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INTRODUCTION

Depuis quelques années, dans la plupart des pays occidentaux, les services de santé mentale comportent des services spécialisés destinés aux personnes présentant un premier épisode de psychose (PEP). Divers essais cliniques ont démontré que ces services spécialisés permettent de réduire les symptômes et la durée d’hospitalisation, ainsi qu’une meilleure évolution psychopathologique et sociale des patients, comparativement aux services psychiatriques traditionnels. Toutefois, si ces services spécialisés ont la potentialité d’identifier rapidement les patients présentant un risque d’Agression Physique (AP), ils n’ont pas encore intégré dans leur programme de traitement des interventions qui permettent d’évaluer ce risque et de le prévenir (Hodgins, 2017 ; Hodgins et Klein, 2017 ; Hodgins et coll., 2013). En effet, le développement de ce type de pratiques dans les prises en charge spécialisées pourrait améliorer la vie des patients, les aider à prévenir les situations à risque de violence ou de victimisation, et à devenir plus indépendants ; ces pratiques pourraient aussi permettre de prévenir les longs séjours au sein des structures de psychiatrie légale ou dans les établissements correctionnels, et favoriseraient la protection des personnes qui peuvent être victimes des agressions.

L’objectif de cet article est de recenser les principales connaissances portant sur les personnes développant ou présentant une psychose, en particulier une schizophrénie, et qui présentent un risque d’AP, de comportements antisociaux, et/ou criminels, ainsi que les facteurs qui y sont associés ; puis, les interventions efficaces afin de réduire et de prévenir ces comportements.

MÉTHODE

Cet article se fonde sur une recension des écrits scientifiques, fondés sur des méthodologies de recherche robustes et comprenant les études, les revues de la littérature, ainsi que les méta-analyses publiés en français ou en anglais. Les travaux analysés portent sur 4 domaines de recherche : 1) les agressions physiques et la criminalité de personnes présentant des troubles mentaux graves, une schizophrénie, ou un premier épisode de psychose ; 2) les agressions physiques et la criminalité des personnes suivies dans le cadre des services de prise en charge d’un premier épisode de psychose ; 3) les profils de patients et facteurs associés aux agressions physiques et à la criminalité ; 4) les évaluations et les essais randomisés portant sur des interventions qui visaient à réduire les agressions physiques et/ou la criminalité chez des personnes présentant des troubles mentaux graves, une schizophrénie, ou un premier épisode de psychose. Alors que nos conclusions portent sur toutes les études, revues, et méta-analyses qui ont été recensées, dans cet article nous décrivons seulement les études les plus importantes et nous citons des recensions des écrits qui portent sur d’autres recherches.

RÉSULTATS

Schizophrénie, agression physique, comportements antisociaux et criminalité

Les résultats d’études rigoureuses confirment que les personnes présentant une schizophrénie, ainsi que celles qui sont en train de développer la maladie, sont plus à risque de commettre des APs, comparativement aux personnes qui ne présentent pas de troubles mentaux. Certaines de ces APs conduisent à des condamnations judiciaires pour crimes. Il existe un risque important de commettre des crimes non violents, un risque plus élevé de commettre des crimes violents et un risque plus grand de commettre des homicides, chez les personnes en phase précoce de psychose ou avec un diagnostic de schizophrénie, par rapport à la population générale dans laquelle elles vivent. Dans cette population, il convient de noter que les facteurs liés aux crimes violents et aux APs sont similaires (Hodgins et Klein, 2017 ; Hodgins et coll., 2013).

Trois quarts des délinquants souffrant de schizophrénie ont commis des infractions avant leur premier contact avec les services de santé mentale (Wallace et coll., 2004). Une méta-analyse a montré que 35 % des personnes qui ont contacté ces services pour un PEP avaient déjà commis au moins une AP (Large et Nielssen, 2011), et des études ultérieures sur des échantillons de patients présentant un PEP ont démontré des taux similaires (Coid et coll., 2013 ; Winsper, Singh, et coll., 2013). Une autre méta-analyse dévoilait que le risque d’homicide était 15,5 fois plus élevé chez les personnes qui n’étaient pas traitées et lors d’un PEP, par rapport à la population générale (Nielssen et Large, 2010). Ainsi, lors d’un PEP, certains patients présentent déjà une histoire d’AP, de comportements antisociaux et de criminalité qui pourrait être identifiée afin de mettre en place des interventions en vue de prévenir des agressions ultérieures. De plus, d’un autre point de vue, les travaux ont montré que parmi les adolescents délinquants (Gosden et coll., 2005) et les personnes qui présentent des troubles des conduites (Hodgins et coll., 2016), entre 4 et 7 % des personnes sont susceptibles de développer une schizophrénie.

