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L’objet de cet article[1] est de rendre compte des possibilités qu’offre la perspective des parcours de vie pour mieux comprendre comment évolue le rapport que les individus entretiennent avec le travail tout au long de la vie. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les données d’une recherche qualitative que nous avons menée auprès de jeunes infirmières et infirmières auxiliaires[2]. Notre objectif n’est pas de faire une présentation exhaustive de nos résultats de recherche[3], mais de faire ressortir, à partir d’exemples tirés de notre corpus empirique, l’intérêt que présentent les principes analytiques associés à cette perspective dans l’étude du rapport au travail. Notre questionnement porte spécifiquement sur le rapport au travail des jeunes et s’insère dans un contexte où plusieurs organisations font face à des taux de roulement importants de leur main-d’oeuvre jeune, situation qui est particulièrement critique dans le réseau québécois de la santé et des services sociaux. Les gestionnaires se questionnent sur les valeurs des jeunes et sur les moyens pour favoriser leur rétention et les fidéliser à l’organisation. Dans ce contexte, une compréhension fine et nuancée de ce que représente le travail pour les jeunes, de ce qu’ils recherchent dans un emploi et de leurs réalités concrètes de travail, appréhendée en lien avec leur situation personnelle et familiale, s’avère particulièrement importante pour développer des mesures appropriées qui tiennent compte des réalités spécifiques dans lesquelles les jeunes amorcent et poursuivent leur vie professionnelle.

Nous défendons l’idée que la perspective théorique des parcours de vie possède une valeur heuristique importante pour mieux saisir comment évolue le rapport que les individus entretiennent avec le travail tout au long de la vie. L’analyse en termes de parcours de vie permet de cerner l’effet du temps sur le rapport au travail en fonction des événements qui surviennent aussi bien dans l’univers du travail que dans celui du hors travail (santé, vie familiale, vie sociale, etc.). Elle amène à situer les attentes et les aspirations des individus dans l’expérience concrète qu’ils font du marché du travail, puis, en retour, à s’attarder à la manière dont les milieux de travail façonnent les attentes de ces individus et leurs comportements en emploi. Par l’importance accordée au contexte, elle rend compte de la diversité des situations présentes sur le marché du travail et dans la vie familiale et de leur influence sur la manière de vivre le travail.

Ainsi, le rapport au travail à travers cette perspective est mis en relation avec le rapport à l’emploi et au travail non salarié, qui entretiennent une relation dynamique influençant les trajectoires professionnelles. Le travail réfère à l’ensemble des conditions d’exercice de cette activité, c’est-à-dire au contenu du travail, de la rétribution ainsi qu’aux rapports avec les collègues, les supérieurs et les clients (Paugam, 2000). Quant à l’emploi, il réfère plus spécifiquement au marché du travail, à ses conditions d’accès et de retrait, au type de contrat de travail duquel découlent des droits et des protections sociales et qui renvoie au degré de stabilité de la situation professionnelle (Maruani et Reynaud, 2004 ; Paugam, 2000). Le travail domestique, même s’il ne s’inscrit pas dans un rapport salarial, n’en demeure pas moins un travail puisqu’il s’inscrit dans le cadre d’une production nécessitant du temps, de l’énergie et un investissement subjectif pouvant entrer en conflit avec le travail rémunéré (Lallement, 2012). Le rapport au travail ne peut donc être conçu sans référence à ces trois dimensions qui façonnent les trajectoires professionnelles.

Après avoir fait état, dans la première partie, de la manière dont le rapport au travail des jeunes est abordé dans la littérature et de certaines limites que posent ces différentes études, nous présenterons, en deuxième partie, les principes analytiques de la perspective des parcours de vie et en quoi ils contribuent à appréhender autrement la question du rapport au travail. À partir d’exemples tirés d’une étude de cas menée auprès de jeunes infirmières et infirmières auxiliaires, la troisième partie sera structurée autour de plusieurs dimensions du rapport au travail que l’approche des parcours de vie permet de faire ressortir. Nous démontrerons que les valeurs des jeunes infirmières à l’égard du travail sont façonnées à la fois par leur milieu d’origine, la société dans laquelle elles évoluent et leur profession, révélant ainsi une grande diversité entre les jeunes à l’égard des valeurs du travail. Nous rendrons également compte de la manière dont les conditions concrètes de travail, dans le contexte spécifique du réseau de la santé, affectent les attentes, les valeurs et les conduites en emploi des infirmières à différents moments de leur trajectoire professionnelle et comment, en retour, elles tentent de réduire l’écart entre leurs attentes et la réalité concrète de travail en nous attardant plus particulièrement aux stratégies qu’elles développent pour améliorer leur situation en emploi. Nous verrons également comment se redéfinit la place du travail dans leur vie à partir du moment où elles ont des enfants, les motifs qui sous-tendent leurs choix de conciliation et ce que cela révèle de leur rapport au travail. Finalement, un cas sera présenté, celui de Noémie, pour illustrer un concept central des parcours de vie, soit l’effet du temps court et du temps long sur les trajectoires professionnelles et le rapport au travail.

1. Les jeunes et le rapport au travail

La jeunesse est un objet de plus en plus difficile à « saisir » sociologiquement depuis que les parcours de vie des jeunes se sont diversifiés et complexifiés (Gauthier, 2008 ; Galland, 2004). En effet, il n’existe plus de cheminement typique menant vers la vie adulte et les repères habituels pour baliser cette période de la vie tels que la fin des études, le départ du foyer parental, l’entrée sur le marché du travail, la formation du couple et de la famille, s’avèrent bien souvent insatisfaisants pour saisir cette nouvelle complexité sociale. Avec le processus d’allongement de la jeunesse et de désynchronisation des seuils d’entrée dans la vie adulte, les frontières pour déterminer cette période de la vie sont devenues plus floues et plus poreuses. Plusieurs parcours de vie sont marqués par un enchevêtrement des temps sociaux, de sorte que les séquences d’emploi, d’éducation et de vie familiale se combinent aléatoirement, conduisant à des cheminements plus diversifiés et individualisés (Guillermard, 2008). À travers toute cette diversité, il devient difficile de définir, d’une part, qui sont les jeunes et, d’autre part, de cerner quelles sont la place et la signification du travail dans leur vie.

Cela étant dit, plusieurs auteurs ont tenté de mieux comprendre la nature du rapport que les individus entretiennent avec le travail en l’analysant sous différents angles. Certains l’ont fait en invoquant un nouveau modèle culturel qui caractériserait nos sociétés et qui favoriserait la valorisation de certaines valeurs telles que l’autonomie, la réalisation de soi et l’expression de sa singularité (Bajoît, 2003 ; Dubar, 2001) ou encore la vertu de soi dans le travail (Martuccelli, 2006). Au travail, l’engagement des individus serait corrélatif de la possibilité de se réaliser et de se découvrir soi-même à travers l’emploi occupé. Ainsi, les choix et les décisions professionnelles seraient intimement liés à cette quête identitaire. Les jeunes ne seraient pas les seuls à adopter ces valeurs, mais ils le seraient davantage que les autres groupes d’âge, ayant été socialisés dans ce modèle culturel (Bajoît, 2003).

