Volume 51, Number 1-2, Spring–Fall 2019 Problèmes, expériences, publics : enquêtes pragmatistes Problems, experiences, publics: Pragmatist inquiries Guest-edited by Daniel Cefaï, Kamel Boukir, Marie Ghis Malfilatre and Céline Véniat
Table of contents (15 articles)
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Présentation : en quoi le pragmatisme nous aide-t-il à mieux expliquer et comprendre les problèmes publics ?
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Les problèmes, leurs expériences et leurs publics : une enquête pragmatiste
Daniel Cefaï
pp. 33–91
AbstractFR:
La question de l’expérience est centrale pour comprendre la façon dont des problèmes publics émergent, impulsent de nouvelles politiques, conduisent à la transformation de milieux de vie, façonnent en retour des histoires de vie. Elle est ici resituée en relation à l’histoire du mouvement réformateur aux États-Unis, à la naissance de l’enquête sociologique et à la pensée pragmatiste de la démocratie au début du 20e siècle (ici représentée par John Dewey, mais aussi George H. Mead, Jane Addams, Mary P. Follett et Robert E. Park). Mais qu’est-ce que cette expérience ? L’objectif est de réactiver des catégories et des hypothèses pragmatistes pour décrire les troubles de l’expérience, leur conversion en situations problématiques, la part de l’émotion et de l’évaluation dans la canalisation de l’attention publique, et sa réorientation par l’attribution de causes et l’imputation de responsabilités. Dans la perspective d’une écologie de l’expérience publique, on rappelle enfin la place centrale de l’enquête et de l’expérimentation, avec leur dimension esthétique, dans la formation des problèmes publics.
EN:
The question of experience is central to understanding how public problems emerge, drive new policies, lead to the transformation of lived environments, and in turn shape life stories. It is here resituated in relation to the history of the progressive movement in the United States, the birth of sociological inquiry and the pragmatist philosophy of democracy at the beginning of the 20th century (represented here by John Dewey, but also George H. Mead, Jane Addams, Mary P. Follett and Robert E. Park). But what does experience mean ? The objective is here to reactivate pragmatist categories and hypotheses to describe the troubles, disruptions, or disturbances of experience, their conversion into problematic situations, the role of emotion and evaluation in focusing and channeling public attention, and its reorientation through processes of attribution of causes and imputation of responsibilities. Through the lens of a pragmatist ecology of public experience, this paper emphasizes the central role of inquiry and experimentation, in all their aesthetic dimensions, in the formation of public problems.
ES:
La cuestión de la experiencia es central para comprender la forma en que los problemas públicos emergen, impulsan nuevas políticas, conducen a la transformación de los medios de vida y a la vez dan forma a historias de vida. Dicha experiencia es aquí restituida en relación a la historia del movimiento reformador en Estados Unidos, al nacimiento de la investigación sociológica y al pensamiento pragmático de la democracia al comienzo del siglo XX (aquí representado por John Dewey, así como también por George H. Mead, Jane Addams, Mary P. Follett y Robert E. Park). Pero ¿en qué consiste esta experiencia ? El objetivo es reactivar las categorías e hipótesis pragmatistas para describir las alteraciones de la experiencia, su conversión en situaciones problemáticas, la parte de la emoción y de la evaluación en la canalización de la atención pública y su reorientación en la atribución de causas y la imputación de responsabilidades. En la perspectiva de una ecología de la experiencia pública, se recuerda por último el lugar central de la investigación y la experimentación, incluyendo su dimensión estética, en la formación de los problemas públicos.
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Se mobiliser contre l’expulsion d’un bidonville en région parisienne : émotions, négociations informelles et processus de publicisation
Céline Véniat
pp. 93–122
AbstractFR:
Comment les familles d’un bidonville menacées d’expulsion se mobilisent-elles pour remédier à un trouble qui les touche de manière sensible et transposent-elles des émotions ressenties sur le terrain en problème public ? Pour le comprendre, cet article sera articulé autour des différentes étapes de la mobilisation, de la réaction à l’annonce de l’expulsion à l’élaboration d’un communiqué de presse, puis à l’expression de la parole des habitants dans un espace de discussions publiques. La description de la mobilisation permet de suivre la constitution d’un micro-public, tous en rendant compte de négociations en coulisses et tout en distinguant plusieurs « cercles de concernement ». Dans un cercle central, les habitants du bidonville subissent l’événement en première ligne, en anticipant des conséquences matérielles directes sur leur vie. Dans un cercle plus ample, les militantes du collectif de soutien en tirent un préjudice affectif, moral et politique car elles ont consacré du temps et de l’énergie à aider les familles au quotidien, avec lesquelles elles ont noué des relations de sociabilité. À la périphérie de ce cercle, un certain nombre de personnes qui partagent un sentiment d’injustice à l’égard du sort des familles vont l’exprimer en participant à la mobilisation.
