Article body

Introduction

Le trouble de personnalité limite (TPL) est un trouble fréquent et grave caractérisé par une instabilité de l’image de soi, une instabilité affective et une instabilité des relations interpersonnelles (American Psychiatric Association, 2013). Selon les données de la littérature, sa prévalence serait comprise entre 5 et 6 % en population générale (Gross et coll., 2002 ; Steele et coll., 2019). En population clinique elle s’élève à 10 % en ambulatoire, et entre 15 et 25 % en hospitalisation (Leichsenring et coll., 2011).

Sa gravité est en lien avec les nombreuses comorbidités (Shah et Zanarini, 2018), une réduction de l’espérance de vie (Ajetunmobi et coll., 2013), en partie liée au taux élevé de suicide (Bender et coll., 2001 ; Skodol et coll., 2002), mais aussi à une altération fonctionnelle (Zanarini et coll., 2004) et à un coût social élevé (Wagner et coll., 2021). 

Concernant l’accès à la maternité, les femmes atteintes de troubles mentaux sévères et celles souffrant de TPL entameraient une grossesse et accoucheraient autant que les autres femmes (Vesga-Lopez et coll., 2008). Les symptômes apparaissent habituellement à la fin de l’adolescence et peuvent s’aggraver durant la période où les femmes sont le plus fertiles. Le lien entre dysrégulation émotionnelle et comportementale et augmentation des grossesses reste controversé (Derijard-Kummer, 2017 ; Nagel K, 2021). Malgré leur trouble, les mères TPL doivent assurer les mêmes fonctions parentales que n’importe quel autre parent : répondre aux besoins physiques et psychiques de leur bébé, offrir une bonne communication affective, assurer une fonction de contenance et accompagner les mouvements de séparation-individuation (Gosselin, 2000). Pour identifier et réguler les émotions et les comportements propres au nourrisson, les parents s’appuient sur leur sensibilité (Gosselin, 2000), sur leur capacité de mentalisation (capacité à percevoir les émotions de leur bébé) et sur leur fonctionnement réflexif (capacité à reconnaître, nommer et comprendre les comportements du bébé en termes de pensées, d’intentions, de désirs et de sentiments sous-jacents). Selon Bakermans-Kranenburg et coll. (2003), les interventions agissant sur la sensibilité maternelle seraient les plus efficaces pour promouvoir un attachement sécure chez les enfants.

Plusieurs études ont mis en évidence les difficultés que rencontrent les mères TPL pour assurer ces fonctions parentales. Comparées à un groupe témoin, elles auraient une sensibilité diminuée aux signaux de leur bébé, et elles présenteraient une interaction plus intrusive avec leur nourrisson (Petfield et coll., 2015). Ces difficultés découleraient du fait que les personnes souffrant de TPL auraient des difficultés de mentalisation (Bateman et Fonagy, 2013). Ainsi, lors des interactions mère-bébé en « face à face », les bébés seraient plus en retrait dans la relation (moins de sourires, moins de vocalises) et ils seraient plus anxieux (Crandell et coll., 2003) ; or, le bébé a un rôle central et primordial dans le développement des interactions précoces, construites autour d’une « spirale interactionnelle » mère-bébé (Mazet et Stoleru, 2003, cité dans Lemoigne, 2019). Ces troubles des interactions précoces peuvent aboutir à de multiples problématiques. Selon certains auteurs, ils pourraient engendrer chez la mère un vécu d’anxiété et de culpabilité (Derijard-Kummer, 2017), lui-même pouvant aggraver les symptômes du TPL. Chez le bébé, il peut se constituer un attachement insécure, voire désorganisé (Rouillon et coll., 2012) qui peut aboutir à une représentation effrayante de l’autre et à une image de soi dévalorisée et inadaptée (Hobson et coll., 2005) ; enfin, à l’âge adulte, cela pourrait amener à des relations interpersonnelles instables, comme pour les mères TPL. Chez les enfants plus âgés, on retrouverait des déficits en théorie de l’esprit (capacité à se représenter ses propres états mentaux et ceux des autres) (Petfield et coll., 2015), des modalités d’attachement insécures et des épisodes dépressifs (Eyden et coll., 2016). Ces difficultés pourraient se manifester à tous les stades du développement, et faire le lit de pathologies psychiatriques à l’âge adulte, notamment le développement d’un TPL chez les adolescents (Eyden et coll., 2016). Infurna et coll. (2016) comparent des filles adolescentes TPL et contrôles : les adolescentes TPL décriraient des mères moins affectueuses et plus intrusives, ces mères elles-mêmes décriraient leur propre mère comme peu affectueuse, soutenant l’hypothèse que les expériences d’attachement joueraient un rôle dans le développement du TPL, avec une éventuelle transmission transgénérationnelle du trouble. Par ailleurs, les comorbidités dont souffrent les mères TPL ne sont pas sans conséquence. La revue de la littérature de Kemp et coll. (2022) suggère que les enfants de parents souffrant d’épisode dépressif caractérisé, de trouble bipolaire de l’humeur ou de forte anxiété auraient des altérations de certaines structures cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle (amygdales, hippocampe) ; le trouble de la régulation émotionnelle étant un symptôme retrouvé dans le TPL, il pourrait y avoir un risque de TPL et de trouble de l’humeur chez les enfants. En ce qui concerne les comorbidités addictives, la revue systématique de la littérature de Viteri et coll. (2015) résume les résultats de 128 études : l’alcool pendant la grossesse serait associé à des altérations du système nerveux central chez le foetus, et l’usage de toxiques pendant la grossesse serait associé à des effets délétères à plus long terme, notamment des troubles du comportement, des troubles cognitifs et du langage chez les enfants.