Services spécialisés pour les patients présentant un PEP et agression physique, comportements antisociaux et/ou criminalité

La réalisation d’un essai clinique randomisé permet d’étudier les effets des interventions dispensées dans les services spécialisés sur la prévention des APs, des comportements antisociaux et de la criminalité. Une telle étude a été menée au Danemark (Stevens et coll., 2013) auprès de 547 patients PEP qui ont été assignés au hasard à un programme de suivi intensif dans la communauté (incluant une implication de la famille et une formation portant sur les habiletés sociales, avec un ratio personnel/patients de 1/10) et un traitement communautaire traditionnel (ratio personnel/patients de 1/25). Tous les patients recevaient un traitement antipsychotique. Au terme de 24 mois, les patients qui participaient au programme intensif ont présenté des niveaux plus bas de symptômes positifs et négatifs, d’abus de substance, de dosages de médication antipsychotique, et des niveaux d’adhésion au traitement plus élevé que les patients recevant des soins traditionnels. Une évaluation après 5 ans a montré qu’il n’y avait pas de différences entre les deux groupes, alors que les patients ayant participé au programme intensif avaient passé moins de temps à l’hôpital que les autres. Les dossiers criminels de l’âge de 15 ans jusqu’à 5 ans après le début des traitements ont été examinés. Avant le début du traitement, 32 % de ceux ayant participé au programme intensif et 33 % de ceux du programme traditionnel avaient déjà une condamnation, dont 8 % dans chaque groupe pour un crime violent. Vingt-quatre mois après le début du traitement, 12 % des patientes des 2 groupes avaient acquis une condamnation et 3 % pour un crime violent. Au terme de 5 ans, 19 % de tous les patients ayant participé au programme intensif avaient été condamnés, dont 5 % pour violence, et parmi tous les patients du service traditionnel 20 % avaient été condamnés, dont 6 % pour violence. De plus, il n’y avait pas de différence dans le nombre de crimes commis par les patients dans les 2 groupes. Les auteurs ont mentionné que trois quarts des patients condamnés durant les cinq années de l’étude avaient été déjà condamnés au début du traitement, un résultat en lien avec ceux d’autres études (Large et Nielssen, 2011).

Ainsi, pour les patients présentant un PEP, un programme de suivi intensif dans la communauté qui n’a pas inclus d’interventions visant spécifiquement à réduire les APs et/ou les comportements antisociaux, a permis une évolution positive des troubles psychotiques, mais n’a pas permis de prévenir la criminalité. Ces résultats sont semblables à ceux qui ont souligné la nécessité d’identifier les patients à risque d’AP et d’ajouter aux traitements traditionnels pour la schizophrénie, des interventions visant spécifiquement à réduire l’AP et les comportements antisociaux (Hodgins et Müller-Isberner, 2000 ; Hodgins et coll., 2007 ; Huda, 2005). Une étude récente (Pollard et coll., 2020) montre qu’un programme pour PEP, comparativement aux services psychiatriques traditionnels, a réussi à réduire la criminalité, en dépit du fait que le programme ne comprenait pas d’interventions visant les APs ou les comportements antisociaux. Le résultat est questionné du fait du nombre réduit de participants, au total 117 patients, et du fait que les dossiers criminels n’ont pas répertorié les délits commis avant l’âge de 18 ans, ni ceux commis en dehors de l’État étudié (Connecticut).

Conclusion. La recension des écrits démontre la forte prévalence des APs, des comportements antisociaux et de la criminalité chez les personnes traversant un PEP, et le fait que chez nombre de patients, ces comportements étaient présents avant le PEP, et persistaient après. De manière plus générale, les services spécialisés destinés aux PEP n’ont pas encore considéré ces informations, et ne comportent pas de procédure pour identifier les patients ayant une histoire d’APs, ni d’évaluation valide du risque d’AP qui mettrait en évidence les facteurs individuels majorant ou diminuant ce risque.

