Abstracts
Résumé
Ce Dictionnaire des philosophes français du dix-septième siècle présente environ 600 auteurs qui ont contribué à l’invention, à la diffusion et/ou à la discussion d’idées et de problèmes philosophiques entre 1601 et 1700. Le terme de « philosophe » étant pris en un sens large, comme c’était le cas au dix-septième siècle, l’ouvrage fait place aussi bien aux philosophes de profession qu’aux nombreux auteurs qui ont participé aux débats pour ou contre le Cartésianisme, le Jansénisme, la libre pensée et la science nouvelle. Ce travail auquel ont participé plus de 130 rédacteurs intéressera aussi bien les historiens de la philosophie que les historiens des sciences et de la littérature. C’est une fresque passionnante et sans équivalent.
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La parution d’un nouveau dictionnaire n’est plus aujourd’hui une surprise, tant est grande l’activité éditoriale en la matière. Ce n’est pas une raison pour ne pas présenter le Dictionary of Seventeenth-Century French Philosophers, que nous devons au philosophe Luc Foisneau, directeur de recherche au CNRS, et à l’équipe éditoriale qu’il a rassemblée autour de ce beau projet[1].
Il y a 350 ans, l’éditeur de Furetière faisait déjà la remarque suivante : « Le public est assez convaincu qu’il n’y a point de livres qui rendent de plus grands services, ni plus promptement, ni à plus de gens que ceux-là ». Mais à quel type de dictionnaire a-t-on ici affaire : dictionnaire de langues, dictionnaire de science ou dictionnaire de choses ? La distinction proposée par Diderot dans l’article "Dictionnaire" de l’Encyclopédie se trouve d’emblée brouillée par le dictionnaire des philosophes français du dix-septième siècle. Ce Dictionary n’est certainement pas un dictionnaire de mots au sens dépréciatif que Diderot donne à cette expression, car il fait droit à la différence des langues, s’intéressant à tous les ouvrages de philosophie publiés tant en français qu’en latin entre 1601 et 1700 ; c’est, en revanche, et sans le moindre doute, un dictionnaire de science, les découvertes des savants naturalistes et des mathématiciens y étant exposées sans technicité inutile, mais avec toute la précision qui convient ; c’est aussi - il aurait peut-être fallu commencer par là - un dictionnaire historique, puisque chacune des presque 600 notices fournit des éléments de biographie, de contexte politique et culturel, d’histoire intellectuelle et d’histoire éditoriale.
La première caractéristique de cet ouvrage est indéniablement sa richesse en informations historiques et bibliographiques : aucun dictionnaire existant ne dresse une fresque aussi complète de la vie philosophique en France entre la fin du règle d’Henri IV et la fin du règne de Louis XIV. Aucun ne présente de façon aussi synthétique les résultats de la recherche la plus récente sur des figures connues, mais surtout sur des figures moins connues, voire totalement oubliées. Ce dictionnaire doit sa richesse à la coopération de plus de 130 universitaires appartenant à des écoles historiques parfois très différentes, qui ont eu à cœur - c’est une impression que le lecteur ressent à chaque page - de transmettre un ensemble de savoirs complexes de manière agréable et simple. Il n’est bien évidemment pas possible de nommer tous les rédacteurs, mais il convient de souligner la participation des meilleurs spécialistes américains du cartésianisme (Roger Ariew, Daniel Garber et Tad Schmaltz), la présence des historiens italiens de la philosophie française (Guido Canziani, Antonella Del Prete, notamment), du spécialiste britannique des institutions universitaires, Laurence Brockliss et de son collègue d’Oxford, Noel Malcolm, des maîtres d’œuvres du Dictionnaire de Port-Royal, Antony McKenna et Jean Lesaulnier et d’un ensemble impressionnant de notices consacrées à la scolastique française par Jacob Schmutz. Mais aucun courant n’est oublié, et l’on a plaisir à se laisser porter au fil de la lecture aux confins de la philosophie scolaire - nous recommandons les notices Molière et Racine -, dans les marges des sciences en voie d’institution - l’ensemble consacré aux sciences occultes est passionnant -, sur le terrain de la controverse religieuse, mais aussi au cœur de la pensée politique.
La circulation rendue possible par un système de renvois entre les notices peut satisfaire la curiosité de tout un chacun : il n’est pas nécessaire d’être spécialiste de Bayle - notice de Jean-Luc Solère - ou de Pascal - notice de Martine Pécharman - pour prendre plaisir à s’orienter, à partir de ces colonnes d’Hercule de la pensée classique, vers des mers inconnues ignorées des vulgarisateurs de la philosophie.