Les données issues des unités mère-bébé (UMB) témoignent des conséquences délétères sur les enfants. Glangeaud-Freudenthal et The MBU-SMF Working Group (2003) avancent que les nourrissons de mères ayant un trouble de la personnalité seraient plus à risque de placement à l’issue du séjour en UMB, comparés aux nourrissons de mères souffrant d’autres troubles mentaux (hors schizophrénie).

Afin de réduire l’impact documenté sur les nourrissons, les mères TPL et les relations mère-bébé, plusieurs équipes ont développé des prises en charge dédiées à cette population. Selon Moralès-Huet et coll. (2004), nous pouvons retrouver de nombreuses psychothérapies conjointes (ou dyadiques) parents-enfant développées selon différents modèles (modèle psychanalytique de Fraiberg, modèle de pensée développementaliste, modèle s’inspirant de la théorie de l’attachement). Ces psychothérapies ont été développées pour traiter des troubles interactifs parents-bébé précoces, secondaires à la fois à des difficultés parentales (comme le TPL) et/ou à des difficultés du nourrisson (comme une pathologie organique). Cependant, il n’existe aucun consensus international qui guide les professionnels dans leur prise en charge. Dans ce contexte, cette revue de la littérature a pour objectif principal de répertorier les interventions développées auprès des mères TPL en période périnatale (de la grossesse jusqu’aux 18 mois du nourrisson) afin d’en dégager les principales lignes directrices pour de futures recherches ; l’objectif secondaire est d’évaluer l’efficacité de certaines de ces interventions (effet sur les symptômes et fonctionnements maternels, ainsi que sur la relation mère-bébé).

MÉTHODE

Stratégie de recherche

Nous avons suivi les recommandations de Preferred Reporting Items for Systematic review and Meta-Analysis Protocols (PRISMA-P) (Moher et coll., 2015) pour cette revue de la littérature. 

Au mois d’août 2020, nous avons interrogé 5 bases de données :

PUBMED/MEDLINE, EMBASE, CINAHL, EBM REVIEWS et PSYCINFO, et la littérature grise : les guides cliniques internationaux ainsi que les sites Web Google.ca et OpenGray ont été consultés.

Nous avons utilisé les plans de concepts suivants pour repérer les articles dans les différentes ressources :

(“Borderline Personality Disorder[Mesh] OR Borderline[TIAB] AND personality[TIAB]), (“Mothers”[Mesh] OR “Pregnant Women”[Mesh] OR “Women”[Mesh:NoExp] OR Mother[TIAB] OR mothers[TIAB] OR Women[TIAB] OR woman[TIAB] OR maternal[TIAB]), (“Perinatology”[Mesh] OR “Perinatal Care”[Mesh] OR “Pregnancy”[Mesh:NoExp] OR “Infant”[Mesh] OR Perinatal[TIAB] OR Perinatology[TIAB] OR Pregnant[TIAB] OR Pregnancy[TIAB] OR pregnancies[TIAB] OR Infant[TIAB] OR infants[TIAB] OR Infancy[TIAB] OR Baby[TIAB] OR babies[TIAB] OR Newborn[TIAB] OR newborns[TIAB] OR postnatal[TIAB] OR postpartum[TIAB] OR offspring[TIAB] OR offsprings[TIAB] OR “young children”[TIAB] OR “young child”[TIAB])

