Abstracts
Résumé
Le film politique n’est pas un genre authentifiable immédiatement : distinguer entre cinéma civique et pédagogique, cinéma militant et cinéma de propagande permet d’y voir plus clair. Mais au-delà, la vocation réaliste au sens large du cinéma politique impose une conceptualisation plus aboutie. Sa politicité intrinsèque tient à ce qu’il est totalisation, c'est-à-dire production dialectique d’un signifiant universel, à l’occasion d’un singulier représenté, faisant résonner la tension « du » réel, qui ne se réduit pas à une collection de faits, en le hantant de ses ambiguïtés et de ses possibles, donc en le défatalisant. Ce qui affirme sa vocation libératrice.
Abstract
Political cinema is not a clearly identifiable film type, even if one can differentiate between three kinds of films: civil and educational, activist, and propaganda. Moreover, one must provide a real conceptual account of its realistic vocation in the broad sense. It is intrinsically political insofar as it entails “totalization”, that is to say dialectical production of a universal meaning emerging from the particular situations that are represented. This gap between particular and universal aspects shows the tension within this “reality” which does not consist merely of facts. It is always more, always ambiguous, haunted by multiple possibilities. This cinema is therefore liberating, since it provides the opportunity to struggle against fatality: the “given” reality can always be other than it “is”.
Article body
On peut envisager le film politique selon trois perspectives, que j’étudierai en trois temps successifs. Par ordre de complexité, un film peut être politique :
1) par l’objet qu’il se donne (la politique), angle qui permettra en un premier temps d’établir une typologie ;
2) par la pratique collective que sa production s’est efforcé d’incarner, où je mettrai l’accent sur le cinéma « militant » ;
3) par le fait que c’est un film, tout simplement, c’est-à-dire que le cinéma fait de la politique en tant que cinéma, du fait qu’il pratique par essence un certain « réalisme ». Ce point 3 est de loin le plus complexe : l’idée d’un « réalisme politique » inhérent à la pratique cinématographique, thèse que je défendrai à partir de Sartre et de Rancière, implique de savoir ce qu’il faut entendre d’une part par « politique », et d’autre part par « réalisme ».
L’idée générale est la suivante : le propre du film politique au sens strict comme au sens large, c’est son parti-pris pour le réel, le monde partagé des hommes dans ce qu’il a d’aliénant et de possiblement libérateur. Tout l’enjeu de ce type de film, c’est alors de saisir ce qui est la réalité pertinente, et donc ce qui fait sens dans les faits et au-delà d’eux de ce point de vue là. Bref, ce qui pose problème derrière les notions de « politique » et de « réalisme », c’est le concept de « réalité », ce qui à mon sens est l’enjeu véritable de la définition comme de la politique artistique du cinéma.
1. La politique comme objet : typologie d’un non-genre
La politique, sphère de la conquête, de l’exercice et des rapports de pouvoir, autant que le politique, la sphère des choses communes, sont toujours un cadre, un décor, une sorte de transcendantal du cinéma, autant qu’un de ses objets de prédilection : directement ou indirectement, le cinéma est prise de position par rapport au monde commun. Toute image intégrée dans un film (documentaire ou fiction) de surcroît capte et transmet quelque chose des réalités sociales, mais aussi constitue une part de cette réalité, selon le rapport plus ou moins libre, ouvert, contrôlé, qu’elle institue entre le film et le spectateur par exemple.
D’où cette première idée : le film politique n’est toujours identifiable comme tel via des critères précis, c’est-à-dire n’est pas un genre cinématographique. Pourtant, on peut néanmoins peut établir une typologie schématique des films relevant du « cinéma politique ». Sans souci d’exhaustivité, on peut distinguer d’une part les films explicitement politiques, et ceux relevant de la « critique sociale ».
Les films explicitement politiques
Ce sont ceux qui se donnent comme objet les rapports de pouvoirs, de domination, de révolte, qu’entretiennent entre eux peuples, communautés, individus et pouvoir d’États ou groupes de pression, etc. On peut distinguer trois sous-genres dans cette vaste catégorie :
i. Le « cinéma civique » et pédagogique
Il va du thriller (ainsi les divers Costa-Gavras, au encore I comme Icare de Verneuil) aux fresques historiques reconstituant de grands moments de l’histoire ; de certains films de guerre comme Les sentiers de la gloire de Kubrick, aux récits biographiques (de Napoléon de Gance à Viva Zapata ! de Kazan jusqu’aux Nixon d’O Stone etc.), en passant par la politique-fiction mettant en scène la connivence mafia-pouvoir, les alliances entre pouvoir légaux et illégaux, qui sont l’objet par exemple de toute l’œuvre de F. Rosi.
Ce cinéma pour Rosi,
« parmi les moyens de communication et de connaissance, est celui qui nous permet, dans les ombres qui prennent vie sur l’écran, de reconnaître nos espoirs, nos échecs et nos victoires, d’accentuer nos doutes et de réfléchir à la façon de transformer ces doutes en une force pour la conquête du mieux par le moyen de la raison » (Francesco Rosi, 1995, « "Ma" façon de faire du cinéma. Regard sur mes films », in Études cinématographiques, vol. 66, 2001, p. 7).
