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Sans Max Brod, nous n’aurions probablement jamais connu Franz Kafka. Il publie ses manuscrits, les présente, les préface. Infatigable, il orchestre la réception de son oeuvre par l’intermédiaire de livres d’interprétation et d’un roman à clé, il veille à la mise en scène de l’oeuvre au cinéma et au théâtre. Ami et exécuteur littéraire, il parle et agit au nom de Kafka. Figure dans l’ombre de l’auteur, Brod ne nous laisse pas pour autant indifférents, il nous agace : quel droit avait-il de publier les manuscrits de Kafka — d’autant plus que ce dernier les voulait détruits ? Quels pouvaient donc être ses motifs ? La volonté d’intercéder pour un auteur mort trop jeune ou pas assez sûr de lui ? Une mission dont il se sentait investi ? L’envie de sortir de l’ombre ? Si nous, lecteurs de Kafka, reconnaissons que Brod nous a fait connaître l’auteur, plusieurs d’entre nous ont critiqué ce qui est jugé une perversion de son esthétisme et de ses intentions. Que nous soyons d’accord ou non avec l’interprétation, et le geste, de Brod, nous reconnaissons qu’il a tracé les limites de l’espace à l’intérieur duquel nous lisons aujourd’hui Kafka. Brod a contribué à l’intromission des livres de l’auteur dans le canon de la littérature du xxe siècle ; à ce titre, il est un passeur.
L’exemple de Brod ne manquera pas de faire remarquer au lecteur-sociologue que le passeur renvoie aux relations sociales intermédiaires. Les acteurs qui intercèdent, parlent, agissent au nom d’autrui, et qui le font connaître, mettent en lumière des problèmes d’ordre structurel (Weiß, 1998 : 16). À cet effet, le passeur fait écho à une question fondamentale de la sociologie : celle de la coordination de l’action, mais aussi des filets du pouvoir dans lesquels celle-ci est tissée. Parce que le passeur conjugue d’une façon unique des questions au coeur de la sociologie classique et des considérations épistémologiques chères aux théories contemporaines, nous proposons de penser le social et ses frontières sous l’angle de cette figure, une entreprise à laquelle les auteurs ont bien voulu se soumettre. En guise de présentation au présent numéro de Sociologie et sociétés, il nous importe dans un premier temps de souligner deux traits caractéristiques du passeur : la coordination de l’action et la représentation. Ces caractéristiques nous mèneront, dans un deuxième temps, aux frontières et à leur contrôle. Des passeurs aux frontières, nous accentuerons dans les quelques pages qui suivent les tensions auxquelles renvoie l’objet d’étude.
I
En français, le mot « passeur » prête à confusion : il désigne tant celui qui passe que celui qui fait passer. Il convient de mettre à profit ce caractère polysémique. Au-delà du caractère relationnel du social mis en relief par la figure de l’étranger, de Simmel à Hill Collins, le passeur place la fonction de coordination au centre de l’analyse du travail d’acteurs précis et renvoie ainsi à une sociologie empirique. Le passeur met en lumière l’action d’individus et les conséquences, anticipées ou non, de celle-ci. Vu sous cet angle, un individu peut être passeur malgré lui ; le passeur prend alors forme à travers le regard du sociologue qui observe et interprète les conséquences de l’action — et non uniquement à partir de la parole des individus qui font d’un passage le motif de leur action. Si, chez Brod, motifs et conséquences coïncident, la médiation du personnage marque le début d’une chaîne de conséquences auxquelles il ne peut échapper — et auxquelles nous, lecteurs de Kafka, ne pouvons d’ailleurs non plus échapper.
Brod nous fait connaître Kafka en participant à l’inscription de son oeuvre dans le canon littéraire mais, en même temps, il se l’approprie et la transforme, voire — selon le point de vue que l’on adopte — la déforme. Du fait même de sa fonction de médiation, la figure du passeur et son rôle peuvent ainsi être sujets à contestation. Il n’est pas rare, après tout, que les protagonistes de mouvements de contestation revendiquent un retour aux paroles, aux textes originaux : ceux de la Bible, de Marx... ou de Kafka. Contre Brod et la kafkologie qui en est l’héritière, Milan Kundera plaide pour un retour à Kafka, au texte et à la révolution esthétique qu’il aurait mis en branle[1]. On peut donc souhaiter abolir la médiation — voire la figure même du passeur —, et plusieurs textes du présent numéro font écho à une telle volonté.
