Des non-lieux (Augé, 1992) à la ville paradigmatique (Nijman, 2000) en passant par la ville interstitielle (Sieverts, 2011), la ville informationnelle (Castells, 1996) et la ville globale (Sassen, 1991), les chercheurs en sciences sociales, en sociologie et en études urbaines rivalisent d’ingéniosité pour capter d’une manière imagée la forme en devenir des villes contemporaines. Ces représentations parviennent difficilement toutefois à rendre compte de la multitude des processus engagés dans la fabrication d’une réalité qui semble échapper à une synthèse satisfaisante, voire à une théorie générale. C’est comme si, en tant qu’objet d’étude, au-delà d’une matérialité très palpable et concrète dans ses traces historiques, la ville acquérait un caractère évanescent, se confondant avec l’incertitude d’un monde à venir, d’autant plus difficile à anticiper que les forces à l’oeuvre s’arriment à une hiérarchie globale et à des réseaux d’échanges techniques et financiers qui échappent en partie aux acteurs locaux. En dépit des nouvelles formes d’organisation de l’espace qu’elles revêtent, les villes contemporaines demeurent les héritières des villes modernes. À plus d’un titre, leur cadre bâti conserve les marques laissées par le processus d’industrialisation qui s’est déployé aux xixe et xxe siècles aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord. À cet égard, on doit mettre en lumière la continuité qui prévaut entre les villes d’hier et celles d’aujourd’hui concernant le rôle des réseaux techniques urbains et la séparation des fonctions que la planification et l’urbanisme continuent d’encourager même si, au cours des dernières années, à la faveur d’une économie fortement structurée par les activités tertiaires, la mixité des fonctions semble davantage possible et souhaitée par plusieurs (Cuff et Sherman, 2011). La ville moderne a entraîné une transformation de la configuration des rapports sociaux. Les changements qui ont accompagné l’urbanisation et l’industrialisation ont contribué à révolutionner les rapports de classes. Le compromis social-démocrate que le mouvement ouvrier est parvenu à obtenir, en commençant par les pays européens, a modifié en profondeur aussi bien la qualité du cadre bâti que l’accès à la centralité. De ce point de vue, la ville s’est indéniablement démocratisée. Toutefois, la grande ville ou la métropole moderne de la fin du xixe siècle a également été le théâtre d’un phénomène « d’intellectualisation » nouveau, que Georg Simmel (1903) a bien mis en lumière. Pour lui, la métropole constituait le lieu où pouvait être observée l’intensification de la vie moderne. Face au nivellement de la vie sociale par des forces externes, l’individu était enclin à affirmer sa singularité. Le contexte métropolitain — son cosmopolitisme, son caractère impersonnel, le poids grandissant d’une « culture objective » — fournit alors aux individus un cadre et des ressources qui leur permettent d’adhérer aux valeurs modernes de liberté et d’égalité, la survivance de liens révolus autour des institutions du xviiie siècle ne représentant plus un obstacle significatif pour eux. Simmel a bien fait ressortir l’ambivalence que ressentait l’individu plongé dans l’anonymat de la métropole moderne. Il n’est pas facile pour les individus modernes d’oublier la sécurité que leur offraient les communautés traditionnelles alors qu’ils avaient le sentiment d’être envahis par cette « culture objective » qui était à la fois impersonnelle et écrasante. L’individu moderne est donc tenu de remplacer le combat passé de « l’homme primitif » avec la nature pour la subsistance par un nouveau défi, celui de défendre son autonomie et d’exprimer sa singularité face au caractère indifférencié de la vie urbaine (Jonas, 1995). Fournissant aux individus une multiplicité de choix en termes de modes de vie, les métropoles modernes n’entraînent pas moins une inquiétude sociale grandissante. Alors que l’individualisation des rapports sociaux s’est accentuée, allant de …
Appendices
Bibliographie
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