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Les systèmes de santé mentale forensique[1] ont significativement évolué au cours des 50 dernières années un peu partout à travers le monde, tout comme la diversité des services et des pratiques (Jansman-Hart et coll., 2011a ; Priebe et coll., 2008a). Cette évolution s’est opérée en fonction des cadres juridiques, des environnements sociosanitaires et des contextes socioculturels plus généraux. Parallèlement, une augmentation importante du nombre de personnes prises en charge par ces systèmes de santé mentale forensique a été observée à travers le monde, en particulier en occident (Jasman-Hart et coll., 2011). Les hypothèses véhiculées afin d’expliquer cet accroissement ont longtemps porté sur le processus de désinstitutionnalisation et l’augmentation de comportements violents chez les personnes ayant des troubles mentaux. Il est maintenant reconnu que ces hypothèses sont fausses (Large et Nielssen, 2009 ; Mundt et coll., 2015) d’une réalité beaucoup plus complexe (Roth, 2021). Plusieurs facteurs ont plutôt contribué à cette augmentation de la demande de soins spécialisés, dont les changements législatifs aux Codes criminels et civils[2] qui balisent davantage l’utilisation de dispositions de soins sous contraintes, la réduction constante de lits dans les institutions psychiatriques, l’inadéquation des services de santé mentale dans la collectivité pour des personnes ayant des besoins complexes, le manque criant de ressources communautaires psychosociales et l’intolérance de la population générale face aux comportements parfois dérangeants de certaines personnes ayant des problèmes de santé mentale (Jansman-Hart et coll., 2011b ; Lamb, 2009 ; Priebe et coll., 2008b ; Rock, 2001 ; Smith et coll., 2020 ; Whitley et Berry, 2013 ; Whitley et Prince, 2005). Ces conditions structurelles et systémiques font que le système de justice est de plus en plus utilisé comme levier d’accès à des soins spécialisés, qui sont outillés pour répondre aux besoins complexes des personnes ayant des troubles mentaux graves et des comportements jugés comme étant antisociaux ou de violence. Cette priorisation judiciaire des soins est par ailleurs désignée par certains observateurs comme la « forensification » de la santé mentale (Alford, 2002 ; Seto et coll., 2001).

En plus de soulever un certain nombre de questions humanitaires ainsi que des questions concernant la capacité des services réguliers de santé mentale à prendre en charge les soins des patients aux comportements parfois perturbateurs, cette tendance engendre des coûts économiques importants. En Alberta (Canada) par exemple, le coût annuel des services de santé mentale forensique est estimé à 275 000 CAD par personne (Jacobs et coll., 2016), soit presque 5 fois les coûts en santé mentale générale, ce qui est comparable aux coûts d’autres juridictions dans le monde (Avramenko et coll., 2009 ; Barrett et coll., 2005). Bien qu’il existe très peu d’études sur le coût-efficacité de différentes approches en santé mentale forensique, ces coûts soulèvent d’importantes questions sur l’optimisation du recours au système de santé mentale forensique, particulièrement aux milieux institutionnels pour les personnes présentant peu de risque de récidive violente.

L’objectif de cet article est de synthétiser des points saillants de la littérature scientifique, de la littérature grise et de la documentation web concernant la prestation des services de santé mentale forensique à travers le monde. La version exhaustive de cette recension est disponible dans le Handbook of Forensic Mental Health Services (Crocker et coll., 2017). Dans le cadre de la présente réflexion, nous nous centrons sur la question suivante : « Quelles sont les caractéristiques importantes à considérer dans l’organisation et la structure des services de santé mentale forensique ? »