L’oblitération du passeur renvoie plus précisément à un idéal d’autonomie. On pense notamment au respect de l’autonomie de l’auteur et de ses intentions, mais aussi de la capacité d’interprétation du lecteur qui peut refuser de laisser son imaginaire être ainsi « castré » par une quelconque orthodoxie. Cette autonomie de l’auteur autant que du lecteur s’inscrit directement dans l’idée du sujet autonome à partir de laquelle on définit l’ère moderne (voir les textes de Maxime Allard et de Rosalie Dion dans ce numéro) et, par ricochet, la portée du regard du sociologue. Cet idéal teinte à la fois le regard des acteurs et celui des observateurs ; il détermine les questions que les seconds posent aux premiers.
Le passeur renvoie ainsi à une première tension : celle ressentie entre la nécessité d’un travail de coordination (sans Brod, pas de Kafka) et la remise en question de la médiation qui en découle nécessairement (la kafkologie). Cette tension fait écho à la transformation, ou à la déformation, découlant de la médiation ; elle est exacerbée par l’atteinte portée à l’idéal d’autonomie largement partagé. À défaut d’oblitérer le passeur, on peut néanmoins vouloir limiter son action ou son monopole[2]. Dans le rôle de représentant qu’il peut assumer, le passeur a précisément pour objectif de résoudre cette tension. En effet, le souci d’autonomie de l’individu coïncide avec l’émergence de cette figure qui prend en charge la fonction de coordination, mais dont le travail est soumis à des contrôles et des sanctions. Le représentant est mandaté, il doit se montrer responsable dans ses fonctions et rendre des comptes. La tension qui est propre à cette fonction s’est lénifiée dans le rôle du représentant politique. La question de la légitimité de la prise de parole au nom d’autrui, de la représentation et de ses conditions de possibilité, constitue toujours une tension forte au coeur de l’activité des intellectuels ; même si toujours contestée, elle est constitutive de la façon dont ces derniers se définissent (voir à ce sujet le texte de Kavin Hébert dans ce numéro).
II
De quel droit le passeur peut-il parler, et agir, au nom d’autrui ? S’il ne revient pas au sociologue de trancher ces questions, il peut néanmoins étudier comment elles interpellent les acteurs et rendre compte de la manière par laquelle elles l’interpellent. Outre sa fonction de coordination et la tension qui lui est inhérente, ces questions nous amènent ainsi à un deuxième aspect du passeur : celui de la représentation.
Dans le contexte qui est le nôtre, celui de la sociologie, l’exemple de Max Brod n’est pas aussi arbitraire qu’il pourrait le paraître au premier regard. Il nous permet de réfléchir, avec un certain détachement, à la figure du passeur et aux types de relations qu’il incarne et met en oeuvre. Il nous permet de préciser, et peut-être aussi de transgresser, l’espace dans lequel le passeur est pensé. Plus que dans le cas de l’agent littéraire, du politicien ou de l’intellectuel, on associe souvent aujourd’hui le passeur à une frontière socio-symbolique, à une métaphore renvoyant aux principales divisions et hiérarchies constitutives de l’ordre social d’une société donnée. C’est en relation au « nous », à la frontière de la citoyenneté entendue au sens large que nous avons l’habitude de penser le passeur. Parce qu’il renvoie à l’identité et à l’autonomie d’individus ou de groupes, questions qui ne nous laissent pas indifférents, nous sommes aux prises avec une deuxième tension entre parler « de » l’autre, « au nom de » ou « à la place de » (voir Alcoff, 1995). Elle se manifeste souvent par un brouillage des frontières, un brouillage entre la recherche et l’action au nom du changement social (advocacy).
Si, parce qu’il parle et agit au nom d’autrui, le travail du passeur a toujours quelque chose d’agaçant, il ne suscite pas toujours — selon la position qu’il occupe par rapport à une frontière — ni le même intérêt ni la même indignation. Le passeur s’avère aujourd’hui sympathique, et légitime en tant qu’objet de recherche dans les sciences sociales, s’il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, dans le groupe majoritaire, mais néanmoins à sa marge. Si sa fonction de passeur entre minoritaires et majoritaires n’implique pas la défense des intérêts des premiers face aux seconds, il risque cependant de ne plus nous être aussi agréable[3]. S’il est un passeur majoritaire porte-voix des minoritaires, il est particulièrement susceptible de nous agacer ; sa légitimité sera la plus contestée. Pourquoi ? Parce qu’il contrarie une sensibilité exacerbée par les mouvements sociaux des années 1960 et dont nous sommes les héritiers, bien que parfois récalcitrants[4] ; une sensibilité qui repose sur un idéal de démocratie participative selon lequel le principe de relai ou de représentation — parler au nom des x, sans être soi-même un x — n’est acceptable que comme solution intérimaire, ou dans le cas des mineurs ou de personnes qui ne peuvent, pour des raisons diverses, parler pour elles-mêmes (Weiß, 1992, 1998).