Profils de patients et facteurs de risque d’agression physique, de comportements antisociaux et de criminalité

Les travaux de recherche distinguent 2 groupes chez les patients auteurs d’APs avant l’apparition du PEP. Le premier groupe est constitué de patients présentant des Troubles des Conduites[2] dans l’enfance. Les études rapportent que 20 % à 40 % des hommes et des femmes atteintes de schizophrénie ont présenté un trouble des conduites dans l’enfance (Hodgins et coll., 2014). Ce groupe de patients est celui qui est susceptible de commettre le plus de délits (Hodgins, 2008 ; Hodgins, Calem, et coll., 2011 ; Hodgins et coll., 2008 ; Hodgins et coll., 2014). Leurs types de comportements antisociaux, d’AP, et de criminalité restent relativement stables avant et après le PEP (Dantchev et coll., 2018 ; Manninen et coll., 2019). Par exemple, la figure 1 illustre les résultats d’une étude menée auprès de 248 hommes atteints de schizophrénie. Elle montre que le nombre de symptômes des troubles des conduites durant l’enfance était positivement et linéairement associé au nombre de condamnations pour des crimes violents et non violents, même en contrôlant l’abus de substances. Cette même étude a démontré une association similaire entre le nombre de symptômes des troubles des conduites et les APs (Hodgins et coll., 2005). Des études ultérieures ont confirmé ces résultats (Hodgins et coll., 2008 ; Swanson, Van Dorn et coll., 2008). Au sein du groupe de personnes avec un diagnostic de schizophrénie, celles qui ont présenté des troubles des conduites durant l’enfance présentent les mêmes profils de symptômes psychotiques que celles qui n’ont pas d’histoire de troubles des conduites (Moran et Hodgins, 2004), mais elles démontrent moins de diminution des symptômes positifs en réponse aux traitements antipsychotiques (Swanson, Swartz et coll., 2008) ; à l’exception des traitements à la clozapine qui sont associés à une réduction des symptômes positifs et des APs (Krakowski, Tura et Czobor, 2021). Le groupe ayant eu des troubles des conduites présentait des anomalies distinctes de structure et de fonctionnement cérébral (en plus de celles associées à la schizophrénie), qui pourraient être en lien avec les comportements antisociaux et les agressions (Schiffer et coll., 2013 ; Schiffer et coll., 2017). Ainsi, lors d’un PEP, les patients qui présentent le plus haut risque d’AP, de comportements antisociaux, et/ou de criminalité sont ceux présentant une histoire de troubles des conduites depuis un jeune âge.

Figure 1

Le nombre de délits non violents et violents selon le nombre de symptômes de Trouble des Conduites avant 15 ans

Le nombre de délits non violents et violents selon le nombre de symptômes de Trouble des Conduites avant 15 ans

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Un deuxième groupe de personnes, avec un diagnostic de schizophrénie, qui commet des délits et/ou s’engage dans des APs avant un PEP, ne présente pas d’antécédents de trouble des conduites pendant l’enfance ou l’adolescence. Peu de connaissances sont disponibles sur les facteurs liés aux APs dans ce groupe. Une hypothèse suggère que les APs constitueraient une réponse à une augmentation de l’anxiété et des symptômes positifs (Hodgins et coll., 2014), reflétant une augmentation de la production de dopamine qui conduit à une dérégulation des systèmes de stress (Pruessner et coll., 2017) qui précède un PEP. Les résultats d’un essai clinique randomisé portant sur l’effet de la médication antipsychotique sur les agressions ont montré que l’observance du traitement antipsychotique était associée à une réduction des agressions seulement dans ce dernier groupe de patients, sans histoire de troubles des conduites (Swanson, Van Dorn et coll., 2008).

Les liens entre les symptômes positifs et les APs, les comportements antisociaux et la criminalité

Si les APs ont souvent été associées aux symptômes positifs, ce lien doit être analysé avec plus de nuances. Les travaux démontrent que l’association entre symptômes positifs et APs diffère selon la phase de la maladie (Hodgins et Riaz, 2011). Lors des phases aiguës, les symptômes positifs et la désorganisation sont étroitement liés à l’AP (Krakowski et Czobor, 2014). Cependant, peu de temps après le début de la médication antipsychotique, les APs diminuent de façon importante, et d’autres facteurs tels que l’âge, le sexe, les troubles des conduites durant l’enfance, les abus de substances, la victimisation et des dysfonctionnements des processus émotionnels y sont associés (Hodgins et Riaz, 2011).

