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introduction

Ces dernières années, la culture des cabinets d’avocats a de plus en plus attiré l’attention des chercheurs (Sommerlad, 2016 ; Oakley et Vaughan, 2019). Les études révèlent que cette culture fournit l’infrastructure relationnelle permettant d’accorder aux avocats débutants le service de mentors fiables (Kay et Wallace, 2009 ; Westfahl et Wilkins, 2017) et des possibilités de perfectionnement professionnel grâce à des affectations stimulantes (Kay et Gorman, 2012). Elle établit également des pratiques normatives concernant les attentes en milieu de travail, y compris le rythme de travail et les heures facturables (Fortney, 2000), la disponibilité des avocats en dehors des heures de travail grâce à la technologie mobile (Choroszewicz et Kay, 2019) et l’appui des dirigeants des cabinets aux politiques de travail flexible (Easteal et al., 2015) et de congé parental (Kay et al., 2016). À bien des égards, la culture du cabinet façonne la compréhension qu’ont les avocats de la « manière dont les choses se font » dans leur cabinet (Chambliss, 2010 : 1). Celle-ci a également des répercussions sur le comportement éthique des avocats. Certaines études portent sur les cultures qui transmettent des normes éthiques et réglementent le comportement des avocats pour assurer le respect de ces normes (Parker et Aitken, 2011 ; Pearce et Wald, 2013). D’autres observent des cultures qui normalisent les comportements à risque et les pratiques irresponsables (Oakley et Vaughan, 2019). Au-delà de ces nombreuses facettes de la socialisation professionnelle (mentorat, perfectionnement, attentes professionnelles et éthiques), la culture d’un cabinet définit aussi comment y sont accueillis divers groupes (les femmes, les minorités raciales et les avocats des classes populaires) selon les pratiques de recrutement et de promotion (Acker, 2009 ; Gorman et Kay, 2010 ; Rivera et Tilcsik, 2016 ; Sommerlad, 2016 ; Westfahl et Wilkins, 2017). Les nouveaux diplômés en droit savent que des cultures distinctes imprègnent les cabinets d’avocats et ils évaluent consciencieusement leur « compatibilité » avec la culture du cabinet où ils désirent postuler (Rowan et Vaughan, 2018).

Dans la mesure où la culture d’un cabinet apporte des occasions d’embauche, de perfectionnement professionnel et d’avancement, il est probable qu’elle joue également sur la satisfaction professionnelle des avocats et sur leur engagement à demeurer dans le cabinet. Pourtant, nous savons peu de choses sur le rôle de la culture des cabinets dans la rétention en poste des avocats. Ce que l’on sait, c’est que les carrières changent et que le roulement du personnel est un défi croissant pour de nombreux cabinets. La fluidité et la possibilité de progresser dans les échelons d’un cabinet sont beaucoup moins prévisibles qu’il y a quelques années (King et al., 2005). De plus, les avocats nouvellement admis peuvent adopter des stratégies pour accroître leur visibilité professionnelle en changeant non seulement de cabinet, mais également d’organisation (Rong et Grover, 2009). Ainsi, les avocats peuvent ne plus considérer le fait de « gravir les échelons » comme une réalité se produisant à l’intérieur d’un seul cabinet ni même en passant d’un cabinet à l’autre. Les carrières sont de plus en plus ouvertes (Inkson et al., 2012) et les avocats quittent les cabinets pour d’autres cadres de travail, notamment comme conseillers en entreprise ou employés du gouvernement (Kay, 1997 ; Epstein et Kolker, 2013).

Le présent article a pour objectif de comprendre les facteurs organisationnels et culturels qui poussent les avocats à quitter complètement les cabinets. Nous utilisons une étude longitudinale sur 1 007 avocats et avocates qui ont amorcé leur carrière dans des cabinets du secteur privé en Ontario. Jusqu’à présent, la recherche s’est concentrée sur le roulement global du personnel à l’intérieur d’un même cabinet (Kmec, 2007) et sur le roulement des employés quittant leur travail (Park et Sandefur, 2003 ; Preenan et al., 2011). D’autres recherches ont examiné la mobilité d’emploi entre divers secteurs du marché du travail (Dobrev, 2005 ; Kay et al., 2013). Le thème de la sortie complète des avocats du secteur des cabinets n’a pas fait l’objet d’études approfondies. Pourtant, de plus en plus de recherches laissent supposer que les cabinets d’avocats affrontent des défis particuliers en ce qui concerne le roulement du personnel, surtout chez les femmes (Noonan et Corcoran, 2004 ; Beckman et Phillips, 2005 ; Cheng, 2017 ; Peery, 2018). Certaines études suggèrent que la culture régnant dans les cabinets d’avocats pourrait entraîner l’exode des femmes hors de ces cabinets privés et de leurs pratiques (Acker, 2009 ; Kay et al., 2013 ; Sommerlad, 2016 ; Sterling et Reichman, 2016). Nous analysons le roulement de personnel dans le milieu des cabinets d’avocats en tenant compte des trajectoires de carrière. Plutôt que de nous concentrer sur la période pendant laquelle les débutants restent au service de cabinets d’avocats ou sur le va-et-vient des avocats entre cabinets rivaux, nous explorons la question de la rétention à long terme des avocats au sein des cabinets en tant que secteur du marché du travail juridique.

Notre étude sur le roulement porte sur deux aspects. Tout d’abord, nous cherchons les modalités temporelles associées au départ des cabinets tout au long d’une carrière. Ce faisant, nous recensons les périodes d’instabilité et nous documentons la différence entre hommes et femmes pour ce qui est du risque de départ précoce. Deuxièmement, nous examinons les aspects de la culture et de la structure des cabinets qui peuvent inciter un avocat à quitter le milieu juridique. Pour ce faire, nous nous inspirons de l’étude d’Emmanuel Lazega sur l’action collective dans les cabinets d’avocats (2001), et de la recherche sur le roulement dans la littérature sur la sociologie du travail et des professions. Lazega (2001) attire notre attention sur la coopération au sein des cabinets, et sur la manière dont les systèmes de parrainage et les politiques de « bien-être » répartissent les pouvoirs et entretiennent la solidarité grâce à des relations de travail durables. La recherche sur le roulement confirme la contribution de ces systèmes (comme la collégialité, le mentorat et les politiques en milieu de travail) (Dhar et Dhar, 2010 ; Moen et al., 2011 ; Paustian-Underdaul et al., 2017). Elle reconnaît l’importance que revêtent la satisfaction des avocats par rapport aux récompenses liées au statut (Buttner et Lowe, 2017) et les évaluations d’affinité ou de « compatibilité culturelle » avec un cabinet (Rowan et Vaughan, 2018), ainsi que le rôle de la personnalité dans la loyauté à l’égard d’un cabinet (Preenan et al., 2011). Cette approche apporte un nouvel éclairage sur les difficultés qu’éprouvent les cabinets dans leurs efforts pour bâtir des communautés unies et conserver leurs talents juridiques.