Pour être inclus les articles devaient être écrits en anglais ou en français et publiés entre 1980 (date d’entrée du diagnostic de TPL dans le DSM III) et 2020. Une veille bibliographique a ensuite été effectuée jusqu’en décembre 2021. Une recherche des guides cliniques internationaux a été faite en septembre 2021. Les articles devaient traiter d’intervention(s) préventive(s) et/ou thérapeutique(s) ciblant les mères TPL en période périnatale. Ils étaient exclus s’ils ne traitaient pas d’intervention, s’ils ne ciblaient pas les mères TPL ni la période périnatale. Nous avons utilisé les définitions suivantes :

  • Période périnatale : période allant de la grossesse jusqu’aux 18 mois du nourrisson, car c’est la période où les moments clés du développement psychomoteur de l’enfant se déroulent ;

  • TPL : ce terme a connu plusieurs descriptions cliniques et scientifiques depuis les années 50. Nous ne nous sommes limités à aucune description ni classification précise par souci d’exhaustivité, et afin d’être le plus proches possible de la réalité clinique.

La recherche dans les différentes ressources a généré 493 articles. Afin de tester la fiabilité de la stratégie de recherche, nous en avons sélectionné 50 au hasard dont le titre et le résumé ont été lus par AS, ET et LC de manière indépendante pour une première sélection. Puis les sélections de AS, ET et LC ont été comparées. L’opération a été réalisée 2 fois et a montré environ 80 % de concordance des articles retenus lors du 2e test et après ajustement des critères de sélection. Les désaccords sur la sélection d’un abrégé ont été résolus par discussion entre AS, ET et LC. 

Une fois la stratégie de recherche établie, AS a sélectionné les articles en plusieurs étapes : lecture du titre et du résumé des 493 articles, puis chaque article sélectionné par le titre et/ou le résumé a été lu en entier (AS a contacté certains auteurs afin d’obtenir les articles non disponibles dans les bases de données : 9 auteurs ont été contactés par mail, 4 articles ont été récupérés). Finalement, 20 articles ont été retenus, en plus des recommandations australiennes et suisses (Figure 1).

Afin de répondre à l’objectif secondaire de cette étude, nous nous sommes intéressés à l’efficacité des interventions sur les interactions mère-bébé, sur les comorbidités du TPL et sur la qualité de vie des mères TPL. Les études devaient avoir testé l’efficacité de leur programme avec des échelles standardisées.

RÉSULTATS

Dix-huit articles issus des bases de données et 2 articles issus de la littérature grise ont été sélectionnés. Les dates de publication s’étendent de 1985 à 2021. Les recommandations australiennes et suisses ont été intégrées à l’étude (Figure 1).

Recensement des interventions

Nous pouvons définir 2 grands types de soins : les interventions centrées sur la dyade mère-bébé et celles qui s’adressent à la mère seule. Pour chacune on distingue des interventions qui se déroulent en séances individuelles ou en groupe. Dans tous les cas l’objectif sera d’agir sur les interactions mère-bébé (Tableau 1).

Figure 1

Diagramme de flux

Diagramme de flux

-> See the list of figures

Interventions centrées sur la dyade mère-bébé

Ce sont les plus nombreuses (12 articles). Elles se divisent en 2 catégories.

