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En 1996, la revue Sociologie et sociétés consacrait un numéro spécial dédié aux technologies médicales ainsi qu’aux changements de valeurs culturelles qui accompagnent leurs transformations dans le cadre de la mondialisation des échanges (Renaud et Bouchard, 1996). Complexe alliage d’un travail de laboratoire et du génie industriel biomédical, ces agencements technologiques désignés par certains analystes sous le vocable de « techno-science » dès le début des années 1990 (Salomon, 1992) sont décrits à l’aune des perceptions collectives qu’ils éveillent, ou encore, des formes de régulation sociale adoptées pour tenter de juguler les controverses et les craintes qui les entourent. Quinze ans plus tard, ce présent numéro thématique propose de réinterroger ce que les auteurs décrivaient alors comme l’impact social naissant et pourtant déjà significatif de ces technologies associées au vivant, ainsi que les débats relatifs à la nature des bouleversements pour les générations futures. Pour autant, la diversité des technologies délibératives déployées dans l’espace public depuis une trentaine d’années montre qu’il ne suffit pas de scruter l’activité des chercheurs depuis l’embrasure des portes entrouvertes de l’univers ordinairement enclos des laboratoires pour actualiser notre regard sur la question de l’impact sociétal. Un pas supplémentaire doit maintenant être franchi qui implique de prendre davantage en compte les trajectoires technologiques et les différents publics concernés, ainsi que d’ajuster en conséquence le regard que les sciences sociales adressent aux technologies du vivant.
Dans cette perspective, le projecteur doit être déplacé. Il ne s’agit plus tant de mesurer les répercussions de technologies traditionnellement envisagées comme des productions stabilisées émanant d’enceintes confinées des laboratoires de recherche auprès de publics étrangers, ignorants et extérieurs. Le tableau sociologique est tout autre lorsqu’on fait face à des situations dominées par l’incertitude technique. Les controverses publiques sont alors indissociables de la façon dont les bricolages de laboratoire sont constitués en réalité collective. Les travaux de sociologie des sciences et des techniques (Law, Callon et Rip, 1986), de même que certaines analyses récentes tirées des sciences de gouvernement (Ihl, Kaluszynski et Pollet, 2003) et de l’action collective (Cefaï et Trom, 2001), ont mis en évidence la pluralité des techniques politiques et des dispositifs d’objectivation susceptibles de réduire les alertes sociales liées à l’introduction de nouvelles technologies. Surtout, ils ont montré que ces dispositifs d’objectivation étaient nécessaires à la reconnaissance consensuelle du caractère novateur d’un agencement matériel donné. Si bien que la réalité publique d’une technologie et sa publicisation ne sont pas la conséquence directe d’une brutale irruption d’objets nouveaux dans l’espace public, ni même d’objets qui détiendraient intrinsèquement des propriétés insolites ou supérieurs à des agencements matériels antérieurs.
Suivant ce constat, assigner un mode d’existence public aux technologies participe d’un travail collectif que nous qualifions de politique. En effet, il s’agit d’un travail de persuasion à partir duquel des pratiques controversées accèdent progressivement, et aux yeux de tous, à la dignité de catégories stables et consolidées, notamment au sein de pratiques administratives et disciplinaires (Ihl, 2006 ; Tournay, 2007). On peut l’assimiler à un long cheminement vers l’objectivation faisant intervenir une multiplicité de répertoires d’actions et de lieux d’expertise où les représentations scientifiques et les décisions politiques concernant ces technologies ressortent comme difficilement séparables les unes des autres. Aussi, de nombreuses expérimentations contemporaines relatives à la comitologie témoignent du caractère coextensif de la science et de la politique. Les prises de décision autour des organismes génétiquement modifiés sont exemplaires à ce propos. Pour vérifier cela, il suffit de suivre le fonctionnement des instances consultatives d’éthique, des dispositifs délibératifs et participatifs mêlant les citoyens, les industriels, les représentants de diverses corporations, les associations de défense du consommateur et les scientifiques, de même que le déroulement des débats parlementaires autour de ces questions qui témoignent de l’imbrication constante des catégorisations scientifiques et des nomenclatures juridiques.