Pour d’autres auteurs, comme Castel (2001), les attitudes et les comportements des jeunes en emploi, de même que leur rapport au travail, seraient plutôt la conséquence de changements structurels dans le domaine de l’emploi qui généreraient de nouvelles inégalités affectant plus particulièrement les jeunes les moins pourvus en capitaux scolaires, sociaux et culturels. Plus flexibles et incertains, les itinéraires professionnels seraient désormais moins linéaires, marqués par des allers et retours entre des périodes d’emploi, de formation et d’inactivité. L’affaiblissement du modèle jadis dominant de l’emploi stable et durable tout au long de la vie, à partir duquel se structuraient le plan de carrière et les droits et les protections des travailleurs, céderait graduellement la place à un modèle où les individus doivent assurer eux-mêmes leur employabilité sur le marché du travail (Trottier, 2000).

Les travaux de Nicole-Drancourt (1994), bien qu’ils ne portaient pas spécifiquement sur le rapport au travail, ont contribué à rendre compte de plusieurs principes structurants des trajectoires d’insertion des jeunes. Ses résultats ont démontré l’importance de prendre en considération la socialisation primaire et secondaire qui prédispose à un certain « rapport à l’activité[4] », de s’attarder à l’identité sexuée qui délimite certains choix à l’égard du travail et de la famille et de porter une attention à la capacité des individus à négocier et à mobiliser les ressources nécessaires, dans la sphère du travail et de la famille, pour s’inscrire durablement en emploi.

On a aussi tenté de saisir le rapport au travail à travers son opposition entre sa valeur instrumentale — lorsque le travail remplit principalement une finalité économique et matérielle — et sa valeur expressive — principalement lorsque le travail est source de réalisation et de définition de soi[5]. Les jeunes ont été associés, dans certaines thèses qui ont alimenté de vifs débats sur la question, à un rapport davantage instrumental au travail (Zoll, 2001 ; Gorz, 1998 ; Méda, 1995), dans le sens où le travail ne semblait plus occuper une place de première importance dans leur vie et dans la définition de soi. Certains ont vu dans ces changements le signe de transformations plus profondes qui annonçaient une manière différente de vivre le travail et plus globalement un désir d’accorder plus d’importance aux autres domaines de la vie.

Jacques Hamel (2003), tout comme d’autres chercheurs depuis (Mercure, 2007 ; Méda, 2010), a contribué à nuancer cette vision dichotomique entre rapports instrumental et expressif en démontrant, à partir d’une étude longitudinale effectuée auprès de jeunes diplômés québécois, qu’après dix ans sur le marché du travail, plusieurs étaient passés d’un rapport instrumental à un rapport expressif au travail au fur et à mesure que l’emploi occupé s’alignait sur le diplôme obtenu ou sur un emploi satisfaisant. En adoptant une approche longitudinale, Hamel introduit alors la notion de changement dans le temps, un même individu pouvant passer d’un rapport au travail à un autre selon l’évolution de sa situation sur le marché du travail et de ses obligations familiales. Bien qu’intéressante, son analyse exploite peu l’impact de la vie personnelle et familiale sur l’évolution du rapport au travail, outre que pour signifier que les obligations familiales ont tendance à ancrer davantage les individus dans un rapport instrumental par les nombreuses charges financières qui pèsent sur eux à cette période de leur vie.

La plus récente étude de Daniel Mercure et Mircea Vultur (2010), bien qu’elle ne porte pas spécifiquement sur les jeunes, apporte une contribution significative à ce débat en mettant en évidence la diversité des formes d’orientation au travail, identifiant six types d’ethos de travail qu’ils définissent comme étant « l’ensemble des valeurs, attitudes et croyances relatives au travail qui induisent une manière de vivre son travail au quotidien » (2010 : 6). S’éloignant d’une conception monolithique de l’ethos du travail, les auteurs présentent un portrait diversifié des individus dans la manière de vivre le travail, qui est d’ailleurs confirmé par des recherches portant plus spécifiquement sur les jeunes (Méda, 2011 ; Fleury, 2011, 2010). Cette étude présente l’intérêt d’identifier des éléments structurants dans la construction du rapport au travail tels que la situation professionnelle concrète des individus, le statut de l’emploi, le contenu et les conditions de travail, de même que l’histoire professionnelle. Toutefois, comme Hamel, les auteurs s’attardent peu aux dimensions personnelle et familiale qui peuvent contribuer à façonner le rapport au travail. Leur résultat concernant la centralité du travail et l’adhésion aux normes managériales nous laisse toutefois penser que ces sphères de la vie ont un effet non négligeable sur le rapport au travail.

Sous un registre un peu différent, les récents travaux de Dominique Méda (2011, 2010) soulèvent plusieurs questions à la fois méthodologiques et théoriques qui démontrent la complexité que représente toute entreprise qui vise à appréhender ce que signifie réellement le travail dans la vie des individus. Adoptant une position critique, elle met en exergue la vision parfois réductrice de certaines enquêtes qui mettent principalement l’accent sur les valeurs et les aspirations des individus à l’égard du travail, lesquelles ne reflètent bien souvent pas la vraie nature du rapport que les individus entretiennent avec le travail[6]. En omettant de recadrer les attentes dans les réalités concrètes de travail, ces études occultent les conditions difficiles dans lesquelles les individus sont amenés à travailler et les fortes déceptions et désillusions qui s’ensuivent.

À l’instar de Méda, nous croyons que ces différentes études, bien qu’elles dégagent des éléments importants à prendre en compte dans l’étude du rapport au travail, tendent à minimiser la diversité des éléments à considérer, ainsi que leurs interactions. En fait, elles ne parviennent pas à bien rendre compte du fait que le rapport au travail est un processus qui évolue dans le temps en fonction des attentes des individus, du cycle de la vie, des événements qui surviennent dans la sphère professionnelle et personnelle[7] et des contextes dans lesquels s’insèrent les expériences de travail. Peu de travaux portant spécifiquement sur le rapport au travail se sont penchés sur la dynamique entre l’ensemble de ces dimensions — conditions concrètes d’emploi, valeurs et attentes à l’égard du travail, parentalité, santé, formation — et leur effet sur l’évolution du rapport au travail.

Ainsi, en réponse à la question posée par Méda : « Par quel moyen saisir ce qu’il en est du rapport au travail des jeunes ? » (2011 : 180), nous proposons une perspective théorique qui permet de rendre compte de la multiplicité des éléments à considérer dans l’étude du rapport au travail et de la dynamique qui les relie. Prenant appui sur la perspective des parcours de vie, nous concevons le « rapport au travail » comme le résultat de la rencontre entre les représentations, les attentes et les valeurs que les individus entretiennent à l’égard du travail et l’expérience concrète qu’ils font du marché du travail, qui, dans un mouvement itératif, contribue à redéfinir continuellement leur identité en fonction des événements qui surviennent aussi bien dans leur vie au travail que dans leur vie hors travail.