EN:
How do families living in a shantytown threatened with eviction mobilize to address the problem that affects them, and how do they transpose the emotions felt on the ground into a public problem ? In order to understand such a process, this article will focus on the different stages of a mobilization on the outskirts of Paris, from the first reactions to the announcement of the eviction, to the drafting of a press release, to the inhabitants’ expression of what happened in their own words within the sphere of public discussion. The description of the mobilization makes it possible to follow the constitution of a micro-public, all while reporting on behind-the-scenes negotiations and distinguishing several “circles of concern”. In the central circle, the shantytown dwellers experience the event firsthand, anticipating its direct consequences on their lives. In the next-widest circle, activists supporting the residents evaluate the emotional, moral and political damages of the eviction. They are able to do this because they have devoted time and energy to helping the families on a daily basis and have developed social relationships with them. On the periphery of this circle, there are a number of people who share a sense of injustice with regards to the fate of Roma families, and who express this through their participation in the mobilization.
ES:
¿Cómo las familias rumanas de una chabola, amenazadas de expulsión, se movilizan para enfrentar un problema que las afecta de manera sensible y transponen las emociones experimentadas en el terreno en un problema público ? Para entenderlo, este artículo será articulado en torno a las distintas etapas de la movilización, de la reacción al anuncio de expulsión, pasando por la elaboración de un comunicado de prensa y luego la expresión de la palabra por los habitantes en un espacio de discusiones públicas. La descripción de la movilización permite seguir la constitución de un micro-público, dando cuenta a la vez de negociaciones ocultas y distinguiendo varios “círculos de concernamiento”. En un círculo central, los habitantes de la chabola sufren el evento en primera línea, anticipando las consecuencias materiales directas en sus vidas. En un círculo más amplio, las activistas del colectivo de apoyo retiran de ello un daño afectivo, moral y político, puesto que han dedicado tiempo y energía para ayudar a las familias en su vida cotidiana, con las que han establecido relaciones de sociabilidad. En la periferia de este círculo, cierto número de personas que comparten un sentimiento de injusticia en el sentido del bienestar de las familias, van a expresarlo mediante su participación en la movilización.
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L’embarras des autorités suisses face aux rassemblements d’extrême droite : les conséquences publiques d’un « concert néonazi » dans le canton de Saint-Gall
Matthieu Thomas
pp. 123–147
AbstractFR:
Le 15 octobre 2016, Unterwasser, petit village du canton de Saint-Gall, accueille un concert de RAC (Rock Against Communism) qui réunit plus de 5.000 personnes. Signalé à l’attention publique par les médias généralistes, le rassemblement devient un événement national suscitant de nombreuses réactions d’indignation et d’interrogation. Cet article retrace la publicisation de ce « concert néonazi » et ses conséquences pour la collectivité politique suisse. Il s’intéresse au processus par lequel un rassemblement d’extrême droite se mue en problème public et montre les difficultés politico-juridiques qui en découlent pour les autorités cantonales et fédérales, interpelées pour agir face à ce « genre » d’événements. L’étude de ce « concert néonazi » met en exergue une tension constitutive des démocraties libérales : le dilemme que constitue la nécessaire articulation dans un État de droit entre libertés fondamentales et sécurité publique.
EN:
On October 15, 2016, a small village in German-speaking Switzerland hosted a concert organized by RAC (Rock Against Communism), attended by over 5,000 people. The concert became a national event thanks to the attention of the mainstream media, and raised a wave of questions and indignation in the country. This article recounts the way in which this “neo-Nazi concert” was publicized and its consequences for the Swiss political community. It shows how this far-right rally became a public problem, and draws attention to the political and legal difficulties the Swiss authorities must face when dealing with “this kind” of event. The study of this “neo-Nazi concert” highlights a constitutive tension of liberal democracies : the dilemma, in a state governed by the rule of law, between fundamental freedoms and public security.