Nous commençons notre travail en nous concentrant sur le moment où les avocats trouvent leur premier emploi en cabinet privé. Selon les recherches, l’entrée sur le marché du travail joue un rôle central dans l’élaboration des cheminements de carrière (Hagan et Kay, 1995 ; Acosta-Ballesteros et al., 2018). Les nouveaux professionnels reçoivent plus de formation et de mentorat durant cette période que plus tard dans leur carrière (Kay et al., 2009). Ces expériences de perfectionnement professionnel créent un sentiment d’appartenance et d’allégeance au cabinet d’avocats (Sosik et al., 2005). Toutefois, les premiers stades de la carrière sont également marqués par une mobilité considérable. Une fois qu’ils occupent des postes de débutants, certains avocats passent d’un cabinet à l’autre et changent de milieu afin de trouver une meilleure adéquation entre leurs aspirations et les possibilités du marché (Stumpf, 2014). La source de données utilisée pour la présente étude convient particulièrement bien au suivi des cheminements de carrière, car sa conception longitudinale nous permet de suivre les avocats dans leurs multiples changements d’emploi. La principale limite de nombreuses études est leur dépendance aux données transversales, qui ne permettent pas de savoir si les informations sur les conditions de travail, obtenues à un moment donné, sont toujours effectives ni même si les aspirations individuelles sont encore stables, et de connaître leurs répercussions à long terme. Les données longitudinales, quant à elles, aident à clarifier les questions de séquence causale (Van Dick et al., 2004). Si l’on comprend les circonstances et les motivations qui incitent les avocats à quitter les cabinets, on peut savoir quels aspects de la culture du cabinet et quelles occasions d’avancement comptent le plus pour les avocats, et comment les cabinets peuvent renforcer la stabilité et l’efficacité de leur organisation (Cho et Huang, 2011). Nous passons en revue deux domaines de recherche qui éclairent notre analyse : les études sur la structure et la culture des cabinets d’avocats et les études plus générales sur le roulement.

contexte

Études sur les cabinets d’avocats : structures et cultures en évolution

Les études sur les cabinets d’avocats portent sur trois grandes dimensions : la structure organisationnelle ; les relations avec les clients ; et les normes sociales. Les premières études concernant la structure organisationnelle ont documenté l’entente de « promotion ou licenciement » (up or outarrangement), selon laquelle les avocats sont embauchés pour une période d’essai de 6 à 10 ans à compter de la fin de leurs études de droit. Après cette période, les associés peuvent envisager d’inviter les avocats sociétaires à entrer dans le cercle des associés du cabinet (Smigel, 1969 ; Nelson, 1988 ; Galanter et Palay, 1991). Au cours des dernières décennies, la structure organisationnelle des cabinets a changé pour faire place à une augmentation des associés sans participation et des avocats qui ne seront jamais considérés comme associés (Gorman, 1999), ce qui suggère une structure organisationnelle plus complexe et élargie (Galanter et Henderson, 2008). Des études sur les relations entre les clients et les cabinets d’avocats révèlent que les sociétés clientes font de plus en plus de recherches pour choisir leur cabinet, ce qui crée une grande concurrence (Nelson, 1988 ; Abel, 1989). D’autres études révèlent que les sociétés clientes peuvent influencer l’embauche et les promotions au sein des cabinets (Beckman et Phillips, 2005) et orienter le travail des avocats pour répondre aux demandes des clients (Liu, 2006), ce qui peut entraîner une perte d’autonomie et d’indépendance professionnelles pour les avocats des cabinets (Dinovitzer et al., 2014).

Les études sur les normes sociales au sein des cabinets montrent également que des changements importants se sont opérés au cours des dernières décennies. Les premières études affirmaient que le comportement des grands cabinets d’avocats était régi par des normes sociales liées au concept de collégialité (Mayer, 1966 ; Nelson, 1988)[1]. Les associés valorisaient le sentiment de communauté découlant des relations personnelles entre égaux (Glendon, 1994 ; Gorman, 1999). Dans les années 1980, de nouvelles valeurs ont commencé à saper l’idéal de la collégialité. Les grands cabinets d’avocats ont mis de plus en plus l’accent sur la réussite financière (Kronman, 1993) et ramené au nombre d’heures facturées la réussite des avocats (Glendon, 1994). Les avocats — y compris les associés — qui n’obtenaient pas les résultats escomptés ont vu leur rémunération réduite ou leur affiliation au cabinet révoquée (Abel, 1989 ; Galanter et Palay, 1991 ; Gorman, 1999). Certains chercheurs ont décrit cette nouvelle ère comme une période de commercialisation croissante et de déclin du professionnalisme (Galanter et Palay, 1991 ; Nelson et Trubek, 1992). En observant la commercialisation et la mondialisation des grands cabinets d’avocats (Flood et Sosa, 2008 ; Flood, 2011), la diversification démographique interne (Gorman et Kay, 2020) et l’impact de la technologie sur la nature du travail juridique (Flood et Robb, 2019), certains chercheurs ont prédit que la collégialité serait supplantée par la bureaucratie (Abel, 2004).

Il est clair que les cabinets d’avocats, en particulier les grands cabinets, ont connu des changements considérables au cours des cinquante dernières années. Mais la collégialité a-t-elle vraiment disparu ? Les données semblent indiquer qu’il existe toujours de la coopération dans les organisations collégiales, comme les cabinets d’avocats, mais qu’elle se manifeste autrement que par la simple mise en commun des compétences des avocats pour résoudre des problèmes juridiques (Waters, 1993 ; Lazega, 2000, 2020). L’un des meilleurs comptes rendus de la coopération au sein des cabinets d’avocats est celui d’Emmanuel Lazega dans son ouvrage The Collegial Phenomenon (2001), dans lequel il examine la dynamique interne d’un grand cabinet d’avocats dans le nord-est des États-Unis. Lazega recense plusieurs mécanismes sociaux de solidarité et de contrôle qui aident les organisations collégiales à maintenir la coopération et à prévenir la défection (c’est-à-dire le réflexe de démissionner). Premièrement, un « système de protection du bien commun » officiel fondé sur des règles formelles — qui repose sur des politiques et offre des ressources aux membres — fournit les procédures pour guider l’apport de travail (accepter ou non un dossier) et l’attribution (qui fera le travail). Ce système de protection du bien commun signale ainsi un comportement solidaire (Lazega, 2000 : 246). Il est indissociable d’un deuxième système : un système de parrainage informel, ou une procédure clientéliste. Dans le parrainage informel, les associés et les avocats sociétaires se choisissent mutuellement pour le mentorat des avocats sociétaires et la répartition du travail des associés en fonction de critères stratégiques et de la réputation (Lazega, 2000 : 249). Cependant, le parrainage constitue également une menace pour l’intégration au sein d’un cabinet, car il crée des liens de travail étroits entre les finders (ceux qui recrutent les clients) et les grinders (les avocats débutants qui font une grande partie du travail), qui sont alors en mesure de partir et de lancer leur propre cabinet.

Cependant, selon Lazega, un troisième processus, la « recherche de niches sociales », aide le système de protection du bien commun à contrôler le système de parrainage (2000 : 258). Dans les comportements de recherche de niches, les avocats recherchent des collègues talentueux et fiables du même rang qu’eux pour les conseiller et les aider à gérer leur charge de travail (Lazega, 1999). Il est dans l’intérêt des avocats de s’associer à des collègues fiables du même bureau, de la même spécialité, voire du même statut hiérarchique. Ce raisonnement de recherche de niches pour choisir les avocats avec qui faire équipe, pour développer des relations de travail solides et fiables, permet de forger une coopération durable et un partage des ressources sur une base de confiance (Lazega et Pattison, 1999). Lazega soutient que le cabinet « demeure un cabinet parce que la coexistence de deux systèmes de solidarité interdépendants, le système de protection du bien commun et le parrainage, crée un modèle spécifique et stable de relations de travail » (2000 : 257) (notre traduction).