Psychothérapie mère-bébé spécifique

Une psychothérapie mère-bébé soutenue par un psychomotricien qui accompagne le développement psychomoteur du bébé et qui permet à la mère de l’accompagner progressivement (Apter-Danon et Candilis-Huisman, 2005) ; ainsi que la thérapie Watch, Wait and Wonder (WWW) organisée autour de séances de jeu avec le nourrisson, et les techniques de Guidance Interactionnelle (GI) pensées pour les mères ayant du mal à s’engager dans un processus thérapeutique (Newman et Stevenson, 2005). De plus, plusieurs auteurs ont décrit des techniques basées sur des « cothérapies » au cours desquelles un cothérapeute, le plus souvent éducateur ou puéricultrice, se centre sur le bébé pour soutenir son expression et la nomination de ses affects perceptibles, et un thérapeute (le plus souvent psychothérapeute) centré sur l’interaction comportementale et fantasmatique de la mère pour faire face à l’intensité transférentielle (sentiments et émotions de la mère projetés sur le bébé) et aux mécanismes défensifs de la mère (clivage, déni) dont le bébé pourrait devenir l’objet. La cothérapie permet d’offrir un espace thérapeutique aux 2 membres de la dyade. La mère peut être portée psychiquement afin qu’elle puisse renforcer ses compétences parentales et, ainsi, soutenir la construction psychique de son nourrisson. (Le Nestour et coll., 2007 ; voir aussi Wendland et coll., 2014). Par ailleurs, d’autres techniques sont développées à partir de thérapies déjà utilisées pour les patients TPL en population générale : par exemple, Sved Williams et coll. (2021) développent des groupes thérapeutiques de dyades mère-bébé basés sur la Thérapie comportementale et dialectique (TCD) dont le but est d’aider les mères à soutenir la régulation émotionnelle et les capacités relationnelles de leur nourrisson, en introduisant un travail réflexif maternel, un travail sur la régulation émotionnelle parentale et un travail sur le sentiment d’efficacité interpersonnelle, tout en soulignant la place centrale des nourrissons dans les interactions sociales, grâce à leurs capacités d’interaction qui s’appuient sur de nombreuses compétences (facultés d’imitation et sourire-réponse). Des retrouvailles mère-bébé en fin de séance permettent de mettre en pratique ce que les mères ont appris, tout en étant soutenues par les thérapeutes. Toutes ces interventions sont à visée thérapeutique.

Interventions centrées sur les mères

Elles sont moins nombreuses (8 articles).

Psychothérapies issues des techniques développées pour les patients TPL en général :

On peut citer la TCD ou la thérapie de pleine conscience (Rogers, 2016).

Avec des spécificités ciblant les difficultés des mères TPL :

Certains auteurs ont adapté des thérapies basées sur la mentalisation : mentalisation du foetus, mentalisation de soi en tant que mère et mentalisation de la relation mère-bébé (Markin, 2013). D’autres auteurs ont développé des groupes de mères bénéficiant de TCD avec des techniques de pleine conscience centrées sur des sujets spécifiques à la maternité (formations sur les besoins de base d’un enfant et les compétences parentales afin de guider les mères TPL dans leur maternage). Par exemple, Renneberg et Rosenbach (2016) ont développé le programme « Compétences parentales pour les mères ayant un trouble de la personnalité limite » qui se déroule autour de séances de TCD, dont des séances de pleine conscience, en groupe de 3 ou 4 mères TPL, au cours desquelles sont abordées les particularités des comportements et des compétences parentales des mères TPL. Les mères sont aussi formées aux soins émotionnels et physiques de leur nourrisson, à la gestion du stress et à la communication avec leur enfant. Les auteurs précisent que ce programme pourrait être bien accepté par les mères selon les résultats préliminaires d’une étude de faisabilité.

Pour toutes ces interventions les qualifications des thérapeutes sont variées et associées au domaine de la santé materno-infantile ainsi qu’au domaine du TPL (psychiatre ou pédopsychiatre, psychologue, puéricultrice, protection de l’enfance).

Les prises en charge sont pluridisciplinaires et coordonnées.

Les programmes de soin s’étalent sur une période allant de quelques mois (au minimum 12 semaines comme dans les articles de Renneberg et Rosenbach, 2016, et de Rogers, 2016) à quelques années (jusqu’à 2 ans pour l’article de Apter-Danon et Candilis, 2005, voire 3 ans pour l’article de Wendland et coll., 2014), le suivi est le plus souvent précoce, dès la grossesse ou les premiers mois de vie, et intensif avec des séances hebdomadaires. (Voir en annexe tableau 1)

Recommandations internationales

Seulement l’Australie et la Suisse ont édité des recommandations spécifiques aux mères TPL en période périnatale.