ES:
El 15 de octubre de 2016, Unterwasser, un pequeño poblado del cantón de San Gall, acoge un concierto de Rock Anti-Comunista (Rock against communism, RAC) que reúne a más de 5.000 personas. Señalado por los medios de comunicación generalistas a la atención pública, el concierto se convierte en un acontecimiento nacional que suscita muchas reacciones de indignación e interrogaciones. Este artículo describe la publicización del “concierto neonazi” y sus consecuencias en la colectividad política suiza. Se interesa en el proceso mediante el cual una reunión de extrema derecha se convierte en un problema público y muestra las dificultades político-jurídicas derivadas de ello para las autoridades cantonales y federales, interpeladas para actuar frente a este “género” de eventos. El estudio de este “concierto neonazi” pone de manifiesto una tensión constitutiva de las democracias liberales : el dilema que constituye la necesaria articulación en un Estado de derecho entre las libertades fundamentales y la seguridad pública.
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S’accommoder, ou taire les différends pour tenir ensemble : l’écologie d’un espace public ordinaire à Bruxelles
Louise Carlier
pp. 149–175
AbstractFR:
Cet article retravaille la question pragmatiste de la publicité sous l’angle des relations entre le domaine public urbain et le processus politique. Il propose, tout d’abord, de revenir sur la façon dont la sociologie des espaces publics urbains inspirée d’une approche écologique et pragmatiste associe expérience urbaine et expérience démocratique. Puis, il questionne cette association à partir d’une enquête sur les relations de coexistence entre communautés au sein d’un espace public bruxellois. Le concept écologique d’« accommodation », que Robert E. Park avait forgé dans les années 1920-30, y est convoqué pour décrire l’expérience de situations de coexistence, voire de cohabitation, dans une proximité spatiale forte, des mondes socialement distants. L’aversion réciproque de leurs membres est contenue. L’accommodation s’accompagne d’une inhibition des processus requis pour une problématisation collective des conditions du vivre-ensemble. La reprise de ce concept est une invitation à réinterroger l’éthique de l’hospitalité dans les espaces publics de la ville et à porter un regard plus inquiet sur les vertus démocratiques de la publicité.
EN:
This article re-examines the pragmatist issue of publicity through the lens of the relationships between urban public space and the political process. It proposes, first of all, to examine how the sociology of urban public spaces, inspired by ecological and pragmatist approaches, links urban experience and democratic experience. It then questions this connection on the basis of an inquiry into the relations of coexistence of communities within a Brussels public space. The ecological concept of “accommodation” that Robert E. Park developed in the 1920-30s is put to the test in descriptions of the experience of situations where socially distant worlds coexist, or even cohabit, in close spatial proximity. The mutual aversion of their members is contained. Accommodation is accompanied by an inhibition of the processes required for a collective problematization of the conditions of living together. Taking up this concept is an invitation to re-examine the ethics of hospitality in city’s public spaces and to cast a more anxious look at the democratic virtues of urban publicity.
ES:
Este artículo retrabaja la cuestión pragmatista de la publicidad desde la perspectiva de las relaciones entre el dominio público urbano y el proceso político. En primer lugar, propone retomar la forma como la sociología de los espacios públicos urbanos inspirada en un enfoque ecológico y pragmatista, asocia la experiencia urbana y la experiencia democrática. Enseguida, interroga esta asociación a partir de una investigación acerca de las relaciones de coexistencia de diferentes comunidades en un espacio público de Bruselas. Aquí se convoca el concepto ecológico de “acomodación”, forjado por Robert E. Park en los años 1920 a 1930, para describir la experiencia en situaciones de coexistencia, e incluso de cohabitación de mundos socialmente distantes al interior de una fuerte proximidad espacial. La aversión recíproca de sus miembros está implícita. La acomodación va acompañada de una inhibición de los procesos necesarios para una problematización colectiva de las condiciones del ‘vivir juntos’. La evocación de este concepto es una invitación a interrogar nuevamente la ética de la hospitalidad en los espacios públicos de la ciudad y a dar una mirada más inquieta a las virtudes democráticas de la publicidad.
