Abstracts
Résumé
Longtemps délaissé par les recherches en sciences sociales, la mesure quantitative du racisme redevient d’actualité et pose d’importantes questions méthodologiques et théoriques. En prenant appui sur l’expérience de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO, Insee-Ined, 2008-2009), cet article montre les apports et les limites de l’enquête pour la connaissance empirique et statistique des discriminations et du racisme, et explore des pistes d’explication de la sous-déclaration de l’expérience du racisme. Après une discussion des sources quantitatives d’analyse du racisme en France, nous présentons une synthèse des résultats de TeO sur le racisme rapporté par les immigrés et descendants d’immigrés. Nous discutons ensuite les relations entre expérience des discriminations et du racisme, et des corrélations avec l’altérisation des groupes. Nous terminons par une réflexion argumentée sur les processus de subjectivation et de conscientisation à l’oeuvre parmi les minorités racialisées, en traitant des formes de racisation à partir des marques et caractéristiques personnelles reliées à l’expérience raciste.
Mots-clés :
- Racisme,
- discriminations,
- méthodologie d’enquête,
- altérisation
Abstract
Overlooked for a long time by social science, the quantitative measurement of racism is now back on track, and raises crucial theoretical and methodological issues. Building on the findings and data of the Trajectories and Origins survey (TeO, Insee-Ined, 2008-2009), this article investigates the contribution and the limits of the survey to the empirical and statistical knowledge of discrimination and racism. It offers explanation about under-reporting of experiences of racism. We provide an overview of quantitative sources about racism in France, and then discuss the main findings from TeO on reported racism by immigrants and second generation. We show the interplay between racism and discrimination and their correlation with experiences of othering. Finally, we develop a discussion on processes of subjective account and consciousness of racism based on the personal characteristics and marks that exposed them to racism.
Keywords:
- Racism,
- Discriminations,
- Survey methodology,
- Othering
Resumen
Descuidada durante mucho tiempo por las investigaciones en ciencias sociales, la medición cuantitativa del racismo vuelve a ser de actualidad pero plantea importantes cuestiones metodológicas y conceptuales. Tomando como base la metodología y los datos de la investigación de las Trayectorias y Orígenes (Trajectoires et Origines, TeO), este artículo muestra los insumos y los límites de la investigación para el conocimiento empírico y estadístico de la discriminación y el racismo, y explora pistas de explicación de la subdeclaración de la experiencia del racismo. Tras una discusión de las fuentes cuantitativas de análisis del racismo en Francia, presentamos una síntesis de los resultados de las TeO acerca del racismo reportado por inmigrantes y descendientes de inmigrantes, particularmente de las correlaciones entre alterización de los grupos y experiencia del racismo. Regresando a las modalidades de racización a partir de las marcas y las características personales relacionadas con la experiencia racista, proponemos una reflexión argumentada acerca de los procesos de subjetivación y concientización de la obra entre las minorías racializadas.
Palabras clave:
- Racismo,
- discriminación,
- metodología de investigación,
- alterización
Article body
La façon d’aborder le racisme dans les sciences sociales françaises a connu des transformations successives depuis la fin des années 1970. Principalement centrée sur des discussions philosophico-politiques de la pensée raciste et du racisme comme idéologie, la sociologisation du racisme devient plus manifeste à partir des années 1980 avec le développement des recherches sur les relations interethniques à partir des années 1980 (Amiraux et Simon, 2006 ; Bertheleu, 1997 ; Streiff-Fenart, 1997). Cette évolution a accompagné l’émergence de la question des discriminations ethnoraciales et leur traitement politique dans la seconde moitié des années 1990. Le concept de discrimination s’est alors ajouté à celui de racisme avant de le remplacer dans la plupart des recherches, et ce, pour plusieurs raisons : la demande sociale et politique stimule la commande sur les discriminations ; en tant que « racisme en acte » (De Rudder et al., 2000), la dimension plus opérationnelle de l’approche par les discriminations ouvre de nouveaux domaines d’inégalités qui n’étaient pas abordés jusqu’ici sous l’angle du racisme ; la nouveauté (relative) du concept permet de se situer sur le terrain de pratiques institutionnelles sans mobiliser l’accusation invalidante de comportements racistes, et donc d’amorcer une révision de pratiques apparemment neutres et considérées jusqu’ici comme banales. Ce mouvement caractérise le passage d’une focalisation sur le racisme explicite activant ouvertement stéréotypes et préjugés à une prise en compte du racisme voilé ou « subtil », un racisme sans race ou colorblind (Balibar et Wallerstein, 1988 ; Bonnilla-Silva, 1997, 2010 ; Emirbayer et Desmond, 2015) déconnecté d’une idéologie racialiste ou ouvertement raciste et ne mobilisant pas une référence explicite à l’existence de races humaines et aux hiérarchisations raciales/racistes[1]. L’approche du « racisme quotidien » (everyday racism, Essed, 1991) s’inscrit dans ce dévoilement des formes banales ou ordinaires d’un racisme incrusté dans les pratiques sociales et les structures institutionnelles.
La contrepartie de la diffusion des recherches sur les discriminations a été une éclipse partielle du thème du racisme durant les années 2000, malgré plusieurs thèses de doctorat sur le sujet[2]. La notion de discrimination a elle-même été ultérieurement supplantée par celle de diversité dans les politiques des entreprises, ce qui induit un glissement supplémentaire par rapport au cadrage par les discriminations (Bereni, 2009 ; Doytcheva, 2015). On assiste cependant récemment à un retour de l’intérêt pour la thématique du racisme aussi bien du côté des débats de société que des travaux en sciences sociales : retour d’une expression publique raciste décomplexée (CNCDH, 2018), mobilisations contre l’antisémitisme et montée spectaculaire de l’islamophobie dans les sociétés européennes et nord-américaines (Taras, 2012). La question touche également le monde des entreprises qui l’avait globalement occultée (Coulon et al., 2018).
C’est dans ce contexte de formes à la fois explicites ou haineuses et plus subtiles ou invisibles du racisme et d’une prise en compte croissante de l’expérience des minoritaires et des personnes racisées dans les analyses (Poli, 2005 ; Poiret, 2010) que se pose la question de la mesure du phénomène. Les études quantitatives des discriminations ont accompli beaucoup de progrès dans les dernières années (Safi et Simon, 2013 ; Blank et al., 2004), mais la quantification du racisme reste pour l’essentiel limitée aux travaux sur les préjugés racistes, c’est-à-dire les représentations et attitudes des acteurs, et aux statistiques des plaintes, aux agressions et à la violence. À la suite des travaux de Allport (1979 [1954]) sur les préjugés, la psychologie sociale a développé des batteries d’indicateurs sur les opinions et les attitudes envers les membres des autres groupes d’appartenance et elle analyse les variations sociales et géographiques, ainsi que temporelles des attitudes plus ou moins hostiles (Pettigrew et Meertens, 1995). Ces mesures ne renseignent cependant qu’une partie du phénomène et ne correspondent pas aux mesures du racisme systémique ou des manifestations les plus banales du racisme. Ce décalage entre les avancées de la recherche théorique, les observations de terrain et les méthodes quantitatives pose problème aussi bien du point de vue de la connaissance que de l’action publique.