Australie

Le gouvernement et certaines organisations ont édité des guides de pratique clinique en 2017 (Centre of Perinatal Excellence, 2017) et en 2020 (Australian Government, Department of Health, 2020) précisant qu’en préconceptionnel il est important de bien identifier et nommer le diagnostic de TPL avec les femmes et de les informer des difficultés qu’elles pourront traverser du fait de leur trouble. Ces guides insistent sur l’importance d’un accompagnement pluriprofessionnel.

Suisse

Les recommandations soulignent l’intérêt d’interventions précoces et conjointes mère-enfant ; ces interventions devraient être focalisées sur la psychoéducation, les interactions sociales et la création du lien. L’importance du rôle du système familial élargi, des institutions mère-enfant et des familles d’accueil pour les enfants est mise en avant (Euler et coll., 2017).

Efficacité des interventions

Quatre études ont testé l’efficacité de leur programme (Dominguez et coll., 2014 ; Rogers, 2016 ; Sved Williams et coll., 2021 ; Yelland et coll., 2015) à l’aide d’échelles d’évaluation standardisées (Tableau 2).

Les auteurs se sont appuyés sur des échelles de comparaison variées : pour les interactions mère-bébé les échelles Maternal Postnatal Attachment Scale (MPAS) (Doaltabadi et Amiri-Farahani, 2021) et Parental Reflective Functioning Questionnaire (PRFQ) centrées sur la réponse émotionnelle et la capacité réflexive de la mère (Luyten et coll., 2017), ainsi que le CARE-Index (centré sur l’interaction en elle-même) (Crittenden, 2005) ; pour les comorbidités du TPL les auteurs ont étudié les échelles Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (MADRS) (Montgomery et Asberg, 1979), Edinburg Postnatal Depression Scale (EPDS) (Matsuoka et coll., 2020) (Cox, 1987), Beck Anxiety Inventory (BAI) (Julian, 2011) (Beck, 1988) et Depression Anxiety Stress Scale (DASS) (Lovibond et Lovibond, 1994).

Sved Williams et coll. (2021) ont testé l’efficacité de groupes thérapeutiques de dyades mère — bébé, basés sur la TCD, adaptée aux particularités des mères TPL (régulation émotionnelle des nourrissons, développement des compétences relationnelles), et qui s’appuient sur différentes ressources comme la pleine conscience, les notions de régulation émotionnelle et d’efficacité interpersonnelle selon Lynne Murray. Dominguez et coll. (2014) présentent le cas clinique d’une dyade suivie en thérapie conjointe mère-bébé et en thérapie individuelle pour la mère, de la naissance jusqu’aux 25 mois du nourrisson. Yelland et coll. (2015) présentent une étude quantitative descriptive sur les données d’hospitalisation de dyades en UMB pour des mères souffrant de troubles mentaux sévères et leurs enfants de moins de 3 ans. Les mères reçoivent plusieurs traitements (en individuel, en groupe, psychothérapie mère-enfant, médicaments et électroconvulsivothérapie) lors des séjours qui durent en moyenne 22,34 jours. Rogers (2016) présente le programme Mindfullness-Based Parenting Group Intervention for Mothers with Borderline Personality Disorder (MPG-BPD) : 4 mères TPL d’enfants âgés entre 1 et 10 ans assistent à 12 séances hebdomadaires de thérapies de pleine conscience.

– Efficacité sur les interactions mère-bébé

L’étude de Yelland et coll. (2015) analyse l’efficacité d’une hospitalisation dans une UMB australienne au travers d’une cohorte de 117 dyades. Après un séjour de 22,34 jours en moyenne, l’échelle MPAS est significativement améliorée. Rogers (2016) étudie l’efficacité du programme MPG-BPD en mesurant plusieurs échelles en préprogramme, postprogramme et 6 mois après : l’auteur repère, pour 7 dyades, une amélioration significative du score de l’échelle PRFQ entre les mesures postprogramme et 6 mois après, et une diminution significative « des restrictions de rôle du parent » qui est une sous-échelle du Parenting Stress Index (PSI) (Abidin, 1995) entre les mesures préprogramme et 6 mois après. Sved Williams et coll. (2021) étudient l’efficacité du programme Mother-Infant Dialectical Behavior Therapy (MI-DBT). À la fin du programme, les auteurs relèvent une amélioration significative des échelles Parenting Sense of Competence scale (PSOC) (Johnston et Mash, 1989), PRFQ, PSI-4F (PSI short-form) et Nursing Child Assessment Satellite Training, Teaching Scale 2de edition (NCAST 2nd Ed.) (Oxford et Finlay, 2013) avec une taille d’effet modérée.

