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INTRODUCTION

Le trouble bipolaire s’avère une condition chronique qui se distingue par la présence d’épisodes thymiques récurrents oscillant entre 2 pôles ainsi qu’une évolution erratique jumelée à des symptômes résiduels qui interfèrent avec le fonctionnement (American Psychiatric Association, 2013). Au Canada, la prévalence à vie de ce trouble est d’approximativement 2 % (Coulthard, Patel, Brizzolara, Morriss et Watson, 2013 ; Schaffer, Cairney, Cheung, Veldhuizen et Levitt, 2006). L’ensemble des symptômes associés au trouble bipolaire entraîne de multiples conséquences dans la vie d’un individu. De plus, les coûts sociétaux associés à la maladie sont importants (Begley et coll., 2001 ; Bryant-Comstock, Stender et Devercelli, 2002).

Selon le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT), la pharmacothérapie est l’intervention de première ligne pour le traitement du trouble bipolaire (Yatham et coll. 2013). Toutefois, les effets de la pharmacothérapie seule semblent être limités. En ce sens, plusieurs auteurs affirment qu’une thérapie psychosociale complémentaire à la pharmacothérapie est non seulement appropriée, mais essentielle (Mirabel-Sarron et Giachetti, 2012 ; Miziou et coll., 2015 ; Scott et Colom, 2007). Parmi les interventions psychosociales efficaces, la psychoéducation serait un des traitements les plus utilisés dans le cadre de la gestion du trouble bipolaire (Batista et coll., 2011), présenterait plusieurs avantages et serait même décrite comme une composante essentielle de la gestion clinique du trouble bipolaire (Yatham et coll. 2009 ; Yatham et coll. 2013). Pour une recension complète des écrits sur l’efficacité de la psychoéducation, voir aussi Rouget et Aubry (2007), Provencher et coll. (2012), Bond et Anderson (2015) ainsi que Salcedo et coll. (2016).

Actuellement, 2 interventions psychoéducatives en format de groupe émergent et se distinguent des autres : le programme de Colom et Vieta (2006) et celui de Bauer et McBride (2001 ; 2003) : le Life Goals program (LGP) (Provencher et coll., 2012). Ce sont les 2 programmes psychoéducatifs qui présentent les meilleures données probantes en ce qui concerne leur efficacité telle qu’évaluée dans plusieurs études (Bond et Anderson, 2015). Par contre, malgré l’efficacité du programme de Colom et Vieta pour les troubles bipolaires plus sévères (Colom et coll., 2003 ; Colom et coll., 2004 ; Colom et coll., 2005), des caractéristiques comme le grand nombre de rencontres et les qualifications élevées requises pour les intervenants peuvent rendre la dissémination et l’implantation du programme plus difficilement envisageables (Provencher et coll., 2012).

Le LGP pallie ces limites, car il nécessite un moins grand nombre de rencontres (6 ou 7) et il peut être administré par différents intervenants en santé mentale (pas nécessairement des psychologues ou psychothérapeutes). La disponibilité d’un manuel de traitement en français qui est clair et concis contribue aussi à uniformiser et faciliter la dissémination du programme. Le LGP permet une réduction du nombre de semaines passées en épisodes thymiques, principalement pour la manie (Bauer et coll., 2006), et une diminution de la sévérité et du temps passé avec des symptômes maniaques (Simon et coll., 2006). Il permet aussi une amélioration du fonctionnement social (Bauer et coll., 2006), des habiletés de prévention, des capacités de gestion de la rechute (Aubry et coll., 2012 ; De Andrés et coll., 2006) et de la stabilité subjective de l’humeur (Aubry et coll., 2012 ; De Andrés et coll., 2006). Une perception positive du traitement est aussi remarquée chez les participants (Aubry et coll., 2012 ; Bauer et coll., 2006 ; De Andrés et coll., 2006). Ce programme représente un traitement bref et peu coûteux qui pourrait aider les patients avec un trouble bipolaire et aider le système de santé québécois à mieux composer avec la maladie en réduisant le fardeau associé à celle-ci (Provencher et coll., 2012).

