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introduction

Au Québec, depuis les années 1990, de nombreux changements ont été apportés aux modes de régulation du système éducatif. Par exemple, en 1998, les parents ont acquis une plus grande liberté de choix de l’école de leurs enfants aux ordres d’enseignement obligatoire (primaire et secondaire) dans le secteur public (Proulx et Charland, 2009). Cette même année, mais aussi en 2006, les établissements scolaires publics ont obtenu une plus grande flexibilité quant à la définition de leurs programmes et critères d’admission. Ces changements visaient notamment à réduire la perte d’effectifs au profit du secteur privé (Conseil supérieur de l’éducation, 2007). L’introduction de courants politiques et économiques, comme la nouvelle gestion publique (NGP) ou la gestion axée sur les résultats (GAR), et de logiques de marché a aussi modifié les modes de régulation du système éducatif québécois (Maroy, 2021).

Ces modifications législatives et managériales ont contribué à l’augmentation de logiques de marchés scolaires (MS) au Québec (Kamanzi, 2019 ; Maroy et Kamanzi, 2017). En effet, elles ont participé à l’accroissement de la diversification, voire de la hiérarchisation, de l’offre éducative, du choix de l’école par les parents et de la concurrence entre les écoles. Ainsi, les parents du Québec, principaux usagers des MS (Felouzis, Maroy et van Zanten, 2013), détiennent une plus grande liberté de choisir parmi une diversité d’offres scolaires régulées par des critères d’admission variant selon les secteurs privé ou public, mais aussi selon le fonctionnement interne de ceux-ci.

Les parents ayant la possibilité, certes limitée[1], de choisir l’école de leurs enfants dans le contexte québécois, il devient pertinent d’étudier les différentes stratégies qu’ils élaborent afin d’accéder aux établissements scolaires qu’ils préconisent. Ici, les stratégies font donc référence à la marge de manoeuvre que les parents tentent de créer afin d’accéder aux écoles qu’ils convoitent (Bacqué et Vermeersch, 2013). Les MS sont surtout présents dans les centres urbains du Québec, notamment dans la région de Montréal, et au secondaire (Hurteau et Duclos, 2017). Il convient donc de s’attarder à la situation montréalaise à cet ordre d’enseignement. Plus précisément, cet article tente de mieux comprendre les stratégies mobilisées par des parents montréalais lors du choix de l’école secondaire pour leurs enfants et les facteurs (individuels, familiaux, structurels et contextuels) qui les expliquent. Cette entreprise révèle comment les parents conçoivent et expérimentent le MS montréalais au secondaire et se positionnent par rapport à celui-ci. Elle permet donc de mieux comprendre des dynamiques constitutives du MS montréalais. Cet article tente également d’esquisser une analyse des facteurs à la base des stratégies de choix de l’école ancré dans le MS montréalais en dialogue avec les constats de la littérature scientifique.

Cet article s’appuie sur deux recherches qualitatives portant sur le choix de l’école secondaire (privée ou publique) dans le secteur francophone[2] par des parents résidant dans la région de Montréal. Il creuse la question des stratégies mobilisées et les facteurs les expliquant à l’aide de cinquante-sept récits, recueillis grâce à la technique des entretiens semi-dirigés, où des parents ont mis en mots leurs expériences lors du choix de l’école secondaire de leurs enfants dans le contexte montréalais. Pour la majorité des entretiens, les récits ont été collectés a posteriori, c’est-à-dire après que le choix de l’école secondaire a été réalisé. Les autres ont été conduits avant le passage de l’enfant au secondaire. Afin d’étudier le matériau empirique, un cadre d’analyse s’inscrivant dans une sociologie compréhensive et pensant l’articulation des facteurs individuels, familiaux, structurels et contextuels à la base des stratégies familiales a été retenu (Felouzis et al., 2013 ; van Zanten, 2009).

choix de l’école et stratégies des parents

Réclamé au nom de la liberté par des parents ou acteurs politiques (van Zanten, 2009), le libre choix de l’école de ses enfants, régulé ou non, a principalement gagné en intérêt grâce à ses supposées vertus dans l’amélioration de l’efficacité des systèmes éducatifs en stimulant la concurrence entre les écoles (Chubb et Moe, 1990 ; Gagné et Belzile, 2005). Des motifs politiques et sociaux ont aussi été au coeur de son instauration. Par exemple, en Belgique, il a relevé du principe de liberté parentale à l’égard de l’éducation (Delvaux et Maroy, 2009). Aux États-Unis, introduit dans le contexte de compétition avec l’ancienne U.R.S.S., le libre choix de l’école fut considéré comme un moyen d’augmenter les performances des écoles américaines (Duru-Bellat, 2001). Dans les années 1980 et 1990, le libre choix de l’école y fut présenté comme un moyen de contrer la ségrégation sociale et raciale dans les écoles (Felouzis et al., 2013).

Maints chercheurs ont toutefois critiqué l’efficacité proclamée du libre choix de l’école sur l’amélioration des services éducatifs. Des études ont mis en lumière son effet relativement faible, voire nul, sur la performance scolaire des écoles (Belfield et Levin, 2002). D’autres ont soulevé son effet sur la (re)production des inégalités sociales. En effet, des travaux ont illustré la mise en place de stratégies par des parents de classes moyennes afin de choisir une école contribuant à la reproduction de leur statut social (Ball, 2003 ; van Zanten, 2009). Les parents de classes moyennes s’inscrivent dans un rapport au monde social les incitant à choisir l’école de leurs enfants, mais aussi détiennent les capitaux (culturels, économiques et sociaux) pour élaborer des stratégies d’accès (résidentielles, financières, etc.) aux écoles.

La reproduction de la classe sociale n’explique pas à elle seule les stratégies familiales en matière de choix de l’école. En effet, des travaux ont mis en lumière d’autres motifs. Des études ont exposé que la recherche d’une éducation religieuse incite à choisir l’école et à la mise en place de stratégies d’accès (Bulman, 2004 ; Denessen, Driessen et Sleegers, 2005). D’autres ont mis de l’avant l’importance pour des parents d’opter pour une école concordant avec des valeurs qu’ils préconisent (Goldberg, Allen, Black, Frost et Manley, 2018), répondant à des besoins identitaires (Nault, 2015) ou d’intégration à la société d’accueil (Grenier, 2022), ou correspondant aux intérêts, besoins, ou au bien-être physique et psychologique de leurs enfants (Filtner, 2004 ; van Zanten, 2009).

Quels qu’en soient les motifs, l’élaboration de stratégies d’accès est facilitée par la possession en ressources plurielles (culturelles, économiques et sociales) (Bourdieu, 1980). Mais aussi, la « marge » d’action des parents est contrainte ou accentuée par l’action publique dans un contexte national (Duru-Bellat et van Zanten, 2012), mais aussi local (Felouzis et al., 2013). Ainsi, les stratégies d’accès sont cadrées par les contextes nationaux et locaux. Elles dépendent des lois et règlements (Zancajo, Verger et Fontdevila, 2021) en vigueur, déterminant notamment la liberté de choix des parents et les pratiques des établissements, la qualité des services éducatifs (Poikolainen, 2012), etc. Elles sont aussi modelées par la ségrégation résidentielle (Maroy, 2006 ; Poupeau et François, 2008), le développement du transport en commun (Lewis et Torres, 2010), les rapports sociaux et interethniques ou raciaux (Byrne et De Tona, 2012 ; Lauen, 2007 ; Saporito, 2003), etc. Il convient donc de réinterroger la question dans le contexte du MS montréalais, encore peu étudié (Castonguay-Payant, 2020 ; Grenier, 2020).