Lorsque des personnes présentant une schizophrénie vivent dans la communauté, plus d’APs sont observées lors des périodes où elles ne prennent pas de traitement pharmacologique comparativement aux périodes où elles en prennent (Fazel et coll., 2014). Une étude sur un échantillon de personnes présentant un PEP a rapporté que lors d’une phase aiguë de psychose, la colère résultant de délires de persécution était associée à l’AP (Coid et coll., 2013) et une étude, portant sur des détenus atteints de schizophrénie qui n’étaient pas traités, a démontré un lien entre les délires de persécution et l’AP (Keers et coll., 2014).

En plus des différences relatives aux stades de la maladie, il existe des différences en fonction des sous-groupes de patients. Dans le profil de patients qui présentent des troubles des conduites précoces et des comportements antisociaux, les APs peuvent être exacerbées par les symptômes positifs, mais ces symptômes ne sont pas liés aux APs, et les médications antipsychotiques, autre que la clozapine (Krakowski, Tura et Czobor, 2021 ; Swanson, Swartz, et coll., 2008), ne permettent pas de les réduire sensiblement, car ces APs sont plus étroitement liées à d’autres facteurs (Hodgins et Riaz, 2011).

Autres facteurs associés aux agressions physiques, aux comportements antisociaux et à la criminalité

Des évidences suggèrent que plusieurs autres facteurs, présents au moment du PEP, favorisent les APs dans les deux sous-groupes présentés, mais de manière différente.

L’abus de substance. L’abus de substance favorise l’AP chez les personnes présentant ou développant une schizophrénie, avant et après le début du traitement (Fazel et coll., 2009 ; Langeveld et coll., 2014 ; Large et Nielssen, 2011 ; Swanson et coll., 2006 ; Tiihonen et coll., 1997 ; Van Dorn et coll., 2012 ; Witt et coll., 2013). Typiquement, les patients ayant une histoire de troubles des conduites commencent à consommer des substances au début de l’adolescence, et l’abus fait partie intégrante d’un style de vie « antisocial », incluant la fréquentation de pairs aux comportements antisociaux et parfois délinquants (Malcolm et coll., 2011). Par contre, les patients n’ayant pas d’histoire de troubles des conduites peuvent débuter leur consommation d’alcool et/ou de drogues afin d’atténuer l’anxiété et les symptômes positifs, au fur et à mesure de leur augmentation, dans les mois précédant le PEP (Hodgins et coll., 2014).

Dans de nombreux pays occidentaux, le cannabis a remplacé l’alcool comme drogue de prédilection. Chez les patients présentant un PEP, ceux ayant une histoire de troubles de conduites débuteraient leur consommation au début de l’adolescence (Malcolm et coll., 2011 ; Moulin et coll., 2020), alors que d’autres patients débuteraient l’usage plus tardivement à l’adolescence. Une récente méta-analyse (Dellazizzo et coll., 2019) portant sur les personnes ayant un trouble mental grave a montré que les APs étaient 3 fois plus élevées en cas de consommation de cannabis et presque 6 fois plus élevées en cas d’abus de cannabis. Comme l’ont noté les auteurs de cette méta-analyse, les résultats peuvent masquer des mécanismes distincts, selon lesquels l’abus de substances fait partie intégrante de la vie de ceux qui présentent un comportement antisocial, tandis que, pour d’autres, l’augmentation des APs peut être associée aux tentatives de réduire les symptômes positifs (Dellazizzo et coll., 2019). Lors d’un PEP, il est estimé qu’entre 29 % et 38 % (Myles et coll., 2016) des patients consomment du cannabis et entre 44 et 64 % chez les patients auteurs d’APs (Harris et coll., 2010 ; Hodgins, Calem et coll., 2011 ; Moulin et coll., 2020 ; Moulin, Baumann, et coll., 2018 ; Rolin et coll., 2018). L’usage de cannabis est associé aux APs graves (Harris et coll., 2010 ; Moulin, Baumann et coll., 2018), même après avoir pris en compte des facteurs de confusion tels que la consommation d’autres substances et des facteurs psychopathologiques (Moulin, Baumann et coll., 2018). La trajectoire de consommation, sa persistance et la dose consommée (Beaudoin et coll., 2019 ; Dellazizzo et coll., 2019 ; Dugré et coll., 2017 ; Schoeler et coll., 2016) seraient des variables importantes dans l’association entre l’abus de cannabis et les APs. Cette association serait potentialisée par la précocité de la consommation (Moulin et coll., 2020). Ainsi, l’abus de substance est associé à une augmentation du risque d’AP, qui s’ajoute au risque d’AP qui est associé à la pathologie schizophrénique.