La réalité clinique et l’écart recherche-pratique

Actuellement, malgré l’efficacité reconnue de la psychoéducation et de programmes comme le LGP, ce type d’intervention n’est pas facilement accessible dans les soins de santé courants (Coulthard et coll., 2013). La dissémination d’interventions reconnues comme efficaces pour la gestion du trouble bipolaire demeure donc un défi (Salcedo et coll., 2016). Plusieurs auteurs soulignent l’écart existant entre la recherche et la pratique clinique (Becker, Stice, Shaw et Woda, 2009 ; McHugh et Barlow, 2012 ; Provencher et coll., 2009 ; Sobell, 1996). Stirman, Crits-Christoph et DeRubeis (2004) parlent d’une « pensée magique » selon laquelle les pratiques soutenues empiriquement vont être adoptées par les milieux cliniques sans effort supplémentaire. La motivation des intervenants à adopter de nouvelles pratiques, la formation des intervenants, les coûts reliés ainsi que les barrières organisationnelles seraient également des facteurs responsables de cet écart (McHugh et Barlow, 2012).

McHugh et Barlow (2012) conçoivent cet écart comme un défi majeur pour le domaine des soins de santé et insistent sur l’engagement des intervenants comme variable essentielle. Quant à eux, Stirman et coll. (2004) considèrent la combinaison de recherche d’effectivité et de modèles de dissémination comme une solution. Les études d’effectivité sont conçues pour évaluer si les résultats observés dans un contexte plus contrôlé comme celui de la recherche peuvent se reproduire dans des conditions naturelles avec des échantillons de participants hétérogènes (Marchand, Stice, Rohde et Becker, 2011).

La science de dissémination et d’implantation vise également à combler cet écart recherche-pratique (McHugh et Barlow, 2012 ; Meyers, Durlak et Wandersman, 2012). Il ne semble toutefois pas y avoir consensus sur comment procéder au transfert des programmes basés sur les données probantes, sur les meilleures pratiques de dissémination et d’implantation de ces programmes (McHugh et Barlow, 2010). Plusieurs auteurs se penchent donc sur les facteurs favorisant l’implantation efficace d’un programme.

Implantation de programmes basés sur les données probantes au Québec

Dans cet ordre d’idées de transfert des programmes développés en recherche dans la réalité clinique, Provencher et coll. (2014) ont mené une étude afin d’évaluer l’efficacité pragmatique du LGP. Le programme a été implanté dans 3 milieux cliniques avec l’objectif d’évaluer s’il est possible d’implanter le LGP en milieu clinique tout en préservant l’efficacité du programme. De manière globale, les résultats sont encourageants. Les participants rapportent une amélioration des connaissances envers la maladie et une satisfaction élevée envers le programme. Ils rapportent aussi une meilleure acceptation émotionnelle et rationnelle de la maladie, une diminution des symptômes dépressifs et une tendance vers une amélioration des comportements concernant la médication. Par contre, bien que le contenu du programme semble avoir été fidèlement transmis, les auteurs observent certaines différences dans l’implantation entre les 3 milieux. Ceci semble avoir un impact sur l’apprentissage des connaissances sur le trouble bipolaire entre les milieux (voir Provencher et coll., 2014).

Objectifs et pertinence de l’étude

L’objectif de la présente étude est de documenter les variables contextuelles pouvant avoir eu une influence sur l’implantation du programme LGP tel que présenté dans l’étude de Provencher et coll. (2014). Ce type d’étude apporte des informations supplémentaires sur l’effectivité du programme et permet de constater comment un programme développé en recherche se transpose dans la réalité clinique.

MÉTHODE

Participants. Un total de 15 intervenants choisis par leur milieu respectif, soit le CSSS Québec-Nord, le CSSS Vieille-Capitale ou l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ), ont été inclus dans le projet initial. Ces intervenants ont offert le LGP à 73 patients atteints d’un trouble bipolaire (voir Provencher et coll., 2014).