Dans son étude marquante, Lazega affirme que l’idéologie de la collégialité reste importante pour la capacité des cabinets à retenir des avocats talentueux (ainsi que leur réseau de clients) : les réseaux informels de coopération, de conseils et de relations d’« amitié » (socialisation externe) sont essentiels à l’intégration au sein d’un cabinet (Lazega, 2000 : 247). La recherche de Lazega utilise l’analyse de réseaux pour décrire la structure informelle au sein d’un seul cabinet d’avocats, et son travail nous encourage à réfléchir plus largement aux dimensions substantielles de la collégialité. Dans notre étude, nous essayons de mettre en évidence trois dimensions de la collégialité dans les cabinets d’avocats qui peuvent renforcer la solidarité et réduire le roulement. Tout d’abord, nous évaluons la satisfaction des avocats à l’égard de leurs relations de travail avec leurs collègues (conformément à ce que relève Lazega sur la coopération entre avocats, ou la « recherche de niches sociales »). Ensuite, nous examinons l’impact des politiques organisationnelles, telles que les horaires flexibles, qui indiquent que les dirigeants des cabinets apprécient leurs avocats en tant que personnes ayant des responsabilités et une vie en dehors du cabinet (ce qui va dans le sens des observations de Lazega sur le « système de protection du bien commun » et les politiques de distribution des ressources). Enfin, nous étudions l’impact des mentors sur la rétention dans les cabinets (pour faire suite aux propos de Lazega sur le parrainage). À ces trois dimensions, nous ajoutons les facteurs recensés dans les recherches sur le roulement. Dans la section ci-dessous, nous passons en revue les études sur le roulement dans la littérature sur la sociologie du travail et des professions.

Études sur les processus de roulement

La littérature sur le roulement souligne l’importance de la satisfaction liée aux récompenses professionnelles, extrinsèques et intrinsèques, dans les intentions de changement d’emploi (van Dam, 2005 ; Li et al., 2018) et le roulement réel (Jo et Ellingson, 2019). Les récompenses extrinsèques, telles qu’un salaire concurrentiel, des avantages sociaux attrayants et des possibilités de promotion, sont considérées comme essentielles pour retenir les professionnels (Buttner et Lowe, 2017). Les récompenses intrinsèques, comme un climat chaleureux de collégialité, marqué par le travail d’équipe et les offres d’aide pour résoudre les problèmes et réduire la surcharge de travail, sont également très appréciées par les professionnels et favorisent la loyauté à l’égard du cabinet (Dhar et Dhar, 2010). L’importance de la collégialité pour l’attachement au cabinet fait écho à ce qu’avance Lazega (2001) sur le désir des avocats d’établir des relations durables et fiables avec leurs collègues en cherchant des niches sociales.

La satisfaction au travail dépend aussi des attentes de chacun. Des recherches antérieures ont démontré que les attentes et les perspectives d’avenir ont une grande influence sur le roulement de personnel (van Dam, 2005). Les attentes peuvent être particulièrement grandes chez les professionnels. Des études ont démontré que les employés ayant un niveau de scolarité élevé deviennent rapidement insatisfaits quand un emploi ne répond pas à leurs attentes, et qu’ils peuvent alors quitter l’organisation pour saisir d’autres occasions (Lake et al., 2018). Ces attentes sont sans doute liées au fait que la personne a obtenu ou non le genre de travail qu’elle désirait le plus au moment de sa recherche d’emploi (Wallace, 2001), aux comparaisons faites avec les pairs travaillant dans d’autres contextes organisationnels (Margolis et Dust, 2019) et aux évaluations du poste lui-même, pour ce qui est des conditions de travail et des avantages offerts par le cabinet (Stumpf, 2014). Les gens ayant des attentes plus réalistes demeurent souvent plus longtemps chez leur premier employeur. Toutefois, de nombreux avocats, pendant leurs années de formation professionnelle, ressentent un écart marqué entre les idéaux entretenus au cours de leurs études de droit et les réalités du travail quotidien. Tout particulièrement, les nouveaux diplômés n’ayant pas obtenu leur poste de prédilection dans le cadre de leur premier emploi peuvent commencer à hésiter quant à leur engagement à long terme à l’égard de leur cabinet et chercher un nouvel emploi correspondant mieux à leurs préférences. Cette recherche d’affinités est conforme aux études suggérant que les avocats évaluent leur « compatibilité » avec la culture d’un cabinet, tant dans leur recherche d’emploi initiale que dans l’évaluation ultérieure de leur emploi (Rivera et Tilcsik, 2016 ; Rowan et Vaughan, 2018).

Même les avocats qui ont été embauchés dans des cabinets où ils souhaitaient fortement lancer leur carrière sont loin d’y avoir un avenir assuré. Ils peuvent être licenciés à la suite d’une période probatoire, se voir refuser une promotion ou choisir de partir prématurément parce qu’on leur offre un emploi plus intéressant ailleurs. Le degré d’intégration des avocats au sein du cabinet peut déterminer la continuité de leur service. Le terme « intégration » reflète l’idée d’engagement et les liens qui unissent les employés entre eux et avec le cabinet où ils travaillent (Mitchell et al., 2001). L’une des stratégies adoptées par les entreprises pour améliorer l’intégration des employés consiste à leur offrir des horaires de travail flexibles et des programmes adaptés à la famille (Crossley et al., 2007 ; Tremblay et Mascova, 2013). De nombreux chercheurs soutiennent qu’une plus grande flexibilité favorise la rétention des employés, surtout ceux qui sont constamment surchargés de travail et contraints par le temps (Armstrong et al., 2007 ; Moen et al., 2011). Pour retenir leurs employés les plus précieux, certains employeurs ont adopté des politiques de conciliation travail-famille, comme des horaires flexibles (Yaish et Stier, 2009 ; Rubin et Brody, 2011). Ces politiques en milieu de travail renforcent les liens entre collègues et favorisent l’attachement au cabinet (Benson et Brown, 2007). Même si les employés ne se prévalent pas des prérogatives attachées à ces politiques, le fait qu’elles leur soient offertes leur indique clairement que la direction du cabinet valorise ses employés et reconnaît l’importance de leur engagement personnel et familial (Mennino et al., 2005). Par conséquent, on s’attend à ce que les cabinets offrant ces avantages connaissent un taux de roulement plus faible. Une politique d’horaires de travail flexibles va dans le sens des propos de Lazega (2001) sur les politiques de « protection du bien commun » des cabinets d’avocats, en visant à accommoder les avocats ayant des responsabilités familiales.

Au-delà de la satisfaction par rapport au climat de collégialité du cabinet et aux récompenses liées au statut (p. ex., la paie, les promotions), des attentes par rapport au travail et de la compatibilité avec le cabinet ainsi que des politiques en milieu de travail, les traits de caractère sont un aspect intimement lié au roulement de personnel. Parmi les traits de caractère déterminants, il y a le besoin d’accomplissement. En effet, on a constaté que les professionnels visant fortement la réussite ont des taux de mobilité plus élevés (Dobrev, 2005). Le besoin d’accomplissement est profondément enraciné dans le sentiment du pouvoir personnel de chacun. L’aspect le plus étudié du pouvoir personnel par rapport au milieu de travail est peut-être le locus de contrôle, à savoir la mesure dans laquelle les gens croient que ce sont eux qui provoquent les événements marquants de leur vie, plutôt que des facteurs extérieurs comme le hasard ou les contacts avec des personnes bien placées (Levenson, 1974). Nous avons constaté qu’il existe une relation indéniable entre le locus de contrôle interne et la satisfaction au travail (Firth et al., 2004). Des études menées auprès de professionnels et de techniciens informatiques (Rong et Grover, 2009), d’avocats (Kay et Hagan, 2003), et de travailleurs de la santé et de la sécurité sociale (Preenenen et al., 2011) montrent que ceux qui ont des motivations intrinsèques, comme un locus de contrôle, risquent le plus de changer de poste, surtout lorsque le travail n’est pas stimulant et qu’il offre peu d’occasions de visibilité et de promotion. Ainsi, un fort locus de contrôle peut être un puissant motivateur pour quitter un cabinet.