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« On est plus chaud ! Plus chaud ! Plus chaud qu’le lacrymo ! » : l’expérience des violences policières dans le mouvement des Gilets jaunes
Perrine Poupin
pp. 177–200
AbstractFR:
Les Gilets jaunes est un mouvement de protestation, toujours en cours, qui a débuté en novembre 2018 sous la forme notamment de manifestations et d’occupations de ronds-points sur tout le territoire français. Cet article analyse les expériences du maintien de l’ordre chez les manifestants et comment au fil des situations et des manifestations, les manifestants ont découvert puis thématisé le problème des « violences policières ». Après avoir décrit les principaux événements répressifs tels qu’ils ont été vécus en situation par les manifestants, il montre comment les expériences de violences policières ont été mises en commun, dans les conversations de rue, sur les réseaux sociaux et sur les ronds-points. Ces expériences ont fait émerger un public qui a engagé de nombreuses enquêtes, discussions et expérimentations et qui a rencontré d’autres publics du même problème. Il explique pourquoi le problème des violences policières est devenu très vite l’un des motifs de dénonciation et de mobilisation du mouvement.
EN:
The Yellow Vests movement is an ongoing protest movement that began in France in November 2018, notably in the form of demonstrations and the occupation of roundabouts across France. This article analyses demonstrators’ experiences with policing and how, through situations and demonstrations, protesters discovered and then thematized the problem of “police violence”. After recounting the main instances of violent repression as they were experienced by the demonstrators, it shows how those experiences of police violence were then shared in street conversations, on social networks, and on roundabouts. This in turn led to the emergence of a public that engaged in numerous inquiries, discussions, and experiments, and encountered other publics with the same problem. It explains why the problem of police violence very quickly became one of the movement’s main motives for mobilization and denunciation of the state.
ES:
Los Chalecos amarillos es un movimiento de protesta, aun activo, que inició sus actividades en noviembre de 2018 bajo la forma particular de manifestaciones y ocupaciones de glorietas en todo el territorio francés. Este artículo analiza las experiencias del mantenimiento del orden entre los manifestantes y cómo a lo largo de las situaciones y las manifestaciones los manifestantes descubrieron y luego tematizaron el problema de la “violencia policial”. Tras describir los principales acontecimientos represivos tal como fueron vividos por los manifestantes, se muestra cómo las experiencias de la violencia policial han sido discutidas en las conversaciones callejeras, en las redes sociales y en las glorietas. Estas experiencias han permitido el surgimiento de un público que ha emprendido numerosas investigaciones, discusiones y experimentos, y que se ha reunido con otros ciudadanos con el mismo problema. Aquí se explica por qué el problema de la violencia policial se ha convertido rápidamente en uno de los motivos de denuncia y movilización del movimiento.
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La vulnérabilité de genre comme problème public : ethnographie d’un lieu d’accueil et d’hébergement de femmes itinérantes à Montréal
Marine Maurin
pp. 201–223
AbstractFR:
Au Québec, le problème de l’itinérance des femmes est généralement conçu comme le résultat d’une multiplicité et d’une accumulation de violences et de vulnérabilités individuelles et structurelles fondées sur le genre. Pour comprendre cette analyse macropolitique, le présent article propose de considérer ce problème public en regardant au plus près comment il est identifié, défini et réparé en situation, et pas seulement comment il émerge dans les arènes publiques et s’institutionnalise. Pour cela, une ethnographie menée dans un lieu d’accueil et d’hébergement à Montréal a permis de comprendre comment les femmes en situation d’itinérance sont qualifiées et évaluées comme « victimes » de rapports de genre par les intervenantes sociales qui les accueillent. Les opérations de cadrage, au sens microsociologique de Goffman, incarnées dans leurs expériences quotidiennes d’écoute et de soin, les conduisent à s’engager dans des réparations singulières à mi-chemin entre interventions féministes et interventions psychologiques.
EN:
In Quebec, the public problem of women’s homelessness is generally framed as the result of the accumulation of multiple forms of gender-based violence and individual and structural vulnerabilities. To understand this macropolitical analysis, this article will consider this public issue by taking a closer look at how it is identified, defined and remedied in situ, rather than only focusing on how it emerges in public arenas and becomes institutionalized. This is carried out through an ethnography in a day center and shelter in Montreal, which demonstrates how women who are homeless are labelled and evaluated as “victims” of gender relationships by the social workers who care for them. Their framing operations, in Goffman’s micro-sociological sense, embodied in their daily experiences of listening and caring, lead them to engage in singular reparations halfway between feminist and psychological interventions.