le marché scolaire montréalais

Le MS montréalais est cadré par des lois et des règlements administratifs, s’appliquant à la grandeur du Québec, qui déterminent les possibilités d’admission dans un établissement scolaire aux ordres d’enseignement du primaire et du secondaire. Dans le secteur public, chaque enfant, selon son domicile, est rattaché à une école de son centre de services scolaires (CSS)[3]. Depuis la modification de l’article 4 de la Loi sur l’instruction publique (LIP) en 1998, les parents ont obtenu le droit de choisir une école à l’intérieur du CSS attitré à leur lieu de résidence. Ils sont aussi en mesure d’opter pour une école d’un autre CSS si elle offre un programme qui n’est offert par aucun établissement du CSS auquel ils sont rattachés. Pour ce faire, ils doivent produire une demande de dérogation. Trois CSS francophones couvrent le territoire de la région de Montréal : CSS de Montréal, CSS Marguerite-Bourgeoys et CSS de la Pointe-de-l’Île. Approximativement, le CSS de la Pointe-de-l’Île[4] couvre la partie « est » de la région de Montréal, le CSS de Montréal[5], la partie « centrale » et le CSS Marguerite-Bourgeoys[6], une section de la partie « centrale » et la partie « ouest »[7]. Les parents peuvent choisir une école privée indépendamment de leur lieu de résidence.

Les écoles privées, mais aussi, certes dans une moindre mesure, les écoles publiques, pouvant établir leurs critères d’admission[8], bien souvent, l’accès à des établissements scolaires ou à leurs programmes est conditionnel à la passation d’examens d’entrée, voire à l’atteinte d’un seuil minimal établi, et à leur capacité d’accueil. Ce sont surtout les écoles privées et publiques offrant des programmes enrichis qui ont recours aux examens d’entrée. Ces écoles veulent notamment s’assurer que les élèves pourront suivre le rythme de ces programmes, notamment afin de rester compétitives, de maintenir ou d’améliorer leur rang dans le classement annuel des écoles secondaires du Québec de l’Institut Fraser. Des établissements (privés ou publics) utilisent d’autres moyens pour sélectionner leurs élèves : entrevues, auditions, tests d’aptitudes, dossier scolaire, etc. De plus, des écoles privées et publiques exigent des frais de scolarité aux parents lors de l’admission, certes généralement plus élevés dans le privé que le public, mais variant aussi à l’intérieur de ces deux secteurs[9]. Les écoles privées dites subventionnées reçoivent un financement à la hauteur de 60 % de celui donné aux écoles publiques pour chaque enfant, leur permettant de réduire leurs frais de scolarité.

Les possibilités de dérogation au programme de formation de l’école québécoise des écoles privées et publiques, notamment inscrites dans la LIP[10], nourrissent aussi le MS montréalais. En effet, en permettant aux écoles privées et publiques de mettre en place des projets éducatifs spécifiques, nommés projets pédagogiques particuliers (PPP) dans le secteur public, elles ont participé à la diversification, voire la hiérarchisation, des offres éducatives au Québec (Kamanzi, 2019 ; Maroy et Kamanzi, 2017 ; Pilote, Joncas et Kamanzi, 2018 ; Laplante, Doray, Tremblay, Kamanzi, Pilote et Lafontaine, 2018), notamment dans la région de Montréal.

En raison de ce changement législatif, mais aussi d’autres dynamiques ayant façonné l’évolution des offres éducatives (sécularisation, immigration, diversification des besoins des élèves, etc.), le MS montréalais se compose d’offres éducatives diversifiées, voire spécialisées. Dans le secteur public, les écoles offrent divers PPP (sport, musique, etc.). Dans le secteur privé, il existe des écoles avec des orientations pédagogiques spécifiques, des écoles pour des enfants ayant des besoins particuliers, etc. Il y a aussi des écoles ethnospécifiques (grecques, juives, musulmanes, etc.), des collèges français, etc. De plus, le MS montréalais se compose d’offres hiérarchisées, notamment selon trois voies (privé, public enrichi et public régulier), lesquelles vont varier les chances d’accès à l’université des élèves, et ce, même après avoir contrôlé leur origine sociale (Kamanzi, 2019 ; Maroy et Kamanzi, 2017). La hiérarchisation, et dans une certaine mesure la spécialisation, des offres éducatives alimente la concurrence entre les écoles (privées et publiques).

Le MS montréalais est aussi alimenté par des effets contextuels, notamment des options éducatives (privées et publiques) nombreuses[11] et fortement réputées[12], un réseau de transport en commun développé[13] et abordable, une population diversifiée sur le plan social[14], et ethnoculturel ou racial[15], des arrondissements (ou villes) à proximité, dont certains se situent au chevauchement des frontières de CSS, tels qu’Outremont, ville Mont-Royal, Saint-Léonard, Ahuntsic-Cartierville, etc., ce qui peut faciliter, en raison de la proximité, le choix d’un PPP d’une école publique d’un CSS avoisinant, si la condition établie par la LIP pour demander une dérogation est respectée.

Ces facteurs contextuels varient toutefois en fonction des arrondissements (ou villes) de la région de Montréal. En effet, les offres éducatives réputées (hiérarchisées) sont distribuées inégalement sur le territoire montréalais. Il en est de même pour les offres éducatives spécialisées. Le réseau de transport en commun est moins développé dans certains arrondissements (ou villes), notamment parce que le métro dessert principalement la partie « centrale » de la région de Montréal. De plus, certains arrondissements (ou villes) accueillent une population « fortement » favorisée, tels qu’Outremont, ville Mont-Royal et Le Plateau-Mont-Royal[16]. D’autres arrondissements (ou villes) accueillent une population « moyennement » favorisée, tels qu’Ahuntsic-Cartierville et Rosemont—La-Petite-Patrie[17], ou « faiblement » favorisée, et souvent majoritairement racisée, tels que Montréal-Nord et les quartiers Saint-Michel et Parc-Extension (Langlois, 2022)[18]. Certains arrondissements (ou villes) ont d’importantes variations en fonction de leurs quartiers, notamment Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce et Saint-Laurent[19]. Des arrondissements (ou villes) « fortement » favorisés avoisinent des arrondissements ou des quartiers d’arrondissement « faiblement » favorisés (par exemple : ville Mont-Royal et Parc-Extension[20]).

Généralement, lorsqu’on regarde la carte scolaire de la région de Montréal, il est possible de constater que les arrondissements (ou villes) où l’offre éducative (publique et privée) est plus abondante, mais surtout plus réputée et/ou hautement classée dans le palmarès des écoles secondaires de l’Institut Fraser, accueillent des populations qui sont de « moyennement » à « fortement » favorisées et diversifiées sur le plan ethnoculturel ou racial et bénéficient d’un réseau de transport en commun plus développé, notamment en raison de la présence du métro à proximité. On pense entre autres à Outremont, Le Plateau-Mont-Royal, Rosemont—La-Petite-Patrie, ville Mont-Royal et Ahuntsic-Cartierville, des arrondissements (ou villes) situés dans la partie « centrale » de la région de Montréal.

Les facteurs structurels (lois, règles d’admission, etc.) et contextuels (possibilités de déplacement sur le territoire montréalais, concurrence entre les écoles, etc.) ont participé à l’augmentation, voire à la normalisation, du phénomène du choix de l’école ou du programme de ses enfants à Montréal, surtout au secondaire. En effet, à cet ordre d’enseignement, plus de 50 % des élèves ne fréquentent pas le programme régulier de l’école publique de leur quartier[21] (Hurteau et Duclos, 2017). Mais surtout, ils poussent plusieurs parents de Montréal à mettre en place des stratégies d’accès aux écoles convoitées. Malgré l’étendue du phénomène dans ce centre urbain, bien peu de travaux se sont penchés sur cette problématique spécifique.