Un tel cinéma est extrêmement varié, et se caractérise par le fait qu’il ne propose pas de « solution ». Cinéma « civique » donc il cherche avant tout à connaître, à mettre à nu les mécanismes du pouvoir. Son grand modèle ce serait l’alliance entre le cinéma-témoignage de Rossellini (ainsi sa trilogie de la guerre) et l’élaboration indirecte et esthétisée de la vérité de Visconti (cf. Les Damnés, dont il a dit lui-même que c’était une fable) comme le réclame F. Rosi, bref l’idée du film-enquête à mi-chemin entre documentation et distanciation.
ii. Le cinéma militant
Avec plutôt Eisenstein comme emblème, il est mené du côté de ceux qui luttent, avec « leurs yeux » et leurs vision du monde. Mené aussi grâce à un matériel technique simplifié (caméras portatives, magnétophones, etc. ), ses heures de gloire sont celles de la fin des années 1960, et surtout toutes les années 1970 : ce cinéma militant, en France en particulier, est en ce sens un « truc de gauchistes » comme ça se disait dans les années 1970, après que le PCF ait abandonné sa tutelle du cinéma politique. Dans le cas français, on pense en premier lieu aux réalisations du Dziga Vertov (Godard 1968)[1] ou aux groupes Medvedkine, constitués sous l’impulsion déterminante de Chris Marker, de 1967 à 1973. Et parmi d’autres, comme Le fond de l’air est rouge de Marker, on aura en tête les films de J.-P. Thorn (réalisateur en 1968 d’Oser lutter oser vaincre, jusqu’à Le dos au mur en 1980, intervenant dans l’occupation et le devenir de la grève d’Alsthom à St Ouen de 1978), ou, dans un autre registre encore, les films de René Vautier, de son anticolonialiste Afrique 50, étroitement affine à Les statues meurent aussi de C. Marker et A. Resnais, à Avoir 20 ans dans les Aurès (1971), qui obtint le Prix de la Critique Internationale à Cannes en 1972. Etc.
Ces films militants donnent la parole à ceux qui d’habitude ne l’ont pas et promeuvent explicitement un engagement explicite auprès d’une cause, d’une lutte, etc. Benjamin, Panofsky voient en ce sens le cinéma comme le véritable art populaire, tendant vers l’utopie d’un art par, pour et avec les masses : un cinéma au fond insurrectionnel. Ainsi le premier film Medvedkine/Slon A bientôt j’espère, élaboré à l’occasion de la première occupation d’usine depuis 1936, celle de la filature Rhodiaceta de Besançon, et mené sous l’impulsion de Chris Marker en 68, se conclut sur un « On vous aura, les patrons ! », par l’ouvrier Yoyo, que le titre du film résume.
iii. Le cinéma de propagande
Au-delà du militant, il tend souvent à l’épique par sa vocation édificatrice et justificatrice (sans exclusive, Eisenstein aussi peut être regardé ainsi). Mais il peut être anti-militant au possible : les films d’entreprise, de promotion/communication, mai aussi de nombreux films contemporains (avant c’était sur le progrès social du de la grande industrie...) sur la lutte contre le terrorisme mettant en scène de courageux héros esseulés dans la CIA ou le FBI sont autant de films non-militants qui distillent une idéologie d’État et au-delà, l’idéologie complexe des surperpuissances fragilisées par les ennemis qu’elles ont fait naître, etc.
B. Les films de critique sociale
Les films relevant plus largement de la critique sociale sont encore plus variés : ils décrivent ou mettent en scène les discriminations variées, les difficultés, les rapports de force, les sources possibles d’aliénation, etc., qui affectent la vie sociale en général, privée ou publique.
Par exemple les cinémas gay et lesbien, anti-raciste ou encore féministe, entrent plus aisément dans le champ de la « critique sociale » en ce que les discriminations, les traditions, les ordres moraux y sont questionnés au-delà de la question politique proprement dite. Ainsi un cinéma féministe ou anti-raciste, tout en étant militant, ne sera pas considéré par principe comme politique au sens restreint ci-dessus, sinon lorsqu’il met en scène directement le rôle des pouvoirs d’État dans l’entretien ou la conduite d’une ségrégation de ce type. Ici au-delà de la politique, le politique tend à s’identifier au social, et l’on parle alors à bon droit de cinéma « d’intervention sociale », entre militantisme et critique sociale.
On voit en tous cas que cette typologie n’est pas figée, et que les critères s’entrecroisent : si La haine peut relever au sens large de la critique sociale « civique », et au contraire, États des lieux ou Ma C-T va craquer (Richer) du film militant, à la charnière entre les deux, on peut penser à L’embrasement (2006), portant sur les émeutes des banlieues d’il y a deux ans. Conduit avec les yeux d’un journaliste belge, extérieur, à l’image du cinéma-témoignage à la Rosi, il met tout autant l’accent sur le quotidien des banlieues (critique sociale) que sur le pouvoir d’État (explicitement politique), sans pour autant proposer de « solution ».