Les 73 patients référés par leur médecin ont formé 17 groupes de psychoéducation. Les critères d’inclusion étaient : a) d’avoir un diagnostic médical de trouble bipolaire ; et b) être en accord pour participer au LGP dans un des 3 milieux de traitement entre septembre 2009 et décembre 2012. Les patients présentant des symptômes aigus (risque suicidaire, dépression, manie) ou un problème actuel d’abus de substances nécessitant une intervention immédiate n’ont pas pu participer à l’étude.

Les participants d’intérêt pour la présente étude sont les 15 intervenants qui ont administré le LGP. Selon le milieu de traitement, des différences sont observées sur différentes caractéristiques, soit l’âge des intervenants, la profession, le nombre d’années d’expérience, le degré de scolarité et la formation par rapport au LGP (voir le tableau 1).

Traitement. Le traitement s’échelonnait en 7 différentes sessions d’une durée variant entre 1 h 30 et 2 h. Chaque session était animée par 2 intervenants. La première session était dédiée à la présentation du programme, du déroulement des 7 séances, d’une introduction sur le trouble bipolaire et à une discussion sur les préjugés envers la maladie. Les 2 sessions suivantes (les sessions 2 et 3) abordaient la manie. Les participants apprenaient des informations sur les symptômes généraux, sur l’identification de leurs propres symptômes et sur les signes précurseurs afin de construire leur profil individuel de manie. Les 4e et 5e sessions portaient plutôt sur la dépression. La structure était la même que les 2 séances précédentes mise à part la production d’un profil individuel de dépression, cette fois-ci. La 6e session avait pour sujet les traitements alternatifs existants, l’importance d’un mode de vie sain et l’importance de la collaboration avec l’équipe de traitement. Cette session aboutissait à la création d’un plan de soins personnel. Pendant la 7e session, les proches des participants avaient l’occasion de se joindre au groupe pour assister à une synthèse des 6 dernières sessions et poser leurs questions.

Procédure. Le processus de formation initial prévoyait un enchaînement uniforme d’étapes. Selon ce processus, les intervenants devaient prendre part à une journée de formation portant sur le trouble bipolaire et sur le programme LGP, où ils recevaient le manuel de traitement ainsi que des outils cliniques utilisés pour l’animation du groupe. Les intervenants devaient également procéder à l’observation d’un groupe qui était en cours à l’IUSMQ pour ensuite être coanimateur d’un autre groupe dans leur milieu respectif avec l’intervenant de l’IUSMQ. Le traitement s’échelonnait en 7 différentes sessions d’une durée variant entre 1 h 30 et 2 h. Pour s’assurer de la fidélité du traitement, chaque session était décrite en détail dans un manuel de traitement et le contenu était divisé en points clefs et en objectifs à atteindre (Provencher et coll., 2007 ; Bauer et McBride, 2003). La figure 1 présente le niveau de fidélité de la transmission des points clefs, par rencontre et par milieu.

Instruments de mesure

Journal de bord. Il a été demandé aux intervenants de compléter un journal de bord à toutes les rencontres. Cet outil est composé de 3 parties, soit : 1) une section unique à chaque participant ; 2) une autre qui porte sur le déroulement de la rencontre qui se subdivise en « présentation du contenu », « objectifs de la rencontre » et « animation de la rencontre » ; et 3) une dernière sur l’expérience générale. Cet outil diffère dans son contenu en fonction de la rencontre, mais la structure de base reste la même. Cet instrument a été développé à partir de la grille de fidélité d’implantation du traitement présentée dans la 2e édition du manuel anglophone de Bauer et McBride (2003) pour ensuite être traduite et adaptée par l’équipe de recherche (Provencher et coll., 2007).

L’entrevue de groupe. Pour assurer une compréhension optimale de l’expérience des intervenants, une entrevue de groupe d’une durée d’une heure a été conçue et réalisée par la première auteure. Cette entrevue est de type semi-dirigé et comporte une vingtaine de questions (voir annexe 1). Tous les intervenants ayant administré le LGP ont été invités et 7 intervenants y ont participé au total. Les 3 milieux étaient représentés par les intervenants. Les autres intervenants n’ont pu participer à l’entrevue pour les raisons suivantes : décès de l’intervenant, congé de maternité, changement d’emploi, retraite ou raison inconnue. L’entrevue a été enregistrée et ensuite retranscrite.