Traitement et reconnaissance des émotions. Un autre facteur associé aux APs chez les personnes atteintes de, ou développant une schizophrénie est la difficulté à reconnaître les émotions qui se manifestent sur le visage d’autrui, en particulier la peur et la colère (Frommann et coll., 2009 ; Fullam et Dolan, 2006 ; Weiss et coll., 2006). Cette difficulté, présente chez les personnes développant une schizophrénie (Addington et coll., 2008), existe aussi au sein de leur fratrie sans trouble schizophrénique (Schneider et coll., 2006), ainsi que chez les enfants présentant des troubles des conduites et chez leurs frères et soeurs ne présentant pas ce trouble (Sully et coll., 2015). De nombreuses informations sont communiquées par les émotions exprimées par les visages, et il est probable que les personnes développant une schizophrénie ne les repèrent pas ou les interprètent mal, ce qui augmenterait la peur et pourrait déclencher les AP afin de se protéger.

L’impulsivité. Parmi les personnes présentant un PEP ou une schizophrénie, de hauts niveaux d’impulsivité sont liés aux APs (Hoptman, 2015 ; Joyal et coll., 2011 ; Krakowski et Czobor, 2018 ; Moulin, Golay et coll., 2018 ; Nolan et coll., 1999 ; Verma et coll., 2005), de manière directe et/ou indirecte (Bjørkly, 2013 ; Moulin, Golay et coll., 2018), médiatisées et potentialisées par la consommation de substances ou sa dépendance (Bjørkly, 2013), en particulier la consommation de cannabis (Harris et coll., 2010 ; Moulin, Baumann et coll., 2018). De plus, les traits d’impulsivité qui prédisposent à la consommation de substances peuvent être exacerbés par l’abus chronique et cet abus peut exacerber l’impulsivité (Abdel-Baki et coll., 2013 ; Chanut, 2013 ; Le Moal et Koob, 2007). L’impulsivité caractérise surtout les personnes atteintes de, ou développant une schizophrénie qui ont une histoire de trouble des conduites à l’enfance et un trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte (Volavka et Citrome, 2011).

Le manque d’insight. Une proportion élevée de patients traversant un PEP (Conus et coll., 2007 ; Saeedi et coll., 2007) présentent un faible insight, c’est-à-dire une faible prise de conscience de souffrir d’une maladie, de ses conséquences, et de la nécessité d’un traitement, ce qui peut avoir des effets négatifs (Elowe et Conus, 2017 ; Klaas et coll., 2017) sur l’adhésion au traitement (Buckley et coll., 2007), la sévérité de la psychopathologie (Kemp et Lambert, 1995) et les potentialités de fonctionnement psychosocial (Lincoln et coll., 2007). En conséquence, un accompagnement psychoéducatif est indiqué et a démontré ses effets positifs (Amador et coll., 1994). Toutefois, le lien entre le manque d’insight et l’AP n’est pas clairement établi, un manque de consensus demeure. Des travaux confirment un lien direct (Foley et coll., 2005 ; Verma et coll., 2005), d’autres des effets indirects, ou seulement dans des sous-groupes de patients (Moulin, Alameda et coll., 2019 ; Moulin, Palix et coll., 2019), alors que d’autres études montrent l’absence de liens (Large et coll., 2011), voir un effet opposé (Large et Nielssen, 2011) dans le sens où le fait de disposer d’un bon niveau d’insight pourrait susciter des réactions agressives et de la dépression par rapport à l’apparition de la maladie et à ses conséquences (Moulin, Palix et coll., 2018).

La victimisation[3]. Les études ont démontré qu’une proportion élevée de personnes qui développent une schizophrénie ont été victimes de maltraitance dans l’enfance (Varese et coll., 2012). Ces patients, ainsi que d’autres, sont souvent victimes d’AP (Khalifeh et coll., 2015). De plus, une étude portant sur un échantillon d’environ 3 millions de Suédois a démontré que les victimisations physiques déclenchent les APs dans les heures et jours qui suivent leur survenue, en particulier chez les personnes atteintes de schizophrénie (Sariaslan et coll., 2016).