Dans l’article, nous revenons sur les opérations de quantification du racisme, c’est-à-dire sur leurs conditions de possibilité et la façon dont elles cadrent le racisme par leur approche, et le rôle qu’elles peuvent jouer dans la connaissance du phénomène. De façon indirecte, les approches par les déclarations des personnes exposées contribuent à des formes de conscientisation du racisme et des discriminations en formalisant l’expérience et en la replaçant dans une situation collective qui dépasse la subjectivation individuelle. Réciproquement, ce processus de conscientisation est un préalable à la déclaration du racisme dans les enquêtes, tant il est vrai que la qualification de l’expérience de la stigmatisation nécessite un travail préalable à l’enquête. Nous prenons appui sur l’enquête Trajectoires et origines, réalisée en 2008-2009 par l’Ined et l’Insee auprès de 22 000 enquêtés. L’enquête comprend des questions sur l’expérience des discriminations et du racisme et permet des analyses croisées entre ces deux types d’expérience en les reliant aux profils des populations. Nous faisons l’hypothèse que les personnes interrogées font une distinction entre discrimination et racisme et que l’évocation du racisme dans l’enquête dépend du degré de stigmatisation auquel sont exposées les personnes racisées. Dans ce contexte, la visibilité des caractéristiques « racisables » détermine fortement le degré de conscientisation du racisme, bien qu’il soit possible que cette conscientisation opère sans marques visibles.
Nous procéderons en commençant par une courte synthèse des sources françaises permettant de mesurer le racisme ; puis nous présenterons plus en détail la façon dont le racisme est appréhendé dans l’enquête Trajectoires et origines et les résultats des déclarations ; cela nous amènera ensuite à évaluer la portée des marques et stigmates qui influencent la déclaration d’une expérience raciste ; et enfin, nous discuterons des interactions entre expérience du racisme et expérience des discriminations.
mesurer le racisme et qualifier les populations racisées
Contrairement aux discriminations qui ont rapidement fait l’objet d’une certaine inventivité dans la mesure quantitative, le racisme a principalement été abordé dans une perspective historique (Bancel, Blanchard et Boëtsch, 2002 ; Noiriel, 2007 ; Reynaud-Paligot, 2006, 2007 ; Schaub, 2015), philosophique (Taguieff, 1988 ; Bessone, 2013) ou juridique (Lochak, 1992 ; Haguenau-Moizard, 1999) et paradoxalement assez peu dans des enquêtes sociologiques[3]. Le caractère limité des travaux empiriques sur les manifestations et l’expérience du racisme s’explique en premier lieu par l’embarras des sciences sociales françaises relativement aux concepts d’ethnicité et de race et la hiérarchisation des dominations conduisant à privilégier les analyses en termes de classes, poussant à marginaliser les recherches sur l’immigration et les minorités (Amiraux et Simon, 2006 ; Bertheleu, 1997). Poser la question raciale en France n’allait pas de soi jusqu’à récemment (Fassin et Fassin, 2006).
Cet évitement de la question raciale est encore plus manifeste dans le cadre des études quantitatives qui sont prises dans les « controverses des statistiques ethniques », c’est-à-dire la disqualification des statistiques utilisant des catégories ethniques ou raciales (Simon, 2008). À ces obstacles s’ajoute une difficulté propre à l’approche institutionnelle et légale adoptée en France.
Le racisme vu par les institutions
Le racisme tel qu’il est appréhendé par l’appareil juridique et politique se définit essentiellement par la haine d’autrui — la haine raciale qui vise « une personne ou groupe de personnes à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance d’une personne à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (loi de 1972) — et non comme un construit historique, social et politique ou un rapport social. Dans l’action publique, le racisme est ainsi assimilé en priorité à des idées, des préjugés, des idéologies, des discours ou bien des attitudes hostiles et des actes de violence qu’il faut combattre par l’éducation ou la pénalisation. La notion même de racisme institutionnel est peu utilisée en sciences sociales françaises (Wieviorka, 1993 ; Sala Pala, 2010 ; Dhume, 2016) et elle suscite des réactions politiques immédiates quand elle est mobilisée dans le débat public[4].
L’assimilation du racisme à l’expression de la haine d’autrui et aux formes d’agressions ou de violences verbales ou physiques basées sur l’appartenance (réelle ou imaginaire) à un groupe ou une population est partagée par les sujets sociaux racisés et discriminés. Lorsqu’on les interroge, dans un même élan, ils mettent en avant les ressorts cognitifs ou idéologiques communs au racisme et aux discriminations tout en analysant le plus souvent les discriminations comme la conséquence de préjugés racistes (Cuturello, 2011a, 2011b). En revanche, voir dans les discriminations la matérialisation et la reproduction du racisme entendu comme un système d’inégalités structurelles est nettement plus rare. Une des raisons en est que les pratiques racistes sont d’abord saisies à l’échelle des relations inter-individuelles et comprises comme des conduites manifestes, intentionnelles, consécutives à l’existence de préjugés, de catégorisations négatives, voire d’idéologies de haine pouvant aller jusqu’à la persécution et la néantisation de l’autre construit comme différent, cependant que sont ignorés ou oubliés les rapports de pouvoir entre les groupes qui s’inscrivent dans le temps historique et qui en constituent le support.
La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)[5], qui a pour tâche principale d’organiser l’action publique dans ce domaine, se penche ainsi essentiellement sur le racisme par le biais des attitudes haineuses, suivant en cela l’approche anglophone du bullying et des hate crimes. Les recoupements du périmètre d’action de plusieurs institutions officielles sur les thématiques du racisme et des discriminations expliquent en partie cette focalisation sur la version haineuse du racisme et de l’antisémitisme, les discriminations étant plus du ressort du Défenseur des droits (DDD) et le racisme de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Cependant, la DILCRAH est le seul opérateur à comprendre le terme de racisme dans son intitulé et, à ce titre, elle incarne de fait l’action de l’État contre le racisme. Son approche centrée sur les sanctions ou l’éducation prolonge la conception traditionnelle qui trouve peu de traduction dans des formes de mesure quantifiée. Les seules données statistiques disponibles sur le racisme relèvent de deux sources : d’une part, les atteintes ou actes racistes enregistrés soit dans les plaintes à la police, soit dans les enquêtes de victimation ; d’autre part, la mesure des préjugés et stéréotypes racistes collectés dans des sondages d’opinion ou des enquêtes en psychologie sociale, souvent expérimentales.