2. Les principes analytiques de la perspective des parcours de vie

La perspective des parcours de vie se veut un moyen pour saisir l’historicité du sujet en proposant un cadre d’analyse que McDaniel et Bernard (2011) ont regroupé en quatre principes analytiques : 1) la vie représente une trajectoire constituée d’expériences qui s’étendent de la naissance à la mort ; 2) la vie est faite de multiples facettes en interaction (travail, famille, santé, éducation) ; 3) la vie est constituée de liens sociaux de sorte que les trajectoires de vie s’influencent mutuellement ; 4) les contextes sociaux, locaux et nationaux affectent la vie des individus qui, en retour, ont un impact sur ces différents contextes. Ainsi, cette approche met en évidence l’importance de saisir les interactions entre les différentes dimensions de la vie d’un individu, de même que les interactions entre sa vie et celle de ses proches (l’axe multidimensionnel), tout en considérant l’effet du temps sur le déroulement des trajectoires individuelles (l’axe temporel). Le pouvoir qu’ont les individus d’agir sur leur parcours de vie (human agency) s’exprime à travers ces deux axes.

L’axe temporel : l’effet du temps sur les parcours de vie

La perspective des parcours de vie permet de saisir les phénomènes sociaux dans la durée en mettant au coeur de l’analyse l’individu : ses représentations, ses expériences, ses actions. Pour saisir la dimension temporelle, il est essentiel de conceptualiser les différentes dimensions de la vie sous forme de trajectoires. C’est l’ensemble des trajectoires de travail, de famille, de vie sociale, de santé et d’éducation qui constitue le parcours de vie d’un individu (Lalive D’Épinay et al., 2005). Les trajectoires sont ponctuées de phases plus stables et de périodes de changements qui se traduisent en transitions — passage d’un statut à un autre qui nécessite l’adoption de nouveaux comportements —, en événements (life events) — changements relativement brusques dans le cours de l’existence d’un individu — ou encore en bifurcations (turning point) — changements qui réorientent de manière significative le cours de l’existence individuelle (Lalive D’Épinay et al., 2005 ; Elder, 2004). Des événements imprévisibles peuvent modifier de façon inattendue le parcours de vie des individus, et se présenter sous forme de nouvelles possibilités ou de nouvelles contraintes. Toutefois, ces imprévus de la vie n’empêchent pas la réalité du passé, de même que certains choix et certaines décisions antérieures peuvent également conditionner la survenue d’autres événements, donner une direction spécifique à une trajectoire (path dependency). Le passé façonne ainsi les contraintes et les possibilités qui se présentent, de même que les aspirations et les attentes des individus (McDaniel et Bernard, 2011). Le contexte dans lequel prennent forme les transitions, les expériences et les représentations sociales est lui aussi toujours en changement et produit des contraintes et des opportunités différentes selon les milieux et les époques. Toutefois, l’acteur ne se conforme pas mécaniquement aux contraintes et aux possibilités qu’offre le système social et culturel, mais il va plutôt « négocier les modèles de parcours de vie disponibles » (Lalive D’Épinay, 2005 : 202).

Sur le plan analytique, cette perspective conduit à considérer les transitions, événements, bifurcations selon deux temporalités distinctes, le temps court et le temps long. Ainsi, les changements sont analysés en eux-mêmes (temps court), mais ils s’inscrivent également dans des séquences plus longues qui orientent sur le long terme les parcours de vie (temps long) (Grossetti, 2004 ; Hélardot, 2006). Le temps court est celui où se vit la crise ou le changement ; le temps long est celui de l’évolution dans le temps des effets que produira l’événement dans l’ensemble du parcours de vie. Il s’agit en fait de deux temporalités distinctes qui sont liées l’une à l’autre. Le moment et la séquence des événements et des transitions jouent également un rôle déterminant dans la manière dont les trajectoires des individus vont évoluer.

La dimension temporelle s’incarne aussi à travers les liens intergénérationnels. Ces liens, qui peuvent prendre diverses formes et se dérouler dans différents espaces sociaux, jouent un rôle majeur dans le déroulement des trajectoires de vie. Plus spécifiquement par rapport au travail, on peut penser que les expériences vécues par les parents relativement à leur emploi peuvent influencer les représentations des jeunes face au travail (Delay, 2008), ou que les valeurs familiales des parents peuvent influencer certains choix de conciliation. Dans certains milieux de travail, la fonction de mentorat, où les débutants sont socialisés par des travailleurs chevronnés chargés de leur enseigner les particularités du métier et de la culture organisationnelle, peut aussi avoir un effet sur les valeurs et les comportements en emploi.

L’axe multidimensionnel : l’individu au carrefour des multiples domaines de la vie

Les événements ne sont pas isolés du champ dans lequel ils se produisent. L’approche des parcours de vie considère généralement qu’il y a une interdépendance assez forte entre les multiples domaines de la vie — le travail, la santé, l’éducation et la vie familiale et sociale (l’encastrement des sphères de la vie). Les changements produits dans une sphère peuvent avoir des effets dans les autres sphères, ce que Grossetti (2004) nomme la superposition des contextes, provoquant ainsi un niveau d’instabilité maximal dans l’ensemble de la biographie d’une personne et pouvant réorienter l’ensemble du parcours de vie.

La perspective des parcours de vie souligne également l’importance de considérer les individus au sein d’un réseau de relations dont les vies s’influencent mutuellement. Ce qui survient dans la vie d’un proche peut avoir des effets à court et à long terme sur l’orientation du parcours d’un individu (Barrère-Maurisson, 2003). Les décisions professionnelles de l’un des conjoints peuvent par exemple avoir des effets sur la situation professionnelle de l’autre conjoint et plus largement sur l’ensemble de leur situation familiale.

Les périodes de transitions, les événements ou les bifurcations sont des moments privilégiés pour étudier les interactions entre les différentes dimensions de la vie. Ces moments constituent des périodes où plusieurs choses se passent en même temps. La survenue d’événements ou de bifurcations, mais aussi les transitions, oblige souvent les individus à réajuster certains choix de vie et à établir une hiérarchisation différente des dimensions de leur vie. L’individu sera alors amené à réévaluer sa situation, à prendre des décisions, à faire des choix en fonction de la perception qu’il a de sa situation actuelle et de la manière dont il envisage l’avenir. Ces périodes constituent également des moments où les individus doivent négocier des arrangements avec les personnes concernées par les changements dans le but de trouver des aménagements qui permettent de stabiliser la nouvelle situation (Strauss, 1978).

Ainsi, étudier le rapport au travail des jeunes et leurs comportements en emploi selon la perspective des parcours de vie, c’est considérer le rapport au travail comme une dimension qui évolue dans le temps en fonction des événements qui surviennent dans la vie professionnelle et personnelle de l’individu et de ses proches. C’est tenir compte du moment particulier que représente la jeunesse en tant que période par excellence où se conjuguent plusieurs transitions de vie (Molgat, 2011 ; Gauthier, 2008 ; Galland, 2004). C’est porter une attention à la marge de manoeuvre que détiennent les individus pour agir sur leur parcours de vie et aux ressources à leur disposition. C’est également tenir compte du contexte caractérisé par de nombreux changements sociaux qui marquent les sociétés modernes : nouvel éthos de vie, désynchronisation et diversification des trajectoires de vie et changements dans le domaine de l’emploi.

