Abstracts
Résumé
Dans cet article, Stéphane Corcuff analyse et interroge le sens du retour au pouvoir des Nationalistes chinois à Taiwan suite aux victoires du Kuomintang aux élections du 12 janvier et du 22 mars 2008, et les conséquences pour les relations de Taiwan avec la Chine.
Abstract
In this article, Stéphane Corcuff analyzes and questions the return to power of Chinese Nationalists in Taiwan after the victories of Kuomintang in the elections of January 12th and March 22nd, 2008, and the consequences for the relations between Taiwan and China.
Article body
Les résultats des quatre grandes consultations populaires taiwanaises qui se sont tenues cette année le 12 janvier (élections législatives et deux référendums) et le 22 mars (élections présidentielles et deux autres référendums) ont donné à penser que le camp « pro-chinois » de Taiwan l’aurait emporté, à la suite de plus d’une décennie de politique indépendantiste qui aurait mécontenté tout le monde : de la Chine aux Américains, en passant par les Taiwanais eux-mêmes. Coup sur coup, en effet, le vieux Parti Nationaliste Chinois, le Kuomintang (ou KMT[1]), et ses alliés dans le camp « bleu », emportaient une majorité des deux tiers à la chambre, l’adhésion populaire derrière leur boycott d’un référendum « souverainiste » (sur le retour de l’île à l’ONU sous le nom de « Taiwan ») et la victoire sans appel de leur nouveau chef de file à l’élection présidentielle, le Président du Kuomintang M. Ma Ying-jeou.
Doit-on y voir une volonté des Taiwanais de mettre fin à une période d’instabilité dans les relations de l’île avec la Chine, accentuée depuis près de quinze ans par une politique de réaffirmation de la souveraineté de l’île et de développement d’une identité insulaire ? Sans aucun doute. Mais de là à conclure que les Taiwanais auraient voté pour M. Ma parce qu’il serait « pro-chinois », ce serait une double erreur. Les Taiwanais n’ont jamais été aussi unanimes contre la Chine, et M. Ma a mis de l’eau dans son vin, avant et après son élection, sur la question des relations avec la Chine, et notamment sur son projet controversé de « marché commun ».
Entre Taiwan et la République populaire de Chine
Le détroit reste, plus que jamais, l’un des « flash-points » potentiels les plus préoccupants de la planète. Selon le Conseil (taiwanais) de la Sécurité Nationale en avril 2008, le nombre de missiles balistiques déployés par la Chine en direction de l’île s’élèverait désormais à 1400. De quoi réduire à néant, s’ils étaient tirés en un temps très court, toute protection anti-missile, aussi sophistiquée soit-elle. Or la détermination de la Chine n’est pas près de fléchir - on rappelle pour mémoire l’adoption de la loi contre la division nationale, dite « Loi anti-sécession », de mars 2005, qui donne une base légale, en droit interne chinois, à l’attaque de Taiwan. Et l’on peut arguer que la posture souverainiste prise par le Président élu, M. Ma, avant et après son élection, confirme que les termes du débat restent tous d’actualité : la République populaire de Chine ne veut pas reconnaître l’existence de la République de Chine, et tient à une réunification qui signifierait la fin de l’existence légale de cette dernière ; celle-ci, de son côté, tient à sa souveraineté et ne peut accepter une quelconque négociation qui conduirait in fine à la cessation de son existence comme entité souveraine.
Au problème militaire qui empire, mais qui n’a rien de nouveau, l’actualité de l’année 2008 a ajouté quelques raisons supplémentaires de tourner le regard vers Taiwan, avec la singulière conjonction de la tenue des Jeux Olympiques à Pékin en août, de la nouvelle vague de répression au Tibet depuis mars, et des élections présidentielles taiwanaises et américaines, au printemps et à l’automne.
Les liens entre cette actualité et la question de Taiwan ne cessent de nous renvoyer à la difficile solution de la question taiwanaise, dont la résonance avec cette actualité est multiple.
Les J.O. s’y sont mis les premiers, en 2007, en posant la question du passage par Taiwan de la flamme olympique. Pékin avait, logiquement, opté pour un passage sur l’île juste après un tiers pays, et juste avant une province de la Chine. Tout aussi logiquement, les Taiwanais lui ont refusé cette occasion de donner au monde un signal supplémentaire de son irrédentisme - entendons par ce mot sa difficulté d’admettre que Taiwan, en fait et en droit, ne fait plus partie de sa sphère de souveraineté depuis plus d’un demi-siècle. Et se pose aujourd’hui à Taiwan la même question que chez nous : doit-on aller aux J.O. ? Et sous quelles conditions (si l’hymne national ne peut être joué et le drapeau de la République déplié) ?