Les mesures existantes du racisme
Les travaux quantitatifs en sciences sociales sur le racisme relèvent principalement de l’étude des opinions et des préjugés. Par exemple, l’enquête « Français et Immigrés » de Girard et Stoezel conduite au début des années 1950 reprenait l’échelle de distance sociale de Bogardus (1925) avec d’autres questions concernant les attitudes des Français à l’égard de l’immigration et des immigrés. Les analyses se gardaient bien néanmoins de traiter les réponses sous l’angle du racisme (Escafré-Dublet et Kesztenbaum, 2011). Cette approche a été reconduite par la suite par Alain Girard, non sans ambiguïté entre l’enregistrement des préjugés et l’évaluation de ce qui était souhaitable ou pas en matière d’immigration[6]. Cette veine de travaux en psychosociologie est également travaillée par Gérard Lemaine qui déconstruit, entre autres, les préjugés en matière de couples mixtes (Lemaine et Ben Brika, 1988).
Les approches en psychosociologie mesurent la formation des stéréotypes et l’expression des préjugés. L’usage d’indicateurs composites formés à partir de questions d’opinion sur les « immigrés » ou les « groupes raciaux » est très répandu[7] et apporte des éléments de mesure qui ont trouvé une traduction institutionnelle. Depuis 1990, la CNCDH réalise en effet un « baromètre annuel sur le racisme », c’est-à-dire un sondage d’opinion enregistrant les attitudes, stéréotypes et préjugés des Français à l’égard de minorités spécifiées (les juifs, les musulmans, les Maghrébins, les Noirs, les Asiatiques, les Roms, les gens du voyage). Les nombreuses questions sont combinées pour former un indice composite de tolérance variant de 0 (complètement intolérant) à 100 (absolument tolérant), l’indice permettant des analyses diachroniques. Il met en évidence une grande sensibilité aux événements de l’actualité (campagnes électorales, attentats, controverses publiques et lois sur les signes religieux, l’immigration, les discriminations, etc.), mais selon l’analyse qu’en propose Vincent Tiberj, la tendance lourde de l’indice depuis une vingtaine d’années est d’augmenter, passant de 48 en 1991 à 64 en 2017 (voir CNCDH, 2018 : 66). L’hypothèse implicite dans ces approches est que la mesure des représentations définit le cadre d’expression du racisme : plus les préjugés se réduisent et moins le racisme sera actif dans une société. On sait cependant que le lien est loin d’être univoque et que non seulement les préjugés ne se traduisent pas nécessairement en actes, mais que leurs reconfigurations peuvent rendre invisibles de véritables pensées racistes dont le substrat intellectuel et idéologique s’est reformulé (Fiske, 1998). Ainsi, la baisse tendancielle de la croyance dans l’inégalité primordiale entre les races ne signifie pas nécessairement que les préjugés disparaissent : ils se construisent et se disent différemment. L’enjeu est donc de construire des indicateurs permettant d’enregistrer les préjugés dans leur actualisation.
Outre l’analyse du baromètre, le rapport annuel de la CNCDH fournit une recension des actes racistes enregistrés par les services de la police et de la justice. On le sait, ces atteintes et infractions offrent un reflet du racisme filtré à de multiples niveaux : il faut que les personnes faisant face à des actes les rapportent à la police ou à la justice, que les services de ces institutions enregistrent les plaintes et enfin que ces plaintes soient qualifiées de telle manière qu’elles apparaissent comme du racisme. Le rapport 2017 de la CNCDH apporte des informations méthodologiques sur ces sources et leur régime de validité (voir CNCDH, 2018 : 138 et sq.). On notera du reste que le Code pénal regroupe les infractions (crimes, délits et contraventions) commises « en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion », associant la religion aux autres caractéristiques relevant du racisme. Sur les 5130 crimes et délits enregistrés en 2017, 80 % concernent des « provocations, injures, diffamations ». Les statistiques nous apprennent également que 80 % des victimes de crime à caractère raciste sont de nationalité française, mais on ne sait rien de leurs origines, de leur couleur de peau ou de leur religion. En tout état de cause, il y a un consensus pour considérer que non seulement ces statistiques policières ou judiciaires sous-estiment fortement l’incidence du racisme en France, mais qu’elles ne renseignent pas plus sur la structure des actes de racisme ou le profil des victimes, tant les biais sont nombreux.
L’approche par la victimation est également développée dans l’enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS, réalisée par l’Insee et l’ONDRP[8]) qui s’est intéressée de façon de plus en plus détaillée au racisme[9]. Sont enregistrées les violences, menaces et insultes « à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ». Dans le cas des injures, les enquêtés/victimes pouvaient préciser le texte des injures, ces dernières ayant fait l’objet d’une analyse détaillée dans une publication de l’ONDRP (Amrous et Scherr, 2017). Il en ressort que sur la période 2007-2015, 12,4 % des personnes enquêtées ont déclaré avoir subi des injures au cours des 24 derniers mois, dont 14 % étaient des injures racistes, soit 1,7 % de la population qui a déclaré une insulte raciste.
Définir les racisés dans les enquêtes
On conçoit que toute la population n’est pas également exposée au risque du racisme, et c’est là l’un des problèmes des enquêtes en population générale : elles ne parviennent pas à mesurer avec suffisamment de précision statistique les situations vécues par les minorités, précisément car ce sont des minorités et qu’elles sont peu représentées dans les échantillons. À moins d’avoir une stratégie délibérée de surreprésentation de groupes à risque, que ce soit des minorités ethno-raciales, sexuelles ou religieuses, les enquêtes de victimation ne permettent pas de détailler les contextes de ces expériences. L’autre problème pour traiter du racisme dans les enquêtes de la statistique publique tient aux catégories décrivant les populations. L’enquête CVS n’enregistre ainsi que la nationalité et le pays de naissance des enquêtés, et le traitement qui en est fait ne retient que les nationalités. Or, il est établi que le racisme concerne des personnes racisées sur des critères qui débordent très largement les nationalités juridiques ou les pays de naissance, comme nous le verrons à la partie suivante[10]. Le décalage entre la catégorisation des enquêtés et les phénomènes de racisme est une préoccupation constante pour les analyses statistiques. Son traitement est à la source des fameuses « controverses des statistiques ethniques » (Simon, 2014) et la plupart des enquêtes en France examinent les catégories de populations racisées par l’intermédiaire des informations sur le pays de naissance et la nationalité des personnes et de leurs parents. Pour imparfaites qu’elles soient, ces catégorisations par générations de lien avec l’immigration et les origines géonationales — ou ethniques, selon la façon dont on voudra les qualifier — permettent néanmoins de connaître un peu mieux les sujets du racisme que les seules catégories d’étrangers ou d’immigrés (Simon, 2008).
