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Je n’ai rien contre l’atelier (...), l’atelier est vraiment une survivance de l’esprit du xixe siècle.

Daniel Buren, cité par Lawless, 1990, p. 221.

Un phénomène relativement nouveau a fait son apparition : des artistes ont introduit une pratique différente dans le monde de l’art en abandonnant, au cours des années 1970, l’usage de l’atelier. Cette désertion d’un lieu de création fixe, dans lequel l’artiste produit des oeuvres qui seront éventuellement exposées ailleurs, ne semble pas résulter de difficultés économiques, mais plutôt de la recherche d’une meilleure adéquation entre la production et la diffusion de l’oeuvre. En effet, les transformations de la pratique artistique, après la Deuxième Guerre mondiale, ont entraîné des modifications de ses conditions de production dont témoigne, chez certains, l’économie de l’atelier[1]. Les fonctions traditionnelles de ce dernier, celles de conception, de production, d’emmagasinage et, à l’occasion, de diffusion des oeuvres, sont alors décomposées en divers espaces, l’atelier ne devenant qu’un moment, s’effaçant dès l’oeuvre exposée.

Les nouvelles modalités de création que ces artistes inaugurent n’ont guère été analysées globalement ni liées à un refus de délégation de la diffusion de l’oeuvre. En effet, les études sur l’atelier ne s’attachent, bien souvent, qu’à un artiste ou à un courant artistique, regroupant les individus selon des affinités stylistiques, comme la peinture en plein air des impressionnistes par exemple. Ces ouvrages décrivent alors les conditions de production des créateurs en accentuant cependant les particularités de chacun. Alors, que l’on s’arrête aux monographies ou aux fictions littéraires (Rodriguez, 1999), ces récits renforcent l’idée qu’un artiste est indissociable d’un atelier et que tous les deux demeurent irréductibles dans leur singularité (Heinich, 1996, p. 51-78). Pourtant, dès que l’on aborde le lieu de production de l’oeuvre par le biais des transformations du métier artistique, il apparaît que la pratique d’atelier subit des modifications dont l’explication ne repose pas uniquement sur des considérations individuelles, car elle s’appuie sur le mode de diffusion des oeuvres d’art depuis le milieu du xixe siècle. Lorsque nous portons un regard rétrospectif sur la modernité artistique, nous constatons que l’exacerbation de la valeur d’exposition est à l’origine de pratiques artistiques sans atelier, autrement dit d’un lieu de travail permanent indépendant du devenir public de l’oeuvre.

Méthodologie

Pour préciser notre point de vue méthodologique et dans le but d’expliquer, comprendre et situer ces formes atypiques de travail artistique, il importe de ne pas isoler le créateur de son milieu, mais plutôt de le replacer dans un contexte élargi afin de mieux cerner les multiples éléments qui interviennent dans et sur l’atelier. Autrement dit, en abordant l’espace de travail de l’artiste sous un angle sociologique, notre propos vise à dépasser la relation en vase clos généralement entendue entre le créateur et son atelier pour nous attacher à les observer en réseau. Cette approche méthodologique a particulièrement été développée par Antoine Hennion (1994 ; 1993a ; 1993b), sous le titre de sociologie de la médiation. Celle-ci commande de replacer l’objet d’étude dans les chaînes de relations construites par ses usagers afin d’identifier les lieux affectés par ce médiateur. Alors, selon cette perspective, dans laquelle peu d’auteurs se sont encore risqués en ce qui concerne l’atelier[2], quelles médiations cet espace exerce-t-il dans le champ de l’art pour que des artistes, dans les années 1970, décident de s’en départir afin de prendre en main la diffusion de leur oeuvre ?

Afin de répondre à cette question, nous commencerons par préciser le contexte d’apparition de l’atelier d’artiste, à la Renaissance, ainsi que les effets de la multiplication des expositions sur ses fonctions, au milieu du xixe siècle. L’atelier, alors redéfini comme le lieu d’origine du travail artistique en opposition à celui de la diffusion qui se situe dorénavant à l’extérieur, est placé au centre d’un réseau de médiations, entre le créateur et l’exposition de son oeuvre. Nous verrons ensuite que la médiation de l’atelier impose désormais certains types de production et de relations avec les autres intervenants du monde de l’art, principalement, en ce qui concerne les modalités d’exposition de l’oeuvre que des artistes, à partir des années 1970, contesteront. Enfin, après avoir exposé les raisons pour lesquelles ces créateurs remettent en question un système de diffusion mis en place depuis le milieu du xixe siècle, nous présenterons les répercussions de ces réflexions sur l’atelier. Mais avant de conclure sur la translation que ces artistes vont introduire, en se libérant de la médiation de l’atelier pour devenir, à leur tour, les médiateurs actifs de leur propre diffusion, précisons les contextes d’apparition et de transformation de cet espace de travail artistique.