Cet article espère combler en partie cette lacune en tentant de répondre à la question suivante : dans le contexte montréalais, comment s’articulent les caractéristiques des parents (sociales, culturelles, etc.) et de leurs enfants (socioscolaires, etc.) et les facteurs structurels et contextuels à la base des stratégies d’accès aux écoles secondaires des parents ? Cette entreprise vise notamment à mieux comprendre les inégalités d’accès aux écoles secondaires ou à leurs programmes, conduisant à des inégalités de traitement, une fois que les élèves sont répartis dans les écoles ou programmes pédagogiques, au sein même de la structure scolaire. Elle permettra de formuler des recommandations aux décideurs et d’orienter les actions (politiques et administratives) en éducation au Québec, notamment dans une perspective d’équité et de justice sociale.

cadre d’analyse

C’est à partir d’une sociologie compréhensive que les stratégies d’accès aux écoles secondaires mises en place par des parents dans le contexte du MS montréalais sont analysées. L’analyse se penche donc sur l’orchestration des stratégies d’accès aux écoles secondaires, telle que réalisée par des parents montréalais, et à partir de quels ancrages (perceptions du MS montréalais, visées éducatives, ressources, contraintes, etc.) celles-ci sont élaborées. Pour ce faire, en écho aux travaux de Felouzis et al. (2013) et de van Zanten (2009), le cadre d’analyse conçoit les stratégies d’accès aux écoles comme le résultat de l’articulation de déterminants individuels/familiaux (visées éducatives, ressources, etc.) et de facteurs structurels ou contextuels (pratiques des établissements scolaires, qualité de l’offre éducative, etc.). À l’instar de van Zanten (2009), cette articulation est analysée selon un angle d’entrée individualiste, et donc s’appuie sur l’expérience des parents lors du choix de l’école. Compte tenu des multiples facteurs qui peuvent entrer en jeu dans l’élaboration de stratégies d’accès, une attention particulière est portée au travail d’arbitrage et de compromis effectué par les parents (Bacqué et Vermeersch, 2013).

Le cadre d’analyse reconnaît l’importance de l’approche en termes de classes sociales, inspirée des travaux de Bourdieu, afin d’analyser les stratégies (Ball, 2003 ; van Zanten, 2009). Pour Bourdieu, la classe sociale des individus se reflète dans leur volume de capital, qui peut prendre quatre formes : culturel, économique, social et symbolique. En ce sens, le cadre d’analyse prend notamment appui sur le concept de capital de Bourdieu, qui se réfère à des ressources servant à se positionner dans un champ (politique, religieux, social, culturel, professionnel, etc.). Le capital influence l’action sociale puisqu’il établit les conditions matérielles et culturelles des individus (Bourdieu, 1980).

Trois des quatre formes de capital de Bourdieu sont retenues aux fins d’analyse : économique, culturel et social. Le capital économique fait référence aux ressources financières possédées par les individus (salaire, actifs et passifs, etc.). Le capital culturel inclut l’ensemble des ressources culturelles que les individus détiennent. Ces ressources culturelles sont acquises par les individus le long de leur parcours de vie (socialisation primaire [famille, etc.] et secondaire [école/université, etc.]). Elles sont des lentilles pour comprendre ou interpréter le monde social et/ou constituent des compétences culturelles à mobiliser. Le capital culturel peut se refléter à travers les biens culturels possédés (livres, etc.), les diplômes détenus, les activités culturelles pratiquées, etc. Le concept de capital social fait référence aux réseaux sociaux des individus. Plus précisément, il renvoie aux ressources (informations, accès, etc.) auxquelles un individu a accès grâce à son réseau social.

Les stratégies scolaires des parents étant localisées et territorialisées (Felouzis et al., 2013), le cadre d’analyse mobilise aussi une approche locale des stratégies d’accès des parents. En ce sens, il intègre une échelle locale à l’analyse, voire tente d’examiner comment le contexte local redessine les liens entre les stratégies d’accès des parents et leurs capitaux (économique, culturel et social). Pour ce faire, le concept de capital spatial, tel que défini par Lévy et Lussault (2003) et repris par Barthon et Monfroy (2011), est mobilisé. Il fait référence aux ressources auxquelles les individus ont accès dans un contexte local (écoles, transport, etc.). Plus précisément, les concepts de capital de position et de capital de situation, les types de capital spatial identifiés par Lévy et Lussault (2003), sont retenus.

Appliqué à la question du choix de l’école, pour Barthon et Monfroy (2011), le capital de position fait référence aux ressources éducatives auxquelles les individus ont accès en fonction de leur lieu de résidence. Le capital de position a du sens dans les contextes où les offres éducatives réputées (un MS hiérarchisé) sont distribuées inégalement sur le territoire, comme c’est le cas dans la région de Montréal. Le capital de position se déploie aussi au regard de l’accès à des offres éducatives répondant à des besoins spécifiques (un MS spécialisé) et étant peu nombreuses, voire dispersées, dans un contexte local, tel que celui de la région de Montréal. Le capital de situation fait, quant à lui, référence aux ressources liées à la mobilité dans un lieu géographique donné. Il a du sens dans des contextes où la capacité de se mouvoir dans l’espace varie en fonction du lieu de résidence. Le capital de situation permet de faciliter l’accès aux ressources éducatives disponibles dans son quartier, mais aussi dans les quartiers avoisinants, voire plus éloignés. Il peut donc « constituer un moyen de pallier un déficit de capital de position » (Barthon et Monfroy, 2011 : 323).

méthodologie

Cet article se base sur les données de deux études qualitatives portant sur les choix de l’école secondaire de parents dans le contexte montréalais. La première recherche a porté sur le choix de l’école secondaire par des parents immigrants pour leurs enfants. Les participant·e·s ont été sélectionné·e·s selon les critères d’inclusion suivants : 1) être né·e, ainsi que son·sa conjoint·e, dans un autre pays que le Canada ; 2) ne pas avoir fait ses études primaires et secondaires au Canada ; 3) habiter dans la région de Montréal ; 4) habiter au Québec depuis au moins 5 ans ; et 5) avoir au moins un enfant fréquentant une école secondaire francophone (privée ou publique) dans la région de Montréal. Ce premier corpus se compose de trente entretiens semi-dirigés, recueillis entre les mois de septembre et décembre 2016.

La seconde recherche visait à recueillir les expériences et points de vue de parents montréalais en lien avec le processus de choix avant le passage de leur enfant au secondaire. Les participant·e·s devaient : 1) être né·e·s ou être arrivé·e·s au Québec entre 0 et 2 ans ; 2) habiter la région de Montréal depuis au moins un an ; 3) avoir un enfant en fin de primaire (en 5e ou 6e année) ; et 4) être tenté·e·s ou en processus de choisir une école secondaire pour leur enfant. Ce deuxième corpus se compose de vingt-sept entretiens semi-dirigés, collectés entre l’été 2016 et l’automne 2018.

Le corpus utilisé pour cet article combine les données de ces études qualitatives et est donc composé de cinquante-sept entretiens semi-dirigés. Les données analysées proviennent des entretiens semi-dirigés et de courtes fiches complétées par les participant·e·s portant sur leur profil socioéconomique. Les caractéristiques des participant·e·s et/ou de leur famille sont présentées dans le tableau 1 ci-après :

Tableau 1

Caractéristiques socioéconomiques du corpus[22]

Caractéristiques socioéconomiques du corpus22

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Le recrutement fut réalisé de manière similaire pour les deux études. En effet, les répondant·e·s ont été recruté·e·s par l’entremise d’organismes locaux et l’effet de cascades (technique boule de neige). Une lettre de sollicitation a été envoyée à des organismes communautaires à partir des réseaux de contacts des chercheur·se·s. Ces organismes ont affiché l’appel de participation sur leurs babillards ou l’ont envoyé à leur liste de contacts. Des annonces ont également circulé sur Facebook.