Le Tibet ? Les insulaires ont eu, quelques jours avant l’élection, un rappel brutal de ce que signifie le gouvernement de la RPC appliqué à « une province rebelle ». Le lien fait par les indépendantistes en campagne - « Le Tibet d’aujourd’hui peut être le Taiwan de demain » - était dans tous les esprits. Si faire un lien direct entre Ma et l’unification était douteux, l’idée de caractériser par le Tibet un avenir de Taiwan sous gouvernement chinois n’est pas pure folie. Après tout, M. Wen Jiabao, le Premier ministre chinois, faisait lui-même, menaçant, ce parallèle entre « les deux T » (Taiwan et le Tibet) trois jours avant l’élection taiwanaise, en réduisant les deux situations au même problème : le sécessionnisme face à la mère-patrie. La simplification est pour le moins abusive, le Tibet étant sous occupation chinoise depuis 1950 et Taiwan n’ayant jamais été dirigé par la RPC, fondée alors que Chiang Kai-shek repliait, en décembre 1949, ses institutions sur l’île. Néanmoins, un autre parallèle est, lui, totalement fondé : les deux sont des points focaux de ce qu’il faut bien appeler un impérialisme : culturel, politique, et surtout ethniciste, celui d’une Chine qui refuse, avec une perception absolutiste et sacrée de « l’unité », toute solution moderne de recomposition politique des territoires chinois et sinisés sur le mode, par exemple, fédéral.
Arc-boutée sur une vision dépassée de la souveraineté territoriale, la Chine est en fait le meilleur carburant de l’indépendance taiwanaise. Elle pourra mettre au compte de sa répression au Tibet, mais également de son incapacité, depuis des décennies, à voir la réalité du détroit tel qu’elle est - c’est-à-dire celle de deux États souverains -, une amère défaite : celle d’avoir réuni un consensus contre elle. Si les Taiwanais ont peut-être voté pour des relations économiques plus resserrées avec la Chine, ils ont imposé au candidat Ma un recentrage idéologique marqué de son programme sur les frontières naturelles de l’île. Il a dû, ainsi, aller jusqu’à formuler en tête de ses « Six grandes assurances » (liu da baozheng) la promesse ... de ne pas vendre Taiwan à la Chine ! (jue bu hui mai Tai)... Promesses que le candidat, cette fois élu, a répétées dans une position clairement défensive de la souveraineté insulaire.
De quoi, paradoxalement, renforcer le soutien à l’île de Washington, qui s’oppose autant à une indépendance de l’île proclamée unilatéralement qu’à une attaque de l’île qui ne serait pas consécutive à un casus belli provoqué par les Taiwanais. Les Américains n’ont jamais caché leur peu d’entrain pour l’administration sortante des Taiwanais de souche, les « verts » du DPP (Democratic Progressive Party[2]) soutenant activement une culture nationale insulaire. Il n’est pas difficile de discerner la satisfaction du Département d’État devant une élection qui met un terme à une politique trop ouvertement « taiwanaise » à son goût. Mais que personne ne s’y trompe : la grande « vertu » du retour du KMT au pouvoir sera de le forcer à plus modération, lui qui critiquait sans vergogne l’administration du DPP jusqu’à bloquer ses budgets militaires, par sa majorité législative qu’il n’a jamais perdue. Sauf à s’exposer à perdre les prochaines élections, sur l’accusation de ne pas avoir su défendre l’île.
Le KMT au pouvoir en 2008 est plus taiwanisé qu’il ne l’a jamais été. Même opposé par principe au mouvement de taiwanisation active des symboles politiques, il sera, on peut le prédire, le parti de la souveraineté de l’île. Indépendantiste malgré lui ? Ce serait autant la victoire des perdants, les Verts, qu’une réelle source d’inquiétude pour la Chine.