Ce constat empirique d’un déplacement des débats relatifs aux technologies du vivant depuis 1996 nous a incités à mobiliser de nouveaux cas d’études ainsi que de nouvelles perspectives d’analyse dans ce numéro (technologies « vertes », interfaces système nerveux/machines, thérapies cellulaires, corps esthétisés, appréhensions artistiques des technologies médicales, géopolitique du stockage des produits biologiques, etc.). En s’appuyant sur différents regards méthodologiques (ethnographie de laboratoire, étude d’opinions, analyse juridique, conduite d’entretiens), les contributeurs de ce numéro discutent des modalités de présence des technologies du vivant dans l’espace public. Quel que soit l’angle d’attaque considéré par les spécialistes, l’impact sociétal des technologies du vivant est appréhendé non pas en termes de progrès, de chamboulements ou de discontinuités par rapport aux existants technologiques qui les précédent, mais plutôt comme le résultat momentané d’un rapport entre des acteurs sociaux et des objets techniques évoluant sur la longue durée historique (Tournay, 2007). La réalité publique d’une technologie est davantage tributaire des formats d’actions déployés par les acteurs, de leur capacité à enrôler et à persuader que des attributs intrinsèques à cette technologie. C’est pourquoi la question de l’impact sociétal des technologies du vivant laisse dorénavant la place à une interrogation relative aux conditions de possibilités de leur présence publique. Quelles sont les activités de coordination, de mise en équivalence ainsi que les dispositifs d’expression et de qualification déployés par les acteurs pour constituer les technologies du vivant en un problème public et leur attribuer ainsi un caractère de bien commun ? En d’autres termes, comment un assemblage matériel passe-t-il du statut restreint d’objet « privé » du laboratoire à celui d’objet largement controversé ayant une réalité publique ? Ou encore, cela revient à nous interroger sur la ou les façons dont les acteurs glissent d’un régime d’engagement de proximité vers la poursuite d’enjeux de nature publique (Thévenot, 2007 et 2009). Répondre à ces questionnements suppose d’inverser la démarche familière qui consiste à suivre l’élaboration des politiques publiques d’encadrement d’objets scientifiques indiscutables en soi pour reconnaître au contraire que les certitudes fragiles et provisoires de la recherche s’ajoutent aux certitudes fragiles et provisoires de l’action publique (Latour, 2007). Avec ce cadrage pragmatiste, il s’agit alors de concevoir la vie sociale comme un terrain d’expérimentation au sein duquel différentes formes d’actions collectives sont menées afin de stabiliser ou de recadrer des situations dominées par l’incertitude technique. La dimension matérielle détient une bonne place, non seulement parce qu’elle éprouve des connaissances scientifiques en constitution mais aussi parce qu’elle est à l’origine de coopérations nouvelles faisant intervenir des acteurs aux compétences diversifiées (Conein, Dodier et Thévenot, 1993). L’architecture du numéro s’appuie sur trois axes. Le premier consiste à caractériser l’inscription controversée des technologies du vivant dans différentes arènes. Le suivi de ces trajectoires technologiques nous amène à considérer non plus l’assemblage technologique en tant que tel mais à rendre compte de la multiplicité des modes d’existence corporels. Ce qui définit l’objet du deuxième axe. Enfin, la circulation des technologies du vivant forme un puissant laboratoire social pour discuter dans un troisième temps, des ressorts essentiels de la démocratie technique.
La présence publique des technologies du vivant
La gouvernance des biotechnologies définit un très bon laboratoire social pour expérimenter les actions collectives et plus particulièrement les dynamiques institutionnelles (Tournay, 2007). En effet, le cadrage des technologies relatives au vivant est par définition beaucoup plus difficile à stabiliser que celui des matières inertes car les scientifiques et les acteurs politiques font face à des entités qui prolifèrent, qui ne se reproduisent pas à l’identique et qui se transforment parfois de façon imprévisible. Par exemple, l’embryon est controversé parce qu’il peut être appréhendé comme le produit d’un avortement, il peut aussi incarner une solution dans le cadre de la mise en oeuvre des procréations médicalement assistées, ou encore être à l’origine d’une prolifération de cellules souches. Ainsi, les pratiques conduites sur ces produits biologiques s’avèrent passionnantes à étudier car elles n’arrêtent pas de déborder des cadres institutionnels dans lesquels les acteurs essaient de les enfermer. Comme nous l’enseigne rétrospectivement le numéro précité de Sociologie et sociétés, il est frappant de constater que les technologies médicales fortement controversées et inscrites à l’agenda médiatique au milieu des années 1990 renvoient majoritairement aux techniques de procréation médicalement