Conclusion. La recension des écrits démontre que chez les personnes qui développent ou présentent une schizophrénie, les APs et la criminalité sont associées à des caractéristiques individuelles, tels qu’un ensemble de comportements antisociaux depuis l’enfance, des abus de substance – en particulier l’abus de cannabis –, de l’impulsivité, une difficulté à reconnaître les émotions exprimées sur les visages, et les victimisations physiques. Toutes ces caractéristiques individuelles, comportementales, et les expériences de vie pourraient être repérées lors d’un PEP.

Prévenir les agressions physiques, les comportements antisociaux et la criminalité au sein des services spécialisés pour les premiers épisodes de psychoses

Les travaux de recherche démontrent que les prises en charge efficaces des troubles psychotiques devraient inclure un traitement pharmacologique antipsychotique, le plus souvent à long terme ; un accompagnement psychoéducatif en lien avec la maladie, et des programmes cognitivo-comportementaux qui visent l’apprentissage des habiletés de vie et des habiletés sociales (Kane et coll., 2016). Les patients peuvent également bénéficier des programmes de réhabilitation cognitive (McGurk et coll., 2007 ; Wykes et coll., 2011) et des programmes de soutien dans les habiletés relatives à la recherche d’emploi ou au maintien d’un emploi (Mahmood et coll., 2019).

Afin de sélectionner la médication optimale (Krakowski, Tura et Czobor, 2021) et les traitements cognitivo-comportementaux visant à réduire les APs, il faudrait évaluer si le patient présente une histoire de trouble des conduites et d’AP, sa sévérité et son âge d’apparition. Le patient lui-même, sa fratrie et ses parents constituent des sources valides de renseignements sur l’enfance et l’adolescence du patient (Bruce et coll., 2014). La consultation des dossiers judiciaires (délinquance juvénile et criminalité adulte) pourrait être très utile pour compléter l’analyse du risque présenté.

À côté de ces interventions, les services spécialisés dans le suivi des PEP devraient également évaluer et intervenir sur les APs et les comportements antisociaux afin de permettre aux patients de vivre dans la communauté de façon indépendante. Alors que différents programmes cognitivo-comportementaux ont démontré leur efficacité (Cullen et coll., 2012a, 2012b ; Kolla et coll., 2013 ; Purcell et coll., 2012 ; Young et coll., 2016), il y a encore peu de connaissances sur la manière de garantir la participation des patients à ces interventions (Hodgins, Carlin et coll., 2011), sur la durée des changements induits, et sur l’ordre d’administration des interventions qui produiraient le meilleur résultat.

Lors d’un PEP, une fois que les symptômes positifs diminuent en réponse aux traitements pharmacologiques antipsychotiques, l’évaluation du risque d’AP pourrait être réalisée grâce à un instrument standardisé et validé, tel que la version 3 du Historical-Clinical-Risk-20 (Douglas et coll., 2014) (HCR-20). Le HCR-20 identifie les facteurs individuels qui augmentent et qui réduisent le risque d’AP. Le HCR-20 doit être rempli par un clinicien formé à l’utilisation de l’instrument qui connaît le patient et qui regroupe des informations sur le patient de la part de l’équipe soignante. Une telle évaluation à partir du HCR-20 pourrait être répétée (p. ex. tous les six mois), afin d’analyser l’évolution du risque dans le temps, en lien avec l’évolution du patient (p. ex. l’arrêt de l’abus de substance) et de ses conditions de vie (p. ex. l’interruption de la fréquentation d’un parc où le patient a été victime d’une agression).

Divers programmes cognitivo-comportementaux ont montré leur efficacité pour réduire les APs et les comportements antisociaux chez les personnes souffrant de schizophrénie (Cullen et coll., 2012a, 2012b ; Kolla et coll., 2013 ; Purcell et coll., 2012 ; Young et coll., 2016). La grande majorité des patients ayant une histoire de troubles des conduites, ou de délinquance, mais également d’autres patients sans antécédents délinquants, ont besoin d’une intervention qui vise à réduire l’abus de substance. Les programmes intégrés aux prises en charge pour les troubles psychotiques (Kavanagh et Mueser, 2007) ont démontré leur efficacité. Les tests objectifs pour évaluer l’usage des substances peuvent contribuer à réduire l’abus. Toutefois, le défi est de parvenir à favoriser l’engagement et l’adhésion des patients aux interventions cognitivo-comportementales. Les ordonnances de traitement communautaire constituent une stratégie efficace pour améliorer l’adhésion au traitement (Swartz et coll., 2017).