3. Le cas des jeunes infirmières

À l’aide d’exemples tirés d’une étude de cas menée auprès de jeunes infirmières et infirmières auxiliaires oeuvrant dans le réseau de la santé et des services sociaux, nous illustrerons ce que les différents principes analytiques associés à la perspective des parcours de vie permettent de révéler du rapport au travail de ces professionnelles. Le réseau de la santé est un secteur intéressant pour étudier l’évolution du rapport au travail des jeunes parce qu’on y observe : 1) des changements à plusieurs niveaux, soit dans l’organisation du travail, dans les modes de gestion, dans les pratiques de soins ; 2) des conditions de travail qui posent des défis à l’articulation de la vie professionnelle et personnelle ; 3) un nombre croissant de jeunes professionnels qui développent des problèmes de santé ; et 4) un taux de roulement important parmi les jeunes infirmières et infirmières auxiliaires.

Le choix de se pencher sur le personnel infirmier présente également un intérêt sociologique puisque, dans la littérature, on associe généralement la précarité de l’emploi chez les jeunes à un faible niveau de qualification (Castel, 2001). Or, les infirmières et les infirmières auxiliaires, qui sont pourtant des professionnelles qualifiées, sont, elles aussi, confrontées en début de vie professionnelle à la précarité et à l’instabilité d’emploi, et ce, malgré la pénurie de main-d’oeuvre qui sévit dans plusieurs établissements de santé au Québec (Table nationale de concertation sur la main-d’oeuvre en soins infirmiers, 2008). Il nous a paru intéressant d’examiner en quoi ce contexte d’emploi affecte le rapport au travail de jeunes femmes qualifiées.

Concernant l’âge, nous avons fait le choix d’établir la limite à 35 ans. Cette période est associée à un moment du cycle de la vie où s’effectuent de nombreuses transitions dans les sphères conjugale, familiale et professionnelle, considérant que les différentes transitions se produisent généralement à un âge plus avancé (Molgar, 2011 ; Gauthier et Girard, 2008). D’un point de vue empirique, la sélection de cette tranche d’âge nous assure de pouvoir interroger l’impact des multiples domaines de la vie sur le rapport au travail des jeunes infirmières. Ce choix correspond également à des considérations plus pragmatiques puisque le taux de roulement particulièrement élevé parmi les infirmières de moins de 35 ans peut refléter certains changements dans leur rapport au travail que nous avons voulu examiner.

Pour mieux comprendre le rapport que les jeunes infirmières entretiennent avec le travail, nous avons eu recours à l’approche par récit de vie. Nous avons rencontré en entrevues individuelles 42 jeunes infirmières et infirmières auxiliaires qui travaillaient ou avaient travaillé dans le réseau de la santé et des services sociaux. Des entretiens en profondeur, d’une durée de deux heures et demie à trois heures, ont été menés durant lesquels les infirmières ont été invitées à raconter leur trajectoire professionnelle. L’objectif général visait à cerner comment avait évolué leur rapport au travail dans le temps. Le schéma d’entrevue comportait trois objectifs spécifiques :1) cerner l’évolution des représentations, valeurs et attentes à l’égard du travail ; 2) comprendre comment s’est faite la rencontre entre les attentes et les expériences concrètes de travail à chacune des expériences professionnelles ; et 3) saisir l’évolution de la place du travail dans la vie. Concernant cette dernière dimension, les infirmières devaient déterminer les événements qui sont survenus aussi bien dans leur vie professionnelle que personnelle, ou dans celle de leurs proches, et qui ont modifié leurs attentes à l’égard du travail, la signification du travail dans leur vie ou encore leur investissement en emploi, que ce soit à la hausse ou à la baisse.

L’analyse des récits soulève un enjeu, celui de la reconstruction a posteriori du parcours de vie par les acteurs (Bertaux, 2010). En effet, tout récit est le fruit d’une reconstruction rétrospective des événements et des motivations effectuée par les acteurs et qui évolue tout au long de leur parcours de vie. Le regard porté sur une période donnée de l’existence est largement influencé par tout ce qui est intervenu depuis cette période. Le problème n’est pas tant celui du biais de mémoire, mais du filtrage ou des multiples médiations qui s’opèrent entre l’expérience vécue et le récit qu’en font les acteurs. Que l’événement se soit passé il y a plusieurs années ou seulement quelques jours, le même processus se produit. Cela constitue une limite inhérente à ce type de démarche, qui est toutefois compensée par la richesse des informations que l’approche par récit de vie permet d’obtenir. Peu d’autres méthodes donnent accès à une telle profondeur sur le plan de l’expérience vécue (Bertaux, 2010).

Le choix d’effectuer une étude de cas comporte également certaines limites. Les résultats obtenus ne seront pas nécessairement représentatifs de l’ensemble des travailleurs. Par contre, le processus qui en sera dégagé, et qui permettra de mieux comprendre la multiplicité des éléments à considérer dans l’étude du rapport au travail, pourra alimenter une réflexion plus générale sur la manière d’appréhender le rapport au travail parmi l’ensemble des travailleurs, peu importe leur âge.

L’origine des représentations et des attentes à l’égard du travail

La perspective des parcours de vie met en évidence l’importance de s’attarder aux liens entre les générations qui, dans le cas de l’étude du rapport au travail, s’avère particulièrement intéressante pour cerner comment se façonnent les premières représentations du travail. Avant même d’amorcer leur carrière, la plupart des infirmières[8] ont déjà une idée de ce qu’elles recherchent dans le travail, une façon de se représenter leur idéal de travail et la place qu’elles souhaitent qu’il occupe dans leur vie. L’expérience que leurs parents ont eue du marché du travail, les choix qu’ils ont faits et les répercussions de ces choix sur leur santé et leur vie familiale et personnelle, a façonné, sous forme de continuité ou de rupture, leurs propres représentations et valeurs à l’égard du travail. Plusieurs exemples dans les entrevues illustrent cette influence. Frédérique a grandi dans une famille peu éduquée dont les parents devaient travailler un nombre d’heures important pour arriver financièrement. Elle a toujours vu ses parents s’investir sans compter, travaillant tard le soir et les fins de semaine. La valeur « travail » est très importante pour sa famille, et, dans son récit, elle y réfère souvent pour expliquer sa résignation devant la nécessité d’offrir une grande disponibilité en début de carrière — sur trois quarts de travail[9], sur appel, toutes les fins de semaine — pour pouvoir en arriver à travailler à temps plein, même si elle ne souhaite pas que le travail occupe une place aussi grande dans sa vie à elle.

Ma mère est très courageuse. Elle a travaillé fort toute sa vie et mon père aussi. Ma soeur et moi avons été élevées en fonction de ça et nous aussi, on travaille dur. [...] Moi, je pense de la même manière que j’ai été élevée. Faut travailler dans la vie, c’est comme ça.

Frédérique, infirmière auxiliaire, 27 ans

Andréa, de son côté, a refusé de marcher dans les traces de son père parce qu’elle voulait avoir une qualité de vie et être présente pour sa vie familiale.

Mon père était souvent absent quand j’étais jeune. [...] J’ai vu mon père travailler 90 heures par semaine toute sa vie jusqu’à ce que ma mère décède. [...] je ne voulais pas mener la vie de mon père.

Andréa, infirmière, 34 ans

Ainsi, le contexte familial et social duquel sont issus les jeunes influence la manière de se représenter le travail et façonne une certaine attitude à l’égard du travail, sous forme de continuité ou de rupture par rapport au modèle qui leur a été transmis. L’influence des parents est parfois plus grande qu’il n’y paraît à première vue par rapport à la place qu’elles souhaitent accorder au travail dans leur vie, révélant une grande diversité entre les jeunes en fonction de leur milieu d’origine.