La naissance de l’atelier et ses transformations liées à l’exposition

Tant que l’artisan est réglementé par les corporations, celui-ci n’a que peu de possibilités de s’affranchir des règles très strictes qui associent son métier à un savoir-faire. Si quelques maîtres du Moyen Âge sortent de l’anonymat et occupent des positions de responsabilité et de prestige, l’artisan imagier, dans l’ensemble, est considéré au même titre que n’importe quel travailleur manuel (Castelnuovo, 1989 ; Antal, 1970 ; Gimpel, 1969 ; Martindale, 1966). Il travaille principalement sur le chantier même pour lequel il est engagé ou bien dans sa boutique lorsque les travaux commandés sont de moindre envergure.

En revendiquant pour leur pratique le statut d’art libéral, autrement dit de savoir appartenant à l’ensemble des connaissances théoriques qu’un homme libre doit posséder et qui n’implique pas seulement « la connaissance mais une production qui découle immédiatement de la raison » (Le Goff, 1957, p. 68), le but principal des artistes réside dans leur dissociation des artisans. Afin d’obtenir une meilleure position sociale, les artistes insistent, dès le xve siècle, non sur le caractère mécanique, qui désigne au sens propre ce qui requiert l’usage de la main, mais intellectuel de leur art, lié aux connaissances de la mathématique, telles la perspective ou la théorie des proportions, et des différentes formes de savoir[3]. Leur situation dans les cours princières leur permet d’obtenir la reconnaissance de leurs pouvoirs de création individuelle, proche de ceux des lettrés, alors admis comme savants (Warnke, 1989 ; Chastel, 1961 ; Blunt, 1940). En distinguant l’invention de l’exécution, l’artiste se rapproche de l’homme libre qui, pour mériter cette désignation honorifique, ne doit effectuer aucun travail physique ni être rémunéré pour sa tâche[4].

Contrairement à l’artisan, l’artiste ne peut donc tenir boutique. De sorte que, dès le début de la Renaissance, la notion d’atelier, en tant que local où un individu doué de génie, crée une oeuvre originale, paraît attachée à ce changement de statut[5]. L’atelier devient alors le lieu de l’audace, l’espace respecté d’un travail plus ou moins solitaire où l’artiste, s’il se conduit toujours en maître, est également un pédagogue de culture générale ainsi qu’un théoricien. Dans l’atelier, l’artiste, qui signe les oeuvres de son nom, commence alors à s’accorder quelques libertés sur l’engagement contracté envers le mécène et, parfois même, exécute des ouvrages autres que ceux ordonnés. Sa mission prédomine sur la commande, il souhaite contribuer au progrès de l’art en apportant ses propres solutions aux problèmes éprouvés[6]. Précisons cependant que, si l’atelier est à l’origine des idées modernes qui font de l’artiste un créateur ne travaillant que pour lui seul, celui-ci reste encore grandement tributaire de la commande à cette période.

La boutique, dont disposait l’artisan, conjuguait de multiples fonctions dont celle de la promotion permanente du travail parce qu’elle était ouverte sur la rue, à tout public. En revendiquant le statut d’artiste, le créateur a donc perdu la boutique, trop fortement associée au commerce. Contrairement à celle-ci, l’atelier, « plus proche du cabinet de l’homme de lettres ou de l’officine du médecin » (Heinich, 1993, p. 32), devient un lieu relativement fermé, dans lequel seuls pénètrent quelques privilégiés. En améliorant sa position sociale, l’artiste a, par contre, perdu un moyen de diffusion, « particulièrement dommageable pour les jeunes praticiens, non encore dotés d’une réputation, dépourvus de clientèle susceptible de s’adresser à eux pour des commandes ou des achats » (Ibid.). C’est dans ce contexte que sont nées les expositions[7]. L’exposition apparaît comme le moyen de donner à voir la production artistique, sans que l’artiste ne se soumette pour autant à une opération commerciale puisque le but premier de la manifestation demeure l’appréciation des oeuvres et non leur vente. Par ce moyen, l’artiste recherche une reconnaissance sociale ; il reste, en principe, avide de gloire et non de gain.

L’Académie royale de peinture et de sculpture en France, fondée en mars 1648 et soutenue au plus haut niveau à partir de 1661, a grandement contribué au développement du concept de l’exposition[8]. En intellectualisant la pratique artistique, en plus de protéger des artistes de la tyrannie des corporations par l’intervention royale, l’Académie constitue véritablement une élite qui institutionnalise le goût comme faculté autonome, sans autre fin qu’elle-même. Et, bien entendu, afin de se démarquer complètement des arts mécaniques, elle interdit entre autres à ses membres de tenir boutique (Heinich, 1993, p. 31-32). Pour se composer une nouvelle clientèle ou développer leurs relations, les académiciens n’ont donc d’autre alternative que la présentation de leurs oeuvres dans des expositions, dont le « Salon » (Crow, 1985 ; Causibens-Lasfargues, 1961), qui ouvre ses portes dès 1667 au Louvre, et dont l’accès est un privilège de l’Académie. Née dans le cadre du mécénat public, cette exposition prestigieuse constitue un pari pour l’immortalité en dépassant le rapport de dépendance au protecteur pour en appeler à un public élargi. C’est alors dans l’exposition, comme espace public de la consommation des images, que ce public développe son appréciation et son jugement, et non plus dans un rapport direct avec l’artiste, comme dans le cadre d’une commande par exemple[9].