– Efficacité sur les comorbidités du TPL

Les différents auteurs se sont intéressés à la symptomatologie dépressive maternelle et aux troubles anxieux associés. Trois équipes relèvent une amélioration de la symptomatologie dépressive via des échelles standardisées : EPDS pour Yelland et coll. (2015) et Sved Williams et coll. (2021), DASS pour Rogers (2016) ; seuls Dominguez et coll. (2014) repèrent une aggravation de la symptomatologie dépressive via l’échelle MADRS. Deux équipes repèrent une diminution significative de l’anxiété chez les mères : BAI pour Yelland et coll. (2015) et Sved Williams et coll. (2021).

– Efficacité sur la qualité de vie des mères TPL

Aucune équipe n’a analysé cet élément.

Selon les articles, les effets bénéfiques sur les interactions mère-bébé apparaissent en général après plusieurs semaines de traitement (22 jours pour une hospitalisation mère-bébé, jusqu’à 22 mois pour des séances de cothérapie en ambulatoire). Pour le programme MPG-BPD de Rogers (2016) les effets semblent persister dans le temps (6 mois après l’intervention). (Voir tableau 2 en annexe)

DISCUSSION

Notre revue de la littérature relève plusieurs interventions qui essaient d’agir sur les particularités des mères TPL et de leur bébé, telles que les difficultés de mentalisation et les troubles de la fonction réflexive chez les mères (Perez, 2018 ; Markin, 2013), la dysrégulation émotionnelle (Sved Williams et coll., 2021 ; Rosenbach et coll., 2020) et le retrait relationnel chez certains nourrissons (Sved Williams et coll., 2021). À notre connaissance, il n’y a pas de revue de la littérature similaire dans les principales bases de données scientifiques. Toutes ces interventions ont pour but d’accompagner les mères dans leur accès à la parentalité. L’enjeu pour les mères TPL est d’acquérir les mêmes fonctions parentales que des parents sans trouble mental. Comme énoncé plus haut, les mères s’appuient sur leur sensibilité à leur bébé et leur capacité de mentalisation pour réguler les comportements et les émotions de leur nourrisson. Or les mères TPL auraient une sensibilité au bébé diminuée et elles interpréteraient les émotions neutres de leur nourrisson comme des émotions tristes, ce qui pourrait engendrer des difficultés d’ajustement dans la relation (Petfield et coll., 2015). De plus, les comorbidités que peuvent présenter ces mères pourraient complexifier la prise en charge. Pour exemple, Kienast et coll. (2014) soulignent la problématique des comorbidités addictives qui majoreraient l’impulsivité des patients et qui diminueraient les chances de rémission. On rappelle que selon Viteri et coll. (2015), l’alcool et le tabac pendant la grossesse auraient des conséquences sur le développement psychomoteur du bébé et des enfants plus âgés. Ceci est d’autant plus problématique que, dans les études répertoriées, nous n’avons pas retrouvé d’outils pour évaluer les comorbidités des mères TPL. De tels outils devraient, à notre sens, être développés dans les futures recherches. 

Avec l’essor de la clinique périnatale, les équipes ont développé des soins variés en fonction de leurs références théoriques et de leurs ressources propres. Plusieurs articles témoignent d’expériences d’accompagnement d’une dyade avec une mère TPL, le dispositif de soin ayant été pensé spécifiquement pour la situation rapportée, dans d’autres cas des interventions ont été pensées spécifiquement pour les mères TPL, les plus récentes s’appuient sur les TDC. Il nous apparaît important de souligner que le nombre d’articles s’inspirant de la théorie de l’attachement semble faible alors même que les mères TPL présentent des troubles de la sensibilité aux signaux de leur bébé (Petfield et coll., 2015) et/ou des interactions précoces douloureuses dans leur histoire infantile (Winsper, 2017). Moog et coll. (2018) ont mené une étude longitudinale prospective sur une population de mères enceintes, puis sur leurs bébés, et ont montré qu’il y aurait un lien entre expériences infantiles traumatiques chez les mères (abus et négligences physiques et émotionnels, violences sexuelles) et anomalies cérébrales chez leurs bébés (diminution de la taille du cerveau, dont la matière grise) comparés à des nourrissons de mères n’ayant pas eu de traumatisme dans l’enfance. Ceci devrait être pris en compte pour ajuster les soins chez les mères TPL ayant vécu des traumatismes. Dans notre étude, nous avons repéré essentiellement 3 auteurs qui semblent s’être inspirés de ces derniers modèles (Chlebowski, 2013, avec la thérapie dyadique, Perez, 2018, qui présente le cas clinique d’une psychothérapie parents-enfant, et Sved Williams et coll., 2021, lors des séances de groupes thérapeutiques basés sur la TCD).

