Dans « Dimanche », le reporter Filip Springer raconte la brève et simple histoire d’un homme. Si le récit se déroule à Biała Podlaska, une municipalité tout à l’est de la Pologne, il n’est pas sans faire écho au quotidien des habitants de ces nombreuses petites villes de Pologne ou d’ailleurs, où il y a si peu à faire. On peut définir un feuilleton par l’effet qu’il a sur la lectrice ou le lecteur : une de ses idées qui lui restera en tête, l’envie irrépressible qu’il aura d’en parler. Après avoir lu « Dimanche », la réflexion ou la conversation démarre d’elle-même : « Qu’est-il arrivé à l’homme de Biała Podlaska ? Sa femme lui a-t-elle, à la suite d’une querelle peut-être, interdit l’accès à la maison ce jour-là ? Revisite-t-il les stations de sa vie avec sa femme, maintenant décédée ? Vit-il seul, et a-t-il l’habitude de manger des pommes de terre et du saindoux ? » « Dimanche » fait partie d’une série de textes parus sous forme de livre d’exploration de villes qui, entre 1975 et 1998, ont été des capitales régionales, des chefs-lieux de voïvodies polonaises. Pendant ce voyage, j’ai vite appris une chose : les dimanches sont les plus difficiles. Ce jour-là, les portes du centre commercial Rywal à Biała Podlaska ferment à 17 h 00, et j’étais sur le point d’apprendre que ce fait gâchait royalement l’après-midi d’au moins une personne dans cette ville. « Nous fermons dans une minute. » L’employée du café Platinum se tenait devant moi et regardait mon café à peine entamé. « Dans une minute », répéta-t-elle comme dans un murmure. C’est en me dirigeant vers la sortie que je l’ai remarqué. Il était assis à côté du comptoir des petits pains finissant la soupe aux betteraves qui est servie ici dans de minces verres en plastique. Il avait dû entendre le bruit des stores et comprendre qu’il était temps de quitter les lieux. Il ne se hâtait pas pour autant. Il sirotait sa soupe et faisait tout pour éviter le regard de l’employée qui la lui avait servie. Appuyée sur ses coudes, elle le fixait d’un regard impatient. Il s’est enfin levé et s’est dirigé vers la sortie. Je pouvais maintenant l’examiner à mon aise. Ce n’était pas un clochard. Il avait le visage soigneusement rasé d’un cinquantenaire, un jeans propre et un blouson sport, un peu trop grand, mais correct. Pas de poche, de sac à dos ou de truc de ce genre. J’ai décidé de le suivre. Nous sommes maintenant dehors. Je feins de vérifier un truc sur mon téléphone ; il est à quelques mètres de moi. Je n’ai pas même besoin de le regarder pour comprendre qu’il ne sait pas quoi faire de sa peau. C’est ce genre de dimanche après-midi moche. La ville maintenant déserte est sinistre. Il se met enfin en route, sur la rue Brzeska en direction du cinéma Merkury. Dans le parc devant l’église, il rebrousse chemin et se dirige vers la mairie. Il n’y a personne, le stationnement est vide. Il marche le long des bâtiments, lentement, en boitant un peu, il me semble. Il a relevé son col et mis ses mains dans ses poches. Il fait le tour du cinéma et, devant l’entrée, commence à lire les affiches placées dans les vitrines. Il n’en omet aucune et moi, je sais déjà après la troisième que je vais aujourd’hui traîner derrière lui aussi longtemps que possible. Il finit de lire les affiches et traverse la rue Brzeska, en direction du terminus d’autocars. J’ai encore l’espoir qu’il …
Dimanche[Record]
…more information
Barbara Thériault
Université de Montréal
barbara.theriault@umontreal.ca