Toutes les entrevues semi-dirigées, d’une durée de 60 à 105 min, ont été enregistrées et transcrites intégralement. Les deux études ont notamment abordé les thèmes suivants : les motifs et les contraintes aux choix ; les représentations des offres éducatives (privées et publiques) et des arrondissements (ou villes) ; et les stratégies d’accès aux écoles convoitées ou d’évitement des écoles non désirées. Les entretiens semi-dirigés ont permis de documenter en profondeur les stratégies des parents lors du choix de l’école secondaire de leurs enfants ancrées dans le contexte montréalais. Afin de respecter la confidentialité des participant·e·s, des noms fictifs sont utilisés dans cet article.

Cet article s’inscrit dans un paradigme compréhensif/interprétatif (Anadón et Guillemette, 2007), étant en concordance avec le cadre d’analyse mobilisé. Une analyse thématique de contenu (Miles et Huberman, 2003 ; Paillé et Mucchielli, 2016) a été utilisée. L’analyse des données a été réalisée en deux étapes. D’abord, tous les extraits identifiant des stratégies d’accès mobilisées par les parents montréalais ont été codés. Cette étape a révélé une multitude de stratégies agissant sur les possibilités de choix des répondant·e·s. Elle a aussi permis d’établir une première distinction dans le corpus : les parents qui mettent en place une ou des stratégies d’accès et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire, faute de marge de manoeuvre. Pour chacun·e des participant·e·s, une fiche synthèse (Miles et Huberman, 2003) identifiant les stratégies d’accès aux écoles secondaires et les thèmes récurrents a été produite. Les caractéristiques des participant·e·s et de leurs enfants ont été intégrées à ces fiches.

Ensuite, une analyse fine des facteurs à la base des stratégies d’accès identifiés et leur articulation a été effectuée. Cette deuxième étape d’analyse a permis de révéler la complexité des situations et du travail de négociation, d’arbitrage et de compromis réalisé par les parents. Elle a permis de faire ressortir à la fois les contraintes structurelles et contextuelles et l’agentivité des répondant·e·s lors de la mise en place de stratégies d’accès, notamment dans la mobilisation de capitaux (culturel, économique, social et spatial).

devant le marché scolaire montréalais : des parents stratégiques

L’analyse illustre que la grande majorité des parents sont plus ou moins contraints dans le contexte du MS montréalais. Dans ces conditions, ils mettent en place des stratégies afin d’augmenter leurs chances d’accéder aux écoles secondaires souhaitées. Sept stratégies ont été identifiées : 1) choisir son quartier ; 2) relativiser la distance entre le domicile et l’école voulue/choisie ; 3) établir une marge de manoeuvre financière ; 4) préparer ses enfants aux examens d’entrée ; 5) inscrire ses enfants à l’examen d’entrée de plusieurs écoles ; 6) demander des dérogations ; et 7) indiquer une « fausse » adresse domiciliaire.

Choisir son quartier

L’accès aux écoles secondaires convoitées est généralement associé à la mise en place de stratégies résidentielles (DeSena, 2006 ; Oberti, 2005 ; Poupeau et François, 2008). En effet, choisir son quartier constitue, pour la majorité des participant·e·s, une stratégie clé en amont afin d’augmenter les chances que leurs enfants soient admis dans une école secondaire qu’ils et elles estiment répondre, ou du moins le plus possible, à leurs attentes. Les parents montréalais déployant cette stratégie optent pour un arrondissement (ou ville), voire un quartier d’un arrondissement, où il existe plus d’une offre éducative qu’ils considèrent « de qualité » et où ils estiment qu’il est relativement facile de se déplacer grâce à la présence d’un réseau de transport en commun développé, etc. Ils espèrent ainsi acquérir un capital de position et un capital de situation (Barthon et Monfroy, 2011) par rapport au choix de l’école secondaire. Les propos de Francesco qui suivent illustrent bien cela. En effet, la proximité et la qualité estimée des écoles, mais aussi la présence d’un métro, lui permettent ainsi qu’à sa famille de bénéficier d’une certaine aisance du point de vue des écoles et des transports :

On est revenus ici avec aucune négociation. C’était parfait. […] Ahuntsic, c’était encore la proximité d’un métro. […] Tu pouvais aller à la pharmacie à pied, à l’école à pied. […] Tu sais que dans un horizon de 10-15 ans, tu as des super bonnes écoles.

Francesco, maîtrise, 50 000 $ et plus, né au Québec de parents italiens, marié, deux enfants

Généralement, cette stratégie consiste aussi à choisir un quartier considéré détenir une « bonne » réputation, notamment en raison de la composition sociale de sa population : « C’est surtout les riches qui habitent ici [ville Mont-Royal]. J’aime ça parce qu’ils poussent leurs enfants à apprendre, à respecter la discipline. Ce n’est pas juste, mais moi, c’est comme ça » (May, baccalauréat, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Vietnam, mariée, deux enfants). Il s’agit souvent aussi de choisir un quartier diversifié sur le plan de la composition ethnoculturelle ou raciale, comme pour Lise, résidente de Rosemont—La-Petite-Patrie : « [C]’est complètement multiethnique : Russes, Slovaques, Latinos, Espagnols, Chiliens. […] Il y a des Québécois, beaucoup d’Arabes. […] Ça fait que, il y a une multiethnicité qui est intéressante » (Lise, doctorat, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Québec, célibataire, deux enfants).

Il est estimé que ces caractéristiques vont refléter celles des publics scolaires des écoles. La classe sociale et l’appartenance ethnoculturelle ou raciale des élèves sont des critères fortement utilisés par les parents lors du choix de l’école (Ball, 2003 ; Byrne et De Tona, 2012 ; Lauen, 2007 ; Saporito, 2003). Généralement, les quartiers choisis sont ceux qui accueillent une population plus favorisée et plus diversifiée de la partie « centre » de Montréal, notamment puisque le réseau de transport en commun y est plus développé en raison de la présence du métro (Desjardins, Lessard et Blais, 2011).

La stratégie de choisir son quartier est à mettre en relation avec les représentations de l’espace urbain des parents interrogés. Plus précisément, elle s’insère dans une représentation hiérarchisée des quartiers de Montréal, reposant sur une distribution inégale des ressources (éducatives, de mobilité, etc.) et une répartition inégale de la population sur les plans social et ethnoculturel/racial, caractérisant les centres urbains (Heisz et McLeod, 2004). En effet, aux yeux de la grande majorité des parents, des quartiers sont plus réputés que d’autres[23] :

C’était vraiment un quartier rough [Saint-Michel]. C’était vraiment les gangs de rue. C’était très difficile. […] Je ne voulais pas éduquer mon enfant dans ce quartier-là. […] On a regardé plusieurs quartiers. On a regardé Rosemont, Ahuntsic et Westmount. Finalement, on a choisi Ahuntsic.

Suzie, collégial, 50 000 $ et plus, née au Québec, mariée, deux enfants

Cette représentation hiérarchisée des quartiers peut être mise en relation avec sa forte présence dans l’espace public et/ou les réseaux sociaux (membres de la famille, amis, etc.) des parents, leur capital social (Bourdieu, 1980) : « Dans ma communauté, plusieurs pensent que ville Mont-Royal, c’est bon » (May, baccalauréat, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Vietnam, mariée, deux enfants). Ce qui pourrait expliquer qu’elle est partagée par des parents détenant des capitaux culturel et/ou économique variés :

Côte-Vertu [arrondissement Saint-Laurent], ce n’est pas aussi bon comme quartier. J’ai parlé avec des parents. C’est pour ça que j’ai trouvé qu’il y avait les mêmes problèmes dans beaucoup de quartiers qui ne sont pas au centre-ville. Après Côte-Vertu, j’ai déménagé sur Le Plateau. C’est plus francophone. Il y avait un peu de tout… pas vraiment d’une seule nationalité.