Les soins conjoints mère-bébé ont été privilégiés par certains auteurs avec un travail spécifique sur les interactions, cela permet de suivre et de soutenir l’évolution du bébé et de prendre en compte, précocement, d’éventuels signes de retrait. De plus, certaines de ces interventions dyadiques s’appuient sur des séances de jeux avec les bébés (Thérapie WWW, GI, groupes thérapeutiques basés sur la TCD de Sved Williams et coll., 2021) ce qui permet de favoriser la notion de plaisir dans les interactions. Cette notion de plaisir partagé est essentielle, car il existe une influence réciproque de la vie émotionnelle du bébé et celle de la mère, c’est ce que Stern appelle « l’accordage affectif ». Lorsque la tonalité globale affective des échanges entre mère et bébé est positive, cela est source de plaisir, de bien-être, de sécurité, procure à chacun le sentiment d’être compris et soutient l’attachement affectif. De plus, ces séances permettent à chaque membre de la dyade de tenir un rôle actif dans les interactions, tout en étant guidé par les thérapeutes.

Nous allons tenter de dégager quelques points qui semblent importants dans les soins conjoints/centrés sur la dyade.

La temporalité des interventions

Un des éléments primordiaux à retenir est que les interventions, aussi variées soient-elles, présentent quelques ingrédients communs tels qu’une mise en place précoce, dès les premiers mois du nourrisson (voire dès la grossesse pour l’étude de Wendland et coll., 2014 par exemple), un rythme de soins intensifs pour plusieurs programmes (séances hebdomadaires pour les interventions de Baradon et coll., 2010 ; Dominguez et coll., 2014 ; Wendland et coll., 2014 ; Renneberg et coll., 2016 ; Rogers, 2016), et des suivis s’étalant de quelques semaines (22 jours environ pour l’article de Yelland et coll.) à plusieurs mois, voire années (Wendland et coll., 2014).

Ceci est conforme avec les recommandations australiennes de 2017 qui préconisent des actions dès la période préconceptionnelle.

Un soin conjoint particulier, la cothérapie

Permet de soigner l’alliance thérapeutique

Pour les dyades dont la mère rencontre des difficultés à penser son nourrisson comme un être séparé et différent d’elle, les cothérapies permettent, à la fois à la mère et au bébé, d’occuper un espace thérapeutique propre où leurs émotions et pensées sont soutenues par chacun des thérapeutes, puis verbalisées à l’autre partenaire de la dyade. La mère portée par le thérapeute peut ainsi porter son nourrisson dans son développement moteur, affectif et cognitif (Le Nestour et coll., 2007 ; Wendland et coll., 2014 ; Perez, 2018). Cependant, les thérapeutes doivent veiller à adopter la juste distance relationnelle avec les mères TPL qui rentrent souvent dans des relations interpersonnelles instables, éprouvantes pour les soignants. Ainsi, les auteurs proposent des interventions pluriprofessionnelles pour éviter que les mères investissent un seul thérapeute qu’elles idéaliseraient ou rejetteraient. Effectivement, le risque des interventions avec un thérapeute unique est que la mère se sente rejetée et abandonnée durant les séances (Apter-Danon et Candilis, 2005), voire qu’elle rentre en compétition avec le bébé vis-à-vis du thérapeute.

Permet de soutenir les interactions précoces

Le principe des cothérapies paraît particulièrement adapté pour analyser puis traiter les troubles des interactions précoces à plusieurs niveaux (comportemental, affectif et fantasmatique) (Le Nestour et coll., 2007).