Les Présidentielles taiwanaises de 2008 nous ont peut-être donné une clé pour mieux comprendre, rétrospectivement, cette étonnante situation... et ce qui s’est passé depuis vingt ans, à Taiwan, sur le plan de la question nationale : ce paradoxe identitaire marqué par l’apparente contradiction entre, d’une part, une identification de plus en plus générale à l’identité taiwanaise et la désaffection toujours plus marquée dans les sondages pour l’idée d’une réunification avec la Chine ; et, d’autre part, le manque d’entrain d’une majorité de la population insulaire pour la politique active conduite par le gouvernement sortant des « Verts », les Taiwanais de souche au pouvoir, indépendantistes, visant la promotion d’une culture insulaire nationale, et sa reconnaissance internationale.
On connaissait les termes principaux de ce débat :
1. la rémanence, dans l’esprit des Taiwanais, de décennies de socialisation politique, qui les a activement « resinisés » après cinquante ans de colonisation japonaise, au point de les conduire à ignorer presque totalement les spécificités de leur histoire insulaire, occultées par la version du Parti Nationaliste Chinois ;
2. la menace maintes fois réitérée par la République populaire de Chine d’un recours à l’action militaire contre l’île si cette dernière déclarait son « indépendance formelle », c’est-à-dire, techniquement, un abandon de son nom de République de Chine pour devenir une République de Taiwan ;
3. une difficulté marquée pour les Taiwanais de faire admettre sur la scène internationale une identité nationale différente, difficulté qui a montré les extraordinaires contraintes pesant sur la politique internationale de Taiwan du Parti Démocrate Progressiste ;
4. l’impossibilité d’ignorer économiquement la Chine, alors que l’économie taiwanaise, développée et mature, a un besoin croissant de ce marché, et de ses coûts salariaux inférieurs aux siens.
Tout semblait ainsi rendre particulièrement ardue la tâche des édificateurs de la nation taiwanaise. Les stratégies politiciennes à Taiwan se sont chargées du reste : la disproportion géante des forces médiatiques et financières des deux grands courants politiques à Taiwan, les « Bleus » emmenés par le KMT, et les « Verts » emmenés par le DPP, a permis au premier, aidé par sa majorité législative durant la Présidence verte (2000-2008), de jouer un rôle d’opposition systématique de toute tentative qui irait contre ses objectifs. Dès la moitié du premier mandat de M. Chen Shui-bian, en 2002, le KMT a semble-t-il mis au point une stratégie médiatique visant à « abattre » le parti au pouvoir, au point qu’on pouvait se demander si le parti des héritiers de Chiang Kai-shek avait bien admis la légitimité des Taiwanais à diriger leur île. Les scandales de corruption dans l’entourage du Président Chen Shui-bian, à partir de 2006, ont « achevé » cette Présidence : même si, en regard de ce qui s’est passé à Taiwan pendant des décennies de dictature du parti nationaliste, les montants et les enjeux étaient ridicules, le KMT a eu beau jeu de dénoncer l’immoralité du DPP au pouvoir. L’argument, face à des Taiwanais particulièrement déçus, a fait mouche ; il est ressortit dans le discours de très nombreux votants.
En quoi cette Présidentielle éclaire-telle ce « paradoxe identitaire taiwanais », fait d’identification prioritaire à l’île et de rejet d’une politique d’édification nationale active ? L’élection s’est surtout jouée sur la question du pouvoir d’achat et de l’emploi des classes moyennes. D’autres grands enseignements de ces élections de 2008 peuvent aussi nous éclairer : une désidéologisation marquée des débats depuis deux ans, qui tendent en surface à s’éloigner de la question de l’identité de l’identité de l’île ; un approfondissement apparent de la taiwanisation du KMT, en cours depuis des décennies ; et, enfin, une tendance évidente à voter pour des résultats économiques rapides sans conduire d’analyse à moyen ou long terme sur les relations avec la Chine.
L’idée forte, là derrière, est une saisissante combinaison entre le sentiment d’être Taiwanais, le désir de privilégier dans le court terme ce qui, dans les relations avec la Chine, permettra de remédier au chômage, et la volonté de donner sa chance à un KMT qui a su, en apparence du moins, jouer la carte taiwanaise chère aux indépendantistes, en rassurant les électeurs face à la question des relations avec la Chine.
Tout cela a joué dans le retour du KMT aux affaires ; et, derrière cet indéniable primat de l’économie, la question de l’identité est en fait restée très présente, fondamentale même. Ce qui fait que cette élection semble en fait loin de signer la fin de cette « politique des identités » à Taiwan qui s’est développée à partir des années quatre-vingt-dix.