Méthodes

Nous synthétisons ici les informations recensées pour décrire comment les systèmes de santé mentale forensiques sont organisés à travers le monde. Des informations disponibles en anglais, en français ou en espagnol ont été analysées afin d’évaluer la présence de services de santé mentale forensiques dédiés, leur degré d’intégration avec les services généraux de santé mentale, le degré de centralisation des services, la continuité des soins après la libération ainsi que la présence de soutien à l’hébergement pour la clientèle forensique. Nous soulevons ensuite les obstacles les plus importants auxquels font face les services forensiques pour la prestation des soins et finissons avec des approches émergentes. Pour y parvenir, nous avons réalisé une revue en deux temps. Premièrement, pour le chapitre de livre, publié en 2017 (Crocker et coll.), sur lequel est basé cet article, nous avons procédé à une revue de littérature sur des documents académiques et non académiques publiés avant le 1er septembre 2016, en lien avec l’organisation des services de santé mentale forensique à travers le monde. Brièvement, les bases de données Academic Search Complete (EBSCO), ProQuest Central, Scopus, PsycInfo, Google Scholar et Google ont été vérifiées en utilisant les mots clés forensic psychiatry, forensic services, forensic service provision, forensic mental health services, insanity defense et mentally ill offenders, en y ajoutant parfois le nom d’une région ou d’un pays spécifique. Deuxièmement, afin de mettre à jour nos sources, nous avons vérifié les bases de données PubMed, Scopus, Google Scholar et Google en utilisant les mêmes mots clés que pour le chapitre publié en 2017 (Crocker et coll.). Pour ce deuxième volet, les documents publiés entre le 01-09-2016 et le 01-09-2021 ont été identifiés. Aux deux temps de la recension, les articles ont été sélectionnés puis analysés manuellement. Les informations décrites ici proviennent de recensions antérieures de la littérature sur les systèmes santé forensiques (numéro spécial de l’International Journal of Law and Psychiatry, 23, 2000 ; Every-Palmer et coll., 2014 ; Mundt et coll., 2012 ; Priebe et coll., 2008 ; Salize et coll., 2005 ; Taylor et coll., 2013), ainsi que des articles scientifiques, des rapports gouvernementaux et des rapports de l’Organisation mondiale de la santé (WHO-AIMS). Nous utilisons l’expression « services de santé mentale forensique » comme englobant à la fois les services traditionnels de psychiatrie légale en institution, mais également les services de santé mentale offerts par différents praticiens et cliniciens, les services de logement, les parcours judiciaires spécialisés (comme les tribunaux en santé mentale), etc.

Le portrait présenté ci-dessous repose sur la documentation disponible publiquement ; des informations étaient plus susceptibles d’être disponibles pour certaines juridictions (par ex. au Canada et au Royaume-Uni) que pour d’autres régions du monde (par ex. en Afrique ou au Moyen-Orient).

Résultats

La prestation des services de santé mentale forensique varie en fonction des différentes juridictions, dont celles des pays de la Common Law, de droit civil et des anciens pays communistes. D’une part, la prestation des services est organisée selon des critères légaux spécifiques, ainsi que selon des niveaux de centralisation et d’intégration des services qui varient. Des tableaux comprenant des informations spécifiques pour chaque pays étudié sont présentés à la fin du texte. Les informations présentées portent sur l’évaluation de l’aptitude à subir son procès, défense de non-responsabilité, ainsi que sur les processus de révisions des statuts légaux des usagers des services de santé mentale forensique et sur l’autorité décidant de la mise en liberté des usagers.

Critères légaux généraux

Aptitude à subir son procès. La notion d’aptitude à subir son procès est davantage répandue dans les pays de la Common Law que dans les pays d’autres cadres juridiques (voir tableau 1). Malgré des variations mineures, la plupart des tests légaux d’inaptitude évaluent l’incapacité à comprendre la nature et la sévérité des accusations ; à comprendre la nature, l’objet et les conséquences des procédures judiciaires ; et à communiquer avec son avocat pour établir sa défense. Puisque le droit civil implique souvent un rôle plus passif de la part des accusés que dans la Common Law, les pays d’Europe continentale et autres juridictions dont l’héritage juridique découle du droit romain n’ont pas tendance à évaluer l’aptitude à subir son procès (voir Taylor et coll., 2013). Il est possible que la durée de détention des personnes inaptes soit indéfinie, mais plusieurs juridictions ont des dispositions particulières pour les personnes inaptes de façon permanente ou semi-permanente. Défense de non-responsabilité ou responsabilité diminuée. La défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est disponible dans la plupart des pays avec la Common Law (voir Tableau 1), bien qu’il existe des variations importantes dans son application. La plupart de ces pays ont adopté une forme de la règle M’Naghten, parfois avec une composante volitive (c.-à-d.. que la personne était incapable de s’empêcher de commettre le geste). Cette composante ouvre la porte à l’admissibilité des troubles de la personnalité, à moins qu’ils ne soient explicitement exclus selon le texte de la loi ou selon la jurisprudence. La défense de non-responsabilité criminelle ou de responsabilité diminuée sont également disponibles dans plusieurs pays des familles des cadres juridiques napoléoniens et germaniques. Dans la plupart des juridictions de la Common Law, les troubles de personnalité ne sont pas admissibles, ou bien selon le droit ou en pratique (p. ex Écosse, Canada, Nouvelle-Zélande, la plupart des États américains), alors qu’ils forment une importante proportion de la population forensique en Angleterre et Pays de Galles, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, en Autriche et en Grèce. Il est à noter que le type de troubles mentaux pouvant être considéré dans le cadre d’une défense de non-responsabilité ou de responsabilité diminuée est rarement explicité par le droit.