Analyses

Dans un premier temps, les données concernant le degré de succès de l’implantation du programme publiées dans l’article de Provencher et coll. (2014) ont été rapportées comme base quantitative dans le présent article et ont été approfondies pour une compréhension optimale. Ainsi, un regard a été posé sur la fidélité de la transmission du contenu pour chacune des rencontres, et ce, sans égard au milieu d’implantation. Des moyennes ont été réalisées quant à la proportion de points clefs et d’objectifs présentés avec succès. La qualité d’animation du groupe a aussi fait l’objet d’un calcul pour obtenir un résultat moyen. Ces 3 résultats différents ont été mis ensemble pour déterminer une cote globale de qualité de l’implantation. Ensuite, une attention particulière a été portée à l’implantation du programme dans chacun des milieux, à l’aide des différents points mentionnés précédemment (points clefs, objectifs, qualité de l’animation) en soulevant les résultats divergents.

Par la suite, les commentaires des intervenants dans les journaux de bord et la discussion tenue lors de l’entrevue ont été analysés. La méthode employée est celle décrite par Blais et Martineau (2006), l’analyse inductive générale, qui s’apparente à une analyse de contenu. Pour documenter la mise en place du LGP et établir les facteurs contextuels qui peuvent sous-tendre les variances dans l’implantation, les données des journaux de bord ainsi que les données de l’entrevue ont été utilisées. Les données ont été organisées par milieu d’implantation. Les catégories choisies pour la grille de codification ont été sélectionnées en fonction des récurrences observées dans les commentaires des journaux de bord et de l’entrevue.

RÉSULTATS

Pour une présentation détaillée des résultats concernant la fidélité du traitement, se référer à l’article de Provencher et coll. (2014). De manière globale, à la suite de l’analyse des journaux de bord complétés par les intervenants, la cote de fidélité quant à la qualité de transmission du traitement indique une très bonne fidélité, soit de plus de 90 % pour les 3 milieux d’implantation, incluant le respect des points clefs et des objectifs ainsi que la qualité de l’animation. Ce qui semble différer par rapport à l’intégrité du traitement pour tous les milieux d’implantation confondus, c’est la transmission des points clefs. Les différentes moyennes quant à la présentation du contenu par points clefs montrent que les séances 6 et 7 ont été moins fidèlement transmises avec des résultats sous les 90 %. En effet, une moyenne de 75,7 % des points clefs a été transmise pour la rencontre 6 alors que 84,8 % des points clefs ont été transmis lors de la rencontre 7. La présentation des différents objectifs et la qualité de l’animation ne diffèrent pas suffisamment pour faire l’objet d’une analyse plus approfondie. Quant à la durée des rencontres, il est possible de noter que la moyenne de temps accordée aux rencontres 6 et 7 diffère davantage des 90 minutes initialement prévues par Bauer et McBride pour une rencontre. Respectivement, les rencontres se prolongent, en moyenne, à 128 min et 131 min.

Le programme prévoit initialement l’animation du groupe par 2 intervenants. Cette condition a été respectée pour les 2 premiers milieux d’implantation alors que pour le 3e milieu, il est arrivé à une occasion que l’animation d’un groupe se fasse par alternance, un intervenant à la fois.

En regardant ces mêmes résultats sous un angle différent, soit l’implantation par milieu de traitement, certaines différences peuvent également être dénotées. En effet, le succès dans la transmission des points clefs semble être plus mitigé lorsque l’on regarde les pourcentages du 3e milieu d’implantation, et ce, particulièrement pour les rencontres 1, 3, 6 et 7. Les résultats pour les 2 premiers milieux d’implantation ne semblent pas indiquer une transmission moindre du contenu pour les rencontres 1 et 3. Des facteurs caractérisant le 3e milieu de traitement semblent donc avoir une influence sur l’implantation de certains points. La fidélité de transmission des objectifs ainsi que celle par rapport à la qualité de l’animation ne diffèrent pas substantiellement entre les 3 milieux.