Outre l’« Exposition de la jeunesse »[10] et le « Salon », les expositions publiques étaient interdites sous l’Ancien Régime (Sandt, 1988, p. 333) parce qu’elles devaient rester la marque de la puissance et du pouvoir royal envers les arts. Cependant, des artistes se sont malgré tout risqués à produire des expositions individuelles avant 1789, date à laquelle l’Assemblée nationale mit fin à ce « privilège » royal. Ainsi, par l’intermédiaire d’annonces dans les journaux et les revues, certains convient le public à les rencontrer dans leur atelier, pour voir un tableau, une série inédite de dessins ou de gravures dès 1728 (McAllister Johnson, 1992 ; Chatelus, 1991, p. 28-36). D’autres font preuve d’émancipation et produisent des expositions particulières comme moyen de protestation à la domination du Salon[11]. C’est le cas bien connu du peintre Jean-Baptiste Greuze qui, à partir de 1777, attire le public chez lui afin de contester sa classification parmi les peintres de genre (Chatelus, 1991, p. 31-33 ; Crow, 1985, p. 134-174), mais il n’est pas le seul à agir de la sorte et ne serait-ce que pour le Salon de cette même année, M. Delorge tient lui aussi sa propre exposition dans son atelier (Chatelus, 1991, p. 32).

Il est par ailleurs difficile de séparer cette multiplication d’expositions individuelles de l’ouverture successive des musées en Europe. En effet, dès 1737, le public est admis à la galerie des Offices à Florence qui renferme l’héritage de la famille Médicis légué à la cité, afin qu’il ne soit pas démembré ou transporté à Vienne à la suite du passage de la Toscane à la Maison d’Autriche. Si, dans ce cas-ci, le patrimoine national est encore confondu avec celui du prince, l’inauguration du British Museum, ouvert en 1753, atteste à son tour de l’adoption d’une politique de conservation des collections, inventoriées et identifiées comme véritable patrimoine artistique national. En France, l’idée d’une galerie royale bâtie dans le palais du Louvre était déjà lancée dès 1747 par La Font de Saint-Yenne, à l’exemple de l’ouverture au public, un an auparavant, de la Galerie royale de Dresde. Le marquis de Marigny ne reçut cependant l’accord royal, pour l’institution d’un musée au Louvre, qu’en 1768. Ce projet, qui nécessitait de nombreux travaux dans l’ancien palais, est repris par les révolutionnaires et finalement ne se concrétise qu’en 1793, date à laquelle le Musée des arts est enfin accessible à tous. Il renferme à son tour les trésors artistiques saisis chez les émigrés ou éparpillés dans les résidences royales et cléricales, tout en s’enrichissant bientôt des « prises de guerre » des campagnes napoléoniennes.

Le 21 août 1791, l’Assemblée nationale décrète l’ouverture du Salon à tous les artistes français ou étrangers membres ou non de l’Académie, à laquelle elle laisse pourtant le contrôle du jury (Causibens-Lasfargues, 1961, p. 194-203 ; Seigneur, 1882, p. 540). Aussitôt, trois fois plus d’artistes y participent (Smith, 1979). L’artiste adopte alors une démarche spécifique, différente de sa production commerciale, qui consiste à produire pour cette exposition des oeuvres non commandées, susceptibles d’attirer l’attention du public mais aussi des critiques et d’éventuels acheteurs. C’est au Salon que l’artiste entre en contact avec ses partenaires économiques et qu’il établit sa relation avec le pouvoir, qu’il soit administratif, académique ou économique (Becq, 1982 ; 1988).

Cependant, la hausse de participation engendre rapidement des problèmes quant aux deux fonctions difficilement conciliables de ce grand rendez-vous artistique (Sandt, 1986) : présenter une exposition de prestige et offrir un vaste magasin de tableaux[12] « à une époque où les préoccupation mercantiles semblaient porter atteinte à la dignité de l’art, et où l’on établissait couramment une distinction entre le tableau de Salon, conçu par le peintre dans le seul souci de sa gloire et du progrès de l’école française, et ce qu’on appelait, non sans une certaine nuance de mépris, un tableau de vente » (Vaisse, 1995, p. 106).

