PrésentationEn quoi le pragmatisme nous aide-t-il à mieux expliquer et comprendre les problèmes publics ?PresentationHow might pragmatism help us better explain and understand public problems?[Record]

  • Daniel Cefaï,
  • Kamel Boukir,
  • Marie Ghis Malfilatre and
  • Céline Véniat

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Ce numéro spécial de Sociologie et sociétés s’intitule « Problèmes, expériences, publics : Enquêtes pragmatistes ». Nous y avons rassemblé un certain nombre de chercheuses et chercheurs qui ont une sensibilité à la question de la publicité telle qu’elle a été posée par John Dewey dans Le public et ses problèmes (2010 [1927]) et ont assumé cet héritage dans leurs recherches. Pour Dewey, un problème public se constitue indissociablement de l’expérience qu’en fait un public et ce dernier est une espèce de collectif qui se co-constitue avec son problème. Le public désigne la dynamique collective d’association et de discussion, d’enquête et d’expérimentation qui se déploie corrélativement à la formation de l’expérience d’un problème public. Ce n’est donc pas un groupe préconstitué, il émerge corrélativement à son problème, comme le lieu d’une intelligence et d’une éthique collectives. Et il est distribué spatialement et temporellement sur les multiples opérations de problématisation et de publicisation qui le constituent. La lecture de Dewey que nous partageons s’inscrit au croisement du monde francophone avec d’autres héritages : 1. la reprise de l’écologie humaine de Robert E. Park, que l’on tient souvent pour l’un des fondateurs des études urbaines et des études raciales à l’Université de Chicago, mais qui était aussi un ancien étudiant de John Dewey et de William James et qui a également développé une conception propre du « public » ; 2. la sociologie des problèmes sociaux, qui dès les années 1920 au coeur des recherches sur l’immigration, la folie, le divorce, le vagabondage ou la délinquance juvénile, l’alcoolisme, le jeu, le vol, la prostitution ou l’absentéisme scolaire et qui entretenait un rapport étroit avec le mouvement réformateur de l’époque, dont les auteur.e.s pragmatistes que nous citons, John Dewey, George H. Mead, Jane Addams, Mary P. Follett et Robert E. Park — étaient tou.te.s partie prenante ; 3. la déconstruction des problèmes sociaux, en premier lieu de la « déviance », qui a été menée à partir du début des années 1960 (Becker, 1964 et 1966) — avec pour noms les plus connus Erving Goffman, Howard Becker, Joseph Gusfield, Fred Davis, formés à Chicago, Harold Garfinkel, Aaron Cicourel ou David Sudnow, du côté de l’ethnométhodologie, ou encore David Matza, proche de G. M. Sykes à Princeton, et John Kitsuse, étudiant d’Edwin Lemert à UCLA. Cette bribe d’histoire des sciences sociales n’a aucun lien direct avec le pragmatisme. Mais elle a été cruciale et a en quelque sorte révolutionné la sociologie. Au terme de ce numéro, Becker et Cefaï reviennent sur cette histoire. Ils évoquent quelques supports institutionnels de la sociologie de la déviance comme problème public, comme la Société pour l’étude des problèmes sociaux ou le Centre d’études sur le droit et la société de Berkeley. Ils passent en revue quelques éléments cruciaux de cette nouvelle approche, à la fois en continuité et en rupture avec l’héritage de Chicago : le primat de l’observation et de la description, le thème de la réaction sociétale, les modèles séquentiels de carrières, l’attention aux cultures déviantes, professionnelles et institutionnelles. Et ils montrent comment la ressaisie des problèmes sociaux comme activités collectives — un leitmotiv de Blumer ou de Hughes, en cela fidèles à leurs maîtres Mead, Park ou Thomas — va de pair avec une série de questions d’enquête : qui subit et agit ? Qui accuse et condamne ? Qui compte et mesure ? Qui surveille et punit ? Ces différents points communs ne doivent pas cacher la pluralité des approches qui ont été développées en cette première moitié des années 1960. Le corpus des articles publiés par la revue Social Problems entre 1961 et …

Appendices