Dans un deuxième temps, la codification des données de l’entrevue de groupe avec les intervenants a permis d’identifier 4 grands domaines de facteurs comprenant 12 sous-catégories pouvant affecter l’implantation d’un programme : 1) les caractéristiques attribuables aux intervenants (formation académique, expérience clinique, personnalité de l’intervenant, connaissance du programme et dynamique entre les intervenants) ; 2) les caractéristiques attribuables aux participants ; 3) le contexte organisationnel (environnement physique et matériel, stabilité du personnel, gestion administrative et exigences de la recherche) ; et 4) la facilitation (perception de la recherche, soutien de l’équipe de recherche et outils de facilitation) (voir figure 2).

Les caractéristiques attribuables aux intervenants

Les intervenants des 3 milieux présentent des profils différents et les données qualitatives recueillies révèlent que les différences observées chez les intervenants peuvent avoir un effet sur l’implantation du LGP.

Formation académique. Les intervenants, de par leur formation académique (collégiale versus universitaire), pourraient ne pas être suffisamment préparés pour aborder le contenu du programme, en particulier le contenu relatif à la biologie de l’humain. La formation académique semble donc avoir eu un effet plus important dans la première séance où la neurotransmission a été abordée. On peut l’observer dans certains commentaires : « approfondissement à prévoir lors de la rencontre avec la pharmacienne considérant que notre formation est sociale et non physique ».

L’expérience clinique. Les intervenants des 3 milieux ont fait des commentaires sur l’expérience clinique qui peut avoir une influence de façon bidirectionnelle, soit en facilitant l’implantation, soit en la rendant plus difficile. L’expérience peut être relative à une expérience antérieure d’animation de groupe ou avec la clientèle. « Ben c’était ma première expérience de groupe, avec une personne qui n’avait jamais animé de groupe. Faque on était plongés. »

Personnalité de l’intervenant. Cette sous-catégorie réfère à ce qui peut être attribuable à l’individu même. Certains commentaires appuient l’influence de la personnalité des intervenants dans l’implantation du programme dans les 3 milieux d’implantation. Leur compétence, leurs capacités d’adaptation ou leur proactivité sont des exemples qui ont été rapportés, des exemples qui soulignent comment la personnalité de l’intervenant peut faciliter l’implantation d’un programme. Le commentaire suivant est un autre exemple : « Bonne capacité d’inviter les clients moins verbaux à s’exprimer et à s’approprier le contenu. »

Connaissance du programme. Cette catégorie semble avoir une portée bidirectionnelle. En effet, la connaissance du programme semble favoriser l’implantation quand les intervenants maîtrisent bien le programme ou alors affecter cette même implantation quand les intervenants sont moins adéquatement formés. La formation initialement prévue ne semble pas avoir été possible pour tous les intervenants pour diverses raisons. Plusieurs intervenants commentent : « On m’a lancé dans le bain pis … j’ai pas pu le voir vraiment d’une séance 1 à 7 » et « Ben nous autres oui là. Comme je disais tantôt, nous autres c’était parfait (rires), on a tout eu ce qu’on avait à voir, on a été gâtés je pense. »

Dynamique entre les intervenants. Certains commentaires recueillis soulignent l’importance d’une chimie entre les 2 intervenants pour bien transmettre le contenu : « complémentarité de la coanimatrice appréciée ». Cette catégorie réfère également à l’équipe d’intervenants en place dans le milieu de travail : « Ben l’équipe qui donne des groupes, tsé j’veux dire c’est pas toute l’équipe non plus qui nous demande comment ça va dans le groupe bipolaire tsé. On est plus un petit noyau qui anime des groupes, on s’entraide là. »

Les caractéristiques attribuables aux participants

Ces caractéristiques pouvaient être ponctuelles ou fixes de même que positives ou négatives. Les caractéristiques ponctuelles peuvent varier d’une séance à l’autre et ne sont donc pas stables chez un même participant ou pour le groupe. Elles peuvent concerner l’attitude, l’humeur, la motivation, les abandons ou encore l’assiduité. Les caractéristiques fixes se répètent d’une séance à l’autre chez le groupe ou chez un participant. L’âge des participants ou encore le niveau de compréhension sont des exemples de caractéristiques fixes.