L’ouverture du Salon, et parfois l’absence de jury, pousse certains artistes comme Jacques Louis David, Jean-Baptiste Regnault, Louis Simon Boizot et d’autres[13] à préférer des expositions individuelles, principalement dans leurs ateliers, plutôt que de se mêler à des peintres médiocres. Cependant, de tels événements, qui restent malgré tout isolés à la fin du xviiie siècle, ne peuvent être remarqués qu’à la condition que l’artiste ait déjà établi sa réputation et que son nom reconnu garantisse la qualité des oeuvres[14]. Mais pour éviter que les grands noms de l’art ne désertent le Salon, celui-ci reçoit, dès 1802, la visite officielle des consuls et de l’Empereur qui achète, sans discuter les prix fixés par les artistes, des oeuvres pour ses collections personnelles (Becq, 1984, t.2, p. 807). Dans la perspective de la création d’un musée des artistes vivants, le Musée du Luxembourg, l’Empire ramène ainsi les peintres dissidents.

Néanmoins, principalement à cause du grand nombre de participants, le fait d’être admis au Salon ou d’y gagner des médailles n’assure pas une carrière bien qu’il soit parfois difficile de franchir la première étape du jury de sélection, d’être bien exposé[15] et, plus encore, de présenter plusieurs toiles quand on n’est pas connu. Malgré tout, la présence au Salon soutient la carrière de l’artiste parce que les expositions privées ne peuvent que péniblement établir des réputations, tant le Salon joue une grande place dans la vie artistique et écrase les autres événements. Il n’est donc pas possible de s’abstenir de participer à cette grande exposition sans se priver d’un moyen important de confirmer et de renforcer son statut[16].

Au cours du xixe siècle, l’impasse que présente le Salon, à cause de l’antinomie de ses deux fonctions, le condamne à la dissolution en raison de l’instauration progressive d’un nouveau système, fondé sur les pouvoirs des marchands et des critiques, qui vient suppléer à l’éclatement du système académique et à la commande publique moribonde (Vaisse, 1979 ; Mainardi, 1993). « C’est la multiplication des expositions individuelles et de groupes, de plus en plus prises en main par le commerce d’art, qui s’est peu à peu imposée comme la solution à l’un des problèmes que posaient les Salons du xixe siècle, celui du support offert à la carrière des artistes » (Vaisse, 1995, p. 107-108, italiques de l’auteur). Les contradictions du Salon poussent les artistes à exposer leurs oeuvres ailleurs que dans ce « bazar » (Ibid., p. 106) où se mêle une grande pluralité, que l’on considère l’esthétique (académique, classique, romantique, réaliste...) ou le genre artistique (historique, religieux, portrait, scènes de genre, paysage et nature morte). Des artistes vont préférer participer à des expositions montées par des cercles artistiques (Huston, 1989, p. 79-84) ou des sociétés des amis des arts en province plutôt qu’au Salon. D’autres se regroupent selon leurs affinités, en expositions indépendantes restreintes, organisées en dehors du giron de l’État, pour se faire connaître et établir leur réputation[17]. Face à cette nouvelle demande, le rôle des critiques et des marchands devient prédominant, ces derniers aménageant leur magasin en galerie pour recevoir un autre public, juxtaposant ainsi deux activités : le commerce et le spectacle (Richefort, 1998, p. 195-206 ; White, 1991 ; Green, 1989 ; L. Whiteley, 1983 ; Ivens, 1979 ; Pomian, 1979).

L’exposition participe donc à la stratégie de reconnaissance sociale de l’artiste[18]. Cette manifestation se tient dans différents lieux : une vitrine, un salon loué pour l’occasion chez un marchand ou, le plus souvent encore, dans l’atelier, qui se trouve grandement affecté par cette réorganisation de la vie artistique au xixe siècle. Ce n’est que lorsque le musée devient l’horizon de l’oeuvre, que l’atelier subit une métamorphose, pour ne pas dire une redéfinition. En effet, depuis la Renaissance, l’atelier était le seul espace de l’artiste : il y produisait les oeuvres, les exposait, y rencontrait des mécènes, des amis, des confrères... mais avec la multiplication des expositions et le développement du système marchand, l’exposition va quitter l’atelier pour élire domicile dans un lieu qui lui sera entièrement destiné : la galerie ou le musée.

En sortant l’exposition de l’atelier, lors de l’Exposition universelle de Paris en 1855, Gustave Courbet assigne alors une place particulière au lieu auparavant multifonctionnel de l’artiste. Si le peintre fait construire un pavillon, à proximité du Palais des beaux-arts, dans l’enceinte même de l’événement, c’est pour y présenter une exposition individuelle d’envergure. Ce faisant, Courbet se trouve également à redéfinir les conditions d’accrochage des peintures dans une exposition. Les oeuvres ne sont plus divisées par genres ou par médiums. C’est maintenant le style qui constitue l’ensemble, et la signature qui l’indexe, qui font figure de liens entre les tableaux exposés, présentant un tout bien défini et encadré, une démarche cohérente et non plus une juxtaposition de chefs-d’oeuvre. Aussi, les tableaux du peintre ne recouvrent pas les murs du sol au plafond comme l’accrochage officiel au Palais des beaux-arts, ils prennent place en développant une séquence qui intègre à la présentation l’espace de la cimaise entre les oeuvres. Le spectateur s’arrête, les regarde un à un et non plus à la suite, ce qui accorde à l’objet individuel davantage de considération. Une telle présentation n’a plus sa place dans l’atelier, d’autant plus qu’il n’est pas nécessairement localisé à proximité de l’événement qui attire les visiteurs ni susceptible d’être assez vaste pour recevoir un tel aménagement.