Par ailleurs, les attentes des infirmières relativement au travail ne sont pas différentes de celles de bien des jeunes qui recherchent dans le travail une source d’épanouissement, la possibilité de se réaliser, de se découvrir eux-mêmes, d’être reconnus dans leur spécificité et de mettre à profit leurs connaissances. Ces jeunes infirmières incarnent les valeurs du nouveau modèle culturel, où le travail devient un espace de construction identitaire et de formation de soi. Toutefois, elles se distinguent de la tendance observée dans la population en général par les valeurs qui sous-tendent le choix du métier. Si, comme le démontrent Mercure et Vultur (2010), l’utilité sociale ne représente plus la principale finalité du travail, chez la plupart des infirmières, elle est ce qui motive prioritairement leur choix professionnel. C’est principalement pour aider les autres et se sentir utiles qu’elles choisissent de devenir infirmières. Leur formation contribuera par la suite à renforcer ces valeurs qui constituent encore une dimension importante de la profession, qui n’est toutefois plus associée à un rapport vocationnel au travail chez la plupart des jeunes infirmières.

La rencontre entre les attentes et la réalité de travail

La perspective des parcours de vie nous incite à porter une attention particulière aux transitions, aux événements marquants de la vie et aux bifurcations qui ponctuent les trajectoires. En ce sens, l’entrée dans le réseau constitue une transition importante dans la vie professionnelle des infirmières puisque c’est le moment où, pour la première fois, leurs aspirations sont confrontées aux réalités concrètes de travail. Cette transition est décrite par plusieurs participantes comme un point critique de leur trajectoire professionnelle qui a été vécu comme un véritable choc. La rencontre entre les attentes et la réalité de travail est généralement marquée par un décalage important entre le travail idéal et le travail réel. Pour plusieurs, c’est une période de profonde remise en question de leur choix professionnel. Nombreuses sont celles qui ont d’ailleurs pensé quitter la profession à ce moment, indicateur d’un profond malaise en début de vie professionnelle.

Les principaux problèmes soulevés par les jeunes infirmières se rapportent autant aux conditions de travail associées à des finalités instrumentales (revenus, sécurité et stabilité d’emploi, horaires, etc.) qu’aux conditions liées à la valeur expressive du travail (la reconnaissance, la réalisation de soi, la définition de soi, etc.). Ainsi, la plupart des jeunes participantes ont commencé leur vie professionnelle dans des conditions marquées par la précarité et l’insécurité, malgré la pénurie de main-d’oeuvre qui sévit dans le réseau. Aucune n’a bénéficié d’un poste stable et régulier en début de fonction. Plusieurs d’entre elles ont dû composer avec des horaires changeants et imprévisibles dont le nombre d’heures pouvait varier d’une semaine à l’autre, générant un degré d’instabilité de revenus important. De plus, à cause du manque de personnel dans les équipes et du roulement important de la main-d’oeuvre, elles travaillent souvent dans l’urgence et elles sont peu encadrées en début de fonction, ce qui rend plus difficile le développement de leur sentiment de compétence et la réalisation de soi par le travail. Le rapport à la profession est également mis à l’épreuve puisque la relation avec la clientèle est, dans plusieurs cas, source de déception et de tensions éthiques. Nombreuses sont les infirmières qui constatent avoir très peu de temps pour la dimension relationnelle des soins et pour offrir des soins qu’elles considèrent être de qualité.

C’est sûr qu’il y a comme une frustration. Tu sais, ça te tente moins d’aller travailler [...] tu es un peu désillusionnée, vis-à-vis de ton travail parce que tu n’as pas l’impression d’accomplir les choses comme il faut.

Camille, infirmière, 27 ans

Elles sont d’ailleurs nombreuses à avoir vécu des épisodes de détresse, d’anxiété et de maladie, qu’elles associent à ces conditions difficiles et aux tensions générées par l’écart entre leur idéal de profession et de travail et leurs réalités concrètes en emploi.

Une attention portée à la phase de la vie dans laquelle elles se trouvent au moment où elles amorcent leur carrière dans le réseau ainsi qu’aux ressources à leur disposition permet de mettre en évidence que les contraintes du travail n’auront par ailleurs pas le même effet sur l’expérience subjective de travail. Celles qui ont déjà des enfants au moment de leur insertion dans le réseau auront plus de difficultés à composer avec l’imprévisibilité des horaires, surtout si elles n’ont pas de ressources, conjoint ou famille, pour prendre le relais auprès des enfants. Au contraire, les personnes qui sont en mesure d’offrir une grande disponibilité, qui n’ont ni enfant ni conjoint, vont s’ajuster plus facilement aux exigences de flexibilité qui pèsent sur elles. Celles pour qui le métier d’infirmière représente une réorientation de carrière, qui ont commencé à pratiquer à un âge plus avancé et qui ont acquis une certaine expérience du marché du travail, seront mieux outillées que les plus jeunes pour faire face aux difficultés éprouvées en début de carrière. L’ensemble de ces éléments, qui témoignent d’une diversification des parcours professionnels, influencera la manière de vivre le travail et les choix professionnels qui seront faits.

L’évolution des trajectoires professionnelles : un repositionnement par rapport aux exigences des employeurs

En analysant l’effet du temps sur les trajectoires, comme la perspective des parcours de vie nous invite à le faire, on constate qu’une première expérience de travail négative ne sera pas nécessairement déterminante dans l’évolution du rapport au travail si des expériences positives viennent faire contrepoids aux déceptions vécues en début de carrière et si les infirmières arrivent à occuper un emploi qui se rapproche de leurs attentes. Quand elles trouvent leur place, c’est-à-dire un emploi dans lequel elles peuvent s’investir, se développer professionnellement et se réaliser, on remarque généralement un investissement émotif plus grand dans le travail[10], comme ce fut le cas pour Andréanne qui, après plusieurs emplois insatisfaisants, trouvera finalement l’emploi idéal.

J’aimais ça. Je sentais que je maîtrisais ce que je faisais. J’étais compétente. Enfin, j’avais trouvé ma place !

Andréanne, infirmière, 28 ans

Toutefois, lorsque les expériences négatives se succèdent, ou lorsque la personne se retrouve trop longtemps dans des conditions difficiles, cela peut mener à une redéfinition de la signification et de la place du travail dans la vie, pouvant conduire l’infirmière jusqu’à la désertion du réseau ou de la profession. Ce n’est généralement pas la profession qui est remise en question, mais les conditions de pratique et les tensions engendrées par l’écart trop important entre les attentes — à l’égard du travail, de l’emploi et de la profession — et la réalité de travail. À partir de l’expérience professionnelle de Nadia, on peut en effet se demander dans quelle mesure le fait de se retrouver à répétition dans des conditions de travail difficiles ne conduit pas, assez tôt dans le cycle de vie professionnelle, à un désengagement affectif et à une certaine forme de distanciation du travail, au sens où le travail en arrive à représenter de moins en moins une source de valorisation et de définition de soi et qu’il revêt davantage une fonction instrumentale puisqu’il ne parvient pas à être un espace de réalisation de soi. Ainsi, au début de sa vie professionnelle, Nadia cumule deux emplois dans deux établissements différents. Elle a très peu de congés et de vacances, travaille beaucoup et ses heures sont souvent réparties sur six jours et trois quarts de travail. C’est une période intense où elle compose avec des horaires changeants et un nombre d’heures de travail important. Au fil du temps, elle arrive à améliorer sa situation, mais sa charge de travail demeure très élevée. Elle doit faire des heures supplémentaires obligatoires et des insatisfactions persistent par rapport à l’envahissement du travail dans sa vie personnelle. À 32 ans, et après seulement une dizaine d’années à travailler comme infirmière, le travail est devenu, au fil du temps, une obligation.