Le contexte organisationnel

Les caractéristiques attribuables au milieu où le programme s’implante ont une certaine influence dans le processus d’implantation.

Environnement physique et matériel. Cette catégorie réfère à l’espace, au lieu et au matériel disponible dans le milieu où s’implante le groupe (accessibilité aux locaux, technologies à la disposition, etc.). Tous les milieux semblent avoir eu certaines difficultés : « Des fois le portable est pas là. C’est déjà arrivé qu’ils soient partis avec les 2 portables. Ou ben il brise… » ou « Espace un peu restreint. » Ces mêmes milieux ont également profité d’éléments positifs de ce même environnement : « L’utilisation du document PowerPoint est favorable pour les animateurs et les clients apprécient. »

Stabilité du personnel. Le roulement de personnel, selon les statistiques quantitatives, a été plus important dans le 3e milieu où 8 intervenants ont eu la responsabilité d’animer le groupe alors que 3 intervenants ont pris part au programme dans le premier milieu et 4 intervenants dans le 2e milieu. On peut donc penser que le roulement de personnel est un facteur qui nuit à l’implantation d’un programme comme il est observé dans la présente étude où les points clefs ont été plus difficilement transmis pour le 3e milieu d’implantation. De plus, il y a eu un départ soudain de l’intervenant pivot initialement responsable dans le 3e milieu. Ce départ a possiblement nui au transfert de connaissances. Voici un commentaire décrivant cet événement : « Moi je n’étais pas là, ce n’est pas moi. C’était …. Donc … Pi même moi quand je suis arrivée, elle est partie presque tout de suite. »

Gestion administrative. L’attitude et la perception du milieu d’implantation par rapport à l’importance du programme se révèlent importantes. En effet, l’organisation peut prendre des mesures facilitantes pour l’implantation, notamment sur le plan du recrutement des participants, de la promotion du programme et de la culture de groupe au sein de l’organisation. L’organisation pourrait également faire des choix qui pourraient nuire à l’implantation. Parmi ces éléments, on peut, entre autres, noter la charge de travail attribuée aux intervenants ainsi que les contraintes organisationnelles.

« Ben là dans notre milieu, c’est sûr que on… C’était important, je pense, pour l’organisation ici que ce groupe-là fonctionne et puisque… soit transféré… pi tout ça c’était… ça été un moment donné des objectifs… pis … J’pense que ça été réalisé et tout ça ben c’était important et ça reste important pour nous de continuer à donner ce groupe-là, c’est… nourrissant pour nous, nos gestionnaires et tout ça. »

Exigences de la recherche. L’implantation d’un nouveau programme dans un milieu clinique nécessite un travail supplémentaire de la part des intervenants et des participants. Cette charge de travail supplémentaire est explicable par la nécessité de s’assurer de l’efficacité du traitement dans un premier temps et d’observer le processus d’implantation dans un second temps. Bien que les exigences de la recherche visent initialement à assurer une transmission efficace des données de la recherche dans la réalité clinique, celles-ci doivent être bien dosées puisqu’elle pourrait nuire au processus, amener un désinvestissement autant des intervenants que des participants. Les intervenants expriment clairement la charge de travail supplémentaire : « Y’avait le questionnaire postgroupe. Ça, les clients souvent ils ne voulaient pas faire le deuxième. C’était assez difficile… » et « Là, j’en ai animé depuis c’est certain quand on n’a pas tout ça à faire …, la note évolutive tout simplement c’est pas mal moins long. »

La facilitation

La facilitation englobe différents éléments qui sont extérieurs au milieu et qui concernent plus le projet de recherche en lui-même. Dans le discours des intervenants, il a été possible de noter l’importance de la perception de la recherche, du soutien de l’équipe de recherche ainsi que de l’apport des outils de facilitation pour une implantation réussie.