De plus, dans cette exposition, Courbet montrait un tableau qui le représentait peignant dans son atelier, entouré de nombreux personnages. Cette peinture, L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique[19] (1855), qui avait été refusée par le jury d’admission de l’Exposition universelle, apparaît alors, dans l’exposition individuelle, comme son manifeste esthétique. Il déploie l’atelier comme un double espace, celui du travail et celui médiateur avec différents acteurs du milieu de l’art (modèles, mécènes, commanditaires, amis, collègues, etc.). En réfléchissant sur ce lieu, Courbet témoigne de la transformation de l’atelier y marquant le passage de l’espace solitaire du génie artistique à l’espace social. Et en exposant l’atelier dans un lieu, la galerie, qui précisément pointe la scission de ses multiples fonctions antérieures, Courbet définit l’atelier comme un lieu privé, celui où l’oeuvre prend forme par rapport à l’espace public de sa diffusion. Confronté à l’exposition publique, l’atelier acquiert une place particulière, celle de l’origine de l’oeuvre.

L’atelier en médiation

L’exacerbation de la valeur d’exposition conduit donc progressivement à une cristallisation de l’atelier, inaugurée par le peintre Gustave Courbet, autour de l’idée de l’origine de l’oeuvre, du lieu où le projet artistique se réalise avant d’être exposé en galerie ou en musée. En tant que créateur, celui qui exécute le geste artistique, l’artiste trouve sa place en amont de la diffusion déléguée à d’autres, dans le lieu d’origine de l’oeuvre, l’atelier. Une fois exécuté, l’objet est emmagasiné avant de quitter cet espace pour être exposé. L’atelier, dans lequel l’artiste est replié, occupe véritablement la fonction d’un médiateur entre l’artiste et le milieu de l’art et ce, à plusieurs niveaux[20].

D’emblée, une des premières médiations de l’atelier consiste à renvoyer l’occupant à son statut d’artiste. Isolé dans son espace, l’artiste adopte à travers sa pratique une position singulière, réservée à une catégorie professionnelle particulière. Le travail en atelier le renvoie directement à sa spécificité par un mode de vie pleinement assumé. « L’artiste (...) peut être seul à pouvoir témoigner, premièrement qu’il travaille, même s’il n’en a pas l’air, et deuxièmement que ce travail est bel et bien celui d’un artiste » (Bernier et Perrault, 1985, p. 494). En aménageant un lieu précis pour sa pratique, l’atelier, l’artiste se définit comme artiste.

En dehors de cet aspect symbolique, l’atelier exerce également des médiations plus concrètes avec l’oeuvre à réaliser. L’espace physique, par sa localisation dans l’édifice (au rez-de-chaussée, au grenier...), son volume architectural, sa superficie, la surface des murs disponibles, la hauteur du plafond, la disposition des fenêtres, etc. contraint à certains types de production, à certains formats, etc. L’influence de l’architecture de l’atelier sur la production a d’ailleurs particulièrement été démontrée par le groupe d’artistes britanniques Art & Language dans Index : The Studio at 3 Wesley Place (1982)[21] (Rodriguez, 2001b, p. 368-389 ; Harrison, 1987). En choisissant de peindre dans un local trop petit pour y déployer complètement leur support de travail, les artistes se sont imposés des conditions de production particulières qui demandaient, afin de conserver le grand format de l’oeuvre en cours d’exécution, de rouler le papier au fur et à mesure qu’il était peint. Par conséquent, et contrairement à tous les conseils donnés aux jeunes artistes par leurs pairs, depuis que l’atelier a fait son apparition à la Renaissance, les peintres d’Art & Language n’ont eu aucun recul sur l’oeuvre en cours d’élaboration, ni aucune vision d’ensemble du produit fini, pourtant nécessaire à la disposition des plans et à l’agencement des couleurs et des tonalités, avant l’exposition officielle de leurs oeuvres sur les cimaises de la Documenta 7 de Kassel en Allemagne, en 1982. Peindre dans de telles circonstances apporte aussitôt la preuve que l’organisation spatiale des artistes interfère sur l’oeuvre à réaliser d’autant plus que, dans ce cas précis, Art & Language renie le point de vue nécessaire à tout créateur, point de vue à partir duquel se fonde la peinture occidentale depuis Leon-Battista Alberti.

Aussi, l’atelier renferme des moyens de création particuliers, des matériaux et des outils qui engagent l’artiste vers certaines productions plutôt que d’autres, le dessin plutôt que la lithographie par exemple. Et dans l’atelier, l’artiste réalise des objets qu’il emmagasine et entrepose parfois dans des lieux extérieurs lorsque l’espace vient à manquer.