ES:
En Quebec, el problema de la itinerancia de la mujer suele ser concebido como el resultado de una multitud y una acumulación de diversas formas de violencia y de vulnerabilidades individuales y estructurales basadas en el género. Para comprender este análisis macropolítico, el presente artículo propone considerar este problema público observando de cerca cómo es identificado, definido y reparado en situación, y no solamente cómo surge en la arena pública y se institucionaliza. La realización de una etnografía en un lugar de acogida y alojamiento en Montreal ha permitido comprender cómo las mujeres en situación de itinerancia son calificadas y evaluadas como “víctimas” de relaciones de género por los asistentes sociales que las acogen. Las operaciones de orientación, en el sentido microsociológico de Goffman, encarnadas en sus experiencias cotidianas de escucha y cuidado, las conducen a comprometerse en las reparaciones singulares a medio camino entre intervenciones feministas e intervenciones psicológicas.
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Encaisser l’horreur : corps affectés et communautés d’enquête dans la publicisation d’un homicide en banlieue parisienne
Kamel Boukir
pp. 225–247
AbstractFR:
Quand Nourredine est mortellement frappé de coups de couteau, la commune de Montrimond est plongée dans la sidération. L’onde de choc traverse les frontières de divers mondes sociaux : les « mecs de Montrimond », la famille, les commerçants et les résidents, les édiles municipaux, les policiers qui se chargent de l’instruction et les médias locaux et régionaux dépêchés sur place. Le deuil est très souvent une affaire privée, à moins que la mort ait une puissance d’ébranlement qui dépasse les frontières de l’intimité. Au coeur du problème éthique qui déchire les protagonistes entre accusation publique et désir de vengeance, la dimension esthétique est coextensive de la ressaisie de l’effroi dans des formes qui opèrent la métamorphose de la foule sidérée en une « communauté d’ébranlés ». En s’intéressant à la façon dont la réflexivité s’incarne à même des formes collectives de sensibilité, l’article montre que la sidération est un choc qui ne conduit pas à faire l’épreuve d’une expérience publique, alors que l’ébranlement engage une éthique de l’indétermination favorable à l’ouverture d’une enquête.
EN:
When Nourredine is stabbed to death, the town of Montrimond, close to Paris, is plunged into shock. That shockwave makes its way across the barriers between a number of different social worlds : the “boys of Montrimond”, the family, the shopkeepers, residents, and municipal officials, the police officers in charge of the investigation and the local and regional media dispatched to the scene to cover the story. Mourning is often a private matter, but death has the power to reverberate beyond the boundaries of intimacy. At the heart of the ethical problem that leaves the protagonists torn between public accusation and a desire for retaliation, the aesthetic dimension is commensurate with the rekindling of dread in forms that metamorphose the shocked crowd into a “shattered community”. By looking at the way in which reflexivity can become embodied in collective forms of vulnerability, this article shows that a state of shock is one that doesn’t lead to the ordeal of a public experience, while shattering engages an ethics of indecision favorable to launching an investigation.
ES:
Cuando Nourredine es mortalmente herido con un arma blanca, la comuna de Montrimond se sume en la sideración. La onda de choque atraviesa las fronteras de diversos mundos sociales : los “tipos de Montrimond”, la familia, los comerciantes y los residentes, los ediles municipales, los policías encargados de la investigación y los medios de comunicación locales y regionales enviados al lugar de los hechos. El duelo es muy a menudo una cuestión privada, a menos que la muerte tenga el poder de conmocionar, lo que trasciende las fronteras de la intimidad. En el corazón del problema ético que desgarra a los protagonistas entre acusación pública y deseo de venganza, la dimensión estética es coextensiva a la aprehensión del terror en las formas que operan la metamorfosis de la muchedumbre atónita en una “comunidad conmocionada”. Al interesarse en la manera en que la reflexividad se encarna en formas colectivas de sensibilidad, el artículo muestra que la sideración es un choque que no conduce a hacer la prueba de una experiencia pública, mientras que la conmoción compromete una ética de la indeterminación favorable a la apertura de una investigación.
