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La Loi spéciale 78 : un pas de plus vers un État québécois antidémocratiqueOu la Loi sur les mesures de guerre au « printemps québécois » [Record]

  • Dominic Desroches

L’heure est grave. La démocratie québécoise est mise à mal depuis trop longtemps déjà par un gouvernement libéral dépassé par sa propre arrogance. Ce soir, il franchit un point de non-retour. La grève étudiante, au centre du printemps québécois, dure depuis treize semaines, ce qui indispose un gouvernement en perte de vitesse, de crédibilité et de créativité, prêt à tout pour imposer ses vues. Incapable de discuter avec les associations étudiantes, fragilisé par la « démission » de la ministre de l’Éducation Line Beauchamp, il a choisi d’imposer, contre toutes les mises en garde, la ligne dure, celle de l’État policier. Il imposera en effet, dans la nuit du vendredi 18 mai 2012, la loi 78, une « loi spéciale » qui modifiera non seulement le règlement sur le calendrier scolaire des collèges et des universités, mais aussi, et c’est beaucoup plus important, parce qu’explosif, encadrera le droit démocratique de manifester. Le gouvernement libéral choisit unilatéralement de quitter la démocratie parlementaire : envers et contre tous, il se croit autorisé, en suspendant la session de certains établissements et en contrôlant le déplacement des citoyens, d’imposer la paix sociale par une loi spéciale. Dans ce contexte extraordinaire – et nous pesons nos mots – qui nous rappelle les Journées de la matraque de 1964 et 1968, la loi anti-manifestation sous Drapeau en 1969, la crise d’Octobre de 1970, mais aussi la limitation des libertés dans les États totalitaires, il convient de réfléchir à la pratique de la désobéissance civile prônée par Thoreau. Car emprisonné sur un navire à la dérive, on peut se demander si l’on doit suivre le capitaine. Voyons un peu pourquoi. Ce projet de loi 78 suspend la session d’hiver 2012. N’est-ce pas déjà le signe que l’entêtement et l’arrogance du gouvernement l’ont mené à sa perte ? À moins d’une « entente » – on doit se méfier de ce mot désormais – entre la direction d’un établissement d’étude supérieure, les associations étudiantes et le syndicat des professeurs, la session d’hiver sera suspendue dans les cégeps et les universités encore en grève. Dans la majorité de ces établissements, selon le projet de loi, les cours reprendraient à la mi-août et se termineraient au plus tard le 30 septembre prochain. La session d’automne 2012 débuterait aux « calendes grecques », c’est-à-dire quelque part en octobre... Le projet de loi soustrairait ainsi les établissements à l’obligation légale de dispenser une session de 82 jours. On le voit bien désormais : après le recours aux tribunaux qui forçait des institutions et des professeurs à protéger la démocratie étudiante mais aussi leurs étudiants face à la violence de l’État, la valeur du diplôme importe autant que la hausse de frais de scolarité, laquelle n’est jamais remise en question… Le gouvernement libéral répète tous les jours en chambre que rien ne peut justifier la violence, que les étudiants doivent condamner la violence et que le climat social est malsain au Québec. Que les gens ordinaires en ont marre des manifestations. Que tout cela est la faute des étudiants qui ne vont pas à l’école. Mais ce qu’il oublie, c’est que non seulement une loi spéciale est d’une violence inouïe, mais que rien ne peut justifier la violence sinon la violence politique elle-même ! Le gouvernement libéral est prêt à tout pour « casser » le mouvement de grève démocratique des étudiants qui cherchent d’autres moyens de financer les universités. S’il n’a pas réussi avec les injonctions paradoxales ordonnées par un juge ami des libéraux, le projet de loi encadrera le droit de manifester avec une « loi matraque » qui comporte 36 …