Tel qu’il s’est historiquement constitué, l’idéal d’autonomie et d’émancipation est assorti d’une hypothèse qui lui est implicite : on se représente mieux soi-même. On peut faire découler une seconde hypothèse de la première : une fois la frontière franchie, le passeur — dont le caractère se doit d’être provisoire — s’effacera. En d’autres mots, le passeur devra, dans sa fonction de représentant, se servir du porte-voix aussi longtemps — mais pas plus longtemps — que le représenté ne pourra le faire lui-même.
Considérer le passeur tant comme celui qui passe que celui qui fait passer nous incite à ne pas négliger la présence d’acteurs qui ne pourraient pas être décrits comme des étrangers au sens simmelien (par exemple parce qu’ils sont issus du groupe majoritaire, parce qu’ils ne se revendiquent pas comme passeurs ou encore parce qu’ils ne correspondent pas à l’image que l’on s’en fait spontanément). Renoncer à une telle conception du passeur le réduirait à un échantillon restreint de relations intermédiaires et limiterait la portée de l’interprétation sociologique. Portant leur regard sur les discussions actuelles sur la citoyenneté et les passeurs sans toutefois s’y limiter, les auteurs de ce numéro, grâce aux portraits qu’ils esquissent, attirent notre attention sur des relations intermédiaires, sur l’activité d’acteurs concrets, qu’ils soient minoritaires ou majoritaires, et leurs conséquences. C’est ce à quoi le politicien, l’intellectuel, et l’agent littéraire, nous convient.
III
Lorsque le sociologue identifie et construit un passeur par l’étude de l’action, c’est-à-dire par le biais des motifs qui la sous-tendent et de ses conséquences, une frontière apparaît. La frontière correspond à ce que l’on défend, à ce que l’on patrouille. Elle renvoie, encore une fois, au caractère équivoque du passeur.
Comme le passeur, la frontière a surtout été pensée au cours des dernières décennies autour d’un intérêt renouvelé pour l’identité et les modes d’exclusion et d’incorporation de la différence. L’utilisation du terme frontière pour signifier tant la ligne de marquage entre identité et altérité, avec ses mécanismes d’ouverture et de fermeture, que pour évoquer l’idée d’un espace-tiers, hybride, qui ne serait ni l’un, ni l’autre, et les habitants de ces espaces inclassables et interstitiels (Lugones, 1992) s’est répandue en sciences sociales à partir des années 1970. Elle s’observe aujourd’hui dans plusieurs disciplines, de l’anthropologie à la psychologie, en passant par l’histoire, la sociologie et la science politique, et ce dans des travaux portant sur des sujets aussi variés que l’identité sociale et collective, les professions et les cultures organisationnelles, les théories de la connaissance et la science, les inégalités sociales liées à la classe, à l’ethnicité/race et au genre/sexe, les communautés et les identités nationales, mais aussi les frontières spatiales (Lamont et Molnár, 2002).
Comme le font valoir les auteurs du présent numéro, les frontières sont aussi multiples que les passeurs. Ils abordent en effet les frontières du « nous » national, mais aussi celles du religieux, de la réalité et de l’imaginaire, du canon littéraire et, aussi, celles de la sociologie et de la politique. Qu’elles soient réelles ou supposées, les frontières sont dotées d’une ambivalence, entre ce qui est inclus et ce qui est exclu ; entre une face symbolique et une face matérielle qui ne se superposent pas forcément. Entre ouverture sans barrière et fermeture absolue, les frontières signifient une ouverture contrôlée ou un passage sous surveillance, sujet à négociation. Les passages ont leurs patrouilleurs. Et il n’est pas rare que le patrouilleur ait été un passeur. L’exemple de Max Brod illustre à cet effet le double rôle du passeur : après avoir facilité un passage, il mit grand soin à patrouiller les frontières de l’espace qu’il avait contribué à tracer. En déterminant les critères de lecture, d’interprétation et de réception de l’oeuvre de Kafka, il a inclus et exclu. L’article de Sirma Bilge dans ce numéro, en relatant l’expérience de passeurs devenus patrouilleurs, renvoie également à un tel processus. Ce faisant, il nous confronte à des configurations ou des alliances d’acteurs qui nous paraissent parfois insolites et qui sont à la source d’irritations fréquentes.