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De l’expérience ouvrière des risques au problème public des déchets nucléaires : l’enquête filmique Condamnés à réussir comme catalyseur
Marie Ghis Malfilatre
pp. 249–274
AbstractFR:
L’expérience des risques du travail ouvrier dans l’usine de traitement des combustibles nucléaires de La Hague, l’une des principales installations nucléaires en France, se constitue comme problème public dans les années 1970. Un des moments forts en est la réalisation clandestine du film Condamnés à réussir qui précipite la formation d’un public élargi autour des risques de cette industrie, dans un moment de compétition accrue pour la propriété du problème nucléaire. En renforçant la conscience des intérêts communs de ceux qui travaillent dans ce secteur et leur sentiment de responsabilité à l’égard de la population, en exprimant cette expérience collective dans une oeuvre diffusée hors de La Hague auprès de divers auditoires, ce document a contribué, par le recours à un mélange d’enquête et de reconstitution fictionnelle, à dramatiser autrement le problème public de la production nucléaire.
EN:
The occupational hazards of work in the nuclear fuel reprocessing plant at La Hague, one of the main nuclear facilities in France, was raised as a public problem in the 1970s. One of the highlights was the clandestine filming of the movie Condamnés à réussir, which created wider public awareness as to the risks of this industry, at a time of increased competition for control over the nuclear problem. By highlighting the common interests of those working in this sector and their sense of responsibility towards the population, and then by expressing this collective experience in a work broadcast outside La Hague to various audiences, this document—half empirical investigation, half fictional reconstruction—contributed to a new dramatization of the public problem of nuclear production.
ES:
La experiencia de los riesgos del trabajo obrero en la planta de tratamiento de combustibles nucleares de La Haya, una de las principales instalaciones nucleares en Francia, se constituye como problema público en la década de 1970. Uno de los momentos más interesantes es la realización clandestina de la película Condamnés à réussir (Condenados a tener éxito) que precipita la formación de un amplio público en torno a los riesgos de esta industria, en el momento de la mayor competencia por la propiedad del problema nuclear. Al fortalecer la conciencia acerca de los intereses comunes de quienes trabajan en este sector y su sentimiento de responsabilidad respecto a la población, y al expresar esta experiencia colectiva en una obra difundida fuera de La Haya ante diferentes audiencias, este documento ha contribuido a dramatizar de otra forma el problema público de la producción nuclear a través del uso de una mezcla de investigación y reconstitución ficcional.
Enquête à quatre mains
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A-t-il jamais existé un modèle de l’étiquetage ? La déviance comme problème social dans les années 1960
Howard Becker and Daniel Cefaï
pp. 277–320
AbstractFR:
La sociologie des problèmes sociaux a connu un tournant dans les années 1960 avec l’émergence d’une nouvelle façon de traiter la « déviance » dans des livres et des articles de Howard Becker, Erving Goffman, Joseph Gusfield, Fred Davis, Aaron Cicourel et quelques autres. Cet article revient sur ce moment clé. En dépouillant la revue Social Problems (1961-1965), il remet en cause l’idée qu’aurait existé une « école de l’étiquetage » bien unifiée. Il rappelle l’importance de la Société pour l’étude des problèmes sociaux et du Centre d’études sur le droit et la société de Berkeley comme cadres institutionnels de ce tournant. Il examine la nouveauté des approches que l’on qualifiera plus tard d’interactionnistes et d’ethnométhodologiques. Il passe en revue les catégories de réaction sociétale, carrières et cultures, croisade morale et contrôle social — depuis devenues classiques. Et il repose une série de questions qui vaudront désormais pour l’étude des problèmes publics : qui subit et qui agit ? Qui compte et mesure ? Qui accuse et condamne ? Qui surveille et punit ?
EN:
The sociology of social problems reached a turning point in the 1960s with the emergence of a new way of dealing with “deviance”, put forward in books and articles by Howard Becker, Erving Goffman, Joseph Gusfield, Fred Davis, Aaron Cicourel, and others. This article looks back at this key moment. In reviewing the journal Social Problems (1961-1965), it challenges the notion that there was ever something like a unified “labelling school”. It recalls the importance of the Society for the Study of Social Problems and the Berkeley Center for the Study of Law and Society as the institutional settings for this theoretical shift. It discusses the novelty of what will later be referred to as interactionist and ethnomethodological approaches. Lastly, it reviews the categories of societal response, careers and cultures, moral crusade, and social control, which have since become classic. And it asks a series of questions that will henceforth apply to the study of public problems : who suffers and who acts ? Who counts and measures ? Who accuses and condemns ? Who surveils and punishes ?