Conditions de mise en liberté. Bien que la durée de la détention hospitalière soit, dans plusieurs juridictions, illimitée et sujette à une réévaluation régulière, d’autres pays ont choisi d’instaurer des mesures pour imposer des limites minimales (p. ex. Italie) ou maximales (p. ex. Irlande, Australie) à la détention hospitalière, souvent en lien avec la sévérité du délit. Le pouvoir décisionnel de libérer un patient appartient le plus souvent à la cour, mais parfois au psychiatre traitant ou est sujet à l’assentiment ministériel. Des comités indépendants ou des tribunaux administratifs spécialisés en santé mentale ont été mis en place dans plusieurs pays, dont au Canada (Commissions d’examen des troubles mentaux).

Prestation de services de santé mentale forensiques et trajectoires de soins

L’un des fondements de l’organisation des services de santé mentale forensiques est le degré auquel ils sont centralisés et intégrés aux services de santé mentale civils.

Certains pays, comme l’Autriche et le Royaume-Uni, sont organisés à un niveau national. Les services forensiques, fortement centralisés, relèvent de ministères aux plus hauts paliers de gouvernements et sont dispensés de manière relativement uniformes à travers le pays. D’autres pays ont des systèmes ou le niveau de centralisation est modéré, c’est-à-dire que les services forensiques sont fédéralisés ou administrés au niveau des États ou des districts. Au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Allemagne, en Belgique, en Finlande et aux Pays-Bas, l’organisation des services forensiques dépend de la province et peut présenter des différences selon la région. Enfin, les services forensiques de la Norvège et du Danemark sont administrés au niveau des municipalités et comtés. Il s’agit d’un niveau d’organisation très décentralisé où les institutions qui dispensent les services forensiques varient selon les villes.

Parmi ces modèles de centralisation, le niveau d’intégrations des services forensiques aux services de santé mentale plus largement varie selon les pays. Dans certains cas, les établissements forensiques sont entièrement distincts du système de santé, et sont parfois même sous l’autorité d’un autre département ou ministère comme celui de la Justice par exemple. Dans d’autres cas, il n’y a aucune distinction entre les services forensiques et civils, et le placement est basé sur le niveau de sécurité requis plutôt que sur le statut légal, comme en Finlande ou en Angleterre. Pour la plupart des États, les services sont offerts à la fois dans des hôpitaux de psychiatrie légale ou dans des hôpitaux de psychiatrie générale. D’autres pays dispensent les services dans des hôpitaux de psychiatrie légale, dans des hôpitaux de psychiatrie générale, mais également dans des hôpitaux civils, selon l’État ou la province, voire uniquement dans des hôpitaux de psychiatrie générale.

Pour illustrer ces différents niveaux de centralisation et d’intégration, nous avons choisi de présenter l’organisation des prestations de services et de trajectoires de soins dans un nombre limité de pays, qui semblaient les plus prototypiques.

En Angleterre et au Pays de Galles, les services forensiques sont organisés par niveau de sécurité et assurés par le National Health Service (NHS) ou le secteur privé. Les hôpitaux et unités ne sont pas divisés en services forensiques et non forensiques comme tels. Il y a 3 hôpitaux à sécurité élevée (high secure) qui desservent les personnes qui sont formellement détenues en vertu d’une loi de santé mentale (Mental Health Act[3]) (McMurran et coll., 2009). Les unités à sécurité moyennes reçoivent les personnes qui présentent un risque envers les autres ou les personnes ayant commis un délit mineur et sont traitées dans les hôpitaux de psychiatrie générale (National Health Service, 2013). Les services forensiques sont dispensés selon 5 grandes trajectoires de soins forensiques développés afin d’assurer que les besoins des patients soient adressés au bon moment et que les décisions soient basées sur des données probantes (Care Pathways and Packages Project, 2009).