En même temps, les cabinets s’efforcent d’offrir de belles occasions d’avancement et une rémunération attrayante pour retenir les avocats motivés. Les cabinets visent également à favoriser la coopération et les possibilités de développement afin de nourrir l’intégration et l’attachement au cabinet. Les cultures du milieu de travail qui valorisent le développement professionnel en amont grâce aux conseils de mentors dévoués peuvent s’avérer particulièrement efficaces pour réduire le roulement de personnel. Les mentors peuvent encourager les avocats débutants à poursuivre leur carrière au privé, notamment dans les cabinets d’avocats. Les mentors offrent aux recrues du cabinet de précieuses occasions de démontrer leurs compétences en leur confiant des tâches stimulantes (Kmec, 2007). Ces occasions favorisent une bonne visibilité auprès des dirigeants (Sosik et al., 2005). De nombreuses études ont souligné l’importance de la culture organisationnelle et des groupes d’apprentissage, notamment par le mentorat, pour la satisfaction et l’efficacité au travail des professionnels (Sander, 2006 ; Paustian-Underdahl et al., 2017). Dans les cabinets qui ne réussissent pas à offrir un climat de collégialité hospitalier et des occasions pour se perfectionner sur le plan professionnel, ces lacunes incitent souvent les avocats débutants à chercher un emploi ailleurs (Wilkins et Gulati, 1996 ; Payne-Pikus et al., 2010 ; Gorman et Kay, 2020). L’attention portée au mentorat dans les études sur le roulement est parallèle à la discussion de Lazega (2001) sur le parrainage dans les cabinets d’avocats, à une exception près. Les études sur le roulement ont tendance à considérer le mentorat comme un bien non qualifié qui offre aux avocats débutants du perfectionnement professionnel, des conseils fiables et une meilleure visibilité auprès des dirigeants de cabinets. Un mentorat efficace développe des talents prometteurs, intègre les avocats dans la culture du cabinet et ouvre la voie au statut d’associé. En revanche, Lazega (2001) reconnaît que le parrainage, tout en perfectionnant les compétences des avocats débutants, représente une grave menace pour le cabinet, car il crée des liens solides entre les finders et les grinders, qui peuvent alors décider de partir pour établir leur propre cabinet.

Notre examen des études sur le roulement nous amène à intégrer plusieurs facteurs dans notre analyse. Nous examinons la satisfaction des avocats quant aux récompenses liées au statut et à la collégialité, ainsi que leur évaluation de leurs affinités professionnelles ou de leur compatibilité culturelle avec le cabinet. Nous évaluons également les effets des politiques d’horaires flexibles, de la personnalité sous l’angle du locus de contrôle, et des possibilités de mentorat. Plusieurs de ces facteurs se retrouvent également dans l’explication de Lazega sur la manière dont les cabinets d’avocats contrôlent la menace de comportements opportunistes, tels que la défection du cabinet. Rappelons que dans ses recherches sur les réseaux, Lazega (2000 et 2001) a démontré que les avocats recherchaient des collègues solides (en tant qu’entrepreneurs chercheurs de niches ayant besoin de collègues durables et fiables), que les cabinets d’avocats ont mis en place un système de protection du bien commun pour distribuer des ressources afin de soutenir leurs membres, et que le parrainage a été intégré à la structure des cabinets par le biais de duos d’associés mentors et d’avocats sociétaires. Ces recherches permettent de mieux comprendre les forces (individuelles, culturelles et structurelles) qui génèrent la rétention et le roulement dans les cabinets d’avocats.

méthodologie

Les données de la présente étude proviennent d’une enquête longitudinale par panel auprès d’avocats de l’Ontario. La province compte 37 % des avocats du pays (Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2019). Les données ont été recueillies à quatre moments différents et à des intervalles de six à huit ans, sur une période de dix-neuf ans, de 1990 à 2009. Nous avons choisi des intervalles relativement courts pour tenter de saisir les souvenirs encore frais des participants quant à leurs antécédents professionnels et à leurs conditions de travail récentes (Manzoni et al., 2010). L’échantillon initial était constitué d’avocats choisis aléatoirement et était stratifié de façon disproportionnée, à partir du registre des membres du Barreau de l’Ontario. L’échantillon a été stratifié selon le sexe pour inclure un nombre égal d’hommes et de femmes admis au Barreau de l’Ontario entre 1975 et 1990, époque où un grand nombre de femmes ont commencé à exercer la profession. L’échantillon a également été stratifié de façon à inclure des avocats issus de différents domaines. Les questionnaires ont été envoyés directement aux lieux de travail des répondants. Des « vagues » d’enquête ont eu cours en 1990, 1996, 2002 et 2009, avec un taux de réponse impressionnant de 70 % en moyenne[2].

Les sondages ont été conçus selon un format unique, comprenant un calendrier des antécédents professionnels qui résumait les changements d’emploi au fil du temps. Chaque vague d’enquête a permis de recueillir de l’information sur un maximum de huit postes professionnels. Les sondages comprenaient également une série de questions sur la satisfaction au travail, les responsabilités professionnelles, les expériences de mentorat et les caractéristiques organisationnelles, ainsi que des questions sur la vie en dehors du droit, notamment la cohabitation et le mariage, les enfants et les congés parentaux. Les enquêtes menées de 1990 à 2009 ont été fusionnées, et les antécédents professionnels et personnels ont été intégrés dans des notices biographiques individuelles. Dans le présent article, l’échantillon se limite à 1 007 diplômés en droit qui ont commencé leur carrière dans un cabinet d’avocats privé. Le Tableau 1 énumère les statistiques opérationnelles et descriptives des variables utilisées dans l’analyse.

Tableau 1

Opérationnalisation et mesure des variables de l’étude

Opérationnalisation et mesure des variables de l’étude

Tableau 1 (continuation)

Opérationnalisation et mesure des variables de l’étude

Tableau 1 (continuation)

Opérationnalisation et mesure des variables de l’étude

*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 (tests bilatéraux) ; ns = résultat non significatif.

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Estimation

Les données de l’enquête ont été restructurées en un format d’historique des événements où une seule période correspond à chaque emploi occupé par chaque répondant pendant son expérience sur le marché du travail depuis la fin de ses études en droit. Ces périodes ont ensuite été divisées en segments de mois-personnes. Dans cette recherche, l’un des aspects les plus importants tient au fait que l’on a demandé aux répondants d’indiquer s’ils avaient changé d’emploi et à quel moment ils l’avaient fait, et de préciser si ces changements les avaient amenés à passer d’un cabinet d’avocats à l’exercice individuel de la profession ou à l’exercice du droit hors du secteur privé. Pour préciser les probabilités d’une transition vers des milieux autres que les cabinets d’avocats, nous avons produit un fichier de données avec des mois-personnes pour les avocats qui ont commencé leur carrière en cabinet. Ce fichier de données portait sur 427 mois et contenait 172 970 périodes de mois-personnes.

Afin d’examiner les taux de départ des cabinets privés, nous utilisons des modèles de risque qui estiment le logarithme de la mobilité professionnelle selon une fonction linéaire d’un vecteur de variables explicatives et de termes de durée. Plutôt que de choisir une forme paramétrique donnée pour le taux de transition, nous utilisons le modèle exponentiel par segments. C’est ce modèle qui impose le moins d’hypothèses de forme sur la distribution de base (Park et Sandefur, 2003 : 246). L’idée de base du modèle consiste à diviser l’axe du temps en périodes et à permettre au taux de transition de fluctuer d’une période à l’autre tout en maintenant des taux constants dans chacun des intervalles (Blossfeld et Rohwer, 2002). Le taux de mobilité à partir du premier emploi peut être exprimé comme suit :

cp est un coefficient constant variant avec chaque période, Z est un vecteur de covariables, et β est un vecteur associé de coefficients supposés constants dans le temps. Suivant la notation de Blossfeld et Rohwer (2002), dans ce modèle, le vecteur des covariables ne contient pas de constante séparée[3].