assistée, à la problématique du don d’organes, à la médecine génétique prédictive et à une alimentation adaptée à nos besoins « personnalisés » en matière de santé. Si ces questions demeurent aujourd’hui encore très présentes dans les esprits, elles forment néanmoins le théâtre de recompositions thématiques, défaisant et rassemblant de nouveaux faisceaux de questionnements. Elles fournissent plus particulièrement différentes modalités de présence publique aux technologies du vivant. Ainsi, la traditionnelle démarcation entre les biotechnologies vertes, c’est-à-dire celles se rapportant au développement de plantes génétiquement modifiées dans l’agriculture et l’alimentation, et les biotechnologies rouges relatives à la santé humaine, tend à s’estomper dans les représentations européennes (Daniel Boy et Flora Chanvril dans ce numéro). Si bien que la culture de plantes génétiquement modifiées, de même que les promesses thérapeutiques liées à des protocoles de recombinaisons génétiques sont des sujets à haut niveau de risque « éthique » et peuvent tout autant devenir la cible de contestations sociales. En fait, la préservation de la biodiversité intervient dorénavant comme un puissant leitmotiv de mobilisations sociales susceptible de s’adresser à la biologie médicale et aux sciences environnementales. Les biotechnologies font également l’objet de nouvelles requalifications. C’est le cas de biotechnologies à but non thérapeutique destinées à accroître les performances telles que le développement des interfaces hommes/machines qui sont arrivées dans l’espace public par l’intermédiaire des controverses autour des nanosciences et des nanotechnologies. Ces dispositifs technologiques, et plus particulièrement les implants informatiques connectés au système nerveux humain font l’objet de débats dont les attendus scientifiques et les perspectives se rapprochent de scénarios fictionnels (Daniela Cerqui-Ducret et Barbara Müller dans ce numéro). Cela amène une réflexion sur la frontière mouvante entre l’animé et l’inanimé. À l’inverse de ces technologies développées sur ces dix dernières années, d’autres préoccupations collectives autour du corps semblent faiblement altérées par les transformations du paysage technologique au cours des décennies. Le premier code français de déontologie médicale écrit par Simon (1845)[1] illustre ce continuum de controverses depuis les premiers objets de la morale médicale jusqu’aux débats contemporains de la bioéthique. Dans ce prolongement, on rappellera notamment les situations complexes autour de la mort encéphalique et des conditions de réanimation, dont les questionnements publics s’avèrent des constantes historiques (Lafontaine, 2008), plus fortement réactivées lorsque des cas tragiques arrivent sur le devant de la scène médiatique. Le cas de Vincent Humbert[2] constitue hélas un exemple récent des plus révélateurs. Si la longue durée historique permet de souligner que certains éléments du corps humain sont davantage mobilisés que d’autres, nous verrons dans ce numéro que ce que Klaus Hoeyer désigne comme des objets-frontières humains, forme des points récurrents de passage obligé particulièrement sensibles à la renégociation des codes culturels et des marqueurs identitaires. Invariants historiques mais néanmoins requalifiés en permanence suivant les contextes locaux, ils définissent des objets anthropologiques d’intérêt. En particulier, il n’est pas rare d’assister à de fréquentes entreprises de requalification juridique lorsque ces objets biotechnologiques offrent des transformations qui s’échappent des cadres préalables dans lesquels elles étaient censées être contenues. Ainsi, Jean-René Binet (dans ce numéro) met en exergue les constants décalages du dialogue entre science et droit autour de l’embryon. Ce produit biologique n’est plus simplement discuté au titre d’aide à la procréation médicalement assistée mais il lance également tout un débat autour de la production de cellules souches à finalité de recherche. L’auteur montre que la récente apparition de recherches alternatives sur les cellules adultes réajuste les attentes autour des cellules embryonnaires anticipées dans la loi de 2004. Les présences publiques des technologies du vivant sont donc extrêmement contrastées et évolutives. Et si on se place dans une perspective historique, on assiste alors à une évolution continue des modes de présence publique des technologies du vivant. Ce constat nous incite à examiner les technologies du vivant non pas sous l’angle de l’assemblage technique que chacun de ces agencements suppose, mais plutôt à suivre les processus de requalification ainsi que la circulation de ce qui correspond à des corps recomposés, comme le préconise Klaus Hoeyer. Face au constat d’une grande diversité des technologies du vivant et de la variabilité de leur institutionnalisation, le champ d’investigation de ce numéro vise à rendre compte de la multiplicité des modes d’existence corporels et de leur traitement politique.