[Le travail] c’est plus une obligation parce qu’il faut travailler pour vivre et avoir des objectifs. Au début, quand on a 20 ans, vers la fin des études, c’est une transition, c’est un plaisir d’accéder au monde du travail, d’avoir un revenu, puis d’apprendre. Après 30 ans, c’est une obligation. [...] Que tu le veuilles ou non, au travail, on est toujours poussé.

Nadia, infirmière, 32 ans

Aujourd’hui, Nadia se positionne différemment par rapport aux demandes des employeurs qui exigent d’elle une flexibilité et l’obligation de faire des heures supplémentaires. Ces différents éléments constituent maintenant pour elles des facteurs de démotivation et de désengagement au travail.

Des attentes déçues aux stratégies pour améliorer sa situation en emploi

Compte tenu du contexte dans lequel elles sont amenées à travailler, plusieurs infirmières en arrivent à devoir réviser la place qu’elles souhaitaient accorder au travail dans leur vie. Même si elles disent accorder une grande importance à leur qualité de vie et à l’équilibre entre le travail et la vie personnelle, le travail (ou la construction de leur vie professionnelle par la poursuite d’études) occupera, particulièrement en début de carrière, une place prioritaire, laissant souvent peu de temps pour les autres dimensions de la vie. Dans ce sens, on observe dans plusieurs entrevues un écart important dans la manière dont les jeunes infirmières se définissent en termes d’équilibre recherché et les choix professionnels qu’elles font. Certaines cumulent deux emplois, d’autres se mettent disponibles sur les trois quarts de travail et toutes les fins de semaine, ou encore elles cumulent le travail et des études universitaires, ce qui est très fréquent chez les jeunes infirmières[11]. Sandrine dira en se référant à ses débuts professionnels : « Ma vie était un agenda que je trimballais » (infirmière, 27 ans) ; et Maude évoque la période de ses études universitaires en affirmant : « Je n’ai pas eu de vie pendant 3 ans » (infirmière, 25 ans). Elles le vivent comme une période de compromis nécessaires, le temps d’améliorer leur situation en emploi, une mise entre parenthèses de certaines valeurs qui sont difficilement conciliables avec la nécessité de faire sa place dans le réseau.

Compte tenu de l’expérience qu’elles font du marché du travail, et du contexte particulier du réseau, certaines valeurs vont prendre de l’importance au fur et à mesure que les infirmières avancent dans leur vie professionnelle. Si, pour certaines, la sécurité d’emploi ne semblait pas être une valeur importante dans le choix d’un emploi en début de carrière, elle va devenir synonyme de meilleures conditions de travail et d’un moyen pour limiter l’envahissement du travail dans la vie personnelle et familiale. Après quelques années, elles aspirent à autre chose que d’effectuer des remplacements, de se promener dans plusieurs points de service, d’être sur appel et contactées à la dernière minute pour rentrer travailler. Elles souhaitent avoir « leur place », rester dans le même secteur et dans la même équipe assez longtemps pour être en mesure de développer une expertise et être reconnues par leurs pairs. Or, dans le réseau, ces conditions sont généralement associées à l’obtention d’un poste[12], même si ce ne sont pas tous les postes qui procurent ces avantages[13]. Au moment de réaliser certains projets de vie comme l’achat d’une maison, fonder une famille, ou tout simplement avoir du temps pour s’investir dans une vie conjugale, l’importance de la sécurité d’emploi devient manifeste dans les choix qui sont faits, plusieurs privilégiant un emploi offrant une sécurité à long terme à un emploi plus intéressant, mais moins stable. La réalisation de soi passe aussi par d’autres domaines de la vie que le travail.

Ce qui a été vraiment décisif dans mon cas [dans la décision de quitter son emploi], c’est la stabilité d’emploi. Le fait qu’une semaine je travaille 12 heures puis l’autre semaine 30, je ne peux pas gérer mon budget. Au-delà du travail, on est des personnes qui ont une vie. [...] Autant j’adorais mon travail, et puis quand je vous dis aimer son travail, là, j’en mangeais. [...] Mais je ne pouvais pas gérer ce que ça me causait comme anxiété de ne pas savoir si j’allais travailler la semaine d’après, puis l’autre semaine d’après.

Laurie, infirmière, 25 ans

Comme le suggère la perspective des parcours de vie, les stratégies qu’elles développeront pour réduire l’écart entre leurs attentes et la réalité concrète de travail s’inscriront dans les contraintes et les opportunités offertes par le contexte du marché de l’emploi. Ainsi, le contexte de rareté de main-d’oeuvre offre aux infirmières de nombreuses possibilités d’emploi que plusieurs saisiront dans le but d’améliorer leur situation en emploi. Toutefois, la mobilité professionnelle ne doit pas être interprétée comme une distanciation par rapport à la valeur travail. Malgré les difficultés vécues en début de carrière, leur idéal de travail demeure. Elles continuent d’espérer trouver un emploi dans lequel elles vont pouvoir se réaliser et se développer personnellement et professionnellement. Les différentes expériences de travail s’inscrivent dans une logique de quête identitaire.

Ça a été de me connaître à travers chacun des emplois que j’ai faits puis de découvrir moi-même qui j’étais puis qui je voulais être là-dedans.

Gabrielle, infirmière, 29 ans

Malgré les opportunités nombreuses, certaines seront beaucoup moins mobiles que d’autres. Ce sont des infirmières qui sont moins polyvalentes, soit que leurs compétences et habiletés les limitent à un secteur précis, soit qu’elles n’aiment tout simplement pas le changement et qu’elles manifestent souvent une moins grande confiance à l’égard de leur potentiel et de leurs compétences. Plutôt que de tenter d’améliorer leur sort en changeant d’emploi, elles vont miser sur le cumul de l’ancienneté qui leur permettra éventuellement d’avoir accès à un plus vaste choix de contrats et ultimement à l’obtention d’un poste à l’intérieur du même établissement. Ainsi, les capacités individuelles et la perception qu’ont les individus de leur valeur sur le marché du travail font partie des éléments à prendre en considération dans l’étude du rapport au travail. Les participantes qui étaient moins mobiles se conformaient davantage aux exigences des employeurs et trouvaient « normaux » ces compromis en début de vie professionnelle. Quant aux dimensions plus problématiques de leur travail, elles manifestaient également une plus grande résignation, considérant bien souvent qu’elles n’avaient pas d’autre choix.

C’est ça qui était le plus décevant. Tu es là pour le client, c’est son milieu de vie, il dépend de nous, mais finalement c’est lui qui écope. Q. Comment le vivez-vous quand vous vous en apercevez ? R. : On se fait une carapace. On n’a pas le choix. On n’a pas le choix parce que c’est partout pareil.