Avant d’aborder les effets de la démographie, du capital humain, du contexte organisationnel et des attributs individuels sur la mobilité professionnelle, nous décrivons les différences générales entre les sexes dans le processus d’abandon des premiers emplois dans les cabinets d’avocats, en utilisant l’estimateur Kaplan-Meier de la fonction de survie. La méthode d’estimation produit-limite (ou méthode Kaplan-Meier) de la fonction de survie fournit une description générale du processus à l’étude et est utile pour comparer graphiquement les fonctions de survie entre deux groupes ou plus (Blossfeld et Rohwer, 2002). Les fonctions des survivants montrent les proportions d’avocats qui restent dans les cabinets au fil du temps.

La Figure 1 présente les fonctions empiriques de survie selon le sexe pour les avocats qui quittent les cabinets et qui y ont commencé leur carrière après avoir obtenu leur diplôme de droit. Il est évident que les hommes et les femmes ont des tendances différentes en ce qui concerne le départ complet des cabinets d’avocats. Les hommes quittent les cabinets beaucoup plus lentement que les femmes. La Figure 1 indique que le temps médian de survie chez les hommes (le temps pendant lequel 50 % de l’échantillon n’a pas vécu l’événement et demeure donc dans les cabinets) correspond à plus du double de celui des femmes. En d’autres termes, plus de 20,8 ans (250 mois) après avoir commencé à travailler en cabinet, environ 50 % des hommes n’avaient pas quitté leur cabinet. En comparaison, 50 % des femmes ont quitté l’exercice de la profession en cabinet d’avocats avant d’avoir atteint 9,2 ans (110 mois) de service. Il est intéressant de noter que les taux de départ (ou de descente dans les estimations de survie) sont parallèles pour les hommes et les femmes pendant les 50 premiers mois (4,2 ans), puis que les trajectoires se divisent ensuite fortement, les femmes quittant les cabinets d’avocats à un rythme beaucoup plus rapide (comme le montre le déclin marqué de la courbe de survie des femmes).

Figure 1

Estimateur de Kaplan-Meier de la fonction de survie des transitions de carrière hors des cabinets d’avocats

Estimateur de Kaplan-Meier de la fonction de survie des transitions de carrière hors des cabinets d’avocats

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Bien que cette description fondée sur les fonctions de survie offre une image révélatrice des différences globales entre les sexes en matière de mobilité professionnelle à l’extérieur des cabinets d’avocats, elle ne tient pas compte des ressources des avocats, du contexte organisationnel ou du soutien social offert par les mentors. Nous explorons donc ensuite des modèles de survie multivariés pour évaluer les effets relatifs des déterminants de la mobilité professionnelle précisés dans la discussion théorique précédente. Le Modèle 1 agit comme modèle de référence et tient compte de variables de contrôle comme le contexte démographique et la situation familiale. Le Modèle 2 examine les effets du « capital humain » (Becker, 1990), soit par exemple les domaines du droit, les heures de travail et le recrutement des clients, et les caractéristiques organisationnelles (p. ex., la taille du cabinet). Le Modèle 3 inclut la satisfaction au travail, tandis que le Modèle 4 considère l’incidence du locus de contrôle. Enfin, le Modèle 5 détermine l’effet du mentorat sur les départs des cabinets. Les variables de contrôle utilisées dans chacun des modèles sont présentées dans le Tableau 1.

résultats

Comment le mouvement de départ du milieu des cabinets d’avocats varie-t-il avec le temps d’exercice ?

Dans le modèle exponentiel par segments, on suppose que le taux de mobilité varie d’une période à l’autre, mais qu’il demeure constant dans chaque période. Afin d’examiner l’évolution des taux sur la durée dans un état, nous avons divisé le temps dans le premier état en plusieurs intervalles. En nous fondant sur les analyses exploratoires de la distribution des transitions d’état entre les premières périodes sur le marché du travail (mesurées en mois) et pour maximiser la compatibilité du modèle, nous avons établi la durée des périodes de travail de manière à obtenir neuf segments dans lesquels le taux est limité pour être constant, mais varie autrement (Dobrev, 2005 : 809). Les périodes considérées sont les suivantes : 0 à 24 mois, 25 à 48 mois, 49 à 72 mois, 73 à 96 mois, 97 à 120 mois, 121 à 144 mois, 145 à 168 mois, 169 à 192 mois, 193 à 216 mois (durée de 2 ans), et finalement, 217 mois ou plus (catégorie de référence).

En examinant les ensembles d’estimations relatives à la durée des périodes d’emploi avant de quitter les cabinets d’avocats (voir le Modèle 1 du Tableau 2), on constate que le logarithme des taux de risque de base est plus élevé dans le premier intervalle (les deux premières années de pratique), puis diminue progressivement dans les intervalles suivants (3 à 14 ans). Les risques de quitter le milieu des cabinets d’avocats sont plus élevés au cours des six premières années, soit celles qui mènent aux décisions d’association dans les cabinets. Le risque de départ est particulièrement élevé au cours des deux premières années.

Pourquoi les risques de départ seraient-ils plus élevés au début de la carrière d’un avocat ? L’une des explications proposées est que les aspirations des avocats ne concordent pas avec les récompenses offertes par le cabinet. Certains avocats peuvent découvrir que les informations qu’ils ont reçues lors des entretiens d’embauches étaient imparfaites alors que d’autres peuvent avoir fait des compromis dans le but d’obtenir leur premier emploi (Blossfeld et Rohwer, 2002). Dans la phase initiale d’un nouvel emploi, il est relativement facile pour un professionnel de quitter son poste pour en chercher un meilleur ailleurs (Park et Sandefur, 2003). C’est pourquoi, au cours des deux premières années, les avocats évaluent très rapidement leur compatibilité avec leur milieu et leur longévité au sein du cabinet, et manoeuvrent parmi les cabinets pour améliorer leur statut. Toutefois, à mesure qu’augmentent les investissements dans le capital humain propre à l’emploi et que diminue l’incertitude quant à la compatibilité, le risque de départ diminue (Blossfeld et Rohwer, 2002). Pourtant, le départ n’est pas toujours volontaire. Au cours de cette phase de début de carrière, les avocats débutants sont susceptibles d’être licenciés à tout moment, y compris lors des évaluations régulières et des renouvellements de contrat, qui précèdent la décision relative au statut d’associé. Le système traditionnel de promotion ou de licenciement qui a dominé dans de nombreux cabinets (Gorman, 1999) ne donne pas aux avocats la possibilité de rester après s’être vu refuser le statut d’associé. Même l’expansion relativement récente des postes salariés et des postes sans participation aux profits (c’est-à-dire les postes d’associés salariés et d’avocats sociétaires permanents) (Galanter et Henderson, 2008) peut s’avérer insuffisante pour absorber le nombre croissant d’avocats sociétaires chevronnés. La huitième année représente le précipice, le moment où la plupart des décisions quant au statut d’associé sont prises, après quoi le risque de quitter un cabinet diminue sensiblement et continue de diminuer chaque année. Cependant, ces transitions, qu’elles soient volontaires ou involontaires, ne sont pas simplement dues à des transferts d’un cabinet à un autre : elles représentent un passage de la pratique en cabinet à des milieux de travail qui ne sont pas des cabinets.