ES:
La sociología de los problemas sociales experimentó un punto de inflexión en la década de 1960 con la aparición de una nueva manera de abordar la “desviación” en los libros y artículos de Howard Becker, Erving Goffman, Joseph Gusfield, Fred Davis, Aaron Cicourel y algunos otros. Este artículo se centra en ese momento decisivo. Un análisis de la revista Social Problems (1961-1965) pone en tela de juicio la idea de que hubiese existido una “escuela del etiquetado” bien unificada. Recuerda la importancia de la Sociedad para el estudio de los problemas sociales y del Centro de Estudios en derecho y sociedad de Berkeley como marcos institucionales de ese punto de inflexión. Se examina la novedad de los enfoques que más tarde serán calificados de interaccionistas y etnometodológicos. Se pasa revista a las categorías de reacción social, carreras y culturas, cruzada moral y control social −desde entonces clásicas. Y se hace de nuevo una serie de preguntas que llevarán desde entonces al estudio de los problemas públicos : ¿Quién sufre y quién reacciona ? ¿Quién cuenta y examina ? ¿Quién acusa y condena ? ¿Quién vigila y castiga ?
Hors thème
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Pour une histoire de l’imaginaire social : synthèse théorique autour d’un concept
Alex Gagnon
pp. 323–348
AbstractFR:
Longtemps associée à des perspectives archétypologiques soucieuses de débusquer les matrices universelles du fait symbolique, la notion d’« imaginaire » a souvent été suspectée par les historiens ; avec l’émergence de l’histoire culturelle dès les années 1980, elle a pourtant fini par s’imposer, avec sa déclinaison « sociale », dans l’arsenal conceptuel de la recherche historique, où elle suscite depuis un engouement manifeste. Cette entrée de l’« imaginaire social » dans l’éventail des préoccupations de l’histoire sociale et culturelle n’a cependant jamais été véritablement accompagnée par un effort de clarification conceptuelle, les mises au point faisant encore aujourd’hui défaut. En partant d’un survol des usages du concept d’imaginaire social au sein des sciences humaines et sociales, s’inspirant par ailleurs des apports fondamentaux venus de la philosophie et de la sociocritique du texte littéraire, cet article entend combler cette lacune : offrant une synthèse théorique utile autour de la notion, il en propose une théorisation susceptible de définir et d’unifier ce champ de la recherche qu’on appelle parfois aujourd’hui « histoire des imaginaires sociaux ».
EN:
Although the concept of the “imaginary” has long been associated with archetypal perspectives whose goal is to illuminate our understanding of the universal matrices of the symbolic fact, historians traditionally approached it with scepticism. Since the 1980s, however, when the study of cultural history began to gain widespread acceptance, the concept of the imaginary, with its various “social” declensions, has inspired a growing interest in the theoretical framework of historical research. Despite a widespread acceptance of the imaginary as a field of study, socio-imaginary narratives have never been truly conceptualized and the foundations of their theoretical expression have yet to be clearly defined. Beginning with an overview of the ways in which existing socio-imaginary narratives are used in the human and social sciences, and with reference to a literary review of the fundamental contributions of philosophy and sociocriticism to the study of cultural history, this article is intended to elucidate a more thorough comprehension of the concept of the imaginary. It offers a theoretical synthesize of socio-imaginary narratives and, in so doing, proposes a theoretical framework that serves to define and unify this field of research – what French historians often refer to as the histoire des imaginaires sociaux.