Si l’atelier apparaît pour beaucoup comme un abri du monde extérieur, une condition de liberté, il semble bien, au regard de ces médiations, qu’il impose cependant à l’artiste un certain type de pratique artistique et des contraintes liées au lieu même de l’atelier ainsi qu’au mode de production qu’il sous-entend. En effet, dans cet espace sécurisant, l’artiste, isolé, produit des oeuvres pour des galeries ou des musées, espaces idéaux de présentation. Dans l’atelier, il ne se préoccupe pas de sa diffusion, car s’il réussit à se démarquer, un intermédiaire s’en chargera pour lui. Le commissaire d’exposition, le conservateur de musée, le marchand d’art, le collectionneur visitent les ateliers comme des boutiques et choisissent les oeuvres élues qui sortiront du domaine privé.

Mais une fois extraite de son lieu d’origine, que devient l’oeuvre ? Un objet déplacé, manipulable, transporté d’une exposition à l’autre, ouvert à de nombreuses associations et distorsions. À moins que l’artiste ne conçoive une oeuvre qui ne puisse se déplacer qu’avec l’atelier, comme Constantin Brancusi par exemple pour lequel le Musée national d’art moderne a intégralement reconstitué l’espace sur le parvis du Centre Georges-Pompidou à Paris (Tabart, 1997), la production en atelier sous-entend nécessairement le déplacement de l’oeuvre dans des lieux et des environnements qui lui sont étrangers.

Pour une remise en question des médiations de l’atelier : la production in situ

La remise en question de ce mode de production et de diffusion, autrement dit la manipulation par d’autres de l’oeuvre produite dans l’atelier, se forme avec la pratique in situ. Celle-ci tire son origine de l’art minimal des années 1960, moment où le parcours du spectateur devient une des axiomatiques de l’oeuvre exposée (Lamoureux, 2001 ; Rodriguez, 1993 ; Poinsot, 1986 ; Krauss, 1979). La prise de conscience du lieu d’exposition, comme facteur intervenant dans le message livré par l’oeuvre, est liée à des attitudes et des choix conscients sur les liens à développer entre la production artistique et les espaces dans lesquels elle s’expose. Donald Judd, Robert Morris, Carl Andre, Dan Flavin, etc. sont parmi les premiers à développer cette idée. Et dans ce processus de prise en compte du lieu d’installation, les artistes accordent une place privilégiée au spectateur, que ce soit par l’attention portée à son déplacement ou à sa perception de l’espace et des objets qu’il renferme. La place de l’oeuvre dans le lieu d’exposition revêt une importance capitale.

La notion d’in situ réfère à divers paramètres, dont celui de l’inclusion physique de l’oeuvre au site ainsi que les rôles de la commande et du spectateur, le temps d’exposition et surtout le périmètre du lieu modifié par l’oeuvre. C’est l’artiste qui choisit les multiples déterminations qu’il active dans son projet, qu’elles soient temporelles, formelles ou contextuelles, pour inscrire l’oeuvre dans son espace d’exposition et l’introduire au spectateur. La conjugaison de ces facteurs particularise l’oeuvre, qui devient par-là même in situ, autrement dit incluse à l’espace dans lequel elle fut créée, dans le sens où elle met en jeu des traits du lieu où elle s’insère, celui-ci étant entendu comme la référence que l’oeuvre active et non pas seulement un espace physique « inerte », sans action sur l’oeuvre. Bien entendu, de cette dimension variable de cet « espace » dépend le caractère de mobilité de l’oeuvre. L’oeuvre in situ est donc volontairement faite sur mesure pour une situation précise qui intègre le rôle et la circulation du public, car c’est à ce dernier qu’il revient d’éprouver en fait de l’insituabilité de l’oeuvre (Lamoureux, 2001, p. 7-16).

En produisant des oeuvres in situ, nombre d’artistes s’opposent au rôle prépondérant que les commissaires d’exposition et les conservateurs de musée s’accordent à partir de la fin des années 1960. Car en sélectionnant un objet dans l’atelier pour l’exposer dans un groupe plus large et à une place particulière, ceux-ci risquent en effet de le détourner pour développer un discours qui leur est propre (Heinich, 1995 ; Heinich et Pollak, 1989 ; Michaud, 1989, p. 210). La grande exposition When Attitudes Become Form[22] (1969) de Harald Szeemann reste, pour beaucoup, exemplaire de cette tendance dans l’organisation de pratiques individuelles éparses par sa « traduction singulière du travail des artistes (...) car cette exposition a été un laboratoire d’expérience unique, une mise en forme exemplaire de l’art » (Bordaz, 1994a, p. 255). Szeemann seul était le lien entre les différentes interventions, « chacun venait, faisait son travail, et voilà, la régie, c’était moi ; je décidais de chaque inscription de l’oeuvre dans l’espace » (Szeemann cité par Bordaz, 1994b, p. 263). Ce rôle prépondérant du commissaire, qui déboute le créateur de sa position, « l’artiste n’est là que pour décorer l’idée d’un concepteur qui devient l’artiste de l’exposition[23]  » et relègue son oeuvre au second plan, a largement été critiqué par les créateurs[24].