Le Modèle 1 comprend également des variables démographiques et familiales. Ces variables agissent comme variables de contrôle. Le plus impressionnant est la différence entre les sexes en ce qui concerne la probabilité de quitter les cabinets d’avocats. Les femmes sont 36 % plus susceptibles que les hommes de quitter ce milieu[4]. En outre, les avocats mariés ou en cohabitation sont moins susceptibles de quitter les cabinets (HR = 0,776, p < 0,05) alors que les avocats avec enfants sont plus susceptibles de quitter les cabinets (HR = 1,546, p <0,001).

Comment le capital humain, les caractéristiques organisationnelles et la satisfaction au travail influencent-ils le départ des cabinets ?

Le Modèle 2 examine les effets du capital humain et des caractéristiques organisationnelles sur le roulement de personnel dans les cabinets. Pour ce qui est du capital humain, ni le statut de la faculté de droit fréquentée ni les différences dans la pratique du droit n’ont d’effet marquant sur les taux de départ des cabinets d’avocats. Les facteurs décisifs sont plutôt des mesures plus directes de productivité et de recrutement de la clientèle, qui sont prisées par les cabinets. Ceux-ci valorisent le succès des recruteurs de nouveaux clients, et les avocats ayant de tels talents sont susceptibles de rester en cabinet. En fait, ces avocats sont 26 % (p < 0,001) moins susceptibles de quitter les cabinets que ceux qui servent principalement les clients existants de leur cabinet. Les avocats débutants qui servent les clients commerciaux du cabinet sont encore moins susceptibles de quitter le cabinet. Les avocats qui passent la grande majorité de leur temps à servir des clients commerciaux sont 69 % moins susceptibles de quitter le cabinet que les avocats qui servent des clients particuliers (p <0,001). La facturation d’un nombre élevé d’heures de travail réduit également le risque de quitter un cabinet d’avocats (HR = 0,989, p < 0,001).

Le contexte organisationnel est également lié au roulement (voir Modèle 2 du Tableau 2). La taille de l’entreprise est particulièrement importante. Les avocats qui exercent leur profession au sein de petits cabinets de moins de dix avocats quittent leur milieu de travail à un taux beaucoup plus élevé que ceux des cabinets un peu plus gros (HR = 1,486, p <0,01). Les avocats de ces petits cabinets partent 49 % plus rapidement que ceux qui travaillent dans des cabinets de taille moyenne (10 à 19 avocats). Il semble par ailleurs que la politique d’horaires flexibles en milieu de travail soit efficace pour réduire le roulement de personnel (HR = 0,723, p< 0,001). Ces mesures d’adaptation, tout en exigeant un travail à temps plein, réduisent de 28 % les risques que les avocats quittent les cabinets.

La satisfaction au travail est reprise dans le Modèle 3 (voir Tableau 2). Le fait de décrocher un emploi hautement désiré au moment de l’entrée sur le marché du travail réduit les risques de quitter un cabinet (HR = 0,858, p < 0,001). Pareillement, l’adéquation précoce des aspirations et des offres retient les avocats au sein des cabinets. Les deux facettes de la satisfaction au travail jouent sur le roulement de personnel, mais dans des directions opposées. Les avocats qui sont satisfaits des récompenses offertes par le cabinet en fait de rémunération, d’avancement et de prestige sont moins susceptibles de quitter leur cabinet (HR = 0,815, p <0,01). Parallèlement, la satisfaction à l’égard des collègues augmente le risque de quitter le cabinet (HR = 1,117, p <0,01). Dans le Modèle 4 (voir Tableau 2), nous considérons l’incidence du locus de contrôle. Les avocats qui possèdent un fort locus de contrôle interne sont beaucoup plus susceptibles de quitter les cabinets (HR = 1,173, p <0,05). En effet, un fort locus de contrôle interne augmente le risque de quitter les cabinets d’avocats de 17 %, ce qui donne à penser que ce trait alimente la prise de risque, comme le fait de laisser derrière soi les récompenses de la pratique en cabinet d’avocats pour d’autres milieux, indépendamment des années d’expérience acquises en cabinet.

Le mentorat peut-il prévenir le départ des cabinets d’avocats ?

Le fait de bénéficier d’un mentor en début de carrière change la donne, bien que ce ne soit pas de la manière dont le laissent croire les recherches sur le mentorat, les réseaux sociaux et le roulement de personnel. Plutôt que d’encourager la rétention, la présence d’un mentor augmente la probabilité de quitter plus rapidement les cabinets d’avocats (HR = 1,464, p <0,001, voir le Modèle 5 du Tableau 2). Le risque de quitter un cabinet d’avocats augmente en effet de 46 % chez les répondants qui ont eu un mentor. Il convient de noter que ce n’est que dans ce modèle final, incluant les expériences de mentorat, que la différence entre les sexes en matière de roulement n’est plus statistiquement significative (même si les sexes se démarquent à p < 0,10). Le mentorat semble accélérer le départ des cabinets, tout en réduisant l’écart entre les sexes en matière de départs. Cette conclusion laisse entendre que ce qui se passe pendant le mentorat (autant que le fait d’avoir un mentor) est important pour comprendre pourquoi les avocats quittent les cabinets et pourquoi les femmes quittent plus souvent, et plus tôt, que les hommes.

Nous explorons plus en détail l’influence du mentorat dans une analyse distincte limitée aux avocats qui ont déclaré avoir eu un mentor (voir le Tableau 3). Nous observons quels effets ont le sexe du mentor, son statut professionnel par rapport à son protégé, la proximité dans la relation de mentorat, l’aide du mentor pour attirer les clients et la qualité générale de l’expérience de mentorat. Le seul effet important du mentor sur la rétention dans les cabinets d’avocats se constate lorsque celui-ci a contribué à la recherche des clients — parfois avec des renvois directs à ceux-ci (HR = 0,880, p < 0,05). Les avocats dont les mentors ont aidé à trouver de nouveaux clients sont en effet moins susceptibles de quitter le cabinet. Ainsi, bien qu’à première vue il semble que le fait d’avoir eu un mentor augmente la probabilité de quitter les cabinets d’avocats, ce n’est pas le cas pour les avocats qui ont fait appel à un mentor influent pour les aider à recruter de la clientèle. Ces avocats ont obtenu le capital d’affaires que les dirigeants de cabinets d’avocats valorisent et ont accru leur engagement à demeurer au sein des cabinets (ou leur sécurité d’emploi). Cette constatation fait ressortir l’importance de comprendre ce que font les mentors. Elle souligne également la possibilité que les femmes n’aient pas la même expérience de mentorat que leurs collègues masculins.

Tableau 2

Estimations exponentielles partielles des déterminants par rapport à l’abandon de la pratique en cabinet d’avocats (N = 1 007)

Estimations exponentielles partielles des déterminants par rapport à l’abandon de la pratique en cabinet d’avocats (N = 1 007)

bLes petits cabinets de taille moyenne sont la catégorie de comparaison.

†p < 0,10 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 (tests bilatéraux).

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Tableau 3

Estimations exponentielles partielles du mentorat par rapport à l’abandon de la pratique en cabinet d’avocats (N = 1 007)

Estimations exponentielles partielles du mentorat par rapport à l’abandon de la pratique en cabinet d’avocats (N = 1 007)

*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 (tests bilatéraux).

