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Montréal, 1909. L’évaluation du curé de la paroisse met en lumière un constat irrémédiable : Bernadette est en crise et a besoin d’une aide psychiatrique urgente. Après l’accouchement de son premier enfant, elle est diagnostiquée à l’âge de 21 ans avec une « folie des dégénérés » et est internée à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, car ses comportements présentent un danger pour sa sécurité et celle de son bébé (Cellard et Thifault, 2007). Bien qu’il fût convenu à ce moment-là que les visites du curé faisaient office de service de proximité, ce dernier se trouva rapidement démuni face « au mal » dont elle souffrait et fut celui qui statua que la maison n’était pas un endroit sécuritaire pour Bernadette. Son mari, Damase, est tenu à distance, écrivant de nombreuses lettres suppliant le psychiatre traitant de la libérer pour qu’elle puisse s’occuper de son fils. Bien que sous l’influence de l’essor de la médecine moderne, le personnel de l’Hôpital comptait encore beaucoup sur Dieu et les murs de l’Institution, érigés pour guérir (Townsend, 2022). Le personnel soignant était dévoué et engagé, mais s’inscrivait dans une perspective de fatalisme thérapeutique, la notion de rétablissement rimant à l’époque avec rémission totale… Une rémission que le personnel soignant ne verra jamais venir pour Bernadette et pour beaucoup d’autres sous leur responsabilité (Cellard et Thifault, 2007).

Montréal, 2023. Damase, le mari de Bernadette, constate que sa femme n’est plus la même depuis la naissance de leur enfant. Ses comportements l’inquiètent de plus en plus. L’infirmière du suivi postnatal dépiste rapidement des symptômes dépressifs et l’oriente vers un suivi médical. Bernadette accepte d’aller consulter un médecin, mais insiste aussi pour voir des thérapeutes et demeurer près de son bébé. À l’IUSSM, elle est terrorisée. Elle refuse d’être séparée de son bébé. Un trouble dépressif avec apparition péripartum et caractéristiques psychotiques lui est diagnostiqué. On lui confirme qu’aucune unité interne ne lui permet de recevoir des soins psychiatriques avec son enfant et d’y suivre une psychothérapie. Après 2 jours dans une unité d’intervention brève, une infirmière de liaison et un psychiatre discutent avec Bernadette et Damase des différentes options qui s’offrent à eux et leur proposent une hospitalisation à domicile, une pratique qui a débuté en France dans les années 1970 (Furtos, 2011 ; Leyreloup, 2009). On leur explique qu’un(e) psychiatre, conjointement avec une équipe de professionnel(le)s spécialisé(e)s se déplaceront à son domicile jusqu’à 3 fois par jour pour amorcer un traitement et les aider à retrouver l’équilibre (CIUSSS de la Capitale-Nationale, 2023). Damase est ému de savoir que sa femme sera traitée sous leur toit et que leur bébé pourra rester auprès d’elle. Bernadette est craintive, mais, se sentant entendue et respectée, accepte de recevoir de la médication pourvu qu’elle ne demeure pas à l’hôpital. On lui propose également de rencontrer un pair aidant dans les prochaines semaines.

Montréal, 2073. Quelques semaines après son accouchement, Bernadette commence à éprouver des pensées troublantes. Les changements dans son comportement et son humeur, surveillés par ses appareils intelligents (Stip et Rialle, 2005), déclenchent une alerte à la plateforme d’aide à la décision clinique du CLSC (Bhugra et coll., 2017 ; Oudin et coll., 2023). Elle est immédiatement référée pour une consultation en ligne avec une infirmière praticienne spécialisée qui évalue la famille. Identifiant l’apparition d’une crise de santé mentale chez Bernadette, l’infirmière met en place un plan de crise conjoint et des autosoins guidés par la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle. Ces démarches préviennent une décompensation aiguë et atténuent les perturbations significatives dans ses relations, son rôle parental ainsi que ses activités de la vie quotidienne et domestique. Malgré ces efforts, après quelques semaines, Bernadette bascule dans un état de crise, et son mari, Damase, consulte le plan de crise conjoint élaboré avec Bernadette pour orienter de façon anticipée sa prise de décision en matière de soins (Cassivi et coll., 2023). Il contacte une équipe d’intervention de crise qui réagit rapidement pour effectuer une évaluation et déterminer l’intervention appropriée. Bernadette est transportée, avec son mari et son bébé, vers un centre de crise non basé dans un hôpital. Elle y est accueillie par un intervenant pivot, dans une chambre privée. Des pairs aidants facilitent la communication entre elle et son équipe de soins et l’aident à identifier ses besoins et les communiquer aux différents intervenants. Avec son consentement, son mari et ses parents participent avec elle à l’élaboration du plan de traitement. Comme une grande majorité des personnes qui ont une crise de santé mentale en 2074, Bernadette n’est pas hospitalisée et est plutôt dirigée vers l’équipe métadisciplinaire de traitement intensif bref qui procède à son hospitalisation à domicile. Bernadette bénéficie de la psychiatrie de précision, où une gamme de modalités de traitement, adaptées à sa neurobiologie, à ses gènes et à son mode de vie, sont disponibles (Bhugra et coll., 2017). Au cours des mois suivants, Bernadette et Damase bénéficient des services postcrise auprès d’une équipe traitante qui les aide à maintenir son niveau de fonctionnement et développer de bonnes stratégies d’adaptation via différentes modalités de thérapie : individuelle, familiale, de groupe.

Dès sa création en 1873, l’IUSSM a contribué à l’avancement des premières recherches moléculaires pour le traitement des troubles mentaux. Les soins biomédicaux, technologiques et thérapeutiques les plus avant-gardistes ont été développés entre ses murs. Aujourd’hui, ces soins ne sont plus uniquement offerts à l’intérieur des murs de l’IUSMM, mais sont accessibles dans la communauté. Il est possible d’espérer que, dans l’avenir, le portrait des soins en santé mentale et en psychiatrie ne sera plus synonyme de coercition et de stigma, que la technologie favorisera l’accès à des services intégrés et personnalisés et que nos soins évolueront selon un système de santé apprenant non seulement de la science, mais surtout, de la voix de toutes les Bernadette et tous les Damase qui y auront recours.