Si nous avons ici insisté sur les tensions analytiques propres à la figure abstraite du passeur, il ne faudrait pas omettre que celles-ci ont également une dimension hautement personnelle. Elles se manifestent chez les individus qui se prêtent à l’étude et qui, pour reprendre le langage un peu pathétique de Max Weber, doivent les affronter sur le plan intérieur. La tension entre les effets de l’action (l’exclusion) et les intentions initiales (le passage, l’inclusion) des passeurs est à la source de critiques, de contestations, de reproches. Elle est aussi à la source de dilemmes pour les individus réels derrière la figure abstraite du passeur pour qui la question de parler, d’agir ou de s’effacer s’impose. Cette tension soulève, pour les individus concernés, la question de la responsabilité de leurs actions ; elle sera d’autant plus fortement ressentie s’ils se perçoivent comme « agents doubles » — particulièrement dans le cas des passeurs minoritaires majoritaires évoqués plus haut, ceux qui défendent les normes majoritaires. Partout où des tensions se manifestent, l’individu et ses valeurs — mais aussi celles du chercheur — deviennent palpables, manifestes. Le texte de Caroline Andrew sur une organisation de femmes immigrantes et de « femmes blanches » constitue à cet effet un témoignage des dilemmes propres au chercheur, en l’occurrence une femme blanche consciente des enjeux de son action et sensible aux relations de pouvoir, et de son rôle équivoque de patrouilleur. On le voit, dans la mesure où les questions que nous traitons dans nos travaux nous préoccupent en tant que sociologues et en tant que personnes en chair et en os, où nous y entretenons un rapport aux valeurs, nous sommes aussi des acteurs, plus ou moins discrets, de l’enquête sociologique. Parce que nous sommes souvent — certes à des degrés différents — soucieux du sort de l’individu minoritaire et que nous avons à l’oeil les conséquences de nos travaux, il n’est pas rare que nous soyons des passeurs inquiets.
IV
Reprenant les grandes lignes de cette présentation, le numéro thématique est divisé en trois sections. Avec les articles de Maxime Allard et de Rosalie Dion qui se penchent sur la tension, la fissure, d’où naît un nouveau type de passeur au seuil de la modernité, il s’ouvre sur les passages historiques. Il se poursuit ensuite avec des portraits qui mettent en lumière des aspects de la figure du passeur pour conclure avec la question du contrôle des passages et de la patrouille des frontières.
Les auteurs des deux premières sections du numéro mettent à l’avant-scène des passeurs de frontières. Certaines de ces figures sont typiques : le médiateur et le ministre (Maxime Allard), les autres sont réelles : Érasme de Rotterdam (Rosalie Dion), Alain Deneault, un intellectuel aux croisées de la justice et de la société civile (Kavin Hébert), Sofiane Meziani, un activiste musulman (Frank Peter), Miroslav Švický alias Žiarislav, un chef spirituel d’un mouvement de retour aux racines (Miroslav Tížik), Haraway, historienne des sciences, féministe au parcours « insaisissable », perturbatrice des frontières (Thierry Hoquet). Les cas présentés comprennent tout aussi bien des acteurs qui font d’un passage leur métier ou leur vocation — à l’instar de Max Brod — que ceux qui deviennent, parfois malgré eux, des passeurs. Ils renvoient ainsi au rapport paradoxal entre la volonté et les effets qu’elle produit. Aux côtés des passages désirés et réussis, les auteurs de ce numéro relateront des passages ratés et des passages non anticipés par les acteurs.