Perception de la recherche. La façon de concevoir le projet de recherche semble avoir eu des répercussions sur l’implantation du programme et sur l’implication des intervenants dans le projet. La compréhension du rationnel de la recherche pourrait effectivement s’avérer un facteur qui peut faciliter l’implantation d’un programme. Les données qualitatives montrent que les intervenants étaient à différents niveaux par rapport à leur perception du projet de recherche : « Les circonstances ont voulu que rapidement j’embarque dans le bain, mais j’ai l’impression de manquer la base de l’étude » et « Mais tsé j’ai pas, y’a pas eu tant d’explications. On m’a interpellé, veux-tu animer, ça me tente parfait sauf que tsé c’est ça, ça venait avec toute cette affaire-là, faque j’ai embarqué là-dedans. »

Soutien de l’équipe de recherche. Pour optimiser l’implantation d’un programme, les chercheurs doivent collaborer avec le milieu clinique et le soutenir, soit par l’entremise d’une personne-ressource ou par leur disponibilité. Ce soutien semble avoir été mitigé à certains moments dans le processus et certains milieux semblent avoir été mieux encadrés que d’autres par l’équipe de recherche. Les 1er et 2e milieux d’implantation ont pu bénéficier de ce soutien, car l’intervenant responsable du projet de recherche dans le milieu est resté en poste durant la réalisation de celui-ci. Le 3e milieu de traitement a probablement connu les répercussions du départ de leur intervenant ressource. Cette situation aurait possiblement pu être palliée par un meilleur soutien de l’équipe de recherche. Les commentaires suivants le démontrent : « … ça été 1 an et ½ plus tard. Là OK j’ai compris un peu plus » et « Le fait qu’il y avait quelqu’un qui prenait ça en charge qui était pivot du groupe ben ça permet aussi que tout est vu. Elle sait ce qu’elle a à… J’trouve en tout cas pour ma part que c’est facilitant. »

Outils de facilitation. Parmi les commentaires, on remarque que certains outils de référence peuvent contribuer à l’implantation du programme. Les chercheurs ont fourni, au début de l’implantation des groupes psychoéducatifs, de l’information supplémentaire sur la recherche et sur le contenu via un cartable regroupant le manuel de traitement, les acétates à présenter lors des rencontres de groupe et les questionnaires d’évaluation. Certains milieux ont par la suite développé une présentation PowerPoint pour faciliter l’animation des groupes. Il faut également noter l’importance de l’accès à ces différents outils : « J’ai découvert ce cartable-là beaucoup plus tard. »

DISCUSSION

Le présent projet de recherche visait à évaluer l’implantation d’un programme psychoéducatif pour le traitement du trouble bipolaire, le LGP, dans un milieu clinique. L’analyse qualitative des données visait une compréhension plus approfondie de l’implantation du LGP et éventuellement une meilleure compréhension des facteurs d’influence lors du transfert d’un programme développé en recherche dans le milieu clinique. Les différences observées semblent tributaires de 4 grandes catégories de facteurs comprenant 12 sous-catégories au total.

Le premier facteur, les caractéristiques attribuables aux intervenants, concerne tout ce qui leur est relatif : la formation académique, l’expérience clinique, la personnalité, la connaissance du programme et la dynamique inter-intervenants. Principalement, les commentaires relevés soulèvent que la formation académique initiale (p. ex. plusieurs intervenants n’ayant pas une formation universitaire) a pu contribuer à rendre plus difficile la transmission de certains points clefs dans le 3e milieu. L’expérience clinique et la formation par rapport au programme semblent être également importantes à considérer.

Ces résultats vont dans la même lignée que les hypothèses faites préalablement par Provencher et coll. (2014) ainsi que les facteurs rapportés par Klein, Conn et Sorra en 2001 (McHugh et Barlow, 2012) qui identifient la qualité et la quantité de l’entraînement comme des facteurs importants pour favoriser une implantation réussie. Damschroder et coll. (2009) parlent également des caractéristiques individuelles comme un facteur important en abordant, entre autres, les connaissances et croyances à propos de l’intervention, l’efficacité personnelle et les autres caractéristiques personnelles. Une formation supplémentaire sur les aspects du programme plus difficiles à transmettre pourrait permettre une meilleure transmission des points clefs.