En effet, l’arbitrage qui s’est joué entre une politique de construction nationale et les considérations économiques toutes simples de millions de votants a été permise par une adaptation du KMT, toujours tiraillé entre son passé, son idéologie, et même son projet chinois, et sa démographie interne taiwanaise, son enracinement politique dans l’île, et la nécessité pour lui de jouer le jeu de la démocratie : pour être élu, il ne peut proposer aux Taiwanais des candidats au Yuan législatif qui soient des représentants de l’Assemblée Populaire Nationale chinoise, ou un candidat à la Présidentielle qui soit le représentant à Taiwan du PCC ou de la RPC...
Il est vrai que le KMT a longtemps insisté sur la nécessité d’améliorer les relations avec la Chine, donnant à l’occasion l’impression qu’il était prêt à des compromis de souveraineté (rappelons que la RPC ne reconnaît pas la survivance juridique de la République de Chine à Taiwan après 1949). En 2005, il est vrai aussi, les voyages spectaculaires des deux perdants de la présidentielle de 2004, MM. Lien Chan et Song Chu-yü, en Chine où ils furent les objets des attentions les plus cajoleuses des autorités chinoises, se ridiculisant par là-même aux yeux des Taiwanais, ont donné à penser que le KMT n’arrivait pas à se départir ni de son identité ni de son projet chinois. Aujourd’hui encore, on pourrait signaler la lourdeur avec laquelle le parti nationaliste chinois de Taiwan insiste, par les photos du passé, sur cette identité, à l’entrée même de son quartier général, à Taipei.
Les Taiwanais ont-ils, cependant, vraiment élu un parti pro-chinois ? En est-ce fini des explorations identitaires de Taiwan et des revendications de son gouvernement à être reconnu comme souverain, indépendant... et ne partageant avec la Chine qu’un proche cousinage culturel ?
La réponse est probablement non. Notamment parce que l’identité et le projet du parti nationaliste « chinois » sont en fait complexes. Le premier élément à garder en tête est que son image de parti pro-chinois n’est pas seulement due à une revendication indéniable du parti à son identité taiwanaise et chinoise, mais également à l’image qu’a donné de lui sa stratégie électorale de ces dernières années. Désarçonné par sa défaite aux Présidentielles de 2000, confirmée par celles de 2004, l’ex-parti autoritaire, fort de sa majorité législative avec le bloc bleu, n’a pas su jouer le rôle d’une opposition intelligente. Dans son obsession à reconquérir un pouvoir qu’il estime, fondementalement, lui revenir de droit à Taiwan, il n’a jamais hésité à faire de la surenchère électoraliste pour nuire au maximum au parti au pouvoir. Or cette stratégie a masqué, ces dernières années, les processus en cours, ceux de sa taiwanisation. Si le parti reste dirigé au sommet par des Continentaux, il s’en est fallu de peu, en 2005, pour qu’un Taiwanais, M. Wang Jing-ping, ne le dirige à nouveau (ce fut le cas entre 1988 et 2000, avec M. Lee Teng-hui). Dans tous ses rangs et à tous ses niveaux, les Taiwanais sont numériquement plus nombreux, depuis des années. Et si ce qu’il reste de chinois dans son identité - qui le conduit par exemple à refuser d’abandonner les caractères « Chine » de son nom officiel (Zhongguo guomindang) - l’a mené à proposer, pour ces Présidentielles, l’idée d’un « marché commun » avec la Chine, le tollé provoqué par un projet économiquement aussi hasardeux, et rapidement qualifié de « marché d’une seule Chine », l’a conduit assez vite à prendre la mesure des problèmes que lui posent cette identité et ce projet chinois. Le résultat n’est certes pas que le KMT se transforme de plein gré en parti nationaliste taiwanais, mais la mécanique électorale, les gardes-fous que représentent la démocratie, l’élection, la liberté des débats électoraux à Taiwan ont permi, un temps du moins, de boucler la boucle : aux Taiwanais très majoritairement convaincus aujourd’hui de leur identité distincte de celle de la Chine a répondu le recadrage du projet économique du KMT sur Taiwan, et ce, par l’intermédiaire, ironiquement, de son projet de marché commun avec la Chine. Ainsi, juste avant son élection, M. Ma Ying-jeou aura eu l’occasion de mieux saisir le désir complexe des Taiwanais à la fois de trouver des solutions d’entente avec le Continent pour mieux commercer et l’impossibilité de conduire une quelconque politique qui s’apparenterait à vendre Taiwan à la grande Chine.