Plusieurs enquêtes récentes mobilisent des catégories de population se rapprochant des populations racisées et collectent par ailleurs des informations sur l’expérience des discriminations et du racisme : l’enquête Trajectoires et origines (2008-2009, Ined et Insee), l’enquête Expérience et perception des discriminations en Île-de-France (2015, Ordis) et l’enquête Accès aux droits (2016, Défenseur des droits). Si les trois enquêtes identifient les immigrés et leurs descendants, les deux dernières ont également collecté l’auto-identification dans des catégories ethno-raciales (Eberhard et Simon, 2016 ; DDD, 2017). Il est certain que l’identification des personnes racisées à partir des caractéristiques mêmes de leur racisation pose une question majeure aux sciences sociales, notamment en France où le choix politique de l’invisibilité des caractéristiques ethniques et raciales est reconduit par une grande partie des chercheurs. Les difficultés à nommer les personnes racisées et à les faire exister statistiquement contribuent à rendre la mesure du racisme inopérante.
l’enquête trajectoires et origines et la mesure du racisme
Réalisée entre la fin 2008 et le début de 2009, l’enquête Trajectoires et origines est coproduite par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Couvrant l’ensemble des domaines de la vie sociale (éducation, emploi, logement, santé) et les dimensions identitaires, religieuses, linguistiques et politiques des pratiques et expériences, l’enquête porte sur 22 000 personnes représentatives de la population métropolitaine âgée de 18 à 60 ans et comprend une forte surreprésentation des immigrés et de leurs descendants (définis comme les personnes nées en France d’au moins un parent immigré). Outre les immigrés et secondes générations, les originaires des DOM (départements d’outre-mer) et leurs descendants nés en métropole font également l’objet d’une surreprésentation. En plus des nombreux articles scientifiques publiés depuis 2010, un ouvrage de synthèse est paru en 2015 (Beauchemin, Hamel et Simon, 2015)[11].
L’approche des discriminations et du racisme dans TeO
La problématique centrale de l’enquête TeO était d’articuler l’analyse des processus d’intégration, conçus comme l’accès aux ressources de la vie sociale et la participation à la société, avec l’étude des discriminations. L’originalité du dispositif de l’enquête TeO est de combiner des mesures objectives et subjectives pour saisir l’ampleur des inégalités et des discriminations dans différentes sphères de la vie sociale et d’approcher les discriminations à partir de leur autodéclaration par les enquêtés, mais également par les situations de traitement inégalitaire rencontrées (à l’école, au travail, dans l’accès au logement ou à la santé) qui sont ensuite rapportées aux critères ayant provoqué ces traitements. Les discriminations reconstruites à partir de ces expériences sont qualifiées dans les analyses de « discriminations situationnelles » (Safi et Simon, 2013). Les critères de discrimination enregistrés dans ces situations portent sur le sexe, l’âge, l’origine et la couleur de peau, la religion, la nationalité ou l’état de santé. Le thème du racisme est quant à lui explicitement abordé par une question sur les insultes, les propos ou les attitudes à caractère raciste subies par les personnes avec les critères incriminés tels que la couleur, l’origine, l’accent, etc., et les espaces de confrontation au racisme (école, emploi, espace public, commissariat, etc.) qui permettait de mesurer l’exposition au racisme ordinaire vécu par les différents groupes et sa fréquence (Hamel, Lesné et Primon, 2015). Une question invite également les personnes n’ayant pas vécu de racisme à se projeter dans l’éventualité d’une expérience de racisme, c’est-à-dire à se définir comme personne racisée[12]. Enfin, des indicateurs d’altérisation des personnes sont construits à partir de questions sur la fréquence de questions sur l’origine dans la vie quotidienne ou le fait de ne pas être perçu comme français.
Qui subit le racisme ?
Les groupes qui en France métropolitaine se déclarent les plus en butte au racisme au cours de la vie sont les natifs d’un DOM (47 %) et leurs descendants (54 %) ; les immigrés d’Algérie (35 %) et leurs descendants (50 %) ; les immigrés du Maroc ou de Tunisie (38 %) et leurs descendants (51 %) ; ceux d’Afrique subsaharienne (52 %) et leurs descendants (58 % et 60 %), d’Asie du Sud-Est (37 %) et leurs descendants (54 %). Les originaires de Turquie et d’Europe du Sud se montrent moins concernés, bien que les descendants d’immigrés turcs divergent assez fortement des immigrés sur ces expériences. Ce clivage entre les différentes origines migratoires reste pour ainsi dire inchangé lorsque l’analyse statistique prend en considération l’âge, le sexe et la durée de résidence en France métropolitaine ou même le diplôme et la catégorie socioprofessionnelle, voire la zone de résidence (Hamel, Lesné et Primon, 2015). À rebours des représentations communes d’une surexposition des milieux populaires au racisme, ce sont les plus diplômés, aux salaires supérieurs à la médiane et disposant d’une activité économique stable qui déclarent le plus d’expériences racistes, et ce, quelles que soient les origines. Le mécanisme observé pour les discriminations semble se reconduire dans le cas du racisme : les milieux les plus éduqués et insérés socialement sont non seulement plus en position d’identifier le racisme et d’en ressentir les conséquences en termes de « chances de vie », mais leur parcours de mobilité sociale les amène à pénétrer des sphères où ces personnes sont extrêmement minoritaires en tant que racisées et, de ce fait, plus exposées aux attitudes et opinions racistes, fussent-elles exprimées de manière feutrée (Anderson, 2011).
Tel qu’il est déclaré par les enquêtés, le racisme se rencontre en premier lieu dans les espaces publics (Hamel, Lesné et Primon, 2015), à savoir la rue, les magasins, les transports. Plus de la moitié des immigrés et des descendants d’immigrés ont fait au moins une fois l’expérience du racisme de rue, en particulier lorsqu’ils sont originaires d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord ou de l’Asie du Sud-Est. Autre lieu emblématique d’exposition au racisme : l’école. L’école est souvent l’espace du premier affrontement des micro-agressions ou violences racistes pour les descendants d’immigrés ou pour les natifs des DOM qui ont été scolarisés en France métropolitaine (Hamel, Lesné et Primon, 2014). Le lieu de travail constitue un troisième espace d’expérience du racisme. Les immigrés et les natifs d’un DOM plus que les descendants d’immigrés le citent fréquemment. Plus occasionnels parce que moins fréquentés que d’autres espaces, les commissariats de police sont malgré tout plus souvent identifiés comme lieux de racisme que les administrations ou les établissements universitaires par les descendants d’immigrés algériens, marocains ou tunisiens, africains sahéliens ou turcs (en particulier les hommes). Les mêmes ont, par ailleurs, souvent déclaré avoir fait l’objet de contrôles multiples par la police (Simon et Tiberj, 2010), autant d’indices qui donnent forme à l’existence d’un racisme institutionnel à leur égard. Dans plusieurs groupes d’origine (DOM, Maghreb, Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est), il est rare que le racisme s’expérimente dans un seul lieu, preuve que l’expérience du racisme pour eux n’est pas isolée mais répétitive.