Les auteurs de la troisième section se penchent quant à elles sur le contrôle et la contestation des frontières, celles de la nation au tout premier plan. Alors que Caroline Andrew expose les frontières que les femmes immigrantes actives auprès de la Ville d’Ottawa ont à franchir dans le contexte canadien, Schirin Amir-Moazami et Sirma Bilge observent comment des acteurs issus d’une majorité veillent à la frontière du « nous », et contribuent à la production de discours hégémoniques de la nation. Cette entreprise est toutefois contestée par des acteurs qui affrontent ce discours sur les principes mêmes qui le sous-tendent. Chacune à leur manière, Géraldine Mossière et Anaïs Sékiné présentent des discours d’acteurs qui occupent une position minoritaire, qui « passent et retravaillent une frontière » ; se penchant sur la volonté de reconnaissance de converties à l’islam et d’intellectuels, elles réfléchissent avec eux à la question de l’authenticité et de la représentation.
La figure du passeur agace et soulève des questions normatives, comme en témoigne la question de la patrouille des frontières si souvent discutées aujourd’hui, particulièrement autour du sort des musulmans dans les pays européens et au Canada. À partir de questions liées aux musulmans, les auteurs du numéro pensent la question du passeur, de la frontière et de son contrôle. La sphère religieuse occupe d’ailleurs une place non négligeable dans ce numéro. La raison est simple, c’est là que s’est jouée, en interaction avec le politique au seuil de la modernité, la grande tension entre la nécessité de coordination et une volonté d’abolir le passeur ; et c’est au seuil de la modernité que nous voyons poindre la figure du représentant, une réponse à cette tension. Bien sûr, les dimensions propres au passeur ne sont pas épuisées par les discussions autour de la religion, et la figure de l’intellectuel occupe à ce titre une place importante (voir l’article de Kavin Hébert). Si de leur poste d’observation, les auteurs du numéro ont à l’oeil les frontières de la citoyenneté dans ses imbrications avec le religieux, ils abordent aussi la frontière entre réel et fantaisie (Miroslav Tížik) et celle entre humains et animaux (Thierry Hoquet et, dans la section hors thème, Emmanuel Gouabault et Claudine Burton-Jeangros).
Appendices
Notes
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[1]
Le romancier évoque de façon cinglante « L’ombre castratrice de Saint Garta ». C’est ainsi qu’il intitule un chapitre de Testaments trahis (Kundera, 1993 : 49-69) et qu’il qualifie la médiation de Brod des écrits de Kafka, une médiation qui a la prétention d’une science, la kafkologie. Parce qu’elle est toute concentrée sur le personnage de Kafka qu’elle érige en saint martyr, cette dernière nous détourne — Kundera le déplore amèrement — de ses écrits.
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[2]
Comme nous le rappelle Anaïs Sékiné dans ce numéro, une des caractéristiques des totalitarismes a été de vouloir supprimer les passeurs ou les intermédiaires, ou d’en monopoliser l’influence.
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[3]
Les théories postcoloniales ont récemment redirigé notre attention sur les rapports de domination à l’intérieur même des groupes minoritaires. En effet, la fonction du passeur comme instrument du pouvoir est notamment visible dans le contexte colonial où la pérennité de la domination dépendait largement de la formation d’une classe de passeurs qui allait faire office de courroie entre colonisateurs et colonisés.
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[4]
Nous sommes récalcitrants parce que les limites de la représentation — et le caractère construit de l’authenticité si souvent évoqué lorsqu’il est question de représentation — ne nous sont pas inconnus. Par le biais des subalternes, ceux dont la voix est impossible à recouvrer tant elle est appropriée par le majoritaire comme par le minoritaire, Spivak (1988 : 307-308) a mis en lumière cet aspect de la représentation.
Bibliographie
- Alcoff, L. (1995), « The Problem of Speaking for Others », in J. Roof et R. Wiegman (dir.), Who can speak? Authority and Critical Identity, Urbana, University of Illinois Press, p. 96-119.
- Kundera, M. (1993), Les testaments trahis : essai, Paris, Gallimard.
- Lamont, M. et V. Molnár (2002), « The Study of Boundaries in the Social Sciences », Annual Review of Sociology, 28, p. 167-195.
- Lugones, M. (1992), « On Borderlands/la Frontera : An Interpretative Essay », Hypatia, 7, p. 31-37.
- Spivak, G. C. (1988), « Can the Subaltern Speak ? », in C. Nelson et L. Grossberg (dir.), Marxism and the Interpretation of Culture. Urbana, University of Illinois Press, p. 271-313.
- Weiss, J. (1998), Handeln und handeln lassen : Über Stellvertretung, Opladen, Westdeutscher Verlag.
- Weiss, J. (1992), « Representative Culture and Cultural Representation », in R. Münch et N. J. Smelser (dir.), Theory of Culture, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, p. 121-144.