C. Sous-genres aux marges du politique
Mais des genres autres, par exemple, flirtent en profondeur avec le politique :
- le cinéma policier, en tant que cinéma du crime, renvoie fort souvent le meurtre, et les pathologies sociales en général, aux causes qui les font naître : il est alors par définition cinéma des foyers antisociaux du crime (exemple Le couperet, où l’anti-héros tue pour retrouver du travail), et donc critique de fond de l’ordre établi.
- le sous-genre socio-politique de la science-fiction et du cinéma d’horreur, qui mettent en scène, par le biais de contre-utopies, de « dystopies », la dissolution de l’état social qui ébranle les certitudes attachées au monde régulé par des lois, et rappelle leur fragilité. Ex : dans La nuit des morts vivants (Romero 69), après le passage d’une sonde les morts se réveillent et tuent les vivants. L’ordre social fait place à un véritable état de guerre de tous contre tous, où, derrière le zombie, c’est l’homme qui est le véritable loup pour l’homme. L’ambiguïté de la scène finale est éloquente : une milice d’humains armés « tue » les zombies restants. Cette milice blanche finit par tuer un des seuls survivants de cette nuit sans pareil, un survivant pas comme les autres puisqu’il fut l’un des plus actifs, l’un de ceux ayant été capables de maintenir un semblant de socialité avec ses semblables : or c’est un noir. On saura pas si c’est une erreur, ou si la milice blanche décide de nettoyer définitivement les lieux...
- le cinéma pornographique, pensé et pratiqué sous l’angle d’une désubstantialisation des rapports traditionnels aux corps, au sexe, aux normes et symboliques associées (notamment la maternité et la reproduction de l’espèce), etc., apparaît tout autant - la sexualité n’est-elle pas le cœur souvent impensé du politique ? -, comme cinéma d’intervention subvertissant les hiérarchies établies, éminemment politique au sens large du terme. Certains groupes féministes nord-américains défendent l’industrie pornographique en ce que, tout en faisant de la femme un objet de consommation taillable et corvéable à merci, celle-ci du moins est extraite d’un rapport à la sexualité dominé par l’idéologie chrétienne de la maternité et de la reproduction. Certes cela revient à défendre un type d’aliénation contre un autre. Dans les deux cas, c’est la domination masculine qui est le ressort : mais que celle-ci soit mise à nue comme telle, et délivrée de toute axiologie, semble déjà constituer ici une conquête symbolique[2].
- Notons enfin qu’un film apparemment a-politique peut très bien jouer ce caractère a-politique, tout simplement pour échapper à la censure, et mobiliser à cette fin, de façon parabolique, les ressources de l’allégorie et de la fable.
Reste que cette typologie des films politiques par leur objet n’épuise pas la dimension politique du cinéma. La raison de fond, c’est que le politique n’est pas un objet, c’est un rapport en devenir, un ensemble de pratiques, et le cinéma tend à se faire l’écho de cela : on peut en ce sens envisager que le cinéma est par soi politique. Mais cette « politicité » intrinsèque est à entendre selon deux déterminations différentes .
2. Le critère de la praxis : au-delà de l’objet, le film militant comme pratique
En premier lieu le cinéma militant-insurrectionnel évoqué est aussi, voire surtout, politique par ses conditions de production. Les films Medvedkine[3] par exemple, sont élaborés en commun et à égalité[4] par les ouvriers et les cinéastes : pour tous le film est un outil d’expression, de connaissance, d’information, et de canal de prise de parole de ceux qui ne l’ont jamais. Cristallisant un travail collectif à la recherche de formes nouvelles d’expression et d’engagement, le film représenté une force de production émancipée des classiques divisions du travail et des hiérarchies qui vont avec. La force d’un tel cinéma militant comme pratique est qu’il se met à la hauteur de la dimension nécessairement industrielle du cinéma, pour se réapproprier autant que possible les rapports de production-circulation des produits qui le définissent. L’idée du film politique par la pratique de sa production amène donc au cinéma militant comme un cinéma « révolutionnaire » : il symbolise autant qu’il participe à la réappropriation par ceux qui travaillent de leur outil de travail et de sa destination.
Concrètement cela se traduisait par le fait que dans groupes Medvedkine il n’y avait pas de listes de participants (acteurs, techniciens, etc.), pas de statuts, bref : venaient ceux qui voulaient venir... De là aussi toute une interrogation sur le statut du documentaire : à la fois prise sur le vif et reconstruction (comme en témoigne le magnifique Tombeau d’Alexandre de Chris Marker, portant sur A. Medvedkine et son siècle, et portant sur l’un par l’autre)[5] il est de toutes façons une forme de participation directe à la lutte, renouvelant la forme du meeting politique et de la rencontre, s’efforçant à la popularisation des luttes, entre création et agit’-prop. Où l’on retrouve bien sûr l’idée d’un art incarnant le politique, puisque par, pour et avec les « masses », d’un art évidemment non pas neutre ou simplement documentaire.