Comme pour l’autodéclaration des expériences de discrimination (Safi et Simon, 2013 ; Lesné, 2015), la sensibilité ou l’exposition réelle au racisme est nettement plus dense parmi les descendants d’immigrés que chez les immigrés. Ainsi, chez les descendants racisés, l’expérience subjective du racisme est-elle très souvent exprimée par une majorité de personnes. Plusieurs hypothèses non exclusives peuvent être avancées pour expliquer ce différentiel entre immigrés et descendants : (i) une pratique plus assidue, de la part des descendants, des espaces mixtes (école, centres commerciaux, secteurs d’activité, etc.), voire des espaces à dominante majoritaire où les marques des origines deviennent plus apparentes, avec pour conséquence une exposition plus grande aux atteintes racistes ; (ii) une conception plus sélective de l’hostilité raciste (ou une crainte de sa dénonciation) de la part des immigrés en raison de leur origine ou nationalité étrangère et d’un sentiment d’illégitimité ; (iii) une exigence d’égalité plus forte et une sensibilité plus exercée à la stigmatisation chez les descendants nés et socialisés dans l’espace français et à ses valeurs. Plusieurs entretiens approfondis réalisés après l’enquête TeO auprès d’immigrés et de descendants confortent la dernière hypothèse (Lesné, 2015). Il faut relever le contraste marquant de sensibilisation au racisme entre les migrants d’Asie du Sud-Est et de Turquie et leurs descendants, ce qui fait écho dans le cas des premiers aux mobilisations récentes contre le racisme anti-asiatique[13].
Racisme et altérisation
La catégorie des personnes qui ne déclarent pas d’expérience du racisme mais se pensent vulnérables à son expression est également intéressante à analyser. Elle décrit un espace de racisation où la menace raciste est suffisamment crédible pour être envisagée. D’une façon générale, les immigrés sont plus nombreux à se dire exposés au racisme que victimes, comparés aux descendants d’immigrés. L’incertitude sur ce que recouvre le racisme et l’inégalité qui s’attache au statut d’immigré font écran à la qualification des expériences racistes. On constate une minimisation des expériences aussi bien du racisme que des discriminations par les immigrés des groupes racisés, alors que les descendants des mêmes groupes font preuve d’une plus grande conscientisation ou subjectivation de l’expérience du racisme. On relève que ce rapport au racisme est médié par le degré d’altérisation des personnes, c’est-à-dire que le fait d’être « racisable » surexposerait au racisme au quotidien et se traduirait par davantage de déclarations d’expérience, ou à tout le moins de se dire vulnérable au racisme.
On ne dispose pas dans TeO d’éléments sur l’apparence physique, le phénotype, l’accent ou le nom des enquêtés autres que les critères incriminés dans les situations discriminatoires ou de racisme, mais on peut tester l’hypothèse de l’altérisation avec un indicateur qui combine les réponses « souvent » à une question sur les origines[14] et « plutôt pas ou pas du tout d’accord » avec le fait d’être vu comme étant français. Le premier constat est que l’altérisation diminue entre immigrés et descendants mais elle reste néanmoins très élevée pour les minorités souvent qualifiées de « visibles » (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est) par rapport aux personnes originaires d’Europe du Sud. La corrélation entre l’altérisation et la déclaration d’une exposition au racisme (soit par expérience, soit par potentialité) est vérifiée pour la plupart des groupes les plus exposés. Par contraste, la corrélation n’est pas significative pour les migrants d’Europe du Sud et aussi pour ceux de Turquie ou d’Asie du Sud-Est, qui sont par ailleurs les groupes déclarant le moins d’expériences du racisme. Cela signifie que non seulement l’exposition au racisme est relativement plus faible mais également qu’il y a déconnexion entre l’altérisation et le racisme dans leur cas. On observe une corrélation significative pour les descendants d’immigrés de ces trois groupes, et d’une façon plus générale, des indicateurs de corrélation plus élevés pour les descendants par rapport aux immigrés de la plupart des groupes d’origine signalant l’activation de l’association entre altérisation et conscientisation du racisme.
Cette association entre altérisation et racisme renvoie à la production de différences dans le contexte de la société française censée être colorblind, c’est-à-dire indifférente aux différences. Or, les scripts contemporains du racisme sont de moins en moins basés sur la croyance dans l’existence ou la hiérarchie des races, comme en témoigne la diminution tendancielle de ces croyances dans le sondage de la CNCDH, mais relèvent plus directement de la mobilisation de stéréotypes et préjugés indexés sur des signes d’altérité. Mais quels signes sont associés à l’expérience raciste ?
marques et stigmates
Dans son expression quotidienne, l’altérisation négative qui se trouve au principe de la dimension cognitive et idéologique du racisme — sa face mentale — se manifeste généralement par le fait de relever, de voir, de porter attention à des traits plus ou moins visibles chez autrui, des marques que l’ordre social raciste rend saillantes dans les interactions quotidiennes parce qu’elles sont alors censées symboliser l’appartenance d’un individu à une population particulière que le racisme stigmatise et dévalue (Fiske, 1998 ; Guillaumin, 2002 [1972]). Tel peut être le cas de traits physiques ou phénotypiques, comme la couleur de la peau, la texture des cheveux, les traits du visage, mais aussi de la langue, de l’accent, de la religion, du nom de famille, de la nationalité, de l’origine, de certaines pratiques culturelles, des goûts, etc., que le schème raciste transforme en stigmates visibles, en marques d’infériorité sociale (Taguieff, 1988). Suivant la théorie goffmanienne, ces signes de discrédit rendent ceux qui les portent discréditables, et par voie de conséquence les exposent aux discriminations et au racisme (Goffman, 1975 [1963]).
Les marques de stigmatisation dans TeO
Dans l’enquête TeO, il était demandé aux enquêtés qui déclaraient avoir subi du racisme d’indiquer les traits de leur personne qui, selon eux, étaient ciblés et stigmatisés, plusieurs réponses étant possibles. Le nom, la couleur de peau, la religion, l’apparence physique, l’accent, l’origine ou la nationalité étaient proposés et il était possible de mentionner d’autres marques. En pratique, l’action raciste stigmatise rarement un seul aspect de l’identité des personnes et met le plus souvent en cause toute une gamme d’indices érigés en différence indépassable et perçus négativement. Ainsi, en posant la question des critères pris pour cibles par les comportements racistes, l’enquête TeO permet de repérer les marques stigmatisées selon les groupes et de documenter la question de la prégnance ou pas de certaines d’entre elles dans le racisme contemporain.
Entre les deux tiers et les trois quarts des enquêtés citent plusieurs critères (deux ou plus). Hormis les natifs et les descendants de natifs d’un DOM, les groupes les plus ciblés par le racisme citent plus fréquemment que les autres plusieurs critères. A contrario, les populations les mieux protégées du racisme (population majoritaire, immigrés et descendants d’immigrés d’Espagne ou d’Italie, et plus généralement d’origine européenne) ne mentionnent que rarement plus d’un seul motif.
La couleur de la peau est massivement citée par les originaires (signifiant ici migrants et descendants ensemble) des Dom ou d’Afrique subsaharienne, et de façon plus marquée par les originaires d’Asie du Sud-Est que par les personnes d’origine maghrébine. Ce critère n’est pratiquement pas relevé par les originaires de Turquie ou d’Europe. La position des personnes d’origine turque est intéressante en ce qu’elle signifie clairement qu’elles n’attribuent pas le racisme à des critères de visibilité autre que le nom. La religion est évoquée principalement par les personnes se déclarant juives ou musulmanes. Pour les secondes, la religion n’est cependant pas le critère dominant.