En Irlande et en Écosse, les services forensiques sont organisés par niveau de risque et de sécurité et admettent des personnes ayant des troubles mentaux, judiciarisées ou non. Les unités à sécurité élevée desservent les personnes qui présentent un danger grave et immédiat envers les autres. En Irlande, le National Forensic Mental Health Service (NFMHS) est basé au Central Mental Hospital Dublin. D’autres personnes ayant un trouble mental qui ont commis un délit peuvent être traitées dans les centres de psychiatries ou des hôpitaux privés. Des équipes régionales de santé mentale forensiques assurent ensuite un suivi et un soutien au fur et à mesure que les personnes vont vers des niveaux de sécurité moins contraignants et dans la communauté (Mental Health Commission, 2006 ; O’Neil, 2012 ; Walsh, 2005). En Écosse, les services forensiques sont assurés par la National Health Services (NHS) par le biais d’une coordination de la Forensic Mental Health Services Managed Care Network (Forensic Network, 2016 ; McMurran et coll., 2009 ; Thomson, 2016). Les services à sécurité moyenne sont dispensés régionalement et les services à sécurité faible sont dispensés localement (Crichton et coll., 2004 ; Forensic Network, 2016 ; Thomson, 2016).

En Nouvelle-Zélande, les services forensiques sont décentralisés et configurés régionalement, sans organisation chapeau et entièrement intégrés au continuum de services généraux de santé mentale. Toutes les régions ont des services à sécurité moyenne et la plupart ont également des unités à sécurité faible. La plupart de ces services offrent des services externes pour les personnes libérées, mais n’étant pas encore prêtes à intégrer les services de santé mentale réguliers [4] (Brinded, 2000 ; Ministry of Health, 2007).

Au Canada, comme en Australie, il n’y a pas de structure fédérale de services de santé mentale forensique ; les services sont organisés et dispensés par territoire et province et font partie du système de santé publique (Crocker, Nicholls, Seto, Charette, et coll., 2015a ; Livingston, 2006). De plus, la plupart des services forensiques au Canada offrent également des services de soutien, d’évaluation et de soins en milieu carcéral.[5] Les modèles d’organisation de services forensiques au Canada varient de très centralisés et intégrés (p. ex. en Colombie-Britannique) à plusieurs unités dédiées à travers la province à très décentralisés, régionaux et non spécialisés au Québec (BC Mental Health et Substance Use Services, 2013 ; Crocker et coll., 2010 ; Livingston, 2006). Le soutien à l’hébergement quant à lui est disponible, mais encore très limité à travers le pays (Livingston et coll., 2003 ; Salem et coll., 2015).

Discussion

Principes d’organisations de services de santé mentale forensique

Comme nous l’avons souligné ci-dessus, la manière dont les services forensiques sont régis et organisés varie d’un pays à l’autre, voire d’une province ou d’un État à l’autre à l’intérieur d’un même pays. Certaines juridictions ont mis en oeuvre des systèmes forensiques spécialisés autonomes dotés de ressources et de mandats détachés de la santé mentale générale. D’autres ont délibérément combiné le rôle et la fonction des services forensiques à même les systèmes de santé mentale.

L’absence de consensus sur la façon la plus efficace d’organiser les services forensiques contribue également à ce que les systèmes soient moulés en formes uniques dans différentes régions du monde. Bien que les chercheurs aient spéculé sur les avantages et les limites relatifs aux différents modèles de configuration (Humber et coll., 2011), ce domaine n’a pas fait l’objet d’examens empiriques. Conséquemment, il n’y a pas de gabarit basé sur des données probantes quant à la manière dont un système de santé mentale forensique devrait être organisé et déployé. Toutefois, il existe des lignes directrices pour l’organisation de systèmes de santé mentale et de dépendances qui peuvent servir de canevas (Hogan et coll., 2003 ; McDaid et Thornicroft, 2005 ; National Treatment Strategy Working Group, 2008 ; Roberts et Ogborne, 1999 ; Rush, 2010 ; Thornicroft et Tansella, 2004 ; U.S. Department of Health and Human Services, 2009 ; World Health Organization, 2003). Avec certaines adaptations au rôle et fonctions uniques de services forensiques (p. ex. la nature involontaire et la focalisation sur la sécurité du publique), ces principes systémiques sont transférables à l’arène de la santé mentale forensique.

Selon ces lignes directrices, un système de santé mentale forensique efficace inclurait les éléments suivants : a) un continuum complet de services hiérarchisés ; b) l’intégration de services à même le système de soins en santé mentale ; c) l’adéquation des services aux besoins des personnes ; d) l’adhérence aux principes de droits de la personne ; e) réponse à la diversité de la population ; f) l’utilisation des meilleures données disponibles pour effectuer des changements systémiques. Plus récemment, Kennedy et coll. (2019) ajoutent que l’excellence d’un système de santé mentale forensique se mesurerait à sa capacité de réaliser des recherches rigoureuses de type essais contrôlés randomisés afin d’assurer une amélioration continue des interventions usuelles. Bien que tous ces principes soient importants, nous focalisons sur les 3 premiers (continuum, intégration et adéquation des services) qui peuvent s’appliquer à l’organisation des services de santé mentale forensique.