Prenons l’exemple de Sochaux 11 juin 1968 (Medvedkine 1970, C. Marker & B. Muel), qui met en scène la violence immédiate et directe de la répression qui s’est abattue sur les ouvriers l’usine Peugeot de Sochaux, suite à la demande de la direction que la police déloge ceux qui occupent et bloquent l’accès à l’usine en juin 68. Résultat : 150 blessés et 2 morts. Mais loin de rappeler seulement les faits, c’est le lien entre la répression et l’exploitation quotidienne, qui est l’objet du film. Il combine images fixes et photos, plan-séquences, écritures sur des cartons (style pancarte), témoignages, etc., sonorités assourdissantes insupportables, chants, dialogues, silences, etc. : l’ensemble rompt avec toute homogénéité plastique. Par la pratique collective comme par le montage formel, il universalise les faits singuliers dont il traite : il construit la vérité de son objet en imposant l’Idée que c’est la même situation politique inhumaine de l’exploitation capitaliste, entretenue par les États dits « démocratiques », qui produit l’attentat quotidien à l’usine ruinant les corps et les esprits, et le crime d’État singulier.
Même dans sa forme « documentaire », le cinéma militant a donc saisi que tout film qui s’efforce de capter quelque chose du rapport social ne saurait simplement le « représenter ». De façon générale, les « messages » passent mal au cinéma, les conditions spécifiques de l’énonciation distordent toujours l’énoncé (de fait : la « représentation objective » est vaine ; de droit, c’est même un des éléments de la puissance cinématographique, qui est toujours « fable » - Rancière - et non description). De ce fait les indéterminations du réel se manifestent nécessairement par la construction du film (hiatus temporels utilisés pour montrer des choses qui ne sont pas mises en lien par elles-mêmes, par exemple dans Salvatore Giuliano de Rosi), qui les indique mais qui ne saurait les « dire », puisqu’elles ne sont « représentables » (sinon elle seraient déterminées). Autrement dit, même le cinéma historique ou politique-fictionnel le plus près du réel ne saurait livrer « la vérité objective » comme telle, soit du fait de son absence, soit du fait de sa plurivocité, du fait qu’elle n’est pas un monolithe.
Ainsi si le film politique peut facilement en première analyse être défini par son objet (LA politique), et si on peut certes étendre l’idée de film « politique » selon l’axe de la nature de la pratique de production, ce qui malgré tout reste très lié au cinéma militant, on voit que la question de la définition du « film politique » n’est pas tranchée : et cela tient au concept qu’on se donne du politique. Autrement dit, dès qu’on passe de LA politique AU politique et AU réel, dont la « vérité » n’est qu’un autre nom, l’idée de cinéma politique devient problématique, parce que les idées mêmes du politique et du réel sont problématiques. Plus encore, le film devient substantiellement politique lorsqu’il prend en charge cette indétermination, comme on y viendra plus bas avec l’exemple de Théorème de Pasolini.
3. Politique et réalité en question : le film comme totalisation
Le cinéma, entre « distanciation » (Brecht[6]) et/ou appel à l’insurrection, ainsi diversement engagé va produire des effets sur la conscience sociale et politique du spectateur. Mais c’est peut-être en tant que cinéma même que sa vocation politique s’accomplit. Gramsci disait bien que « l’art est éducateur en tant qu’art et non en tant qu’éducateur ». Et n’est-il pas éducateur parce comme cinéma, c’est-à-dire comme pratique, autant que par ses objets, il serait emblématique du politique ?
i. L’antinomie poétique : mimésis et symbolisme
Le cinéma peut être envisagé selon deux poétiques distinctes, précise Rancière dans la fable cinématographique (p. 204) : (i) La poétique classique de la mimésis, issue d’Aristote, poétique de la représentation structurée, unifiée dans le temps et l’espace, dominée par les exigences de vraisemblance et de nécessité ; (ii) La poétique antinomique, anti-représentative, est celle des romantiques et des symbolistes, qui considère que ce qui fait histoire et système artistique signifiant, ce sont les signes qui sont alors le véritable objet de la pratique artistique, et non plus que ces signes désignent (des faits ou des situations). Le film est toujours la contradiction dialectique vivante de cette polarité entre mimésis et symbolisme : son régime de production n’est pas celui de la « représentation », mais il lorgne vers elle, souvent comme un idéal régulateur, au nom de son intention de vérité, ce qui est d’autant plus visible dans le cinéma politique.
Le fond de la seconde poétique, c’est que la « réalité » authentique est au-delà des faits, en supplément : au-delà de la simple antinomie des deux poétiques, on peut imaginer un « réalisme dialectique » de second niveau, montrant que le véritable symbolisme est aussi le véritable réalisme : non plus celui des faits, mais celui de leur sens.
ii. Recouvrement du réel et du politique
Cette dichotomie entre les faits et leur sens correspond à une mise en question du concept de « réalité » lui-même. Si le réel c’est la totalité sociale, historique, matérielle et idéelle en devenir, on ne saurait en faire une totalité close. A moins de considérer que l’histoire est déjà écrite, que le réel est prédéterminé par une puissance transcendante quelconque, le réel est toujours un espace de possibles, un espace donc foncièrement contingent. Précisons : selon Rancière, le politique est une forme de la pratique collective,
« constitution d’une sphère d’expérience spécifique où certains objets sont posés comme communs et certains sujets regardés comme capables de désigner ces objets et d’argumenter à leur sujet » (Politique de la littérature, p. 11)
Si le réel n’est pas le factuel, le réel c’est les faits et événements en tant qu’ils ont un ou plusieurs sens litigieux, objets de conflits. Le réel, c’est ce sensible « partagé » (Rancière) en deux sens : partagé c’est-à-dire commun aux hommes, et partagé au sens de structuré, interprété par des normes et des valeurs par essence conflictuelles. Bref le réel comme sensible partagé, se confond avec le politique selon Rancière.