Chez les descendants d’immigrés, les critères faisant office de pivots aux attitudes racistes apparaissent plus concentrés et moins diversifiés que chez les immigrés. Cela tient notamment à la présence du critère de l’accent, caractère stigmatisé cité de manière significative par les immigrés, mais qui devient négligeable chez les fils et filles d’immigrés. L’accent constitue un habitus linguistique qui, comme d’autres traits ou expressions, fait office socialement de marqueur distinctif permettant de repérer et de classer l’identité tant géographique que sociale des personnes. Dans la vie quotidienne, lorsque l’accent diffère de la forme standardisée de la langue majoritaire et qu’il est associé à une minorité ou à un groupe social symboliquement dominé, il fait souvent l’objet d’une stigmatisation dans les interactions et les relations sociales.
Chez les immigrés, l’origine ou la nationalité constituent les premières marques signalées par les populations qui subissent le moins le racisme. Il en va de même parmi les descendants, à l’exception notable des descendants d’immigrés turcs qui subissent fortement le racisme (particulièrement les hommes), tout en déclarant préférentiellement l’origine ou la nationalité comme éléments sur lesquels se focalise essentiellement leur stigmatisation. Nous pouvons en déduire que l’altérisation vécue par ces populations originaires pour la plupart des pays européens (en ligne directe ou par leurs parents) s’apparente plus à de la xénophobie ou à de l’hétérophobie (au sens de la « phobie de l’autre » : Memmi, 1982) qu’à du racisme proprement dit. Les différences stigmatisées ici renvoient moins au phénotype et à la morphologie des personnes (couleur de peau, apparence physique), voire à leur culture (ici la religion) qu’à l’extranéité repérée par la nationalité d’origine ou éventuellement par le nom de famille.
L’espace de la racisation : stigmates et déclaration d’une expérience raciste
Pour mieux nous représenter quels sont les marqueurs cités comme pivots du racisme vécu par les personnes qui composent chaque groupe d’origine et quelles relations elles entretiennent, nous avons réalisé des analyses factorielles (AFC) pour les personnes immigrées et les originaires d’un DOM d’une part (Graphique 4) et pour les fils et filles d’immigrés ou d’originaires d’un DOM d’autre part (Graphique 5). Dans les deux cas, les analyses sont établies à partir du nombre de réponses ou citations accordées aux différents indices[15].
Dans les espaces factoriels, la position singulière des catégories de population originaires d’Europe peut être visualisée. La couleur de l’épiderme qui, socialement, symbolise toujours fortement les « races » n’est pour ainsi dire pas mentionnée par ces populations. Ce trait physique particulièrement stigmatisé et stigmatisant[16] est surtout signalé par les natifs des DOM et d’Afrique subsaharienne ou leurs descendants. La couleur de la peau (comme l’apparence), à la différence du patronyme, est une marque physique perceptible à la vue qui, dans la catégorisation sociale, peut être discriminante au sens premier du mot : elle permet de classer, différencier, distinguer, séparer mentalement ou physiquement des catégories d’êtres. Mais dans les processus de racialisation et racisation (Poiret, 2011), elle devient une marque négative, un stigmate. Historiquement, la couleur de peau (avec généralement d’autres critères physiques) a été à la base des premières tentatives de classifications raciales de l’espèce humaine (Bernier 1684, Linné 1758, Buffon 1749, etc.) qui vont se poursuivre aux xixe et xxe siècles et déboucher sur les théorisations du racisme scientifique. À partir du xviiie siècle, en effet, il est admis que dans le monde savant comme dans le monde social, la couleur de peau (avec d’autres traits physiques) de catégorie perceptive se métamorphose en un codeur social des races servant à classer et à hiérarchiser les groupes humains (Affergan, 1987 ; Bonniol, 1992). Depuis, la couleur de peau symbolise la biologisation du social légitimée par les sciences et philosophies racistes (racialisme, raciologie) et qui se perpétue dans la croyance diffuse en une division biophysique de l’espèce humaine (Guillaumin, 2002 [1972]).
Comme le montrent les figures issues des analyses factorielles, la racialisation, c’est-à-dire le processus qui associe altérité et marques somato-biologiques telles que la couleur de peau et l’apparence physique, demeure un principe de division des populations particulièrement actif dans la France contemporaine. Ce processus affecte plus particulièrement les groupes originaires d’Afrique subsaharienne ou ceux qui en viennent par l’intermédiaire de leurs parents, les natifs des DOM et les descendants des migrants d’outre-mer ainsi que les populations immigrées d’Asie du Sud-Est et leur descendance. Un autre pôle se compose d’un racisme plus culturalisant ou ethnicisant, en ce sens qu’il se caractérise d’abord par une sur-stigmatisation de la religion (Algérie, Maroc ou Tunisie, Turquie) puis dans une moindre mesure des origines (Algérie, Maroc ou Tunisie, Turquie), ou du nom de famille (Algérie, Turquie, Portugal) en comparaison de la couleur.
Comme les populations d’abord perçues par leur couleur de peau ou leur apparence physique (Outremer, Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est), les groupes culturalisés ou ethnicisés qui font l’objet d’une stigmatisation davantage centrée sur les origines culturelles ou religieuses (ceux qui proviennent d’Afrique du Nord) restent particulièrement visés par les attitudes racistes.
Tous ces résultats tendent à confirmer l’actualité du marquage ou de la stigmatisation par l’action raciste de critères comme la consonance étrangère du patronyme et la couleur de peau. Plusieurs événements comme les insultes à la ministre de la Justice des gouvernements Jean-Marc Ayrault (2012-2014), Christiane Taubira, ou celles à l’encontre de la députée Laetitia Avia en février 2018 ont depuis renforcé ces observations.
Un autre enseignement concerne la place du référent religieux dans le racisme contemporain, en l’occurrence la stigmatisation de l’appartenance vraie ou supposée à la religion musulmane. Dans le questionnaire de l’enquête, le critère de la religion ne figure pas d’emblée parmi les critères cités dans la partie dédiée à la saisie du racisme. Ce n’est qu’après traitement des réponses et parce que les citations de la « religion » en tant que cause du racisme étaient nombreuses dans la rubrique « autres raisons » que cette marque sera isolée et comptabilisée en tant que telle. Dès lors, il y a tout lieu de croire que la citation de la religion comme objet de stigmatisation raciste reste sous-évaluée par l’enquête TeO. Mais en dépit de ces conditions d’objectivation défavorables, le référent religieux se révèle très structurant dans la racisation des populations d’origine maghrébine ou turque de première ou deuxième génération. Bien que sous-estimés, ces résultats affichent la force du racisme anti-musulmans dans le contexte français.
dire le racisme et les discriminations
Il est difficile de mesurer la capacité des questions sur l’expérience raciste d’une enquête à enregistrer le vécu des enquêtés. Non seulement les formes subtiles de racisme échappent fréquemment à l’attention des personnes racisées, en particulier celles qui s’expriment dans les replis des normes et procédures institutionnelles, mais il arrive souvent que des situations qu’un tiers pourrait qualifier de racisme ne sont pas perçues comme telles par les personnes concernées. La qualification du racisme suit des mécanismes en partie similaires à ceux observés dans le cas des discriminations, avec des formes de censure, d’évitement ou d’attribution des situations à d’autres explications ne retenant pas le critère raciste qui contribuent à masquer l’ampleur des atteintes racistes. Pourtant, on pourrait s’attendre à ce que le racisme soit plus perceptible que les discriminations en raison du caractère plus expressif des atteintes (verbales ou comportementales), là où les discriminations relèvent de traitements intervenant le plus souvent dans le secret des sélections et où, pour cette raison, la mobilisation du critère ethnoracial (ou tout autre critère naturalisé) est invisible pour les personnes discriminées.