Un continuum de services hiérarchisés-équilibrés[6]

Comme nous l’avons observé à partir de notre synthèse internationale (Crocker et coll., 2017), les systèmes de santé mentale forensiques contemporains ont tendance à être alignés sur un paradigme de garde ou de détention (McKenna et coll., 2014) où les ressources et services sont concentrés dans les milieux institutionnels, comme les établissements forensiques autonomes, les unités forensiques des hôpitaux psychiatriques ou les services psychiatriques en milieu correctionnel. Les institutions forensiques jouent un rôle essentiel pour contenir et atténuer les risques pour la sécurité publique, permettre aux personnes atteintes de troubles mentaux qui ont des démêlés avec la justice d’accéder des services et des interventions thérapeutiques appropriés et faciliter la réintégration communautaire éventuelle, le désistement à la criminalité et le rétablissement individuel. En même temps, les établissements forensiques ont traditionnellement incarné des caractéristiques oppressives d’une « institution totale » (Goffman, 1961) ou les patients (ou détenus selon les juridictions) sont sujets à des degrés variés de privation de libertés, autonomie, biens matériels, relations intimes et sécurité. Ces institutions représentent également un moyen très coûteux d’offrir des services qui, dans certains cas, pourraient être offerts dans la communauté ou d’autres milieux fermés ou ouverts. Leur utilisation doit donc être bien ciblée et balisée afin de répondre à des besoins complexes et des risques élevés de violence et de criminalité avec une durée de séjour la plus courte possible.

La proposition selon laquelle les systèmes de santé mentale et de dépendances sont plus efficaces lorsqu’ils donnent accès à un continuum complet et équilibré de services et de soutien découle de préoccupations semblables. Dans le cas d’une approche de soins hiérarchisés-équilibrés, une gamme flexible de services sont principalement offerts dans les milieux communautaires locaux et couvrent des secteurs généraux et spécialisés, en mettant l’accent sur des caractéristiques telles que la prestation de services de proximité, l’adaptation des services aux besoins individuels, le soutien au choix des utilisateurs de services, la coordination des soins entre les intervenants des organismes/organisations et l’offre de services mobiles (Thornicroft et Tansella, 2013). Un modèle de soins hiérarchisés-équilibré qui offre des services basés sur des données probantes assurerait que certaines personnes aux prises avec un problème de santé mentale n’aient pas de démêlés inutiles avec la justice. Ceci permettrait également que des services de qualité soient offerts aux personnes ayant des besoins de santé mentale dans le système de justice pénale (p. ex. à l’arrestation, en détention préventive, à l’incarcération ou en probation) afin de prévenir une judiciarisation future (Munetz et Griffin, 2006) et un meilleur potentiel de rétablissement.

Le cadre conceptuel utilisé pour décrire à quoi ressemblent les systèmes de soins hiérarchisés-équilibrés est le modèle multiniveaux (National Treatment Strategy Working Group, 2008 ; Rush, 2010 ; World Health Organization, 2003). Un aspect fondamental du modèle multiniveaux est le regroupement de services ayant des niveaux comparables d’intensité, de spécialisation et de restriction. Des services comparables peuvent être regroupés en niveaux qui sont les plus appropriés pour répondre aux besoins de groupes distincts de personnes selon l’acuité, la complexité et la chronicité de leurs problèmes de santé mentale ou d’usage de substances. Par exemple, les services hautement spécialisés et intensifs (et, il s’en suit, onéreux) sont plus appropriés pour les personnes ayant les problèmes les plus sévères (c.-à.-d. aigus, complexes et chroniques), alors qu’ils sont inappropriés pour les personnes ayant un niveau faible ou modéré de détresse ou de déficit de fonctionnement. Une autre caractéristique du modèle multiniveaux est que la distribution des services devrait être ancrée dans la distribution populationnelle de la sévérité des problèmes. Les personnes ayant une sévérité plus faible de problèmes de santé mentale sont plus nombreuses et la demande pour les services à faible intensivité et spécialisation est donc grande. À l’inverse, les problèmes sévères de santé mentale et d’usage de substances sont moins communs dans la population et la demande pour les services hautement intensifs et spécialisés est donc relativement faible. Le système de services de santé devrait donc prendre forme en fonction de la demande pour les différents niveaux de services. Selon les principes du modèle multiniveaux, un continuum de services hiérarchisés-équilibrés en santé mentale forensique ressemblerait au diagramme ci-dessous.