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conclusion

Cet article proposait d’examiner les facteurs organisationnels et culturels qui incitent les avocats à quitter les cabinets — non pas simplement à quitter un cabinet pour se joindre à un autre, mais plutôt à prendre la décision de cesser complètement de travailler dans des cabinets d’avocats. Notre objectif était de faire avancer la recherche sur deux fronts : 1) retracer le moment des départs au cours des carrières et 2) examiner les dimensions de la structure et de la culture des cabinets d’avocats qui peuvent inciter au départ complet des cabinets. Les résultats ont révélé que le risque de sortir complètement des cabinets était le plus élevé au cours des six premières années suivant l’admission au barreau, soit la période où les avocats reçoivent ou non une offre de s’associer. Toutefois, la probabilité de continuer à travailler en cabinet est plus élevée pour les avocats ayant les trois attributs professionnels suivants : du succès dans le recrutement de la clientèle ; du temps consacré aux clients commerciaux ; et un nombre élevé d’heures facturables. Cela n’est pas surprenant, car les dirigeants de cabinets d’avocats accordent une grande valeur aux qualités de recruteur de clients et aux clients commerciaux importants (Sterling et Reichman, 2016). De plus, les cabinets d’avocats, dominés par des croyances et des pratiques culturelles enracinées, considèrent que les heures facturables sont les indicateurs principaux d’engagement au travail et de productivité (Moen et al., 2011). Les avocats qui ont du mal à attirer de nouveaux clients, qui n’ont pas la possibilité de travailler avec des clients commerciaux ou qui n’atteignent pas les objectifs en matière d’heures facturables risquent de ne pas être promus. Cette décision a pour effet de les pousser hors des cabinets où prévaut le système d’association up or out (promotion ou licenciement) (Gorman, 1999).

L’une des voies empruntées par les avocats débutants, au moment de la décision sur l’association ou avant celle-ci, consiste à passer dans un autre cabinet. Cependant, nombre d’entre eux quittent les cabinets privés (Kay et al., 2016). Les avocats qui ont commencé dans de petits cabinets étaient plus susceptibles de quitter complètement les cabinets d’avocats que ceux qui ont commencé dans de plus grands cabinets. Il se peut que les petits cabinets d’avocats soient moins en mesure d’offrir les incitatifs (salaire ou promotions) nécessaires pour retenir les avocats débutants. Il est également possible que les avocats partent en raison des difficultés qu’affrontent les petits cabinets en période de difficultés économiques. Les avocats qui choisissent de quitter les petits cabinets ont moins de possibilités de passer d’un cabinet à l’autre que les avocats qui ont commencé leur carrière dans de grands cabinets commerciaux. Par conséquent, leur changement d’emploi peut le plus souvent les amener à quitter les cabinets pour exercer seuls ou à l’extérieur du secteur privé. Ce qui est évident, c’est que les petits cabinets sont plus exposés à un roulement rapide de personnel.

Les résultats ont montré que les femmes étaient plus enclines à quitter les cabinets d’avocats que les hommes. La différence omniprésente entre les sexes ne s’explique pas par les niveaux de capital humain, les caractéristiques organisationnelles ou les niveaux de satisfaction au travail. Cependant, un mentorat de qualité, riche en contacts avec les clients et en recrutement, en début de carrière, constitue une stratégie pour réduire le risque que les femmes quittent les cabinets d’avocats. De plus, divers aspects de la culture des cabinets d’avocats influencent la situation des avocats en général. Par exemple, les cabinets qui offraient des horaires flexibles étaient plus en mesure de retenir leurs avocats. Selon les recherches, même lorsque les avocats ne se prévalent pas de ces conditions de travail, la disponibilité de ces mesures peut leur indiquer que le cabinet est accommodant et que les associés se soucient de leurs employés (Raskin, 2006). L’importance d’une affinité entre avocat et cabinet ou d’une « compatibilité culturelle » (Rowan et Vaughan, 2018) a été démontrée par le degré de satisfaction des avocats à l’égard de certains aspects de la culture de leur premier cabinet après l’obtention de leur diplôme. Par exemple, les avocats qui ont obtenu un premier emploi dans le cabinet de leur choix étaient plus enclins à continuer de travailler dans un cabinet tout au long de leur carrière, tout comme les avocats qui se sont dits satisfaits des récompenses offertes dans leur premier emploi (revenu, prestige du travail, possibilités d’avancement).

Il est toutefois intéressant de noter que dans ces premiers emplois, la satisfaction des avocats à l’égard du niveau de collégialité était insuffisante pour les encourager à continuer de travailler en cabinet. Selon Lazega (2001), l’intérêt des avocats à s’associer à des collègues fiables promettait de meilleurs résultats en matière de relations durables et de loyauté à l’égard du cabinet. Toutefois, nos résultats permettent de faire une distinction entre le climat de collégialité — soit un environnement de travail agréable et solidaire (mais favorisant néanmoins l’autonomie sur le plan professionnel) — et la pratique de la collégialité — soit une expérience directe avec d’autres personnes partageant une expertise et un engagement actif dans le travail d’équipe. Cette dernière forme de collégialité, plus active, comprend des actions collectives qui s’appuient sur une coopération durable au sein des cabinets. Ainsi, les avocats peuvent exprimer leur satisfaction quant au niveau général de collégialité dans leur cabinet, mais cette collégialité ne représente guère plus qu’un climat amical de professionnalisme, et non les relations solides de coopération et d’échange souhaitées par les avocats dans le cadre de leur « recherche de niches » au sein des cabinets (Lazega et Pattison, 1999).

De plus, l’étude a tenu compte du rôle de la personnalité, certains professionnels pouvant être plus enclins à changer d’emploi, que ce soit pour réaliser leurs ambitions ou en raison de leur mécontentement (Preenan et al., 2011). Les résultats de l’étude ont montré que les avocats ayant un fort locus de contrôle interne étaient plus susceptibles de quitter leur emploi pour un travail en dehors des cabinets privés. La confiance dans leur propre capacité à diriger leur carrière et à gérer le changement permet aux avocats de sortir de l’exercice du droit en cabinet privé, peu importe leurs années d’expérience. Un locus de contrôle élevé est probablement fortement corrélé à la tolérance au risque, ce qui rend les avocats possédant cette caractéristique plus résistants à l’inertie qui s’installe avec le temps (c’est-à-dire la réticence à quitter un cabinet après des années de service dévoué) et moins inquiets des risques financiers associés au départ. Bien que le locus de contrôle soit une caractéristique individuelle, celle-ci reste profondément contextuelle. La manière dont il se manifeste dépend des conditions qui prévalent dans le cabinet, notamment la perception qu’a l’avocat de ses possibilités de carrière et son attachement aux équipes de travail qui s’y trouvent. La présente étude révèle que même en tenant compte de ce trait personnel, les dimensions de la culture du cabinet ont des effets soutenus, modérant le roulement des avocats en cabinet. Par exemple, le risque de fuir l’exercice de la profession en cabinet était réduit dans les cabinets ayant une culture de soutien et offrant des horaires flexibles, et dans les cabinets où les avocats trouvaient une bonne « compatibilité culturelle ». Dans ces contextes, il est probable que les avocats ayant un solide locus de contrôle appliquent leur énergie à recruter des clients, à atteindre le rang d’associé et à diriger des équipes, plutôt qu’à chercher d’autres possibilités ailleurs.