ES:
Asociada durante mucho tiempo con las perspectivas arquetipológicas interesadas en la búsqueda de matrices universales a partir del hecho simbólico, la noción de “imaginario” a menudo ha sido observada de forma sospechosa por los historiadores. Sin embargo, con el surgimiento de la historia cultural en la década de 1980, finalmente esta noción, con su variación “social”, ha terminado por imponerse en el arsenal conceptual de la investigación histórica, suscitando desde entonces un entusiasmo evidente. No obstante, la entrada del “imaginario social” en el rango de las preocupaciones de la historia social y cultural, nunca ha estado realmente acompañada de un esfuerzo de aclaración conceptual, puesto que aún hace falta su desarrollo. Partiendo de una mirada general a los usos del concepto de imaginario social al interior de las ciencias humanas y sociales, e inspirándose en las contribuciones fundamentales que provienen de la filosofía y de la sociocrítica del texto literario, este artículo pretende llenar este vacío, ofreciendo una síntesis teórica útil en torno a la noción y proponiendo una teorización susceptible de definir y unificar este campo de investigación, llamado en ocasiones en la actualidad “historia de los imaginarios sociales”.
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L’émergence de la cause des pauvres : genèse d’un « nouveau problème social » en Espagne (1960-1980)
Joan Cortinas Muñoz
pp. 349–372
AbstractFR:
À partir des années 1970, avoir un revenu inférieur au seuil de pauvreté est progressivement devenu dans plusieurs pays européens la justification d’un nouveau type de politique sociale : le « Revenu minimum d’insertion ». Celui-ci est pensable grâce à une série d’acteurs qui élaborent, à travers la notion de pauvreté, une nouvelle représentation des situations de nécessité, tout en militant pour des politiques destinées à les arrêter : les politiques de lutte contre la pauvreté. Pour ces militants de la cause des pauvres, les situations de nécessité ne sont pas seulement liées au fait d’avoir ou non un emploi, mais aussi à une multitude de facteurs interdépendants (formation, situation familiale, état de santé, etc.). Les travaux constructivistes existant sur les promoteurs de la cause des pauvres pointent les transformations du catholicisme d’après-guerre et de la pensée de gauche des années 1960 comme les deux conditions de possibilité de cette nouvelle cause. Cependant, le cas espagnol nous permet de constater que l’émergence de la cause des pauvres s’explique également par des éléments propres au contexte sociopolitique national et international : fin du franquisme, transformations au sein de l’Église vaticane et construction de la Communauté économique européenne.
EN:
Beginning in the 1970s, member countries of the European Community began to recognize the need for new social policies and programs, such as a “basic income allowance”, to mitigate the negative impacts of poverty on both individuals and society. The justification for these programs was championed by a group of actors who developed a new understanding of ‘situations of necessity’ relating to citizens whose incomes fall below established poverty lines. For anti-poverty activists and claimants alike, these so-called ‘states of need’ are linked to employment status and to a multitude of other interdependent factors, such as job training, family condition and health. Existing social constructivist frameworks identify the transformation of post-war Catholicism and the rise of left-wing ideologies during the 1960s as the primary factors which drove recognition of the plight of the poor as the genesis for the introduction of new, anti-poverty social programs. With a focus on Spain, this paper will explain how the development of progressive social policies based on the recognition of poverty and the plight of the poor was also contingent on a number of national and international factors unique to the country, including the end of the Francoist dictatorship, the ongoing evolution of the Catholic Church, and Spain’s membership and participation in the European Community.
ES:
A partir de la década de 1970, un ingreso inferior al umbral de pobreza llegó a ser gradualmente, en varios países europeos, la justificación para un nuevo tipo de política social: el “Ingreso mínimo de inserción”. Esto es posible gracias a una serie de actores que elaboran, a través de la noción de pobreza, una nueva representación de las situaciones de necesidad, al mismo tiempo que militan a favor de políticas diseñadas para detenerlas: las políticas de lucha contra la pobreza. Para estos militantes de la causa de los pobres, las situaciones de necesidad no sólo están relacionadas con el hecho de tener o no un empleo, sino también con una multitud de factores interdependientes (formación, situación familiar, estado de salud, etc.). Los trabajos constructivistas existentes acerca de los promotores de la causa de los pobres apuntan a las transformaciones del catolicismo de posguerra y del pensamiento de izquierda en la década de 1960, como las dos condiciones que hicieron posible esta nueva causa. No obstante, el caso español nos permite constatar que el surgimiento de la causa de los pobres se explica igualmente por elementos propios del contexto sociopolítico nacional e internacional: el fin del franquismo, las transformaciones al interior de la Iglesia Vaticana y la construcción de la Comunidad Económica Europea.