iii. Politicité intrinsèque du cinéma
L’idée de « politique du cinéma », reprise à celle de « politique de la littérature » de Rancière, c’est donc l’idée que le cinéma fait de la politique en tant que cinéma. Le politique, sphère des choses communes, est une cette par essence « litigieuse » : son histoire, c’est celle des conflits portant sur qui est habilité à effectuer ce partage, ce « partage du sensible ». Or le cinéma a une place déterminante à ce niveau là : le film politique n’est pas politique par ses contenus ou ses messages, mais parce qu’il est mise en évidence voire production, c’est-à-dire mise en scène de ce litige, de la contestation des partages idéologiques, sociaux et économiques, etc., qui organisent ce monde commun, et en lui, entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
Il en ressort alors comme un art par essence « démocratique », c’est-à-dire à même de donner légitimité et statut commun, droit de cité (polis) à toute chose considérée comme ni commune ni privée par elles-mêmes, mais, contre toute police, objet d’une détermination et de choix collectifs.
iv. L’indissociabilité de la forme et du contenu
Rappelons qu’on ne peut sans préjudice distinguer abstraitement forme et contenu du film, et suggérer que le cinéma politique aurait son objet bien délimité (son contenu), et que la variation des formes qu’il se donnerait pour en rendre raison serait une simple affaire de style. Contre ce « formalisme » abstrait, Hegel rappelait plus généralement que toute forme est forme d’un certain contenu, et que les deux ne sauraient sans fausseté être traités de façon indépendante : les deux n’existent qu’en formant une irréductible dualité en devenir, n’existent que dans et par leur relation, bref, que comme totalité ouverte, à l’image de la réalité et du politique.
v. L’idée de totalisation
Puisqu’il ne faut pas rechercher nécessairement hors du cinéma, par l’objet extérieur qu’il se donnerait, ce qui fait sa politicité, il faut préciser quelque peu comment le film peut accomplir pleinement cette « politicité ». Sartre disait de Flaubert et de Madame Bovary qu’en cette œuvre, Flaubert avait réussi à peindre l’homme dans le monde, c’est-à-dire à exprimer un rapport totalisant du microcosme au macrocosme[7], où l’individu et l’époque se totalisent mutuellement. Cette totalisation consistait à allier à la fois le regard d’Emma Bovary (le subjectif) et le monde qui est le sien (la réalité de la petite-bourgeoisie provinciale française du milieu du 19ème siècle), c’est-à-dire à être l’alliance « située » de l’objectif et du subjectif, mais valant universellement dans et par sa singularité. Totaliser, ici c’est produire de l’universel à partir du singulier : et si le singulier, ce sont des personnages et leurs quotidien, des événements, l’universel, c’est la destinée, le sens objectif de leur existence, à la rigueur l’« événement » dont parle Badiou. Pour Sartre c’est la totalisation ainsi entendue qui donne l’accès au vrai du politique au sens large du terme.
L’idée de totalisation comprend donc deux choses à articuler. Le film est totalisation (i) parce qu’il co-produit une forme et son contenu, formant une totalité organique ouverte ; (ii) parce qu’il tente d’instituer le sens profond de ce réel en tant qu’il est une totalité ouverte, aux multiples points de fuite et indéterminations, c’est-à-dire parce qu’il tente de produire de l’universel dans et par les faits singuliers mis en scène.
Le film est totalisation parce qu’il coproduit une forme et son contenu, et qu’il universalise le singulier. Le lien entre ces deux éléments, est que cette universalisation qui consiste à dépasser les faits représentés vers leur sens, revient à subvertir le contenu explicite du film. Au-delà du représenté, le véritable contenu du film, c’est ce que sa construction, sa construction formelle, arrive à indiquer comme sens, c’est-à-dire à allégoriser : de tactique ou de méthode, l’allégorie devient l’essence du film, puisque l’objet que le film tente de représenter, la totalité sociale, n’est pas une entité empirique que l’on pourrait matérialiser aux yeux du spectateur. Ce n’est donc pas, pas seulement du moins, par ses objets explicites, les faits, les histoires, que le cinéma fait du politique son affaire, mais par le sens qu’il établit ou construit à partir d’eux.
Mais attention : si l’effet de vérité tient à cette totalisation, le résultat est toujours une « totalité détotalisée » (Sartre), faite de lignes de fuites, d’indéterminations irréductibles, de possibilités ouvertes, à l’image du réel lui-même. L’idée même de totalité pleine et entière, close et transparente à elle-même, est l’illusion métaphysique et artistique par excellence. Tout le propos, on le comprend, repose sur une chose fondamentale à la fois cause et finalité du film : s’il faut aller au-delà des faits, c’est que les faits ne parlent jamais d’eux-mêmes [8] , ne livrent jamais immédiatement leur sens objectif ou leur vérité objective. Tel est le présupposé du cinéma et ce qu’il tend à montrer. De ce fait, même le cinéma historique ou politique-fictionnel le plus près du réel ne saurait livrer une telle « vérité objective », du fait que celle-ci n’est pas un objet, mais un rapport mouvant. Rosi a dit, à propos de Cadavres exquis (portant sur la criminalité d’État dans l’Italie post-68, que découvre peu à peu l’inspecteur Rogas, enquêtant sur des meurtres d’eccelenti, les « excellences » que sont les juges), et avant avec Salvatore Giuliano :
« J’ai rencontré la difficulté de donner les significations vraies parce que les significations de ce film [Cadavres exquis] sont interprétables comme sont interprétables la réalité et la vérité dans la vie » (Ecran 76, n° 47, mai 1976).
