PolémoscopeCréation

Sous bénéfice d'inventaire et d'invention...[Record]

  • Michel Deguy

Ceci est un programme. Ma réponse à la question de Sens public est « non », pour ce qui me concerne. Et « oui » pour le « devenir de l’écriture du poème » ; à ceci près qu’il ne s’agira peut-être plus de ce qu’on entendit par poème. Et dans ce cas, il serait bon de sortir de l’homonymie. Pour plusieurs raisons : 1. Si j’avais dû en être influencé, « moi M.D. », ça serait déjà fait (i.e. être modifié dans l’écriture par les ordinateurs). 2. La série que vous étalez comme exemple évident, de la typo Mallarméenne du Coup de dés aux cacophonies lettristes, à la poésie concrète et sonore etc., n’est pas homogène. Elle recouvre la différence essentielle entre la typo mallarméenne (1897) et telle performance actuelle (2008). Mallarmé est du côté de l’écriture, c’est-à-dire de la pensée syntaxière. Ce que j’appelle ici une « performance » multimédia est passé de l’autre côté. Il n’y a pas de continuité, même si les transitions peuvent passer pour insensibles à une synopsis cavalière ; et il importe, précisément pour la pensée, de discriminer avec soin. 3. Quel est cet « autre côté », c’est le problème. Question qui se subdivise : a) pourquoi s’agit-il (pour moi) de ne pas « y passer » ; b) tandis que la mutation (c’est mon titre dans Po&sie n°120) suit son cours fatal : « ils y passeront tous ». 4. L’analyse historique est requise, très soigneuse. On est « passé » de la hiérarchie romantique (Hegel) de la primauté de la poésie modèle (inimitable / pictura ut poiesis....) au renversement : ce que font les arts plastiques et non langagiers (architecture, peinture, sculpture, musique...) est imitable pour et par la poésie. « Les techniques » sont importées de la plastique, vous y faites allusion, « cut, dripping, bris-collages etc ». Je me rappelle un article de Saint-Bris dans l’Observateur il y a des lustres pérorant que le cinéma, oui, le film, avec ses travellings et ses zooms, et toute la technique surclassait définitivement la rhétorique, c’est-à-dire la poétique millénaire. Naïveté illettrée mais insurmontable. Donc ce qui eut lieu, a lieu, acquis peu à peu, c’est : la sortie du logikon, ou sphère de la pensée-qui-parle en langue, migrant dans ce qu’on appelle d’autres mediums, ou « supports ». Voilà ce qu’il va falloir appréhender, mesurer, comprendre. 5. Pourquoi ? Parce que l’enjeu est ontologique. Il y va du rapport que les philosophes appellent de la pensée à l’Être : de l’Être qu’ « il y a » (rappelez-vous la série des poèmes en Il y a, de Rimbaud à Apollinaire et Eluard !) pour la pensée-qui-parle en le disant ; souvent par « illuminations » (ou en « prenant le parti des choses... » compte-tenu des mots). Une expression répandue dit cela familièrement, et nous pouvons la prendre comme programme d’analyse : on quittel’analogiquepourle numérique. Il s’agit de mesurer sous tous ses aspects cette sortie de l’analogie. Il y va de l’attachement, comme je l’ai appelé très en général. Ne pas perdre l’attache ? C’est une sorte de souci écologique, à condition que là encore on entende l’écoumène à la profondeur convenable (on lira les travaux d’Augustin Berque, de l’EHESS, et sa discussion avec Heidegger). * * * Je vais donc vous proposer un exercice qui tend à le montrer, et qui s’oppose frontalement à l’arrogance techniciste anti-rhétorique, non pour affecter des manières doctes et précieuses au sens péjoratif, mais pour rappeler ce dont il y allait avec …