ancrer dans la réalité de l’Europe des élèves qui sont amenés à la vivre au quotidien. D’ailleurs, dès 1974, Jacques Chirac décrivait une réalité fort concrète lorsqu’il déclarait : « La politique européenne ne fait plus partie de notre politique étrangère. Elle est autre chose et ne se sépare plus du projet fondamental que nous formons pour nous même[6]. »
Les élèves sont sensibles au thème de l’Europe mais leurs connaissances réelles sur ce qu’est l’Europe et l’Union européenne restent floues et confuses. Cette Union leur apparaît paradoxalement comme quotidienne et lointaine, quotidienne car elle leur semble évidente, l’euro étant l’un des facteurs explicatifs, lointaine car peu d’entre eux ont des connaissances sur le fonctionnement administratif et politique de l’Union européenne. Le souci du professeur doit être alors d’humaniser l’Europe, de donner leur place aux acteurs, aux individus.
Quelle Europe enseigner ?
Évoquons l’introduction du programme de géographie de la classe de première « Qu’est-ce que l’Europe ? ». L’accompagnement des programmes stipule que l’un des objectifs principaux est de :
« faire réfléchir les élèves sur le fait que l’Europe n’étant pas exactement un continent au sens classique du terme (on devrait plutôt parler d’Eurasie), la question de ses limites est posée de longue date. Elle a une portée géopolitique fondamentale. L’Europe doit donc davantage être définie en terme d’identité, largement produit de l’histoire. Cette identité n’est pas simple à appréhender. Elle pourra être reprise dans la première partie du propos de la question de l’élargissement de l’Union européenne. » [7]
Qu’évoque-t-on lorsque l’on emploie le mot « Europe » ? Se réfère-t-on au personnage mythologique ? Se réfère-t-on à un continent ? Le professeur se pose également ces questions et pourtant il se doit de définir ce qu’est l’Europe en cours. On peut, certes, interroger la géographie physique mais il apparaît bien vite impossible de délimiter l’Europe par le relief. Les géographes ont bien du mal à définir ce terme et si l’on cherche le terme « Europe » dans différents dictionnaires de la géographie, on s’aperçoit qu’il est absent de deux dictionnaires : Dictionnaire de la Géographie, P. Georges et F. Verger (2004), Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, J. Lévy et M. Lussault (2003). Cette absence est-elle révélatrice du peu d’intérêt porté à cet objet de la part des géographes, ou bien de la difficulté à appréhender cet objet ?
Selon Gérard Hugonie :
« un problème se pose dès la première leçon : comment définir l’Europe ? L’Europe n’est pas un continent, le problème de ses limites se pose au Sud (détroit de Gibraltar : 14 km) et à l’Est. On met des limites pour des raisons de civilisation, des limites historiques (Bosphore et Dardanelles) ou religieuses (Caucase et Oural : limites des peuplements chrétiens au 17e siècle). L’Europe est une construction mentale. Les limites Est et Sud sont conventionnelles[8]. »
L’enseignement de l’Europe dans les programmes actuels de géographie se retrouve essentiellement en quatrième et en première. L’idée force est de faire naître chez les élèves une conscience citoyenne européenne et de les ouvrir aux réalités du monde qui les entoure. Mais force est de constater que cette dimension européenne accorde peu de place à l’Europe centrale et orientale, malgré l’effondrement du mur et l’ouverture à l’est.