Des technologies du vivant à la multiplicité des modes d’existence corporels
La mise en politique du vivant, c’est-à-dire l’ensemble des processus donnant une présence publique au vivant, n’est pas réductible aux seules trajectoires des technologies de prise en charge des corps malades, déviants ou imparfaits. En effet, les assemblages technologiques de produits biologiques ayant une finalité médicale, qu’elle porte sur le diagnostic ou qu’elle renvoie à une prise en charge thérapeutique effective ou potentielle, composent une petite section des technologies du vivant. Il faut inclure dans cette catégorisation de prétendants à la vie publique la déclinaison toujours plus longue et hétéroclite des entités de la nature, que celles-ci soient discrètes à la manière de certains carnivores se rendant difficilement perceptibles, proliférantes comme une multitude de micro-organismes, domestiquées sous le trait des oiseaux en cage, ou menaçantes telles que certains agents pathogènes responsables de pandémies. Bien que la trajectoire et l’apparition publique de ces entités naturelles ne dépendent pas nécessairement du déroulement d’un projet médical, il est pourtant bien ici question des technologies de la nature. La labellisation et la reconnaissance des entités vivantes supposent un complexe travail de mise en forme depuis l’observation individuelle directe, diversifiée et sensible dans leurs milieux d’origine jusqu’à leur figuration ex-situ, déléguée, univoque et collective dans l’espace public. Pour le dire quelque peu différemment, le vivant ne peut être rendu collectivement visible qu’après un entrecroisement de matériaux, d’objets fabriqués et de savoirs constitués tels que des chiens de détection pour signaler la trace d’animaux dangereux au sein d’un territoire domestiqué, des microscopes afin de mettre en évidence un agent pathogène ou encore, un médium artistique pour faciliter la communication entre médecins et patients atteints de troubles du comportement ou arrivés à un stade terminal de pathologie. L’article de Darquise Lafrenière et Susan M. Cox dans ce numéro nous enseigne ainsi que la performance artistique peut constituer un moyen de dissémination de connaissances scientifiques autour de corps diminués par la maladie. Autrement dit, présenter le vivant à un public équivaut à le recomposer et à l’équiper pour lui donner des contours, des frontières et une appartenance. Il en est de même pour la présentation du soi à autrui et David Le Breton (dans ce numéro) décrit admirablement les différentes déclinaisons de cette ingénierie corporelle qui incarnent autant de modes volontaires de production de soi, de l’identité personnelle et de l’appartenance genrée. Cette montée en généralité signe donc l’aboutissement d’un processus politique où se joue l’appartenance à une humanité commune (Rémy et Winance, 2010). En continuité de ce raisonnement, nous avons fait le choix d’inclure dans ce numéro quelques contributions appréhendant un vivant équipé dont les trajectoires publiques ne dépendent pas d’un quelconque processus de médicalisation à proprement parler. Cette inclusion présente l’intérêt d’analyser les processus de mise en politique des technologies du vivant et leur circulation dans des arènes collectives sans avoir à présupposer que la finalité médicale détermine et justifie ce passage dans la sphère publique. En outre, l’institutionnalisation des produits de santé suppose une lutte entre des savoirs de différente nature et les plus experts ne sont pas nécessairement ceux qui déterminent les politiques d’encadrement comme le soulignent Janice Graham et Mavis Jones dans ce numéro. L’évidence médicale est composée d’un agencement complexe de connaissances qu’il convient de « symétriser » davantage pour les auteurs. Si bien que la mise en politique des biotechnologies n’est pas forcément liée à son applicabilité médicale immédiate. L’inscription du clonage dans le droit est un exemple patent. En témoigne ainsi la contribution d’Antoine Doré qui porte attention à la présence de corps biologiques recomposés ne relevant pas de la médecine. Il s’intéresse plus particulièrement aux modes de présence des entités de la nature (le loup est ici pris en exemple) dans les arènes de la démocratie et il marque le contraste étonnant entre le caractère souvent insaisissable de l’animal en chair et en os et les disputes publiques qui se sont développées au début des années 1990 en France.