Des études antérieures suggèrent qu’une dimension essentielle de la culture des cabinets est la présence de mentors pour soutenir le perfectionnement professionnel des avocats débutants (Paustian-Underdahl et al., 2017). Les résultats de la présente étude ont montré que le fait d’avoir un mentor n’était pas suffisant pour retenir les avocats dans les cabinets. On peut se demander pourquoi le mentorat en général n’incite pas les avocats à rester et à faire carrière dans un ou plusieurs cabinets. Une explication possible est qu’en offrant des occasions d’apprentissage et de perfectionnement pour motiver et retenir les avocats talentueux, le mentorat augmente aussi les chances qu’ont les mentorés de se faire connaître et les encourage à explorer des perspectives d’emploi ailleurs (Ito et Brotheridge, 2005), ce qui risque de favoriser un roulement plus élevé (Preenen et al., 2011). Dans son étude (2000, 2001), Lazega laissait entendre que le mentorat avait le potentiel d’augmenter le risque que les avocats quittent leur cabinet. Lazega a fait valoir que le parrainage, tout en facilitant le perfectionnement professionnel des avocats débutants sous la supervision compétente d’avocats chevronnés, établit également des liens de travail solides entre les finders et les grinders, qui pourraient alors partir pour ouvrir leur propre cabinet. Il est à noter que Lazega envisageait alors le départ de l’associé et de son groupe d’avocats talentueux pour créer un nouveau cabinet. Cependant, la présente analyse documente les abandons complets de l’exercice en cabinet. Les avocats concernés ne partent pas pour ouvrir de nouveaux cabinets ni même pour se joindre à d’autres cabinets. Ils quittent plutôt leur cabinet pour devenir des avocats indépendants, pour se joindre à des sociétés en tant que conseillers juridiques internes, pour entrer dans la fonction publique ou pour quitter complètement l’exercice du droit. Pour Lazega, le parrainage crée des collaborations professionnelles solides entre des collègues qui risquent de partir pour ouvrir leur propre cabinet (2001), tandis que la présente étude révèle que le mentorat améliore les perspectives d’emploi au-delà des cabinets d’avocats.

Une analyse plus approfondie a révélé que les ressources partagées par le biais du mentorat étaient d’une importance vitale pour comprendre l’intégration dans les cabinets. Les mentors qui appuyaient leurs protégés en leur renvoyant des clients réduisaient considérablement le taux de désertion des cabinets. Les mentors les plus précieux donnent accès à un travail intéressant qui permet d’acquérir des compétences comme avocat et d’apprendre comment recruter des clients — une combinaison de capital professionnel très appréciée des dirigeants de cabinets (Payne-Pikus et al., 2010 ; Kay et Gorman, 2012). Les résultats de la présente étude offrent des preuves convaincantes du fait que cette forme particulière de mentorat assure l’avenir des jeunes avocats dans les cabinets. Cette forme de mentorat permet de transformer les grinders en finders et d’assurer l’avenir des avocats débutants au sein du cabinet. D’autres mentors, tout en fournissant des conseils et en distribuant du travail intéressant, peuvent ne pas offrir le recrutement de clients ou le sens des affaires dont leurs mentorés ont besoin pour créer leurs propres clientèles. Les mentors qui donnent accès à des connaissances professionnelles plus générales et offrent un soutien aux avocats débutants (mais qui n’arrivent pas à dénicher des clients ou à faire de leurs protégés de nouveaux prodiges) peuvent néanmoins établir de solides relations de travail avec leurs collègues débutants. Il en résulte que le soutien offert par les mentors peut s’étendre au-delà de l’environnement immédiat du cabinet d’avocats. En d’autres termes, les mentors ayant développé une amitié et un intérêt pour leurs protégés peuvent leur tendre une « main secourable » dans leur recherche d’emploi au-delà des cabinets. En ce sens, les mentors qui offrent aux avocats débutants un soutien plus général peuvent leur servir de passerelle vers un nouvel emploi ailleurs plutôt que de cimenter leur place au sein des cabinets.

Les recherches futures devront explorer les variations entre les sexes dans la relation entre le mentorat et le roulement du personnel. Des études antérieures montrent qu’il existe de grandes différences dans l’influence des mentors sur le comportement ultérieur des hommes et des femmes en matière de recherche d’emploi (Yip et al., 2018). Le mentorat est-il vécu de manière qualitativement différente entre les avocats et les avocates, et quelles sont les conséquences pour leur rétention dans les cabinets ? Les ressources qui transitent par les réseaux sociaux de parrainage sont-elles différentes pour les avocats et les avocates en début de carrière ? De façon plus générale, comment la culture varie-t-elle d’un cabinet d’avocats à l’autre ? Certaines cultures de cabinet sont-elles plus attrayantes pour les femmes et les minorités raciales ? À cet égard, la culture d’un cabinet peut être plus ou moins inclusive, et les politiques de protection du bien commun propres à chacun peuvent avoir un rôle particulier à jouer dans l’adaptabilité du lieu de travail (p. ex., horaires flexibles, congés parentaux, télétravail) et la distribution des ressources (p. ex., allocation des tâches, mentorat officiel) (Tremblay et Mascova, 2013). Il faut reconnaître que malgré l’intérêt croissant que les chercheurs portent à la culture des cabinets d’avocats (voir Rivera et Tilcsik, 2016 ; Sommerlad, 2016 ; Westfahl et Wilkins, 2017 ; Oakley et Vaughan, 2019), il reste encore du travail à faire pour comprendre la nature complexe de la culture des cabinets. Dans cet article, nous avons proposé une perspective qui met l’accent sur les perceptions qu’ont les avocats de la collégialité, sur les expériences de mentorat et sur les politiques des cabinets qui soutiennent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Nous pensons qu’il est possible de mieux connaître la culture des cabinets en analysant les politiques mises en place par les dirigeants de ceux-ci pour établir des attentes comportementales en matière de collégialité et d’inclusion (LaFlamme et al., 2019), les réseaux sociaux au sein des cabinets qui favorisent les transactions collégiales (Lazega, 2001, 2020) et les circonstances dans lesquelles la collégialité est érodée par le conflit et la non-coopération entre les avocats (Gilson et Mnookin, 1995).

Les recherches futures devront aussi trouver les voies qui mènent à l’abandon de l’exercice de la profession au sein des cabinets d’avocats. Dans son étude, Lazega envisage que les avocats « s’associent et partent » (2000 : 245) pour ouvrir de nouveaux cabinets, tandis que notre étude explore un exode plus radical : le départ complet des cabinets d’avocats. Les prochaines études devront aborder les questions suivantes : Où les avocats vont-ils quand ils quittent les cabinets ? Est-ce qu’ils partent généralement en équipe pour ouvrir de nouveaux cabinets, comme le suggère Lazega (2001) ? Établissent-ils leur propre cabinet en tant qu’avocats exerçant seuls ? Passent-ils latéralement à un autre secteur du travail juridique — à l’exercice hors du secteur privé (au sein du gouvernement, ou comme conseillers juridiques internes d’une société) ? Autrement dit, quittent-ils complètement la pratique du droit (voir Dupuis-Surpas et Cléach, 2017) ? Les travaux futurs devront examiner plus en détail les processus sociaux qui façonnent les différentes avenues menant à la sortie du milieu des cabinets d’avocats. La recherche pourrait également explorer les facteurs qui encouragent les avocats à retourner en cabinet après une période de travail ailleurs, et les obstacles qui se posent devant les avocats qui cherchent à réintégrer le secteur privé, et les cabinets d’avocats en particulier. De plus, les chercheurs devront explorer l’impact des récessions économiques sur les carrières dans les cabinets d’avocats. En période de difficultés économiques, les cabinets peuvent réduire les offres d’embauche et d’association, et les avocats sortants peuvent trouver que les perspectives d’emploi se font rares dans les cabinets concurrents (Kay et al., 2013). Enfin, la recherche devra examiner comment les cultures des cabinets d’avocats peuvent changer face aux demandes des cohortes de diplômés en droit qui arrivent avec leurs nouvelles aspirations et priorités professionnelles (voir Bourgoin et al., 2019 ; LaFlamme et al., 2019).