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Ce modèle conceptuel s’inspire d’autres propositions (p. ex. Kennedy, 2002 ; Mullen, 2000 ; O’Dwyer et coll., 2011 ; Thornicroft et Tansella, 2013 ; World Health Organization, 2003) pour mettre de l’avant 6 niveaux comprenant un groupe de services de santé mentale forensique en communauté (niveaux 1-3) et un groupe en établissement fermé (niveaux 4-6). Chaque groupe de service comprendrait des interventions basées sur les données probantes correspondant à la fonction particulière des niveaux de service le composant, adaptable à la réalité de différentes juridictions. En comparaison aux autres modèles multiniveaux de services de santé mentale générale, le présent modèle met davantage l’accent sur les services institutionnels de façon à refléter la nature distincte des populations forensiques et le rôle de gestionnaire du risque des systèmes forensiques. Malgré tout, trouver un équilibre entre les services en établissement fermé et les services en communauté est essentiel pour les systèmes de santé mentale forensique (Mullen, 2000), et il a d’ailleurs été suggéré que les investissements dans les services en communauté devraient être égaux, voire supérieurs, à ceux en milieux fermés (Thornicroft et Tansella, 2013).

Tel que révélé par notre survol des systèmes forensiques, la moitié supérieure de la pyramide (niveaux 4-6) représente la façon dont plusieurs juridictions internationalement distribuent présentement les personnes en milieu institutionnel à sécurité faible, modérée ou élevée, détenues ou non selon les dispositions législatives (Pillay et coll., 2008). Le niveau 6, services en milieu institutionnel à sécurité élevée, représente les services les plus restrictifs, intensifs, spécialisés et coûteux dans le système de santé mentale forensique. Il dessert également la plus petite partie de la population forensique. L’objectif des services du niveau 6 est de stabiliser les problèmes aigus de santé mentale et d’usage de substances, tout en ciblant les besoins criminogènes spécifiques afin d’assurer une transition sécuritaire aux niveaux de sécurité plus faibles. En revanche, les services du niveau 4 sont à faible sécurité et sont les services les moins intensifs et les moins spécialisés parmi ceux dispensés en établissement fermé. Ils sont désignés pour préparer les utilisateurs de services à transitionner dans la communauté, par exemple en travaillant la prévention des rechutes et les compétences à la vie autonome.

La moitié inférieure de la pyramide (niveaux 1-3) représente un continuum de soins dans la communauté qui répond adéquatement aux besoins des utilisateurs de services en termes de besoins cliniques et criminogènes. Le niveau 3 représente les services en communauté de haute intensité, susceptibles d’inclure des environnements de vie structurés (p. ex. logement assisté, résidences) en combinaison avec des approches de suivi et traitement en communauté offertes par des équipes multidisciplinaires, spécialisées en santé mentale forensique. Le plus faible niveau d’intensité de services en communauté requiert le plus faible niveau de spécialisation et se concentrerait sur la continuité des soins avec le système de santé mentale général.

Adéquation des services aux besoins

Une partie intégrante du modèle multiniveaux ou modèle hiérarchisé-équilibré est le principe que les systèmes sont mieux organisés de façon à permettre aux individus d’accéder à un éventail de services en fonction de leurs besoins (National Treatment Strategy Working Group, 2008 ; Thornicroft et Tansella, 2003 ; World Health Organization, 2003). Un système qui offre des services adaptés aux besoins individuels, aussi connu sous le nom de « soins par palier », peut efficacement répondre à différents niveaux de chronicité, d’acuité et de complexité de la maladie, tout en étant flexible à l’évolution des besoins des personnes (Bower et Gilbody, 2005 ; Rush, 2010). Dans le cas de la santé mentale forensique, la composante de facteurs criminogènes et de risque de violence ajoute un niveau de complexité, mais aussi de besoins à prendre en compte. Des évaluations complètes et régulières des besoins afin d’orienter les patients vers les services (types et intensité) pertinents sont une caractéristique essentielle d’un système organisé autour d’une approche de soins par palier (Goldman et coll., 2000). Un système bien conçu offre aux individus les interventions les moins restrictives, intensives, intrusives et onéreuses, et permet aux patients de transférer d’un palier d’intensité à l’autre, selon l’évolution de leurs besoins (McDaid et Thornicroft, 2005 ; Von Korff et Tiemens, 2000).