La frontière conceptuelle tracée entre le racisme et les discriminations n’est cependant pas aisée à déterminer. De fait, les recoupements sont nombreux : les deux concepts ont en commun de mobiliser les préjugés et les stéréotypes, les discriminations ont pu être décrites comme un racisme en acte et la notion de racisme institutionnel est très proche de celle de discriminations institutionnelles. On peut considérer que le racisme englobe les discriminations, qui en constituent l’une des manifestations. A contrario, les discriminations raciales ne constituent que l’une des dimensions des discriminations qui touchent bien d’autres critères, dont chacun dispose de ses logiques propres et fondements historiques. Dans ce cas, c’est le racisme qui est l’une des formes de discrimination.
Nous proposons de partir de cette articulation pour comparer les réponses fournies dans l’enquête TeO aux questions sur les discriminations et celles sur le racisme. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les discriminations sont enregistrées dans l’enquête par expérience autodéclarée et par identification de traitements défavorables au cours de situations de la vie sociale fondées sur des critères discriminatoires. Pour ces discriminations que nous avons qualifiées de situationnelles, un indicateur synthétique a été construit (avoir connu au moins une situation discriminatoire, que ce soit dans l’emploi, le logement, la santé, dans les relations avec les services, etc.). Pour permettre la comparaison, nous limitons les deux indicateurs de discriminations à celles que les enquêtés attribuent à leur couleur de peau ou à leurs origines. Nous ne pouvons par contre pas intervenir sur le différentiel de durée entre l’expérience du racisme qui concerne l’ensemble de la vie et les questions sur les discriminations dont le pas de temps est en général de cinq ans et parfois d’un an.
Les disjonctions entre racisme et discrimination montrent un déséquilibre en faveur du racisme. Si 17 % des immigrés ont connu du racisme sans rapporter de discrimination, ce ne sont que 9 % d’entre eux qui rapportent des discriminations sans évoquer le racisme (14 % déclarent racisme et discrimination et 61 % n’évoquent aucune expérience). La configuration est encore plus déséquilibrée pour les descendants d’immigrés avec 22 % de racisme sans discrimination et 6 % de discrimination sans racisme. On observe des variations selon les origines et la fréquence de l’exposition aux discriminations et au racisme, mais ce déséquilibre reste constant. Pourtant, on se situe dans les deux indicateurs sur un plan déclaratif et subjectif : les écarts tiennent en partie des différences de pas de temps (toute la vie et cinq ans), mais également du fait que, comme nous le supposions, les enquêtés identifient plus directement le racisme que les discriminations.
Pour approfondir la comparaison entre les dimensions subjectives et « objectives » des discriminations, Maud Lesné et Patrick Simon ont utilisé les discriminations situationnelles comme indicateur objectif, car reconstruites sur la base de description de situations, et les ont comparées aux discriminations autodéclarées (Lesné et Simon, 2015). Ils montrent alors un mécanisme similaire de sous-représentation des discriminations autorapportées par rapport aux discriminations situationnelles. Suivant le même dispositif, on peut mettre en regard les discriminations ethnoraciales autorapportées ou autodéclarées et l’expérience du racisme (Tableau 2). Les trois indicateurs d’expérience du racisme et des discriminations ethnoraciales sont distribués par groupes d’origine et génération. Nous ne commentons pas dans le détail ces résultats déjà discutés dans la première partie et dans l’ouvrage Trajectoires et Origines (Hamel et al., 2015 ; Brinbaum et al., 2015) pour mieux nous focaliser sur la dernière colonne qui exprime les cas de sous-qualification du racisme.
En effet, les enquêtés ont rapporté des situations de traitements défavorables qu’ils ont associées à leur couleur de peau ou leur origine, mais sans pour autant faire le lien entre ces situations et la question sur l’expérience du racisme. Cette disjonction signale un écart d’interprétation pouvant signifier soit une définition nettement différenciée entre racisme et traitement défavorable (le racisme est un préjugé qui se traduit dans des attitudes insultantes ou violentes, mais les situations de discrimination sont d’un autre registre qui ne présuppose pas le racisme), soit une appréciation sur une échelle de gravité (le racisme serait plus grave que les discriminations et l’imputation raciste ne s’applique pas systématiquement à toutes les expériences de discrimination), soit un défaut de conscientisation (j’ai vécu un traitement défavorable en raison de ma couleur de peau ou de mon origine mais je ne me considère pas comme discriminé ou comme victime de racisme).
L’amplitude de la disjonction entre discriminations situationnelles ethnoraciales et expérience du racisme est relativement élevée, variant de 28 % à 55 %. Elle est plus basse pour les groupes qui déclarent beaucoup d’expérience de racisme, en particulier quand cette expérience est associée à la couleur de la peau (« Subsahariens » et « Domiens »). Il existe donc une marge significative d’incertitude qui conduit les personnes déclarant des situations défavorables liées à leur origine ou leur couleur de peau à ne pas les traduire en termes de racisme. Cette marge d’appréciation est plus fréquente parmi les groupes qui ne se conçoivent pas exposés au racisme ou aux discriminations, mais elle existe également pour d’autres groupes plus concernés. Les mécanismes des variations dans la qualification du racisme sont difficiles à reconstituer avec l’enquête quantitative, mais des analyses qualitatives conduites dans des post-enquêtes ont approfondi ce hiatus. Marguerite Cognet et Mireille Eberhard (2013) ont ainsi étudié les répertoires d’interprétation de situations potentiellement racistes et des réactions qu’elles suscitent. Elles montrent que dans des situations de racisation, une partie des jeunes descendants d’immigrés rencontrés doute du sens à donner à ce qu’ils viennent de vivre, banalisant l’expérience pour ne pas avoir à se reconnaître victimes de racisme. Ces formes d’évitement ou de requalification impactent nécessairement le recueil d’expérience dans le contexte d’un questionnaire fermé.
conclusion
L’expérience constituée pour la mesure quantitative des discriminations est-elle duplicable dans le cas du racisme ? Répondre à cette question suppose d’abord d’opérer les distinctions conceptuelles et pratiques entre racisme et discriminations ethno-raciales. Or il est délicat de tracer une ligne claire entre ce qui relèverait du racisme et ce qui pourrait être qualifié de discrimination. Pour autant, ce relatif flou conceptuel ne se retrouve pas nécessairement dans les perceptions des acteurs : les réponses à l’enquête TeO montrent que certains font une différence nette, identifiant du racisme sans forcément rapporter de discrimination. De fait, la concomitance entre l’expérience subjective des micro-agressions racistes et les discriminations situationnelles ne va pas nécessairement de soi. Sur ce plan, immigrés et descendants d’immigrés divergent. Chez les premiers, les déclarations de racisme sont souvent du même ordre de grandeur ou moins fréquentes que les déclarations de situations discriminatoires alors que ce serait plutôt l’inverse chez les descendants d’immigrés. De plus, l’intensité des discriminations situationnelles déclarées par les descendants d’immigrés aurait plutôt tendance à suivre le degré de racisme vécu sous la forme de micro-violences. Malgré tout, les descendants d’immigrés d’Asie du Sud-Est se considèrent exposés au racisme et moins aux discriminations. Dans une moindre mesure, une tendance similaire s’observe parmi les descendants des natifs des DOM. Pour ces deux groupes, le racisme vécu est assimilé prioritairement à un racisme de couleur.