Frida, collégial, 19 999 $ et moins, née au Mexique, divorcée, deux enfants

La stratégie de choisir son quartier est liée aux dynamiques du MS montréalais, telles que la qualité des offres éducatives au secondaire perçue comme pouvant varier, notamment en fonction des quartiers : « Mais c’est sûr qu’on a compris aussi que ça dépend des quartiers. Ça dépend de la population » (Yazel, maîtrise, 50 000 $ et plus, née au Liban, mariée, deux enfants). La concurrence redoutée pour les places limitées dans les écoles secondaires ou les programmes (secteurs privé et public) réputés et convoités (Larose, 2016) constitue aussi un facteur dans le choix d’un quartier où on retrouve plus d’une école correspondant aux attentes.

Cette stratégie est aussi à mettre en relation avec l’enjeu de la distance entre le lieu de résidence et l’école choisie, car elle prend une place importante dans le processus décisionnel des parents (Bagley, Woods et Glatter, 2001), notamment puisqu’il touche à des préoccupations de bien-être physique et psychologique des enfants (éviter l’épuisement, etc.) (Filtner, 2004 ; van Zanten, 2009) et de ressources matérielles (avoir le temps d’amener les enfants, posséder une automobile, payer le titre du transport en commun, etc.), certaines étant étroitement liées au capital économique des parents (Bourdieu, 1980). Choisir son quartier vise donc à acquérir un capital de position et un capital de situation (Barthon et Monfroy, 2011) pour notamment atténuer ces enjeux :

La proximité a eu une importance. Un enfant, si ça lui prend une heure le matin et une heure aussi le soir, c’est de l’énergie dépensée. Ça peut influencer ses études, lui donner une fatigue quotidienne. […] Aussi, je ne suis pas le genre de parent qui dépose le matin et va chercher le soir à tous les jours. […] Ça demande beaucoup de disponibilités.

Nedjma, maîtrise, 19 999 $ et moins, née en Algérie, mariée, quatre enfants

La stratégie de choisir un quartier en fonction des offres éducatives est certes liée aux capitaux des parents (Ball, 2003 ; DeSena, 2006 ; van Zanten, 2009). En effet, les parents dotés de capitaux culturel et économique arrivent à les mobiliser pour les transformer en capital de position et en capital de situation (Barthon et Monfroy, 2011) : « On devait partir de Montréal-Nord. On a vu l’environnement et les écoles autour. Ça ne répondait pas à nos besoins. […] J’ai vendu une de mes deux maisons en Algérie pour acheter ici [à Ahuntsic] » (Latifa, maîtrise, entre 30 000 $ et 49 999 $, originaire d’Algérie, mariée, 4 enfants). Il en est de même pour Marlissa : « On avait les moyens d’habiter à ville Mont-Royal. On avait entendu dire que c’était bien, que les écoles étaient bien » (Marlissa, doctorat, 50 000 $ et plus, originaire d’Haïti, mariée, 3 enfants). L’analyse illustre toutefois une réalité plus complexe.

En effet, en raison de facteurs contextuels, notamment la variation des prix des logements (autant à l’achat qu’à la location) entre les arrondissements (ou villes) de la région de Montréal, mais aussi à l’intérieur de ceux-ci, des parents moins favorisés, mais étant en mesure de dégager une marge de manoeuvre financière, arrivent à choisir un quartier leur permettant d’acquérir un capital de position et/ou un capital de situation (Barthon et Monfroy, 2011). Ils optent pour un quartier plus éloigné, mais qu’ils considèrent tout de même comme central, et où les prix des habitations leur sont accessibles. Ils vont aussi résider dans un logement, souvent locatif, moins spacieux. Le cas de Thaliane, qui estime ne pas avoir des revenus énormes ni détenir d’actifs supplémentaires (propriétés, etc.) qu’elle peut mobiliser, et a un enfant ayant des besoins spécifiques, illustre cette négociation, ce travail d’arbitrage et de compromis (Bacqué et Vermeersch, 2013) lors du choix du quartier :

Au Centre-Sud [arrondissement Ville-Marie], c’était trop cher. Le Plateau, aussi. Alors, on est venus à Ahuntsic qui était le dernier arrêt du métro à l’époque. […] Saint-Michel, je n’aimais pas trop. Montréal-Nord… comme je t’ai dit, je valorise l’environnement beaucoup. On trouvait qu’Ahuntsic, c’était très bon. […] C’est certain qu’on a dû faire des choix. On a dû prendre plus petit. […] Ce sont des sacrifices parce qu’on n’a pas des revenus énormes.

Thaliane, baccalauréat, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Congo, mariée, deux enfants

Cette stratégie d’accès montre l’imbrication des stratégies résidentielles et financières, qui seront abordées subséquemment.

Relativiser la distance entre le domicile et l’école voulue/choisie

Malgré les stratégies résidentielles élaborées en amont du choix de l’école secondaire, ou parfois simultanément au choix, certains se retrouvent devant des contraintes de différents ordres, notamment structurels, au moment de choisir, les poussant à opter pour un établissement scolaire plus éloigné qu’anticipé. En effet, des parents ont vu leur plan initial contrecarré en raison de refus d’admission attribuable aux règles d’inscription, à la gestion des flux d’élèves, au nombre de places disponibles, etc. Cette situation les amène à relativiser la distance entre leur lieu de résidence et l’école voulue ou choisie afin d’élargir leur champ des possibles (Bulman, 2004). Les propos de Thaliane, dont l’enfant n’a pas été admise dans un programme enrichi (avec examen d’entrée) d’une école publique de son quartier et qui souhaite éviter les autres options scolaires (publiques et privées) à proximité, illustrent la relativisation de la distance qui peut s’opérer face à des contraintes :

À la base, je ne voulais pas trop l’éloigner non plus, mais elle n’a pas été admise au programme Défi de Sophie-Barat [école publique]. Il n’était pas question des autres écoles publiques du quartier, ni les privées. […] Finalement, je voulais Sainte-Marcelline [école privée], mais c’est loin. C’est deux autobus, mais ça se fait bien. C’est en ligne droite. Elle met environ 50 minutes pour se rendre. […] Mais ça vaut la peine.

Thaliane, baccalauréat, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Congo, mariée, deux enfants

Relativiser la distance permet aux parents de choisir une école qui correspond à leurs attentes, quelles qu’elles soient (recherche d’excellence scolaire, d’écoles spécialisées, etc.). C’est le cas de Nathalie qui cherche une école offrant des services spécialisés pour son enfant, mais qui se retrouve devant des possibilités restreintes de choix :

Le collège Anjou, je le trouve loin pour y aller en autobus. C’est comme une heure de transport en commun. […] Mais là-bas, on serait capables d’avoir des services. Ils ont des psychologues, des éducateurs spécialisés. Ils ont des profs qui sont spécialisés dans les troubles d’apprentissage. […] Je veux qu’il aille voir Vanguard aussi avant.