Marie-Annick, infirmière, 27 ans

Vie familiale, santé et investissement au travail : l’encastrement des sphères de la vie

L’approche des parcours de vie suppose généralement une imbrication assez forte entre les différents domaines de la vie (encastrement des sphères de la vie). Les infirmières identifient de multiples événements qui sont survenus dans leur vie familiale et personnelle qui les ont conduites à redéfinir la place du travail dans leur vie. Bien que la naissance d’un enfant constitue généralement un événement qui nécessite un réaménagement du quotidien et certains ajustements avec la sphère professionnelle, le type de rapport entretenu avec le travail avant la grossesse ne se transforme pas radicalement avec la venue des enfants. Le lien de causalité entre la naissance des enfants et un changement dans le rapport au travail n’est pas aussi direct. Même si nos analyses démontrent que certaines participantes ont diminué leur temps de travail et que d’autres auraient souhaité le faire après la naissance des enfants, il est intéressant de se pencher sur les motifs qu’invoquent les infirmières pour expliquer leurs choix. Chez plusieurs, la décision de réduire son temps de travail n’est pas basée sur le désir de s’investir davantage dans la sphère familiale. Elle est plutôt en lien avec des conditions de travail qui contraignent fortement les possibilités d’articulation du travail, de la famille et de la vie conjugale.

C’est le cas des horaires de travail qui représentent un facteur majeur dans la manière dont les infirmières vont être en mesure de concilier le travail et leurs nouvelles responsabilités familiales. Ce qui n’est pas étonnant puisque les femmes constituent toujours celles sur qui reposent le plus fortement les exigences de conciliation du travail et de la famille (Lapierre-Adamcyk et al., 2006). Pour elles, la question des horaires de travail devient un enjeu majeur de conciliation. Celles qui ont des horaires changeants et imprévisibles (sur appel, sur plusieurs quarts de travail, avec l’obligation d’effectuer des heures supplémentaires) vont avoir beaucoup plus de difficultés à maintenir le même investissement temporel au travail à partir du moment où elles doivent composer avec des responsabilités familiales et à prendre soin de jeunes enfants. Ces difficultés seront exacerbées si le conjoint a lui aussi des horaires atypiques et changeants, ce qui est de plus en plus fréquent au sein des familles canadiennes et québécoises (Lapierre-Adamcyk et al., 2006). L’organisation du quotidien peut devenir un vrai casse-tête, tout particulièrement pour les familles qui n’ont pas de ressources pour de l’aide ponctuelle en cas de conflits d’horaire. De plus, les horaires de travail mettent à rude épreuve la vie conjugale. Plusieurs des participantes avaient vécu une séparation qu’elles attribuaient en grande partie à leurs horaires de travail. Dans ces conditions, plusieurs vont choisir de diminuer le temps consacré au travail pour réduire la pression sur l’organisation du quotidien et de se doter d’un contexte de vie plus favorable à la réalisation de soi dans les multiples sphères de leur vie.

À l’opposé, celles qui ont la possibilité d’avoir une certaine flexibilité dans leur horaire de travail, selon leur convenance et non selon celle de l’employeur, ne remettent généralement pas en question le degré d’implication qu’elles avaient au travail avant la grossesse, bien que la plupart souhaitent limiter les heures supplémentaires. Celles qui étaient à temps plein et qui bénéficient de ce type de conditions souhaitent généralement revenir travailler à temps plein après leur congé de maternité. C’est que ce type d’horaire leur permet une souplesse qui minimise la désorganisation professionnelle et familiale lorsque surviennent des imprévus ou des événements qui nécessitent un investissement plus important dans la sphère familiale.

En plus des horaires, la cadence de travail va aussi être un élément à considérer dans la façon dont les infirmières vont être en mesure de s’investir dans leur travail à partir du moment où elles ont des enfants. À maintes reprises dans les entrevues, elles mentionnent travailler dans un contexte où le rythme de travail est très intense. Bien que variable d’une journée à l’autre, la charge de travail est généralement considérée comme étant très lourde. Elles doivent se dépêcher, courir, arbitrer entre différentes tâches toutes aussi importantes les unes que les autres. Le travail infirmier est également très demandant émotivement. C’est un travail de relation d’aide qui nécessite une proximité, une écoute, de la compassion pour des patients ou leur famille qui vivent des situations difficiles. Ces différentes formes de sollicitation jumelées à l’intensité de la vie familiale particulièrement élevée lorsque les enfants sont jeunes font que certaines infirmières en arrivent à souhaiter restreindre leur temps de travail, pour « souffler un peu », se ressourcer, et pour éviter de faire des erreurs médicales, qui constitue une préoccupation chez plusieurs.

Je voulais aussi travailler à temps complet au début quand j’étais jeune, mais là, surtout avec des enfants, je veux travailler à temps partiel [...] parce que c’est toujours des quarts de travail exigeants. On prend soin des gens [...] On n’est pas psychologues, mais on fait de la relation d’aide. On se donne toute la journée.

Maryse, infirmière, 32 ans

Ainsi, du point de vue des participantes, ce ne sont pas leurs responsabilités familiales qui viennent modifier leur rapport au travail, mais plutôt les conditions du milieu de travail qui, rendant difficile l’articulation de leurs différentes responsabilités, les empêchent de s’investir comme elles le souhaiteraient au travail. Ce qui est une nuance très importante, même si, objectivement, leurs choix traduisent un investissement temporel moins grand dans le travail. La stratégie du temps partiel, ou plutôt ce « choix contraint », témoigne d’inégalités de genre encore très présentes puisque ce sont essentiellement les femmes qui y ont recours pour des raisons de conciliation. Il comporte également un coût puisqu’il mène à une perte de revenu et de mobilité professionnelle, à un accès plus limité aux avantages sociaux et à l’allongement de la trajectoire professionnelle (Lapierre-Adamcyk et al., 2006).

Les conditions de travail n’expliquent toutefois pas toujours le choix de s’investir moins au travail pour celles qui ont des enfants. Bien qu’il s’agisse de cas plus marginaux, mais non moins intéressants sociologiquement, certaines personnes ont fait le choix de travailler à temps partiel parce qu’elles souhaitent clairement prioriser leur vie familiale, le travail revêtant plutôt une fonction instrumentale. Le type de rapport entretenu avec le travail avant la grossesse renseigne sur les motivations qui sous-tendent ce choix, d’où l’importance, comme le suggère la perspective des parcours de vie, de lier le « avant » et le « après » pour comprendre l’influence du passé sur les choix présents. Ainsi, pour Érika, infirmière de 28 ans, et Éliane, infirmière de 35 ans, le travail n’a jamais occupé une place importante sur le plan de la valorisation ou de la définition de soi. Même si elles travaillaient à temps plein avant d’avoir des enfants, d’autres activités remplissaient cette fonction, comme le bénévolat ou encore la vie sociale et conjugale. À partir du moment où elles ont des enfants, la vie familiale devient une priorité, et, en comparaison de la valorisation et de l’épanouissement qu’elle leur procure, le travail s’ancre encore plus dans sa fonction instrumentale.

Ainsi, la mise en relation entre le type de rapport que les participantes entretenaient avec le travail avant la grossesse, l’enchaînement des événements qui les a menées à la décision de s’investir moins au travail après la naissance des enfants et la manière dont elles expliquent leurs choix permet de mettre en évidence une multiplicité de facteurs dans la manière dont le rapport au travail de ces femmes va évoluer à partir du moment où elles auront des enfants. Cela révèle également des liens dynamiques et interdépendants très complexes entre rapport au travail, conditions de travail et vie familiale, et interpelle une analyse qui ne peut faire l’économie du genre.

