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La plupart des textes en traduction anglaise présentés par le recueil ont aussi été publiés par Simmel en allemand. Leur intérêt réside donc plus dans l’occasion de leur publication que dans le contenu. Ils témoignent des contacts que l’auteur entretenait au-delà de l’océan et des stratégies qu’il mettait en place pour propager sa conception de la sociologie. C’est notamment le cas de la publication contemporaine en plusieurs langues de l’essai programmatique : « The Problem of Sociology » paru dans les Annals of the American Academy of Political and Social Sciences en 1895 et dont on dispose aussi d’une version allemande (1894), française (1894) et italienne (1899). Cela vaut de même pour la première étude illustrative de la méthode sociologique simmelienne : « The Persistence of Social Groups » publiée dans le American Journal of Sociology en 1898 ainsi qu’en allemand (1898) et en français (1898) dans l’Année sociologique où elle fit l’objet de la rupture avec Durkheim. Dès sa toute première production sociologique, Simmel entretenait des rapports très intensifs avec le monde anglo-saxon, surtout aux États-Unis. Autour de 1893, il y eut même une négociation pour un poste de professeur à l’Université Northwestern de Evanston ainsi que le plan de fonder une revue internationale de sociologie avec la collaboration des collègues américains. Rien de cela n’a toutefois abouti. La perte de la correspondance de Simmel pendant la Deuxième Guerre mondiale rend malheureusement très difficile l’étude des arrière-plans de ses rapports avec la sociologie américaine. On peut simplement établir avec certitude que les liens avec Albion W. Small, le fondateur de l’American Journal of Sociology à l’Université de Chicago, étaient très étroits. Small a traduit et fait publier dans le Journal la majeure partie des articles simmeliens parus en anglais. Il s’engageait pour l’introduction systématiquement des études simmeliennes aux États-Unis parce qu’il était convaincu que la sociologie manquait de fondements méthodologiques et qu’aucun mieux que Simmel ne proposait un traitement approprié de cette matière. Compte tenu du fait qu’il n’y avait à l’époque d’autre journal de sociologie aux États-Unis avant la fondation du Sociology and Social Research en 1921, la publication de la majeure partie des écrits anglais de Simmel dans le American Journal of Sociology lui a permis d’exercer une importante influence sur le développement de la sociologie américaine. « How is Society Possible », la traduction de l’excursus du premier chapitre de la sociologie de 1908, a paru dans l’American Journal of Sociology en 1910. C’est le dernier article de Simmel qui ait été publié en anglais de son vivant. La quantité de notes de pied de page que le traducteur, Albion Small, a ajouté à l’article, témoigne de l’attitude critique qu’il avait développée entre-temps vis-à-vis de la sociologie de Simmel. Les liens entre les deux se raréfient après 1910 et terminent avec la lettre ouverte que Small adresse à Simmel au sujet de la conduite de guerre allemande le 29. octobre 1914.
Parmi les publications anglaises de Simmel, une étude fait exception. Il s’agit du « Tendencies in German Life and Thought since 1870 », qui a paru en 1902 dans The International Monthly. A Magazine of Contemporary Thought, journal qui eut une brève vie et dont Simmel faisait partie du « Advisory board » avec Gabriel Tarde. Ce texte, dont l’original allemand est perdu, a paru seulement en anglais. Simmel y expose une critique du développement matériel de la société allemande depuis l’unification du Kaiserreich vis-à-vis du manque d’un développement culturel comparable. La thèse centrale de sa théorie de la culture de l’increased externalisation of life guide l’analyse. La particularité du texte est due à la richesse inédite d’exemples tirés de la vie sociale et culturelle de l’Allemagne depuis 1870 avec lesquelles Simmel se confronte dans l’étude. Il parle ainsi entre autres du développement technique, du naturalisme dans l’art, du mouvement éthique et pédagogique, de la social-démocratie, de la sécession artistique berlinoise et enfin longuement du mouvement pour la libération des femmes et de la culture féminine.