Nathalie, sans diplôme, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Québec, conjointe de fait, sept enfants, dont deux en garde partagée

La relativisation de la distance est aussi à mettre en perspective avec l’accès au réseau de transport en commun à un endroit donné de Montréal, et donc au quartier de résidence. En effet, pour plusieurs parents, l’élaboration de cette stratégie est envisageable parce que les ressources disponibles en termes de transport dans leur quartier, ou les avoisinants, le capital de position et de situation (Barthon et Monfroy, 2011), la rendent possible. Le cas de Farida qui habite le quartier Côte-des-Neiges et dont l’enfant doit traverser trois quartiers pour se rendre à son école secondaire illustre bien cette situation. En effet, voulant que son enfant soit admis dans un programme enrichi (avec examen d’entrée) dans le secteur public, elle n’hésite pas à considérer des écoles de quartiers adjacents, voire plus éloignés (Villeray, Saint-Michel), notamment puisqu’elle estime qu’elles sont relativement faciles d’accès, car elles sont à une seule ligne de métro de distance :

Ma fille va à l’Académie de Roberval [quartier Villeray]. C’est juste à 20 minutes parce que c’est une ligne de métro. Ça se fait vraiment facilement. J’ai tenu compte de tout ça avant de choisir. […] L’école Joseph-François-Perreault [quartier Saint-Michel], c’est plus loin que Roberval. C’est à 30 minutes en métro, une seule ligne aussi. Elle serait allée là si elle n’avait pas été acceptée à Roberval.

Farida, doctorat, entre 10 000 $ et 29 999 $, née au Burkina Faso, mariée, deux enfants

Opter pour une école plus éloignée s’accompagne souvent de frais supplémentaires, et soulève donc des considérations d’ordre matériel, notamment financier. Ces frais sont généralement liés au transport des enfants. En ce sens, la relativisation de la distance serait plus difficile pour les parents montréalais détenant moins de capital économique (Bourdieu, 1980). Or, l’analyse des récits soulève la complexité des situations. La présence d’un réseau de transport en commun considéré comme développé et abordable permet de réduire les coûts liés au choix d’une école plus éloignée, tel qu’illustré par les propos de Farida ci-dessus. Pour certains, la relativisation de la distance est aussi possible lorsque l’école voulue ou choisie est à proximité du lieu de travail d’un des parents, permettant de mieux gérer les déplacements, et donc les coûts matériels (temps, essence, etc.) de cette décision : « On habite dans Rosemont. Le Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, c’est à Outremont. […] C’est près de mon travail. Alors, ça facilitait la distance » (Elhili, collégial, entre 30 000 $ et 49 999 $, née au Sri Lanka, mariée, trois enfants).

Dégager une marge de manoeuvre financière

Exprimant des craintes face à leur capacité à payer les frais de scolarité des écoles convoitées, notamment les établissements privés subventionnés, des parents ont mobilisé des stratégies afin de dégager une marge de manoeuvre financière. Ils ont reconsidéré leur budget et coupé dans certaines dépenses estimées moins essentielles. Si la stratégie de dégager une marge de manoeuvre financière est surtout réalisée afin d’avoir accès aux écoles privées subventionnées, elle est parfois mobilisée par des parents optant pour un PPP du secteur public. C’est notamment le cas d’Olga, arrivée au Québec il y a 5 ans (originaire de la Moldavie) et mère monoparentale d’un enfant, qui a autodéclaré un revenu annuel brut familial entre 20 000 $ et 29 999 $ et effectue un retour aux études dans un programme de maîtrise. C’est aussi le cas de Lei, dont le niveau de scolarisation familial est collégial et le revenu annuel brut familial autodéclaré se situe entre 30 000 $ et 49 999 $, arrivée au Québec il y a plus de 20 ans (originaire des Philippines) et qui a deux enfants.

Pour des parents, la possibilité de dégager une marge de manoeuvre financière est liée à la subvention à la hauteur de 60 % de plusieurs écoles privées par le gouvernement du Québec, réduisant leurs frais de scolarité comparativement aux écoles privées non subventionnées :

Ah ouf ! c’est au-dessus de nos moyens. […] On cherchait à avoir le meilleur pour nos enfants et on peut leur offrir. […] Mais ce n’est pas à ce point-là. Des frais comme ça, on ne pourrait pas. Il y a des critères financiers derrière. On fait des sacrifices pour pouvoir les mettre à l’école privée, mais pas à ce point-là.

Marine, maîtrise, 50 000 $ et plus, née en France, mariée, trois enfants

Les stratégies financières doivent donc être comprises en relation aux visées et au capital économique des parents, mais aussi aux facteurs structurels cadrant le MS montréalais (frais plus élevés dans le privé, subvention des écoles privées, etc.). Plus précisément, les résultats illustrent la complexité entre les préférences des parents en matière d’offres éducatives, leur capital financier et les facteurs structurels d’un contexte local dans l’élaboration de stratégies d’accès aux écoles.

Préparer ses enfants aux examens d’entrée

Des parents montréalais sont inquiets par rapport à l’admission de leurs enfants dans les écoles qu’ils ciblent. En effet, plusieurs doutent de la capacité de leurs enfants à remplir les conditions d’admission des établissements scolaires qu’ils préfèrent ; ces derniers étant généralement des écoles ou programmes dont les curriculums sont enrichis et pour lesquels les élèves sont sélectionnés selon leur performance à l’examen d’entrée (secteurs privé et public). Afin de contrer cette anticipation, ces parents, dotés d’un capital culturel (Bourdieu, 1980), ont mis en place diverses stratégies, variant selon leur capital économique. Par exemple, les plus favorisés ont payé des camps préparatoires aux examens ou des tuteurs particuliers : « On lui a payé un tuteur pour l’aider avec ses difficultés, à se préparer aux examens, et je pense que ça lui a donné de la confiance » (Diana, maîtrise, 50 000 $ et plus, née en Hongrie, mariée, trois enfants). Ceux moins favorisés ont pris en charge la préparation de leurs enfants : « Ma fille s’est préparée pour les tests pendant tout l’été avant sa 6e année. Je l’aidais et parfois, elle allait à l’université avec son père pour étudier » (Farida, doctorat, 19 000 $ et moins, née au Burkina Faso, mariée, deux enfants).

La stratégie de préparer ses enfants aux examens d’entrée est certes à mettre en relation à la fois avec la hiérarchisation de l’offre éducative dans le MS montréalais (Kamanzi, 2019 ; Maroy et Kamanzi, 2017) et la forte concurrence pour les offres éducatives (privées ou publiques) proposant un programme enrichi et sélectionnant les élèves sur la base de leur performance scolaire, évaluée à l’aide d’un examen d’entrée (Larose, 2016). En effet, cette stratégie est exclusivement mobilisée afin d’accéder à ces offres éducatives.

Inscrire ses enfants à l’examen d’entrée de plusieurs écoles

Une autre stratégie consiste à faire passer à son enfant un examen d’admission à plusieurs écoles : « [Ma fille] a fait 5 examens. Si ce n’est pas 6. […] il faut que ma fille rentre quelque part. […] On les a toutes faites, pis on les a toutes réussis » (Chantal, collégial [baccalauréat en cours], plus de 50 000 $, née en France, mariée, deux enfants). Craignant que leurs choix concrets soient limités par des contraintes administratives (nombre limité de places, non-atteinte du seuil à l’examen d’entrée, etc.), plusieurs parents établissent cette stratégie en positionnant les écoles sur une échelle de priorité.

Cette stratégie est en lien avec les critères d’admission de certaines écoles ou programmes, surtout les sélectifs sur la base de la performance scolaire (examen d’entrée, etc.), et le nombre de places limité (concurrence). Elle est donc liée à la hiérarchisation des offres éducatives (Kamanzi, 2019 ; Laplante et al., 2018 ; Maroy et Kamanzi, 2017 ; Pilote et al., 2018), créant une plus grande demande pour les écoles secondaires réputées, hautement classées selon l’Institut Fraser. Les parents ressentent la concurrence pour ces écoles (Larose, 2016) et tentent d’augmenter les chances de leurs enfants d’accéder à une d’entre elles. Cette stratégie est aussi liée au capital de position et au capital de situation des parents (Barthon et Monfroy, 2011), étant certes plus facile à déployer dans les quartiers proposant plusieurs offres éducatives réputées et où il est relativement simple de se déplacer.