vi. Une suggestion d’interprétation de Théorème (Pasolini, 1968)
« On m’a dit que j’ai trois idoles : Le Christ, Marx et Freud. Ce ne sont que des formules.
En fait, ma seul idole, c’est la REALITE »
P. P. Pasolini
Un passionnant exemple de ce type de réalisme politique de n-ième niveau, c’est Théorème de Pasolini. Le film commence par une solution de la lutte des classes : le don de son usine par le patron à ses ouvriers. « Nouvelle tendance moderne » ? joue un des journalistes en début de film. Evidemment, cette solution se récuse d’elle-même, puisqu’un tel acte gratuit d’auto-dépouillement est par essence christique, et par rapport à la réalité de la lutte des classes, complètement onirique et irréel. Cet auto-dépouillement du patron père de famille est le résultat final de tout le film, le théorème démontré. Le film peut donc se lire comme démonstration irréelle, c’est-à-dire allégorie : le milieu, les habitudes, les conventions du monde bourgeois sont un parfait désert social. Mais pour que chacun des protagonistes ne s’en aperçoive, violence doit leur être faite : le visiteur, l’ange, est donc un janus. Figure du rédempteur, qui suscite la conversion (la sexualité jouant quasiment le rôle de l’imposition des mains) chez ceux qui avant s’adonnaient au veau d’or des vaines gloires et des valeurs mystificatrices (tous les membres de la famille qui est « représentative », la servante ayant un rôle à part), il est évidemment aussi la figure du tentateur (la sexualité y est très subversive : adultère, homosexualité, etc.), puisque son intervention induit la chute de chacun : l’exil du fils et sa lucidité acquise sur la médiocrité de sa peinture, la prostration et la mort (réelle, en tous cas symbolique) de la fille qui se désocialise définitivement, la sexualité erratique de la mère, en particulier. Quant au père, spectateur impuissant, son sacrifice final, c’est, au sens strict (dans la gare) comme au sens large, la mise à nu du désert auquel il a consacré sa vie (le pouvoir, l’argent, la notoriété, etc.), ce dont il prend conscience dès lors qu’il a perdu l’essentiel : l’amour, la complicité, le partage, etc. La servante finit elle par se faire enterrer vivante, mais, contrairement aux autres, elle n’est pas seule et se fait finalement accompagner par ses alter ego dans son choix : cette singularité tient à ce qu’elle n’est pas de ce monde bourgeois, mais issu d’un petit peuple dont elle n’est par essence pas séparée.
Cette équivocité du visiteur est sûrement d’ailleurs une des raisons du double accueil que le film a reçu chez les catholiques : attaqué pour obscénité, il reçoit en même temps le Prix de l’Office Catholique du Cinéma... Bref, au-delà des faits racontés, c’est l’expérience d’une sortie destructrice de l’aliénation sociale qui est racontée : la prise de conscience du désert de réel que cette vie incarnait. Le film est le déploiement - ponctuée d’ailleurs de quelques scènes explicites en ce sens - de cette traversée du désert et de ses aboutissements : l’errance, le suicide, la fuite. Une rédemption bien peu paradisiaque donc : une rédemption qui mène d’un enfer non su à un enfer compris et invivable, mais qui rappelle qu’une violence extérieure est nécessaire au changement radical. Tout cette démonstration est allégorique, les faits racontés sont des prismes, portent un sens qui est à cheval sur le film et sur la rude réalité de l’histoire : nous savons tous que réellement, les patrons ne feront jamais don de leurs usines, et qu’il faudra leur arracher, puisque justement, l’ange-visiteur, qui est à l’origine de ce don final, est une hypostase, un mythe. La solution mythique de la lutte des classes tient à l’agent mythique qui est mis en scène. Mais cette mythification, par distanciation, rappelle que l’issue de la lutte des classes ne se fera jamais sans une intervention qui ira, au-delà des structures, jusqu’au cœur et dans l’intimité de chacun, d’une part : cette issue exigera violence. D’autre part, le « réalisme » profond du film, consiste donc à faire voir que le réel, c’est aussi tout ce qui, en chacun, excède le factuel : le fantasme, le rêve, le projet, le vide, etc.
Ainsi Théorème, centré sur l’expérience collective, mais singulièrement vécue, des aliénations sociales, affectives, corporelles, etc., construites par l’histoire, nous démontre à divers titres que le réel est autre que sa phénoménalisation objective, qu’il est aussi exigence, gros de possibles, qu’il n’est rien de donné, achevé, clos sur soi. Le « réel » y est toujours en question, toujours ambigu : et la plus haute teneur politique d’un film consiste bien à rappeler que « réalité », loin d’être l’index d’un fondement tangible, n’est qu’un mot et une norme, voilant par sa prétention à être-chose le jeu vital des possibles qui hantent nos habitudes et nos certitudes.