Ces principes du système sont alignés avec les pratiques d’intervention en milieu correctionnel basées sur les données probantes (Andrews et Bonta, 2010 ; Lipsey et Cullen, 2007 ; Prins et Draper, 2009 ; Romani, Morgan, Gross et McDonald, 2012), dans un contexte où le milieu correctionnel prend de plus en plus d’ampleur auprès des personnes ayant des troubles mentaux qui ont des démêlés avec la justice (Morgan et coll., 2020 ; Skeem et coll., 2015). Le modèle risque-besoins-réceptivité (risk-need-responsivity ; RNR, Andrews, Bonta et Hoge, 1990 ; Andrews, Bonta et Wormith, 2011) suggère que l’intensité des services devrait être cohérente avec le niveau de risque de récidive de la personne et donc que les services institutionnels intensifs devraient être réservés aux personnes à haut risque (principe du risque). Les services devraient également cibler et répondre aux besoins criminogènes – les facteurs de risque dynamiques réputés être prédicteurs de récidive (principe des besoins). De plus, les interventions devraient être orientées vers des stratégies cognitivo-comportementales et prendre en compte le style d’apprentissage, la motivation, les habiletés et les forces des utilisateurs de services (principe de la réceptivité). Un autre modèle théorique pertinent, développé par Prins et Draper (2009) et repris par d’autres chercheurs (Osher et coll., 2012 ; Skeem et coll., 2011), applique les principes du RNR à la gestion des individus ayant un trouble mental au sein des services correctionnels communautaires par exemple. Ce cadre propose que les besoins criminogènes et les déficits en fonctionnement devraient déterminer l’intensité des services judiciaires et de santé mentale, et le degré de coordination entre eux.

Un système de santé mentale forensique organisé selon le modèle multiniveaux et le cadre théorique de Pins et Draper (2009) comprendrait des regroupements de services ayant des interventions thérapeutiques et mesures de sécurité distinctes afin de cibler différents groupes selon leur profil de risque et de besoins, tel que présenté dans le tableau 3.

Les services forensiques en milieu institutionnel (niveaux 4 et 6) sont appropriés pour les utilisateurs de services dont le risque criminogène est jugé comme étant modéré à élevé, ainsi que ceux ayant des problèmes de santé mentale et d’usage de substances importants, et qui sont donc plus susceptibles de bénéficier de services forensiques hautement spécialisés. Les services dans la communauté seraient, quant à eux, plus appropriés pour les utilisateurs de services à faible ou moyen niveau de risque criminogène et ayant des besoins cliniques faibles à modérés, en adaptant le degré de spécialisation des services. Par exemple, les personnes vivant dans la communauté et ayant des besoins criminogènes moyens ou élevés pourraient bénéficier de services spécialisés, comme les équipes de suivi intensif forensique (Forensic Assertive Community Treatment) (Goulet et coll., 2021).

L’intégration des systèmes

Les utilisateurs de services forensiques doivent accéder à différents systèmes et sous-systèmes afin que leurs besoins multiples soient tous satisfaits. Plusieurs obstacles font en sorte que les services ne peuvent atteindre un niveau optimal d’intégration et de coordination, dont des structures de financement fragmentées. La complexité des problèmes sociaux, psychiatriques, d’addictions et de justice criminelle et civile (consentement aux soins p. ex.) présents au sein de la population de santé mentale forensique pose des défis pour la coordination et l’intégration des services. Cette situation est aggravée par le fait que les personnes ayant un trouble mental et des comportements perçus comme dérangeants ou agressifs sont souvent rejetées par les services, leurs besoins étant jugés trop complexes (Wolff, 2002).

Recevoir les soins de différents systèmes, ou différentes composantes d’un système est hautement problématique pour une population ayant de nombreux besoins complexes concomitants et ayant vécu des ruptures sociales importantes, des traumas multiples et des trajectoires de soins interrompues. Un principe fondamental pour l’organisation efficace des services de santé mentale et d’addictions est que les systèmes soient être intégrés (Craven et Bland, 2006 ; Thornicroft et Tansella, 2003). Dans le contexte de la santé mentale forensique, l’intégration des systèmes vise à assurer une continuité de services à l’intérieur de, et entre, les systèmes de santé mentale, d’addictions, de justice criminelle, correctionnelle, de programmes de logement et autres secteurs essentiels. L’objectif de cette intégration est d’encourager la prestation de services continue, de promouvoir l’efficacité, d’optimiser les ressources limitées et d’améliorer les résultats, tant pour les individus que pour les systèmes. L’intégration des systèmes est promue à travers des structures et des processus qui facilitent les collaborations, les partenariats et la communication entre les professionnels et les agences.

