Abstracts
Résumé
Cet article discute la critique que Pierre Bourdieu, dans La Distinction, adresse au jugement esthétique kantien, et tout particulièrement au concept de désintéressement qui selon lui cache des intérêts de classe. Tout en reconnaissant avec Bourdieu que la Critique de la faculté de juger s’inscrit dans la lutte symbolique que l’intelligentsia bourgeoise allemande de la fin du xviiie siècle livre à l’aristocratie, l’article tente de démontrer que l’esthétique kantienne ne se réduit pas à cette logique de distinction sociale. Tout d’abord, il est faux de dire que Kant nie toute dimension sociale du goût puisque, à l’instar de tous les esthéticiens du xviiie siècle, il s’interroge sur la relativité du goût, question primordiale qui naît avec l’arrivée du grand public sur la scène de l’art. Ensuite, Kant, contrairement à ses contemporains qui défendent tous la croyance d’un goût naturel, est le seul esthéticien à ne pas escamoter la dimension plurielle du goût, ce qui va l’amener à défendre des positions théoriques qui l’inscrivent en faux contre ses intérêts de classe (ceux de la bourgeoisie allemande cultivée) et ne peuvent s’expliquer par la seule recherche d’une domination symbolique.
Summary
This article discusses the critique made by Pierre Bourdieu, in La Distinction, of Kant’s esthetic judgment, particularly the concept of “disinterestedness” which, in Bourdieu’s view, conceals class interest. While agreeing with him that the Critique de la faculté de juger (Critique of the faculty of judgment) has its roots in the symbolic struggle waged by the German bourgeois intelligentsia of the late 18th century against the aristocracy, the article argues that kantian esthetics cannot be reduced to the logic of social “distinction.” First of all, it is wrong to say that Kant denies any social dimension of taste since, like all 18th century estheticians, he questions the relativity of taste, a question of utmost importance that arises with the general public’s arrival on the art scene. Secondly, Kant, unlike his contemporaries, who all defend the belief in innate taste, is the only esthetician not to evade the plural dimension of taste, which will lead him to defend theoretical positions that challenge his class interests (those of the German cultured bourgeoisie) and cannot be explained by the sole quest for a symbolic domination.
Resumen
Este artículo discute la crítica que P. Bourdieu, en La Distinción, dirige al juicio estético kantiano, y muy especialmente al concepto de “desinterés” que a su modo de ver oculta intereses de clase. Tras reconocer con Bourdieu que la Crítica de la facultad de juzgar se inscribe en la lucha simbólica que la inteligencia burguesa alemana de finales del siglo xviii suministra a la aristocracia, el artículo intenta demostrar que estética kantiana no se reduce a esta lógica de “distinción” social. En primer lugar, es falso decir que Kant niega toda dimensión social del gusto puesto que, tal a la manera de todos los estéticos del siglo xviii, se pregunta sobre la relatividad del gusto, cuestión primordial que nace con la llegada de la opinión pública sobre la escena del arte. A continuación, Kant, contrariamente a sus contemporáneos que defienden toda la creencia de un gusto natural, es el único estético que debe eludir la dimensión plural del gusto, lo que va a llevarle a defender posiciones teóricas que lo inscriben en falso contra sus intereses de clase (los de la burguesía alemana cultivada) y que no pueden explicarse por la única búsqueda de una dominación simbólica.
Appendices
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