Parmi ceux-ci, il importe de souligner l’attitude de Daniel Buren qui éclaire particulièrement sa position en publiant des textes. L’édition n’est pas un événement exceptionnel pour celui-ci, Buren possède en effet une longue pratique d’écriture afin de contribuer à l’explication de sa propre pratique et pallier son insatisfaction à la lecture des critiques artistiques publiées dans les revues spécialisées. Ses textes, qui en aucun cas ne remplacent les oeuvres mais participent à leur compréhension, à leur « emballage » (Poinsot et Sanchez, 1991, t. 1, p. 73) pour reprendre son expression, visent, selon le cas, à réévaluer une oeuvre passée (Buren, 1977), à répondre à une prise de position avec laquelle il est en désaccord ou à exposer ses réflexions (Poinsot et Sanchez, 1991). En publiant pour la première fois Exposition d’une exposition en 1972, lors de la Documenta 5 de Kassel, et qu’il reprendra à plusieurs occasions[25], Buren exprime sa frustration face au rôle considérable des organisateurs d’exposition.

De plus en plus le sujet d’une exposition tend à ne plus être l’exposition d’oeuvres d’art, mais l’exposition comme oeuvre d’art. Ici, c’est bien l’équipe de Documenta, dirigée par Harald Szeemann, qui expose (les oeuvres) et s’expose (aux critiques). (...) C’est l’exposition qui s’impose comme son propre sujet, et son propre sujet comme oeuvre d’art.

Buren dans Poinsot et Sanchez, 1991, t. 1, p. 261, italiques de l’artiste

En examinant les relations entre les oeuvres d’art et des espaces institutionnels qui leur sont destinés, Buren se rebelle contre la conception d’une oeuvre qui sera ensuite manipulée par d’autres et exposée hors de son lieu d’origine, parce que c’est précisément là qu’elle prenait sens (ce qui fait de Buren un romantique à certains égards). En questionnant ainsi ce lieu premier de l’oeuvre, Buren se rapproche de Gustave Courbet qui, lui aussi, a sorti l’exposition de l’atelier. Seulement, contrairement au peintre du xixe siècle qui réimpose l’atelier au centre de l’exposition, Buren résout cette tension entre les lieux d’origine et de destination en abolissant un des deux termes. Ainsi, l’oeuvre d’art ne risquera plus de perdre son lien organique avec son lieu d’origine puisqu’il élimine carrément cet espace. La médiation de l’atelier est escamotée, seule l’exposition demeure.

Cette contextualisation de l’oeuvre d’art, Buren l’a remarquée dès la fin des années 1950. Dans le cadre d’une étude entreprise en 1955 dans le Midi de la France sur les rapports entre les lieux, la lumière, les paysages, les habitants et l’art qui s’y fait, l’artiste visite de nombreux ateliers, dont ceux de Pablo Picasso, de Marc Chagall et d’André Masson (Buren cité dans Lawless, 1990, p. 209-210 ; Buren, 1979, p. 76). Et curieusement il constate, lorsqu’il revoit les mêmes oeuvres présentées dans des galeries quelques années plus tard, que celles-ci sont différentes et semblent avoir perdu quelque chose. En fait, il observe que « tout ce qui était justifiable de l’oeuvre vue dans l’atelier (...) semblait disparaître [lorsque l’oeuvre était vue] dans l’exposition » (Buren, 1998, p. 17 ; Buren cité dans Lawless, 1990, p. 210). Progressivement, il acquiert la certitude que l’oeuvre d’art est conditionnée par son lieu d’origine, que « l’oeuvre sortie de l’atelier risque facilement d’être court-circuitée par le dehors » (Daniel Buren cité dans ibid., p. 215.), d’autant plus que, dans les musées, les oeuvres sont accrochées selon un code et une mode non explicites et, par-là même, changeants[26].

Par conséquent, l’oeuvre, qui porte la marque[27] de l’atelier ou plus généralement du lieu dans lequel elle est née, est tronquée d’une partie de son sens et devient par-là même étrangère à son lieu d’accueil, lui-même marqué, situé et daté. En cela, Buren rejoint les positions d’un autre artiste qui produit des oeuvres in situ, Robert Smithson (Jones, 1996, p. 268-278). En effet, ce dernier affirme lui aussi que les oeuvres, véritables objets transportables, sont isolées et coupées du monde extérieur une fois installées dans les musées[28]. L’un comme l’autre partagent l’idée qu’une fois hors de leur premier lieu, les oeuvres apparaissent déplacées. Cependant, Buren demeure le premier à remettre directement en cause le mode de production traditionnel en atelier, car Smithson n’associe pas cette remarque au lieu d’origine, mais plus généralement au contexte d’apparition de l’oeuvre. Le refus de produire dans un atelier n’est donc pas, pour Buren, une décision improvisée mais mûrie à partir de sa propre pratique et de ses réflexions sur le devenir public de l’oeuvre d’art et, corollairement, sur les conditions matérielles de création artistique ainsi que les médiations en jeu.