S’il est difficile pour l’instant d’analyser l’Europe en tant qu’objet d’enseignement, J. Lévy estime toutefois que cet objet sert d’outil pour faire de la géographie :
« L’enseignement de l’Europe vise à former des citoyens européens capables de délibérer sur des problèmes complexes. Un tel projet n’est cependant possible, en sens inverse, que si les élèves sont institués comme citoyens avant même que le cours n’ait commencé. Car, comme objet didactique, l’Europe ne peut exister qu’en assumant le déséquilibre dynamique de toute formation à composante civique. Le message du professeur est en effet le suivant : voici certains éléments de réponse à une question que vous seuls devrez un jour trancher. En ce sens, l’Europe peut devenir un exemple particulièrement net de ce que devrait être toute initiation à la géographie. Aider les élèves à comprendre l’espace donné pour envisager l’espace possible : acheter en euro, faire des autres Européens ses commensaux, mais aussi se poser en acteur politique des futurs de l’Europe. Décider de ce qu’on doit changer, y compris en choisissant de ne point le changer, en le transformant en patrimoine[9]. »
Le professeur, devant ces incertitudes de définition de l’objet d’étude, doit faire des choix et poser les grands repères nécessaires. Ainsi, il est intéressant de ne pas fermer la définition de l’Europe, mais plutôt d’expliquer aux élèves que l’Europe est en construction. Dans cette volonté de ne pas réduire l’Europe à une définition étriquée, le professeur est amené à introduire de l’incertain dans son enseignement. En effet, enseigner l’Europe, c’est, selon Michèle Masson « intégrer dans son enseignement les incertitudes d’un savoir en cours de création sur des sujets en constante évolution » [10]. Le professeur se heurte à la volonté de construire un cours rigoureux, s’appuyant sur des recherches scientifiques validité. Apparaît alors la nécessité de ne pas masquer aux élèves la complexité de ce qu’est l’Europe, en apportant des éléments clairs, des réponses nuancées et adaptées aux élèves. Enseigner l’Europe et l’Union européenne amène le professeur à s’interroger sur la forte politisation du sujet. En aucun cas le professeur ne doit se faire l’apôtre d’une vision politique mais il doit tenter d’enseigner une réalité existante de l’Europe, en travaillant sur les représentations que les élèves ont de l’Europe et de l’Union européenne. En adoptant une telle démarche, le professeur a la volonté de créer le terrain favorable à une construction progressive et réfléchie de ce qu’est l’Europe pour chaque élève et non d’imposer sa propre vision de l’Europe, subjective.
Travailler avec de l’incertain, sur un thème en constante évolution, est un défi pour le professeur. Mais enseigner l’Europe et l’Union européenne est une expérience riche en questionnement sur ce que signifie enseigner un sujet au cœur de l’actualité, de la vie quotidienne, sur l’importance de la mise en perspective du cours, sur la nécessité de ne pas imposer une vision des choses mais d’armer le futur citoyen européen des données nécessaires à la compréhension de l’espace dans lequel il vit.
Conclusion
L’Europe n’est pas une réalité scientifiquement mesurable. C’est une entité en permanente mutation, en perpétuel changement. Réfléchir à la mise en place d’un enseignement de l’Europe amène à s’interroger sur le travail en équipe, sur les possibilités de l’interdisciplinarité. Un travail coopératif autour de thèmes transversaux est envisageable. Travailler autour de l’Europe permet de construire des passerelles entre les trois valences : histoire, géographie et éducation civique, ce qui donne plus de cohérence à l’enseignement général. Enfin, réfléchir et mettre en place dans la classe un enseignement de l’Europe, aussi imparfait soit-il, c’est faire un pas pour l’éducation à la citoyenneté des élèves.
Appendices
Notes
-
[1]
Accompagnement des programmes du cycle central 5ème/4ème, p. 12.
-
[2]
Programmes officiels des classes de 5ème/4ème, histoire-géographie, p. 37.
-
[3]
Idem.
-
[4]
Idem.
-
[5]
Retaillé, Denis, « Conclusion décalée », in Comment enseigner l’Europe de l’école au lycée ?, Masson, Michelle (sous la direction de), Paris, Armand Colin, 1996, p. 180.
-
[6]
Grosser, Alfred, Avant-propos, Revue des Instituts de Recherche pour l’enseignement de l’histoire-géographie et groupes associés, L’Europe, décembre 1995, p. 7.
-
[7]
Accompagnement des programmes, classe de premières des séries générales.
-
[8]
Hugonie, Gérard, « Le programme de géographie en quatrième », in Le bulletin de liaison des professeurs d’Histoire-géographie de l’académie de Reims, N° 15, mai 1998.
-
[9]
Lévy, Jacques, « Une nouvelle ère pour la géographie », in Le Monde de l’éducation, janvier 1999.
-
[10]
Masson, Michelle (sous la direction de), Comment enseigner l’Europe de l’école au lycée ?, Paris, Armand Colin, 1996.
Bibliographie
- MARIE Vincent, LUCAS Nicole, L’Europe enseignée, Paris, Le manuscrit, 2005
- LÉVY Jacques, « Une nouvelle ère pour la géographie », in Le Monde de l’éducation, janvier 1999
- HUGONIE Gérard, « Le programme de géographie en quatrième », in Le bulletin de liaison des professeurs d’Histoire-géographie de l’académie de Reims, N° 15, mai 1998
- MASSON Michèle (sous la direction de) Comment enseigner l’Europe de l’école au lycée ?, Paris, Armand Colin, 1996
- RETAILLÉ Daniel, « Conclusion décalée », in Comment enseigner l’Europe de l’école au lycée ?, Masson Michelle, sous la direction de, Paris, Armand Colin, 1996
- GROSSER Alfred, « Avant-propos », in Revue des Instituts de Recherche pour l’enseignement de l’histoire-géographie et groupes associés, décembre 1995