Une nouvelle phase de l’identité taiwanaise
En somme, nous entrons sans aucun doute dans une nouvelle phase de la politique des identités. Dans la première, le Kuomintang dominateur des deux Chiang - Chiang Kai-shek, décédé en 1975, et Chiang Ching-kuo, décédé en 1988 - avait tenté de transformer Taiwan en un laboratoire où le Parti Nationaliste Chinois, défait et vaincu en Chine, espérait faire revivre, ou faire survivre, une Chine en fait réinventée. Ce projet entrait vite en collision avec l’identité insulaire. Celle-ci, en lente maturation durant trois siècles et demi d’influences internationales diverses, dont chinoises, s’était soudain cristallisée avec le brutal retour de Taiwan à la « mère patrie » en 1945 : après cinquante ans de colonisation japonaise, les événements de février-mars 1947 - le massacre de l’élite taiwanaise par un gouvernement brutal, corrompu, incompétent et convaincu que les Taiwanais étaient, par leur passé japonais, des sujets à l’allégeance nationale problématique - jouèrent le rôle d’un « massacre fondateur » d’un projet alternatif et réprimé, celui de la nation taiwanaise. Dans cette première phase s’opposaient ainsi, grosso modo, deux grands discours.
C’est avec la démocratisation qu’une seconde phase s’ouvrait, dans les années 90. Le projet alternatif des Taiwanais de souche cessait d’être réprimé, par la levée de toute une série de dispositions juridiques répressives et le changement d’attitude politique d’un KMT dirigé désormais par un taiwanais natif, décidé à « taiwaniser activement » les institutions, les manuels scolaires, et les symboles politiques. Les interactions très riches entre ce KMT en transition et une opposition en voie de conquérir la Présidence allait multiplier les approches, les discours, les projets, sur la nation, la citoyenneté et la culture taiwanaises, ainsi que sur les relations avec la Chine.
Avec l’élection en 2000 de M. Chen Shui-bian s’ouvrait une phase encore différente : celle de la promotion, cette fois ouverte, active, officielle, d’une culture nationale insulaire par le DPP arrivé à la Présidence de la République. Le projet était bien celui d’un nationalisme inclusif - c’est-à-dire ne se réduisant pas à la seule composante ethnique, culturelle et linguistique des hoklos, dominants, mais prenant bien en compte toutes les composantes de l’île, y compris les Continentaux de Taiwan soutenant majoritairement le KMT. S’il a échoué à pérenniser son établissement en tant que force politique présidentielle, et n’a jamais réussi à devenir une force législative majoritaire, le mouvement a néanmoins considérablement changé le visage de Taiwan en huit ans, obtenant comme consolation de sa défaite électorale aux législatives et aux présidentielles de 2008 la généralisation de « Taiwan » comme référent indiscutable des programmes politiques.
C’est aujourd’hui que s’ouvre, de toute évidence, une nouvelle phase. Le KMT de retour au pouvoir reste il est vrai en partie manipulé par ceux que les Taiwanais appellent « Les vieux » (en chinois, les « dalao »). Mais cela fait déjà trois ans que M. Ma Ying-jeou, Président du parti depuis 2005, s’est accoutumé à répondre à ces stratégies et ces tentations traditionnalistes.
Entre ses mains se trouve maintenant les destinées de Taiwan : qu’il sache faire en sorte que le KMT tourne définitivement la page, sinon de son histoire, du moins de sa vieille garde - bien vite de retour derrière lui sur la photo de famille le soir de son élection - et l’on pourra dire sans ambiguïté que le KMT de 2008 n’a plus grand chose à voir avec celui de 1988. Cette nouvelle phase devra être celle d’un KMT plus décomplexé sur l’identité taiwanaise, si le parti nationaliste veut répondre aux désirs des Taiwanais de ménager la Chine sans concession sur l’identité et sur la souveraineté de l’île. Il semble que M. Ma l’ait compris. Et s’il s’est empressé de rendre hommage à la dépouille de Chiang Kai-shek quelques jours après son élection, souhaitons que les observateurs du camp perdant ne fasse pas à la nouvelle administration, tant au moins que leurs craintes ne sont pas explicitement fondées, ce que le parti du nouveau Président a fait au DPP pendant huit ans : des faux-procès systématiques. Mais lui donner sa chance ne veut pas dire lui donner un blanc-sein, et il sait que les Taiwanais resteront vigilants face aux tentations chinoises de ce parti, décidément, bien complexe.