Avec la pratique in situ, l’oeuvre, constamment actualisée au lieu d’exposition, ne passe plus d’un lieu de production à un espace de diffusion, elle est directement conçue dans et pour l’espace d’exposition. La pratique in situ remet donc carrément en question l’idée de l’atelier en tant que lieu permanent de la production de l’oeuvre d’art. Dans cette perspective, l’atelier semble en voie de « décomposition, de disparition. Les artistes créent des oeuvres non plus seulement pour les musées, mais dans les musées, et avec les outils et les conditions d’espace du musée lui-même » (Francis, 1989, p. 74). En produisant in situ, l’artiste devient un médiateur irremplaçable pour toute exposition de son oeuvre. En effet, dans la mesure où les caractéristiques du lieu où elle prendra place deviennent une de ses composantes, aucun conservateur ne peut installer son oeuvre sans lui.

Les assemblages en trois dimensions permettant la circulation du spectateur valent non pas par la matérialité des objets qui les composent mais par l’organisation spatiale ainsi créée, laquelle ne peut être réalisée que sous la direction de l’artiste. Les conservateurs et commissaires d’exposition y perdent une part de leur autonomie par rapport à l’oeuvre, qu’ils ne peuvent plus accrocher comme ils l’entendent.

Heinich, 1998, p. 112

En posant l’atelier comme médiation, celui-ci n’apparaît plus comme un lieu magique hors du monde et refermé sur le créateur, tel que de nombreuses biographies et fictions littéraires le décrivent trop souvent. Situé entre l’artiste et sa production, il interfère activement par ses multiples fonctions aussi bien sur la conception que sur la diffusion de l’oeuvre dans le monde de l’art. Considérer l’atelier à travers ses relations implique qu’avec la modification d’un seul des paramètres de la relation artiste/ atelier/oeuvre, le réseau entier se transforme afin de s’ajuster à cette métamorphose puisque les trois termes sont étroitement liés. En refusant la médiation de l’atelier qui l’oblige à un certain type de pratique, l’artiste, par la production in situ, le dématérialise afin de s’organiser autour de l’exposition. Dans la pratique in situ, l’atelier n’emmagasine plus des oeuvres en attente d’une éventuelle diffusion, il devient un moment, qui s’étend de la proposition de l’exposition à l’inauguration du projet au public. L’atelier est donc métamorphosé et si le mot même n’a pas disparu du lexique de ces artistes, c’est parce qu’à défaut d’une terminologie plus précise, on continue de nommer ainsi l’espace privé de création redéfini. Celui-ci a effectivement perdu un de ses fondements, sa fixité.

Médiateur d’un rapport particulier au monde, l’atelier devient véritablement protéiforme. Il devient alors mobile et peut prendre des formes multiples, changeantes à chaque projet, entraînant la création d’une oeuvre totalement différente « tant dans l’esprit que dans sa forme, tant dans sa mise en place que dans son usage » (Lawless, 1990, p. 222), un « post-studio art ». Cette expression, que l’on retrouve sous la plume de Craig Owens (1982, p. 99) ou de Robert Smithson (Holt, 1979, p. 82-91), témoigne que l’histoire de l’art a déjà entériné ce passage du travail de l’artiste dans l’atelier fixe à un autre chose, sous-entendant qu’une transition liée à des modalités de travail différentes a été effectuée, bien qu’elle n’avait pas été étudiée.

Mais davantage que transformer ses modalités de production et autoriser une oeuvre que la création en atelier n’aurait pas permise, l’étude de l’atelier par la sociologie de la médiation met au jour un déplacement. L’artiste effectue véritablement un transfert en rejetant la médiation de l’atelier. Si cet espace était le médiateur entre l’artiste et la diffusion de l’oeuvre dans la mesure où il faisait en quelque sorte office de magasin, l’abstraction du lieu permanent du travail artistique entraîne un déplacement de cette médiation. L’artiste endosse alors la responsabilité d’une partie de la diffusion de sa production en s’attachant aux conditions d’exposition de l’oeuvre. L’artiste se réapproprie l’exposition de son oeuvre et devient, à son tour, un médiateur extrêmement actif de sa diffusion qui est, par le fait même, bien moins déléguée aux autres. En produisant in situ, ce ne sont donc plus les oeuvres qui voyagent en caisse, avec tous les risques de dommages que l’on peut imaginer, mais l’artiste qui se déplace d’un lieu d’exposition à un autre, reprenant en cela une ancienne modalité du travail artistique, celle des fresquistes, des mosaïstes, etc., répandue principalement avant le développement de l’atelier, de la peinture à l’huile et du tableau transportable, au xve siècle.