Conclusion : le « réalisme politique » du cinéma
« Tout homme est tout l’homme »
J.-P. Sartre
Pour reprendre l’argumentaire du colloque, le cinéma comme « art du faux » est cinéma-vérité par son réalisme foncier : non pas réalisme des faits, mais réalisme de leur sens, qui est tension entre le factuel et le possible d’une situation donnée. En reprenant l’idée de l’induction aristotélicienne (Seconds Analytiques II, 19) selon laquelle la sensation porte sur le singulier, mais opère sur l’universel immanent aux êtres singuliers, le film-totalisation serait une sorte d’induction constructive, dialectique construisant l’universel dans et par le singulier qui l’appelle, en poussant ce singulier dans ses retranchements. Sartre le disait : « Tout homme est tout l’homme ». Portant sur le singulier, il opère sur l’universel immanent aux choses singulières, raison pour laquelle Marker répétait qu’on ne sait jamais ce qu’on filme.
i. L’anti-politique
Contrairement au premier abord, et comme conséquence pleinement tirée des propos précédents, précisons en quoi le film de propagande est en réalité est le film anti-politique par excellence. Non pas au sens où il est a-politique évidemment, mais au sens où il est négateur du politique comme expérience du litige et de la contestation, puisqu’il neutralise ses enjeux, ferme les possibles, clôt a priori les problèmes, interdit la mise en perspective et la contradiction, parce qu’il oblitère volontairement le rapport totalisant et donc ouvert de l’homme au monde. Le cinéma de propagande est anti-politique comme film, c’est-à-dire comme création, puisqu’il n’est pas création. Instrument immédiat de la politique, il est négateur du politique, et de ce fait, négateur du cinéma lui-même : de la même façon qu’une littérature de pure édification nie la littérature comme art d’écrire le rapport mouvant de l’homme au monde. Telle est une différence essentielle entre cinéma militant et cinéma de propagande, différence aux contours évidemment toujours flous : le premier n’est ni acritique ni unilatéral, lieu d’une réflexion sur la légitimité et le fonction idéologique du film, voire lieu de la mise en scène même du film, donc auto-référence auto-critique amenant à questionner le film comme tel - à le questionner comme discours « idéologique » possible -, autant qu’à incorporer le spectateur en lui (exemple : fin de Punishment Park, P. Watkins 1971).
ii. L’anti-platonisme du cinéma politique
Le cinéma (politique) ne saurait instituer des « situations pures » (qui serait comme l’accomplissement de la représentation, l’essence retrouvée de l’image livrant l’Idée en s’y subordonnant : Platon), mais au contraire produit, par un ensemble d’opérations spécifiques, la situation pure la plus vraie). Il est donc récusation de la transparence d’un réel qui serait objectivement filmé, et récusation de la transparence mythique de l’image, même si le « souci du réel » et le souci de la contre-information (contre l’information sous tutelle étatique ou censurée) sont centraux. On dit le réel justement par le fait qu’on sait qu’il ne parle pas de lui-même : bref des films en et sous tension propres à indiquer la complexité du réel.
L’anti-platonisme du cinéma politique est donc la contrepartie de la récusation de tout empirisme ou de factualisme considérant que les faits parlent d’eux-mêmes. L’essence démocratique du cinéma est bien qu’il est par principe impossible de définir a priori le régime de fonctionnement du rapport forme-contenu, mais au contraire, que l’acte cinématographique est institution de ruptures symboliques et expérimentations de régimes neufs, et du moins « anti-platoniciens » : le cinéma n’a pas à s’inféoder à une réalité supérieure vers laquelle il devrait tendre, mais à être le lieu de constitution de cette réalité même, de l’Idée qui est la sienne. Si le cinéma est politique parce qu’il est totalisation, c’est cette totalisation qui est l’Idée se faisant. Partant de cette idée aussi hégélienne que marxiste selon laquelle le faux c’est l’abstrait, l’incomplet, le détail, et que le vrai ne saurait être chose que le tout saisi dans le mouvement concret qui fait de lui un résultat, l’intention de vérité du cinéma est donc qu’il va de l’abstrait au concret, du fait à l’ensemble des dimensions qui l’excèdent, c’est-à-dire au complexe - à l’articulation des diverses déterminations qui font que le concret est le concret est le seul véritable réel, non « représentable ». La « représentation » ne saurait donc être le ressort du réalisme politique du cinéma : elle est un artifice parmi d’autres, une « occasion », mais jamais la fonction ou le but : contrairement à ce que l’art bourgeois issu du 19ème tend encore et toujours à faire croire, toujours aussi idiotement « réaliste » au sens étroit du terme, et simple soumission au réel dominant.