Demander des dérogations

Des parents montréalais font des demandes de dérogation afin d’accéder à des écoles publiques d’un CSS avoisinant. Cette stratégie peut être liée au MS spécialisé ou hiérarchisé. Cela survient lorsque certains PPP (sport-études, etc.) ne sont pas offerts dans le CSS attitré au lieu de résidence. C’est le cas de Martin, résidant d’Ahuntsic-Cartierville (CSS de Montréal), qui envisage de faire une demande de dérogation pour que sa fille fréquente un programme dans une école publique dans un quartier plus éloigné et lié à un autre CSS :

[Pour ma fille], il est question de sport-études […] ça va être à Saint-Léonard [CSS de la Pointe-de-l’Île] ; si jamais elle le fait, ça va être un gros changement.

Martin, doctorat, 50 000 $ et plus, né au Québec, marié, deux enfants

Le cas d’Olga illustre bien comment cette stratégie s’inscrit dans le MS hiérarchisé. En effet, habitant aux frontières du quartier d’Ahuntsic, un territoire rattaché au CSS de Montréal, elle décide de faire passer à sa fille l’examen d’entrée pour un programme enrichi d’une école publique de ville Mont-Royal (un quartier avoisinant), étant plutôt affiliée au CSS Marguerite-Bourgeoys. Elle considère cette école comme étant plus réputée, notamment en raison de son programme, mais aussi de la composition sociale de ses élèves. Ces propos illustrent aussi l’existence d’une perception hiérarchisée des PPP enrichis et sélectifs :

Dans mon quartier, il y a Dauversière qui a le programme international et Sophie-Barat où tu as le programme Défi. À Dauversière, même si c’est l’international, la classe était faible. Défi, c’est surtout les sciences, de travailler en projet. À Pierre-Laporte, tu as le programme Littérature, langues et sciences et c’est à ville Mont-Royal. […] Il est possible pour ma fille d’y aller, car le programme n’est pas offert par la CSDM [maintenant CSSDM].

Olga, baccalauréat [maîtrise en cours], entre 20 000 $ et 29 999 $, née en Moldavie, divorcée, un enfant

La stratégie de faire admettre leurs enfants dans une école d’un CSS avoisinant grâce à une demande de dérogation est mobilisée par des parents qui détiennent un capital culturel et/ou un capital social (Bourdieu, 1980). Cette stratégie demande de connaître l’existence de cette dérogation à la LIP, et la possession d’un capital culturel, ainsi que d’un capital social, aide dans l’acquisition d’information sur les possibilités de choix à la portée des parents et sur les rouages du MS montréalais (Felouzis et al., 2013). Cette stratégie est généralement constatée chez les participant·e·s résidant dans un quartier à la limite de deux CSS (Outremont, ville Mont-Royal, Ahuntsic-Cartierville, etc.). Ces quartiers détiennent donc un capital de position (Barthon et Monfroy, 2011) spécifique.

Indiquer une « fausse » adresse

La stratégie d’utiliser une « fausse » adresse postale est aussi mobilisée. Le fait d’avoir des membres de la famille résidant dans d’autres quartiers de Montréal constitue un capital social (Bourdieu, 1980), transformé en capital spatial, en capital de position (Barthon et Monfroy, 2011) :

Eux, ils ont fait un tour de passe-passe. Il [l’enfant] va à l’école à Ahuntsic […]. En fait, ils ont pris l’adresse de ses parents (rires).

Martin, doctorat, 50 000 $ et plus, natif du Québec, marié, deux enfants

De plus, les parents d’enfants habitant dans des maisons séparées dans des quartiers distincts détiennent un double capital de position et de situation (Barthon et Monfroy, 2011). Ils peuvent décider d’activer ou non ces formes de capital spatial. Ces stratégies sont liées à la volonté de détourner les délimitations administratives ou réglementaires des CSS, étant des effets structurels et/ou contextuels (Felouzis et al., 2013).

discussion

Le présent article a fait état d’un phénomène empirique encore relativement peu étudié au Québec, à Montréal. En combinant les données provenant de deux recherches qualitatives, l’analyse a fait ressortir des facteurs à la base des processus de choix parentaux. Elle a révélé qu’un bon nombre de parents mettent en place diverses stratégies afin d’augmenter les chances d’accéder aux écoles secondaires qu’ils souhaitent pour leurs enfants. Ces stratégies, plus ou moins complexes, sont élaborées dans un contexte du MS régi par des contraintes contextuelles et structurelles (politiques publiques, règles d’inscription, bassin de recrutement, gestion des flux d’élèves, passation d’examens, etc.). En effet, des parents choisissent leur quartier de résidence, relativisent la distance, dégagent une marge de manoeuvre financière, préparent leurs enfants aux examens d’entrée, font passer plusieurs examens d’entrée à leurs enfants, demandent des dérogations et/ou utilisent de « fausses » adresses résidentielles. Les parents font donc souvent preuve de créativité ou d’inventivité afin de contourner certaines barrières et être en mesure de faire bénéficier leur enfant d’options scolaires plus variées. Si ces stratégies sont généralement déployées en réponse au MS hiérarchisé (Kamanzi, 2019 ; Maroy et Kamanzi, 2017), elles peuvent aussi être liées au MS spécialisé, une caractéristique du MS montréalais encore peu examinée.

Plus précisément, cet article a permis de réaliser une analyse ancrée dans le MS montréalais. Il en ressort que la mise en place de stratégies d’accès doit notamment être comprise en relation aux facteurs structurels et contextuels le caractérisant. Par exemple, la stratégie de choisir son quartier est notamment liée à la distribution inégale des écoles réputées sur les territoires résidentiels, le développement inégal du transport en commun et la répartition inégale de la population sur le plan social et ethnoculturel ou racial sur le territoire montréalais. La hiérarchisation de l’offre éducative (Kamanzi, 2019 ; Laplante et al., 2018 ; Maroy et Kamanzi, 2017 ; Pilote et al., 2018), mais aussi sa spécialisation, la concurrence pour les places limitées dans les écoles privées ou publiques réputées (Larose, 2016) ou convoitées en raison de leurs services spécialisés, et les pratiques des établissements (examen d’entrée, etc.) favorisent aussi la mise en place de stratégies d’accès. D’autres facteurs peuvent aussi faciliter les stratégies d’accès, tels que la présence d’une ligne de métro à proximité du lieu de résidence, la subvention à même les fonds publics d’écoles privées, la possibilité donnée aux parents d’opter pour une école d’un autre CSS que celui auquel ils sont rattachés, etc.

L’analyse a certes permis d’illustrer que les parents dotés de capitaux culturel, économique et social ont une certaine aisance à mobiliser les structures à leur avantage, à déjouer les contraintes structurelles, de même qu’à comprendre le MS montréalais. Ils s’approprient ses règles de fonctionnement, corroborant les constats de maintes études (Ball, 2003 ; van Zanten, 2009). Ils ont aussi une certaine facilité à mobiliser leurs capitaux (culturel, économique et social) pour les transformer en capital de position et en capital de situation (Barthon et Monfroy, 2011). Ce constat signale donc une inégalité devant les options éducatives présentes dans le MS montréalais, pouvant participer à la (re)production des inégalités par le choix de l’école ou du programme. En effet, sachant que la voie empruntée au secondaire (public régulier, public enrichi et privé) a un impact sur les chances d’accès au postsecondaire (Kamanzi, 2019 ; Laplante et al., 2018 ; Maroy et Kamanzi, 2017 ; Pilote et al., 2018), l’accès différencié aux options éducatives soulève le caractère systémique de la (re)production des inégalités sociales.