Les autres interventions centrées sur la dyade ont également l’avantage de permettre d’analyser les interactions mère-bébé de manière plus fine et ainsi d’agir sur certaines difficultés précises, comme les troubles des interactions comportementales (Apter-Danon et Candilis-Huisman, 2005) et/ou les troubles des interactions affectives (Perez, 2018).

Les soins centrés sur les mères seules

Concernant les interventions centrées sur les mères seules, elles présentent l’avantage de s’inspirer des psychothérapies, pour la plupart validées chez les patients TPL (TCD, dont la Thérapie de pleine conscience), sur lesquelles les auteurs s’appuient pour aider les mères TPL à appréhender leurs difficultés (comme soutenir la régulation émotionnelle de leur nourrisson) (Sved Williams et coll., 2021). Il s’agit d’un travail de psychoéducation autour des soins primaires et des besoins de base d’un enfant (Renneberg et Rosenbach, 2016). Certaines interventions pour les mères uniquement permettent des soins très personnalisés pour des difficultés bien spécifiques (abus de substance) (Gentile, 2015). Cependant, ces interventions ne permettent pas d’observer directement les interactions précoces ; ceci pourrait diminuer la possibilité de personnaliser le soin de chaque dyade et pourrait empêcher le repérage des bébés en souffrance.

En ce qui concerne l’efficacité des interventions, seulement 4 études ont étudié l’efficacité de leur programme. Les résultats de l’étude de Sved Williams et coll. (2021) sont encourageants tant pour les comorbidités du TPL que pour la qualité des interactions précoces mère-bébé. Cependant, on regrette l’absence d’évaluation de l’efficacité sur la qualité de vie des mères TPL, en effet cet indicateur, fréquemment retrouvé dans les études autour des personnes souffrant de TPL, apparaît primordial pour soutenir les mères dans leur parentalité et le soin de leur trouble.

Concernant les recommandations nationales, l’Australie et la Suisse mettent en avant l’importance d’un travail pluriprofessionnel et précoce, dès la grossesse. Deux articles de Sved Williams et Apter (2017 et 2018) publiés dans des revues australiennes reprennent une partie des recommandations australiennes pour proposer un guide de prise en charge des mères TPL pour les médecins généralistes. Malgré cela, on note une absence de consensus international sur les soins des mères TPL en périnatalité, alors même que ce trouble est fréquent et grave et que ses effets sur les interactions mère-bébé sont bien documentés.

Cette revue de la littérature a plusieurs limites. D’abord la lecture des articles qui s’est principalement basée sur le premier auteur, car nous n’avons pas pu solliciter un deuxième lecteur pour confronter les différentes sélections. De plus, les requêtes utilisées dans les bases de données n’ont pas permis de regrouper l’ensemble des articles traitant d’interventions auprès de mères TPL en période périnatale, et certains articles retrouvés dans les ressources n’étaient pas disponibles (extraits de conférence par exemple). Par ailleurs, même s’il ne s’agissait pas de l’objectif principal de cette étude, on regrette que seulement 4 équipes aient étudié l’efficacité à moyen et à long terme de leurs soins. Ainsi, il nous apparaît important de continuer les investigations, notamment au travers d’une revue systématique de la littérature.

CONCLUSION

On peut retenir que les interventions auprès des mères TPL en période périnatale s’appuient sur des modèles théoriques réflexifs ou en lien avec la dérégulation émotionnelle. Notre revue témoigne de la volonté de plusieurs auteurs d’apporter des soins adaptés à ces mères et à leurs bébés, dans un contexte où il existe encore peu de consensus nationaux sur la prise en charge de ces dyades. Nous soulignons quelques éléments communs aux interventions recensées : précocité des soins, dès les premiers mois du nourrisson ou durant la grossesse ; pluridisciplinarité (professionnels de santé mentale et de la petite enfance) ; intensité du suivi ; diversité de sa durée (quelques semaines à plusieurs années). Aucune conclusion ne peut être faite sur l’efficacité des interventions au vu du faible nombre d’articles ayant analysé cet élément. Ainsi, il apparaît important de pouvoir continuer les recherches concernant l’efficacité des différentes interventions développées, afin de pouvoir élaborer des recommandations plus spécifiques concernant la prise en charge des mères TPL et de leur bébé en période périnatale. Par ailleurs, le rôle du père dans les dispositifs de soin n’a pas été abordé, mais serait intéressant à prendre en compte.