« Cinéma-vérité » non pas par ce et parce qu’il représenterait avec objectivité, mais parce que la vérité est un devenir auquel il participe, et parce que cette vérité, c’est-à-dire ce réel en cours, et foncièrement, le politique, n’est pas un objet. Dit autrement, on filme toujours plus qu’on ne montre, de fait comme de droit : le passage à l’universel, aussi problématique, aussi équivoque et ouvert soit-il, est plus encore que son objet, la vocation du film authentiquement politique. Celui-ci est ainsi réaliste parce qu’il est totalisation ouverte d’un réel qui n’est jamais donné ni achevé, et politique parce qu’il est totalisation d’un réel qui n’est autre que le politique, à savoir l’homme dans le monde. Propos un peu sec et aride que tout cela. N’oublions donc pas que ce cinéma est toujours aussi, aussi médiatement soit-il, à l’image du combat auquel il participe, et que c’est comme cela qu’il fait sens : comme cri à la fois intime et collectif. Pasolini le martèle dans La rage (1963) : « Si on ne crie pas "Vive la liberté !" avec amour, on crie pas "Vive la liberté !" ».
Appendices
Notes
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[1]
Ce groupe, créé par J.-L. Godard avec plusieurs militants maoïstes a existé de 1968 à 1972, du nom de Dziga Vertov, cinéaste marxiste du début du siècle, qui, en faisant des films, contribuait à la Révolution Russe. Le problème essentiel qui a retenu l’attention du groupe est le montage : puisque le cinéma est fait d’images et de sons, comment les utiliser selon une pratique révolutionnaire ? Comment les ordonner, les confronter afin qu’ils aident à combattre les méthodes dominantes du du cinéma bourgeois? A quelles conditions peut-on promouvoir un cinéma politique et militant qui soit au service du prolétariat ? Citons Godard : « Je crois à la diffusion de masse quand il existe un parti de masse.(…) Le cinéma est un instrument de parti. (…) Nous, pour l’instant, nous disons que le cinéma est une tâche secondaire dans la révolution mais que cette tâche secondaire est actuellement importante et qu’il est donc juste d’en faire une activité principale. »
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[2]
Cf. sur cette question R. Ogien, Penser la pornographie, Paris : puf 2003.
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[3]
Du nom d’Alexandre Medvedkine, cinéaste russe qui inventa le ciné-train en 1932, à la demande du commissariat du peuple aux transports, qui filma les ouvriers à l’usine, paysans et mineurs, montait puis projetait le film sur place avec eux. En 1934 il créé une comédie paysanne Le bonheur qui a fait date. Avalé par le stalinisme, c’est C. Marker qui l’a sorti des oubliettes : il vint en France aider au tournage des films de ces groupes qui reprirent son nom.
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[4]
Loin du Vietnam a ré-initié en 1967 cette idée de film collectif.
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[5]
Cf. J. Rancière, La fable cinématographique, p. 201 et suiv.
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[6]
Brecht voulait rompre avec l’illusion théâtrale et pousser le spectateur à la réflexion. Ses pièces sont donc ouvertement didactiques. A l’inverse du théâtre aristotélicien prônant l’identification de l’acteur à son personnage, la distanciation vise un effet d’étrangeté, et dans son Petit organon pour le théâtre, Brecht s’attaque clairement à un certain type de réalisme. A la « frontière de l’esthétique et du politique », le principe de la distanciation a pour finalité que le spectateur « prenne ses distances par rapport à la réalité ».
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[7]
L’idiot de la famille, Paris : Gallimard 1972, tome III p. 16.
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[8]
Cf. la voix « over », qui contrairement à la voix « off » (qui est celle d’un personnage ou d’un narrateur hors-champ, mais interne au récit) intervient d’un/dans un autre espace-temps que celui du film, même si elle opère évidemment de lui. Exemple : chez Marker la voix ne contrôle ni ne norme la réception de l’image, mais parle d’elle d’un autre point de vue, et donc la relativise.
Références principales utilisées
- Jacques Rancière, La fable cinématographique, Seuil 2001 ; Politique de la littérature, Galilée 2007.
- Sylvain Dreyer, « Stratégies militantes : littérature/cinéma - France, 1960-1986), décembre 2006, article en ligne sur le site www.dissidences.net
- Fredric Jameson, La totalité comme complot. Conspiration et paranoïa dans l’imaginaire contemporain, Paris : Les Prairies Ordinaires 2007.
- Trudy Bolter (éd.), Expressions du politique au cinéma, Sces Po Bordeaux-Pleine Page 2006.
- Tangui Perron, Histoire d’un film, mémoire d’un lutte. Le dos au mur (JP Thorn 1980), Scope-Périphérie 2007.
- Jean A. Gili (éd.), Etudes cinématographiques n° 33 (82-83), « Fascisme et résistance dans le cinéma italien (1922-1968), 1970 ; (éd.), Etudes cinématographiques n°66, « Francesco Rosi », 2001 ; Francesco Rosi. Cinéma et pouvoir, Cerf 1976.
- Michel Ciment, Le dossier Rosi, Stock 1976/1987.
- Jean-Louis Comolli, Gérard Leblanc, Jean Narboni, Cinéma et politique 1956-1970, Bibliothèque Centre Pompidou 2001.
- Iskra (coll.), Les groupes Medvedkine. Besançon-Sochaux 1967-1974 (livre établi par l’équipe Iskra & double DVD), Iskra-Ed. Montparnasse 2006.
- René Vautier, Caméra citoyenne, Apogée 1998.