Or, l’analyse fine de certaines situations a permis de dégager un portrait un peu plus nuancé, et donc de peaufiner notre compréhension de la problématique à l’étude. En effet, les résultats illustrent que des parents moins dotés de capitaux culturel, économique et/ou social mettent en place des stratégies afin d’augmenter les chances de leurs enfants d’accéder aux écoles qu’ils souhaitent. Les configurations de capitaux possédés sont diverses. Par exemple, des parents dotés d’un capital culturel, mais estimant détenir peu de capital économique, établissent des stratégies résidentielles afin de se dégager une marge de manoeuvre financière. Ils mobilisent notamment leur capital culturel afin d’appréhender le MS montréalais, de réaliser une analyse des coûts liés aux choix des écoles secondaires, notamment en fonction des quartiers, mais aussi à l’intérieur de ceux-ci. En se négociant une marge de manoeuvre financière grâce à des stratégies résidentielles, ils arrivent à acquérir un capital de position et de situation (Barthon et Monfroy, 2011).

Aussi, l’analyse a révélé que des parents moins dotés de capitaux (culturel et/ou économique) arrivent à établir des stratégies d’accès aux écoles secondaires qu’ils souhaitent pour leurs enfants. En effet, ils choisissent leur quartier, dégagent une marge de manoeuvre financière afin d’accéder au PPP du secteur public, étant moins onéreux, ou relativisent la distance entre leur résidence et l’école voulue ou choisie. Comme illustré, la représentation hiérarchisée des quartiers et la représentation hiérarchisée de l’offre éducative (public régulier, public enrichi et sélectif, et privé) fortement véhiculées dans l’espace public, mais aussi dans les réseaux sociaux de ces parents (capital social), peuvent expliquer en partie ces situations. En effet, le niveau de confiance général dans l’éducation publique influe sur les pratiques de choix des parents (Poikolainen, 2012).

Ces situations pourraient aussi être expliquées par la normalisation du phénomène du choix de l’école secondaire de ses enfants dans le MS montréalais, et donc atteignant de plus en plus les classes moins favorisées ou populaires (Bonal, Zancajo et Verger, 2017). Cette piste d’interprétation devrait être creusée considérant que des pratiques distinctes de sélection d’une école en fonction de la classe sociale sont constatées dans d’autres contextes urbains (DeSena, 2006). Les aspirations scolaires ambitieuses des parents immigrants — et ce, indépendamment de leur classe sociale (Changkakoti et Akkari, 2008) — pourraient aussi offrir une explication à ces situations. En effet, la migration, souvent utilisée comme un moyen d’émancipation sociale, notamment à travers l’éducation des enfants (Adams et Kirova, 2007), pourrait inciter des parents immigrants, plus ou moins dotés en capitaux, à élaborer des stratégies d’accès. Une interprétation également mise de l’avant par Byrne et De Tona (2012).

On peut donc penser que les stratégies afin de choisir l’école secondaire constituent, pour plusieurs parents interrogés, un levier de reproduction sociale, mais aussi, pour certains, un outil de mobilité sociale ascendante. En effet, ces parents souhaiteraient, bien souvent, augmenter les chances de leurs enfants de maintenir le statut social ou de réussir une mobilité sociale ascendante par l’intermédiaire de l’école. Mais aussi d’autres motifs sont à la base des stratégies, tels que la recherche d’écoles en correspondance avec les champs d’intérêt, capacités ou besoins des enfants, le bien-être physique et psychologique des enfants, etc. Ces motifs sont notamment liés à la norme parentale qui est de s’assurer que les enfants évoluent dans des environnements garantissant leur bien-être physique et psychologique et leur plein potentiel, un phénomène nommé Concerted cultivation (Davies et Aurini, 2008), surtout trouvé dans les classes moyennes ou supérieures, mais gagnant de plus en plus les classes populaires ou plus défavorisées.

Des limites méthodologiques, certaines communes aux deux recherches qualitatives sur lesquelles se base cet article, ont restreint le champ de l’enquête. Premièrement, les parents passablement scolarisés sont en surnombre dans le corpus. L’analyse exposée se limite essentiellement à certains profils, et n’est donc pas représentative des parents montréalais. Des recherches portant sur des parents moins scolarisés et étant plus ou moins favorisés devraient être menées afin de corroborer, nuancer ou réfuter les constats mis de l’avant dans cet article. Deuxièmement, le recrutement fut ouvert aux parents immigrants, et ce, indépendamment de leur pays d’origine. Or, la littérature suggère des logiques distinctes concernant l’éducation des enfants selon les communautés ethnoculturelles (Bakhshaei, 2013 ; Sun, 2013). Il serait donc pertinent de réaliser des recherches ciblant spécifiquement des communautés ethnoculturelles.

Troisièmement, l’éparpillement géographique des participant·e·s ne permet pas de comparer leurs points de vue sur les mêmes quartiers et les mêmes écoles. Des études portant sur des arrondissements (ou villes), des quartiers d’arrondissements, ciblés de la région de Montréal devraient être menées afin d’obtenir des résultats plus contextualisés, ce qui permettrait de creuser les résultats présentés. D’ailleurs, il convient de souligner que l’utilisation de découpages géographiques plus précis que celui d’arrondissement (ou ville), voire que celui de quartier d’arrondissement, pourrait permettre de réaliser une analyse plus fine des stratégies mobilisées dans un territoire donné. Quatrièmement, des études portant sur les stratégies de choix de parents montréalais qui optent pour des écoles anglophones (publiques, ou privées subventionnées) ou des écoles privées non subventionnées devraient être réalisées afin d’obtenir un portrait plus global de la situation à Montréal. Finalement, des recherches portant sur d’autres centres urbains du Québec devraient aussi être menées.

conclusion

Cet article met de l’avant les stratégies mobilisées par des parents, et les facteurs les expliquant, afin d’accéder aux écoles secondaires qu’ils souhaitent pour leurs enfants dans le contexte du MS montréalais. Il s’agissait de poser un regard sociologique sur la pratique du choix de l’école au Québec, étant de plus en plus courante dans les régions urbaines, dont Montréal fait partie. En mobilisant une approche qualitative/interprétative, cet article approfondit la compréhension des dynamiques constitutives du MS montréalais, et plus largement des MS au Québec, et leurs effets sur la (re)production des inégalités sociales. En effet, il met en lumière un enjeu d’équité devant les options scolaires, pouvant participer à la reproduction sociale par le choix de l’école secondaire, mais aussi de possibles phénomènes de mobilité sociale ascendante non perçus par les recherches quantitatives, dominant le champ d’études au Québec. Il permet aussi l’avancement des connaissances dans le domaine de recherche sur le choix de l’école. Ancré dans le contexte québécois et montréalais, il illustre comment les facteurs structurels et contextuels cadrent la mise en place par les parents de stratégies d’accès aux écoles. Ce constat offre un cadre interprétatif pertinent aux variations dans les résultats des recherches dans des contextes locaux distincts, notamment en ce qui a trait aux pratiques de choix de l’école de parents appartenant aux classes populaires ou défavorisées.

Les résultats obtenus permettent de formuler des recommandations aux décideurs politiques ou administrateurs du milieu scolaire dans une perspective d’équité et de justice sociale. Dans l’état actuel du système éducatif, les résultats soulignent l’importance de mettre en place des politiques ou directives travaillant à réduire les inégalités sociales d’accès aux différentes options scolaires. L’alternative serait de changer les critères d’admission des PPP du secteur public, notamment ceux qui proposent un programme enrichi, voire des écoles privées, afin qu’ils ou elles admettent davantage d’élèves issus de milieux moins favorisés et moins scolarisés. À cet effet, des CSS ont récemment interdit les examens d’entrée pour leur PPP et/ou réduit les frais de scolarité qui leur sont associés (Nadeau, 2022).