La démocratie technique : une évolution créatrice du social[3]
Si les technologies du vivant renvoient à une multiplicité de modes d’existence corporels, elles ont également pour particularité de redéfinir les conditions du vivre-ensemble. C’est ce que suggère Marie-Hélène Parizeau en montrant de quelles façons les procédés génétiques des empreintes et les banques d’ADN ont été investis au service des technologies biométriques d’identification des personnes en circulation. La génétique amorce ainsi la possibilité de nouvelles formes de vie et d’expressions identitaires à l’origine de nouveaux collectifs caractérisés par une biosocialité singulière (Rabinow, 2000). Comme Callon, Lascoumes et Barthe (2001) l’ont admirablement montré, la démocratie technique s’exprime depuis les années 1970 à travers une large diversité de technologies délibératives mettant en rapport des groupes sociaux n’ayant traditionnellement pas l’habitude de dialoguer ensemble. Ces expérimentations collectives unissant élus locaux, chercheurs scientifiques et associatifs constituent un mode d’exploration des « débordements » générés par le développement de la science et de la technologie. Excluant toute explication mécaniste (algorithme social produit en réponse à un problème donné) et finaliste (orientation des groupes sociaux vers un projet clairement préétabli), elles témoignent de l’adaptation à la fois souple et complexe des groupes sociaux aux conditions d’existence qu’ils tracent eux-mêmes. Des ponts peuvent ainsi être jetés avec certains apports récents des recherches néo-institutionnalistes. Dans un article récent, Olsen (2009) révèle que les systèmes institutionnels démocratiques incarnent un système adaptatif complexe dont l’équilibre se trouve assuré et renégocié par les standards et les instruments qui composent ces collectifs. Les innovations institutionnelles telles que les banques de stockage de produits biologiques ou la standardisation des procédés d’identification à partir des empreintes génétiques définissent alors des espaces de variation (Barry, 2010) à partir desquels de nouveaux formats de coopération et de nouvelles grilles de lecture collectives deviennent nécessaires et évidentes. Néanmoins, les réseaux constitués par l’apparition de produits biotechnologiques ne tendent pas tous vers la consolidation. C’est ce que montre Emmanuel Taïeb dans ce numéro lorsqu’il décrit l’ampleur de la mobilisation complotiste autour de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 en France. Il met ainsi en exergue la constitution de positionnements qui relatent un biopouvoir instrumentalisé et mortifère défiant l’action publique sanitaire. L’institutionnalisation des technologies du vivant est ambivalente puisqu’elle agrège avec elle des groupes d’opposants. Elle s’avère ainsi indissociable de la production d’un récit dominant de l’innovation (article de Pascale Lehoux, Myriam Hivon et Julie Fattal dans ce numéro). La mise en politique des technologies du vivant est un processus qui incline à ne pas présupposer d’orientations préconçues aux processus de différenciation ou d’intégration institutionnelles. C’est pourquoi nous avons avancé l’hypothèse de l’institution en tant que catégorie de mouvement d’individus, de produits et d’informations (article de Virginie Tournay dans ce numéro et en 2009). Plutôt que de la concevoir comme une organisation artificiellement délimitée par des frontières sur lesquelles tout le monde s’accorderait, l’institution se stabilise progressivement par une économie particulière des flux de circulation. Cela nous autorise à envisager la gouvernance internationale des technologies du vivant à partir des formes de concertation multilatérale qui se développent autour de leurs produits. Le multilatéralisme ressort ici comme un format irréductible de coopération internationale à partir duquel d’autres agencements complexes tels que les organisations internationales ou la globalisation peuvent être conceptualisés (Petiteville, 2009 ; Schemeil, 2009). En bref, ce numéro consacré aux technologies du vivant est un plaidoyer visant à porter une attention plus soutenue au déploiement concret des activités institutionnelles dans leurs ramifications les plus lointaines sans préjuger de frontières aux collectifs que l’on définit ou de projets préconçus aux acteurs que l’on étudie. L’ensemble des contributions à ce numéro témoigne de l’importance de suivre les trajectoires et les controverses autour des technologies du vivant afin de caractériser un travail politique indissociablement scientifique et militant.
Appendices
Notes
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[1]
On observe peu de distinctions entre les objets de la bioéthique contemporaine et les thématiques abordées alors. Entres autres : « Chap. v : Devoirs des médecins qui se donnent la mission de concourir à l’avancement de la science et au progrès de l’art par la publicisation de leurs travaux », « Chap. xi : Des limites dans lesquelles doit être restreinte l’expérimentation en médecine », « Chap. xii : De l’euthanasie ».
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[2]
Elle décrit un jeune homme cloué à un lit à l’hôpital à la suite d’un accident professionnel, resté tétraplégique, muet, pratiquement aveugle et désireux que l’on mette fin à ses jours. Avec l’aide de ses proches qui médiatisèrent sa demande d’un « droit à mourir » ainsi que des lettres ouvertes adressées au président de la République, la question d’une dépénalisation du suicide assisté s’épancha du lieu enclos de l’hôpital et adopta la forme d’un débat passionné au Parlement. Mobilisant et rendant visibles les prises de position de plusieurs milliers d’individus et de représentants de différentes communautés d’appartenance, ces controverses rendues publiques ancrèrent les jalons autour de ce qui devait constituer ultérieurement la loi de Leonetti.
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[3]
En référence à l’ouvrage clef d’Henri Bergson (1907).
Bibliographie
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