Les données de l’enquête TeO ont tout d’abord permis de mettre au jour des écarts objectifs dans les conditions de vie et les trajectoires sociales entre majoritaires et immigrés et descendants d’immigrés dans différentes sphères de la vie sociale, dont le marché du travail, le logement, l’école, etc. Celles et ceux que l’on peut qualifier de « minorités visibles » (originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie) ont, plus que d’autres, tendance à être désavantagés de manière récurrente, y compris lorsque les analyses prennent en considération d’autres paramètres sociaux susceptibles de conditionner l’accès aux ressources (Beauchemin, Hamel et Simon, 2015). En étendant le questionnement aux expériences de discrimination et de racisme, les données de l’enquête TeO nous ont livré une information capitale pour prendre la mesure de ces phénomènes tels qu’ils sont vécus par les personnes concernées ainsi que sur l’apparition de minorités racisées et discriminées dans la société française contemporaine.
Au-delà des constats dressés par l’enquête, la traduction empirique des concepts d’altérisation, de racisme, de discrimination et l’articulation entre les processus ou situations qu’ils recouvrent dans des enquêtes quantitatives sont encore en chantier. On ne peut complètement se satisfaire des approches directes de l’expérience du racisme et des discriminations, même si celle-ci permet de dépasser les euphémisations qui étaient la règle jusqu’à récemment. Il importe de transférer et convertir dans les investigations quantitatives les apports des recherches qualitatives sur la subjectivation des rapports racisants, montrant comment les personnes racisées captent les multiples signaux faibles qui véhiculent et expriment les préjugés et décident des conduites discréditantes, les stratégies pour les contourner, les absorber, les subvertir ou les contester (Anderson, 2011 ; Lamont et al., 2017). Cela passe non seulement par une identification plus systématique des caractéristiques par lesquelles les personnes sont racisées — y compris par l’utilisation de descripteur de la couleur de peau pour formaliser l’impact du colorisme, par exemple (Dixon et Telles, 2017) — et par la formulation plus régulière de questions sur les discriminations et le racisme dans les grandes enquêtes en population générale et dans les statistiques sur l’école, l’emploi, le logement, la victimation, la santé, etc., mais également par la mise en place d’enquêtes plus spécifiques et détaillées visant à repérer les minorités et à les interroger plus directement sur leurs conditions d’existence et leur expérience des comportements discriminatoires et des pratiques racistes.
Appendices
Annexe
Notes
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[1]
Avec les développements des recherches sur le génome humain qui permettent de relier des parties d’ADN avec des provenances géographiques ancestrales, on observe le retour d’une conception génétique de la race (Doron et Lallemand-Stempak, 2014), assez proches des divisions raciales imaginées par l’anthropologie physique et la raciologie.
-
[2]
Dans le fichier des thèses, depuis 2000, en se fiant au titre ou aux mots clés, on dénombre 29 thèses soutenues en sociologie ou sciences politiques qui traitent du racisme ; 14 thèses sur l’ethnicisation/racisation/racialisation ; 7 thèses sur les discriminations raciales/racistes ; et 11 thèses répertoriées citent le racisme et les discriminations parmi les mots clés.
-
[3]
L’ouvrage séminal de Andrée Michel sur les travailleurs algériens (1956) qui thématisait explicitement le racisme et les discriminations n’a pas été suivi de recherches sur ce thème et il faut attendre Colette Guillaumin (1972) puis l’enquête collective dirigée par Michel Wieviorka La France raciste (1992) pour que des travaux empiriques portent sur le racisme. Mais c’est dans le laboratoire de l’Urmis (De Rudder et al., 2000) que se sont développées le plus de recherches sur le racisme, soit avec l’entrée sur les relations interethniques, soit directement sur le thème du racisme (notamment du point de vue de l’action syndicale).
-
[4]
En novembre 2017, le ministre de l’Éducation nationale a porté plainte contre un syndicat d’enseignants (SUD éducation) qui faisait référence au « racisme d’État » et au « racisme systémique » dans une formation militante comportant par ailleurs des ateliers non mixtes.
-
[5]
Créées en février 2012, les missions de la DILCRA sont renforcées dès 2014 avec leur rattachement au premier ministre. En janvier 2017, la DILCRA est devenue la DILCRAH : Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).
-
[6]
Sur les critiques des enquêtes d’opinion sur l’immigration et le racisme, voir Morice, 2007.
-
[7]
Voir par exemple les questions relatives à l’acceptation de l’immigration et de la diversité dans l’enquête sociale européenne (ESS).
-
[8]
Respectivement l’Institut national de la statistique et des études économiques et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.
-
[9]
Elle avait également été développée sans référence explicite au racisme dans l’enquête « Histoire de vie » de l’Insee (2003) : voir Algava et Bèque (2006) pour une exploitation des questions sur le vécu des comportements intolérants.
-
[10]
L’antisémitisme en apporte régulièrement la preuve en actes.
-
[11]
Les publications issues de l’enquête TeO sont recensées sur : http://teo.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/publications/, consulté le 12/09/2019.
-
[12]
Elle est formulée comme suit : « Pensez-vous que vous pourriez être victime de racisme en France, même si cela ne vous est jamais arrivé ? »
-
[13]
Sur les mobilisations « asiatiques » contre le racisme, voir Chuang (2017).
-
[14]
La question était la suivante : « à quelle fréquence vous demande-t-on vos origines ? »
-
[15]
L’analyse ne comporte que deux variables actives : l’origine migratoire et les marques incriminées.
-
[16]
Dans les résultats relatifs aux migrants comme aux descendants de migrants, la « couleur de peau » est l’indice qui contribue le plus et très fortement à l’inertie du premier axe dans les deux figures (respectivement 54,5 % et 59,8 %.). Dans la population immigrée, le marquage de la couleur s’oppose à la stigmatisation du patronyme ainsi que de l’origine ou de la nationalité ; chez les descendants, le clivage s’opère principalement entre la couleur et le nom de famille. Toujours dans les deux analyses, c’est la stigmatisation de la religion (en l’occurrence la religion musulmane) qui définit principalement le second axe.
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