D’autres interventions cognitivo-comportementales permettent d’augmenter la capacité à reconnaître les émotions sur les visages d’autrui. Les patients qui en ont bénéficié ont montré moins d’AP consécutivement à l’intervention (Frommann et coll., 2009). L’évaluation des niveaux d’impulsivité, et les interventions afin de réduire cette impulsivité sont également nécessaires (Moulin, Baumann et coll., 2018 ; Moulin, Golay et coll., 2018), mais à ce jour aucune étude d’efficacité concernant une telle intervention n’a été publiée. De plus, il existe peu de travaux et de connaissances sur les stratégies et moyens de protéger les patients contre les victimisations, mais cette protection s’avère essentielle pour les patients et la prévention des APs. La question des violences subies devrait être abordée avec les patients afin de les aider à identifier les stratégies d’évitement des situations à haut risque, et d’aborder avec eux leurs expériences et vécus de victimisation afin de les accompagner dans ces situations et de prévenir les APs.

Un dernier défi à l’implantation d’interventions visant la prévention des violences au sein des services spécialisés, est de convaincre les professionnels qui accompagnent ces patients, qu’ils ne vont pas renforcer la stigmatisation ou l’autostigmatisation des personnes présentant une psychose, au travers d’évaluations et d’interventions visant la prévention des APs. Des études ayant montré que la pathologie et la délinquance constituent 2 sources de stigmatisation (Margetić et coll., 2008 ; Torrey, 2011), les professionnels du soin pourraient craindre que ce type d’intervention ait un impact négatif sur la perception du patient par lui-même (autostigmatisation), ses proches ou la société ; toutefois il convient de rappeler que la survenue d’agression est susceptible d’effets réels concernant la stigmatisation des patients. La sensibilisation des équipes soignantes sur l’importance de la prévention de ces comportements et leur formation à ce type pratique constitue un enjeu important dans une visée de prévention. Il conviendrait aussi de sensibiliser les proches des patients à la prévention des agressions, en particulier les situations de victimisation des patients.

CONCLUSION

Les services destinés aux personnes présentant un PEP parviennent à traiter efficacement les troubles psychotiques, mais ils ne préviennent pas encore les APs, les comportements antisociaux et la criminalité. Au moment d’un PEP, un nombre relativement important de patients ont déjà commis des APs et les recherches démontrent qu’il existe une forte probabilité que ces comportements perdurent, si des interventions de prévention ne sont pas mises en place. Un sous-groupe qui présente ces comportements depuis l’enfance, et qui persistent aux différents âges de la vie, présente les risques les plus élevés. Un autre sous-groupe commet des APs avant un PEP, en l’absence de tels comportements au préalable. L’abus de substances, et en particulier le cannabis, augmente les risques dans ces 2 sous-groupes. Chez ceux ayant une histoire de troubles des conduites, l’abus de substance fait partie intégrante, depuis le début de l’adolescence d’un style de vie « antisocial », alors que chez les autres, il s’agit d’une tentative de réduire l’anxiété et les symptômes positifs qui augmentent avant le PEP. D’autres facteurs tels que l’impulsivité et la difficulté à reconnaître les émotions favorisent les APs. Un outil tel le HCR-20, version 3, pourrait aider non seulement à identifier le niveau de risque présenté par le patient, mais aussi les facteurs qui augmentent et qui diminuent ce risque. De plus, les interventions cognitivo-comportementales qui ont démontré leur efficacité sont disponibles pour réduire les APs, les comportements antisociaux, et l’abus de substance ; elles permettent aussi d’augmenter les habiletés dans la reconnaissance des émotions sur le visage d’autrui. Cependant, le plus souvent, les patients qui pourraient bénéficier de ces interventions ne sont pas enclins à y participer. Les ordonnances communautaires pourraient être utilisées afin d’assurer la participation et l’engagement du patient, ainsi qu’un suivi intensif dans la communauté. Enfin, les travaux démontrent l’importance d’aider les patients à éviter les situations de victimisation délétères pour eux, et souvent suivies d’APs. L’ensemble des éléments évoqués pourrait activement participer à la prévention des APs et permettre aux patients d’éviter les longs séjours carcéraux ou en établissement de psychiatrique légale, mais aussi réduire la stigmatisation des patients liée aux violences commises et leur permettre de vivre de manière plus autonome dans la communauté.