Des modèles d’intégration entre les services de santé mentale, de justice criminelle et de soutien en communauté ont été développés (Lamberti et coll., 2011 ; Osher et coll., 2012 ; Weisman et coll., 2004). Cette synthèse de systèmes forensiques montre également que les juridictions à travers le monde ont tenté d’intégrer les systèmes de différentes façons, afin de répondre aux besoins de leurs utilisateurs. Un aspect de l’intégration des systèmes est la coordination et la création de réseaux entre les différentes composantes du continuum de services de santé mentale, d’usage de substances et correctionnel. L’intégration entre les milieux fermés et communautaires est également essentielle pour que les services de santé mentale forensiques soient dispensés de façon efficace et utile. Des occasions de collaboration multisystémique et d’intégration entre les systèmes existent à de multiples points du modèle multiniveaux. Ainsi, les besoins des utilisateurs de services forensiques aux niveaux les plus faibles (p. ex. 1 ou 2) pourraient être pris en compte par le système de santé mentale générale, puisque le besoin pour des services forensiques spécialisé a possiblement déjà été considéré (Humber et coll., 2011). Cette approche a par ailleurs été adoptée par plusieurs pays. L’intégration des stratégies de gestion de risque et le transfert des compétences et de l’expertise forensique dans le système de santé générale afin de permettre à davantage d’utilisateurs de services de santé forensique de transitionner vers le système de santé mentale général lorsqu’approprié. Cela a plusieurs avantages, dont faire de la place dans le système forensique à sécurité plus élevé et éviter de limiter la liberté des utilisateurs de services lorsque non nécessaire.

Conclusion

Notre synthèse internationale révèle que plusieurs options existent pour l’organisation des systèmes de santé mentale forensique. En plus de différences populationnelles, les modèles varient en termes de degré auquel les services sont intégrés avec les autres secteurs, comme les systèmes de santé mentale générale, non forensiques, les services d’addictologie ainsi que le système correctionnel. Une approche, que nous appelons l’approche « spécialisée », offre des services de santé mentale forensique spécialisés à tous les utilisateurs tout au long de leurs trajectoires de soins en milieu fermé (p. ex. hôpital forensique) et dans la communauté (p. ex. soins ambulatoires forensiques). En contraste, un modèle « mixte » permet l’accès aux soins spécialisés selon les besoins, et donc certains utilisateurs de services (p. ex. risque modéré à élevé) reçoivent des services spécialisés en santé mentale forensique, alors que les autres reçoivent des services en hôpital ou en communauté au sein du système de santé mentale général. Ce modèle vise à adapter les soins (spécialisés vs intégrés) aux besoins individuels, ce qui est consistant avec les principes du modèle multiniveaux. Finalement, dans le modèle « général » les utilisateurs de services forensiques reçoivent les services soit entièrement (p. ex. communauté et hôpital) ou partiellement (p. ex. communauté seulement) dans le système de santé mentale général – une organisation des services qui dépend habituellement des ressources disponibles plutôt que des besoins des personnes. En théorie, ces différentes stratégies d’intégration ont chacune des forces et des faiblesses, mais leur relative efficacité requiert davantage de recherches.

Tableau 1

Aptitude à subir son procès et défense fondée sur les troubles mentaux, selon le pays

(Asokan, 2014 ; Chadda, 2013 ; Jagadisha et coll., 2000 ; Nambi, 2010)

Aptitude à subir son procès et défense fondée sur les troubles mentaux, selon le pays

Tableau 1 (continuation)

Aptitude à subir son procès et défense fondée sur les troubles mentaux, selon le pays

Tableau 1 (continuation)

Aptitude à subir son procès et défense fondée sur les troubles mentaux, selon le pays

Tableau 1 (continuation)

Aptitude à subir son procès et défense fondée sur les troubles mentaux, selon le pays

nd : indique que l’information n’était pas disponible ou pas explicitement spécifiée dans la littérature. Les textes suivants ont également été utiles pour plusieurs pays : (Priebe et coll., 2008b ; Salize et coll., 2005 ; Simon et Ahn-Redding, 2006).

Note. TP : troubles de la personnalité ; QLD : Queensland ; NSW : New South Wales ; VIC : Victoria ; TAS : Tasmania ; NT : Northern Territory ; SA : South Australia ; WA : Western Australia.

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Tableau 2

Dispositions liées à la libération de l’hôpital, par pays

Dispositions liées à la libération de l’hôpital, par pays

Tableau 2 (continuation)

Dispositions liées à la libération de l’hôpital, par pays

Tableau 2 (continuation)

Dispositions liées à la libération de l’hôpital, par pays

nd : indique que l’information n’était pas disponible ou pas explicitement spécifiée dans la littérature.

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Tableau 3

Clientèle ciblée par niveau de services

Clientèle ciblée par niveau de services

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