L’effet du temps court et du temps long sur les trajectoires : le cas de Noémie

L’axe temporel de la perspective des parcours de vie met en évidence, sur le plan analytique, deux types de temporalité, soit le temps court et le temps long. Appliqué à l’étude du rapport au travail, cela veut dire qu’un événement qui survient dans la vie personnelle d’un individu peut avoir des répercussions plusieurs années plus tard sur les trajectoires professionnelles. Juxtaposé à l’axe multidimensionnel, qui place l’individu au carrefour de l’interaction entre les multiples domaines de sa vie (travail, famille, santé et éducation), il permet une compréhension globale du rapport au travail qui se construit et se redéfinit tout au long de la vie. Le cas de Noémie est intéressant à cet égard. Lors de son deuxième congé de maternité, elle prend la décision de quitter son emploi pour un autre qui correspond davantage à ses compétences. Son nouvel emploi est toutefois précaire, elle est sur appel et elle ne bénéficie pas de congé de maladie et d’autres avantages sociaux associés à un poste. À peu près à la même période, elle apprend que son fils est atteint d’un handicap important. Commence le rythme infernal des rendez-vous chez le médecin et en réadaptation. Comme elle est sur appel et qu’elle n’a pas de congés de maladie, la gestion des horaires devient rapidement difficile. Son conjoint travaille beaucoup, il n’est guère présent dans la vie familiale. Elle assume donc en grande partie la conciliation du travail et des nombreuses responsabilités familiales associées au fait qu’elle a à prendre soin d’un enfant handicapé en plus d’un autre en bas âge. Elle tient tout de même à continuer à travailler au même rythme. C’est un nouvel emploi et elle veut faire sa place. Au fil des ans, elle réussira à obtenir un poste avec des horaires stables et prévisibles, et pourra bénéficier de congés de maladie, ce qui facilitera grandement la gestion de ses rendez-vous. Entre-temps, la situation de son fils s’améliore d’année en année et progressivement, l’état de crise s’estompe et la vie de Noémie reprend un cours plus normal. Toutefois, ces années difficiles auront un effet à plus long terme sur le rapport au travail de Noémie. Même si sa situation s’est stabilisée, la fatigue accumulée, le rythme de vie effréné qu’elle a soutenu pendant ces années et l’impression de ne pas avoir été présente comme elle l’aurait souhaité auprès de ses enfants lorsqu’ils étaient petits, provoquent une remise en question importante de ses choix professionnels. Au moment de l’entrevue, elle avait pris la décision de diminuer à trois jours semaine son temps de travail pour pouvoir se consacrer davantage à ses enfants.

Parce que dans ma vie familiale, avec deux enfants, un compagnon qui travaille quand même beaucoup, qui rentre très tard tous les soirs, quand j’ai des devoirs, j’ai tout à faire, j’ai des fois besoin d’air et de respirer un peu. Les dernières années, quand les enfants étaient petits, puis ils ont été malades souvent, je n’avais pas nécessairement de congés de maladie. [...] Ça fait que j’ai comme beaucoup, beaucoup, beaucoup ramé puis des fois je sens que ah ! j’aurais besoin de prendre une journée.

Noémie, infirmière, 33 ans

Si l’analyse n’avait tenu compte que du temps court, le temps de la crise, on aurait pu conclure que cet événement n’avait eu que très peu d’impact sur le rapport au travail de Noémie. En considérant le temps long, on constate plutôt que ces années de crise l’ont épuisée, qu’elles l’ont éloignée de ses valeurs familiales et qu’elle souhaite désormais prioriser différemment certaines dimensions de sa vie en accordant une place moins importante au travail en termes de temps au profit de sa vie familiale.

Conclusion

À partir du cas des jeunes infirmières, nous avons tenté de démontrer comment l’approche des parcours de vie permet de rendre compte du caractère dynamique et complexe de l’évolution du rapport au travail. Les résultats ont permis d’illustrer que le rapport au travail est un processus qui évolue dans le temps en fonction des attentes et des valeurs que les infirmières nourrissent à l’égard du travail, mais aussi en fonction des conditions concrètes de travail dans lesquelles elles sont amenées à exercer leur profession et des événements de la vie, au travail et hors travail, qui façonnent en retour ce qu’elles recherchent en emploi, la place que le travail occupera à différents moments de leur vie et dans la construction de leur identité. Le genre est une autre dimension importante à considérer puisqu’il influence les choix de conciliation et ultimement la disponibilité pour le travail. L’effet de la dynamique entre ces différentes dimensions sera toutefois très variable d’un individu à l’autre selon sa situation en emploi, les ressources à sa disposition ou encore ses capacités personnelles (ou la perception qu’il a de ses capacités) à composer avec les difficultés. Bien qu’il puisse exister quelques traits « générationnels », le rapport au travail est le fruit des expériences passées, des conditions de vie et des attentes des individus à l’égard du travail et du hors travail, rendant celui-ci particulièrement hétérogène.

En somme, loin d’être uniforme, le niveau de centralité varie d’une infirmière à l’autre, et tout au long du parcours de vie. Cela étant dit, malgré cette hétérogénéité, il semblerait que des conditions de travail difficiles conduisent à un rapport plus critique à l’égard du travail, et ce, même lorsque les infirmières se montraient relativement conciliantes au début de leur vie professionnelle par rapport aux exigences des employeurs, notamment en matière de flexibilité et de disponibilité. La précarité affecte autant les dimensions instrumentales qu’expressives du travail. Elle génère en effet une insatisfaction à l’égard de l’instabilité des revenus et de l’imprévisibilité des horaires, et les conséquences de ces conditions, mais les conséquences de ces conditions affectent également la capacité de se réaliser au et par le travail. Ces conditions peuvent orienter à court ou à plus long terme le rapport au travail, comme le démontrent les exemples de Nadia et de Noémie. Elles provoquent chez certaines un repositionnement de certaines valeurs à l’égard du travail, comme c’est le cas pour la sécurité d’emploi qui va devenir une priorité chez plusieurs au moment d’amorcer différents projets de vie.

La perspective des parcours de vie incite ainsi les employeurs affectés par le roulement important de leur main-d’oeuvre à s’ouvrir à une nouvelle compréhension, plus englobante et dynamique, des aspirations et des attitudes en emploi des jeunes infirmières qui tient compte du contexte de travail dans lequel elles sont amenées à travailler. Les mesures de fidélisation préconisées devraient agir sur les dimensions de l’organisation du travail qui entravent les possibilités de réalisation de soi au travail et dans la vie personnelle. Plus largement, cette perspective offre, en termes de politiques publiques, des pistes de réflexion intéressantes en suggérant la nécessité de développer des services ou des mesures, tant au sein des organisations de travail qu’en dehors d’elles, qui tiennent compte des besoins changeants des individus selon le cycle de vie. Elle s’avère particulièrement utile dans le contexte où le maintien en emploi des travailleurs deviendra incontournable pour faire face aux enjeux liés à la pénurie de la main-d’oeuvre qui affecte différents secteurs d’emploi.