Prenons l’exemple canonique entre tous de Descartes : la lecture de sa notice, que l’on doit à Emmanuel Faye, permet de resituer aisément les étapes de sa pensée dans un réseau complexe, dont la connaissance était jusque là réservée aux érudits de profession. Le lecteur du Dictionary pourra consulter les notices consacrées aux professeurs de Descartes au collège de La Flèche - le Père Noël, par exemple, qu’il retrouvera également comme interlocuteur de Pascal sur le vide -, s’intéresser aux savants réunis autour de Mersenne, avec lesquels Descartes entretint des relations épistolaires suivies, aux Oratoriens Bérulle et Condren, mais aussi aux grands mathématiciens Fermat et Roberval, ou encore à Guez de Balzac, le chantre des lettres françaises. Il y a bien sûr tous les auteurs des objections aux Méditations métaphysiques, mais aussi des acteurs secondaires, mais essentiels à plus d’un titre, comme Étienne de Courcelles qui traduisit le Discours de la Méthode en latin, dès 1637, et le duc de Luynes à qui l’on doit la première traduction française des Meditationes de prima philosophia. Toutefois, cette découverte par cercles biographiques successifs du milieu cartésien n’est que l’une des dimensions de l’univers philosophique que décrit le Dictionary : on ne peut que se réjouir d’y voir apparaître des figures féminines souvent méprisées ou ignorées en leur temps, et éclipsées jusqu’à une période récente par leurs grands contemporains (au masculin), celles de Marie de Gournay et de Gabrielle Suchon notamment. Mais le propos n’est pas tant de corriger les erreurs de perspective de l’historiographie officielle, dont on sait qu’elle a elle-même fluctué : il est d’enrichir notre connaissance, en favorisant également l’étude d’auteurs très mineurs - prenons, au hasard, à la lettre "H" Paul Hay du Chastelet - et celle des génies philosophiques du grand siècle.
Le mode de présentation très classique des notices - éléments biographiques, analyse des œuvres et bibliographie sélective - permet d’accéder rapidement aux dates de la biographie, aux dates de publication des œuvres et à une bibliographie secondaire sélective. Sans mettre de côté la compréhension de l’œuvre, bien au contraire, ces informations restituent les contextes où les textes furent élaborés et permettent d’accéder, avec les clefs biographiques et éditoriales indispensables, aux concepts et aux problèmes de la philosophie. Moins un auteur est connu et plus les rédacteurs ont fait preuve de précision pour exposer les découvertes de leurs recherches. On peut lire, par conséquent, avec autant de profit les articles consacrés aux étoiles intellectuelles que sont Malebranche, Arnauld, Pascal, Gassendi et Descartes qu’aux inconnus qui ont participé à la vie intellectuelle de leur siècle. Il suffit par exemple de se pencher sur la confrérie des alchimistes, dont nous avons trop tendance, en dépit du renouveau de la recherche, à négliger l’apport à l’histoire de la philosophie moderne, pour se rendre compte de la richesse et de la complexité de ces cercles d’illustres inconnus.
Il faut louer également la mise en évidence du contexte politique de la vie philosophique en France : comment comprendre autrement les réflexions d’un Pierre Bayle sur la tolérance, l’intolérance d’un Jurieu, et plus largement les effets intellectuels de la révocation de l’Édit de Nantes ? Comment comprendre sans elle le rôle et la fonction des Académies royales, et plus largement de la sociologie de l’écrivain classique ?
La nature par définition ouverte de ce projet appelle bien évidemment quelques regrets : tel ou tel auteur manque à l’appel, et pas nécessairement parce qu’il serait né hors des frontières mouvantes de la France baroque. On peut aussi regretter qu’un CD-Rom n’accompagne pas cette publication. Il reste que l’apport de ce travail est considérable : en proposant une cartographie rigoureuse des philosophes français du dix-septième siècle, ce Dictionary fournit à la recherche l’outil indispensable que les spécialistes attendaient depuis longtemps. Ouvrage destiné à servir de référence, sa place est dans toutes les bibliothèques où il complétera la liste des usuels de la philosophie, mais aussi entre les mains de tout un chacun... en attendant de l’éditeur Thoemmes-Continuum la version paper-back.
Appendices
Note
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[1]
Marie-Luce Demonet, Emmanuel Faye, Christiane Frémont, Thierry Gontier, Philippe Hamou, Martine Pécharman, Sylvain Matton, Jacob Schmutz, Carole Talon-Hugon, avec l’aide d’Antony McKenna comme conseiller éditorial.