Le deuxième facteur, les caractéristiques attribuables aux participants, regroupe tous les commentaires qui ont été faits à propos d’eux. L’analyse des résultats a permis de constater que les intervenants des 3 milieux ont fait des commentaires à propos de l’effet des caractéristiques des participants sur l’impact de l’implantation de l’intervention. Ainsi, ces caractéristiques ne semblent pas avoir un effet spécifique à un milieu.

Le 3e facteur, le contexte organisationnel, réfère aux dispositions de l’organisation dans laquelle s’inscrit l’implantation du programme dans chacun des milieux. Cette catégorie comprend l’environnement physique et matériel, la stabilité du personnel, la gestion administrative et les exigences de la recherche. La stabilité du personnel et la gestion administrative semblent avoir eu davantage d’influence. Le départ subit de l’intervenant ressource qui servait de repère dans le 3e milieu d’implantation a eu un effet sur l’implantation du programme. On peut ainsi réaliser, dans les propos tenus par les intervenants lors de l’entrevue, que l’information concernant le projet de recherche ne semble pas avoir été transmise de façon optimale. Damschroder et coll. (2009) discutent du réseau et de la communication dans l’organisme comme des éléments importants dans l’implantation. Une communication plus efficace aurait pu permettre une meilleure transmission des informations nécessaires à une implantation optimale.

La gestion administrative semble aussi être un élément important. Il est en effet possible d’observer que l’organisation du premier milieu d’implantation accordait une importance particulière au programme et souhaitait particulièrement la réussite de l’implantation. Damschroder et coll. (2009) ont également noté l’influence du climat d’implantation (la priorité relative du programme) au sein d’une organisation comme un facteur important. Il a également été question des exigences relatives à la recherche. Des exigences trop élevées additionnées à un manque de temps des intervenants peuvent mener à une implication amoindrie au projet de recherche, et ce, surtout dans un milieu où l’importance de l’implantation du programme est mitigée.

Le dernier facteur tiré des données qualitatives, soit la facilitation, comprend la perception de la recherche, le soutien de l’équipe de recherche ainsi que les outils de facilitation. Globalement, l’analyse des données montre l’importance de comprendre le rationnel de la recherche pour optimiser la participation à celle-ci. Le soutien de l’équipe de recherche s’avère également nécessaire. Dans la situation spécifique du départ de l’intervenant responsable dans l’un des 3 milieux de traitement, un soutien plus intensif de l’équipe de recherche aurait été souhaitable.

En résumé, les catégories tirées de l’analyse des données coïncident avec celles qui sont observées dans la littérature et notamment celles qui sont proposées dans le cadre de référence de Damschroder et coll. (2009) qui épure, unifie et résume plusieurs théories d’implantation. Dans la présente étude, les facteurs sous-tendant la variance observée qui semblent être significatifs sont le roulement de personnel, la formation académique des intervenants, la formation par rapport au programme et le soutien de l’équipe de recherche. Il est donc possible de conclure que les variations pouvant être observées dans l’implantation du LGP semblent attribuables à un ensemble de facteurs qui agissent ensemble en s’interinfluençant.

La présente étude comporte plusieurs forces dont l’utilisation d’un devis mixte. Une première analyse de l’implantation a été réalisée à l’aide des données quantitatives (Provencher et coll., 2014) et l’analyse qualitative a permis d’approfondir la compréhension du processus d’implantation en offrant une compréhension plus globale. Les données qualitatives recueillies dans les journaux de bord ont été consolidées lors d’une entrevue de groupe auprès des différents intervenants. Cette démarche permet de valider la compréhension initiale. Certaines limites doivent également être soulignées. Par rapport à l’entrevue de groupe, bien qu’au moins un intervenant par milieu était présent, il a été impossible de rassembler l’ensemble des intervenants ayant animé le groupe. Il faut aussi tenir compte que la qualité de l’implantation du programme, c’est-à-dire le respect des différents points clefs/objectifs, est mesurée à partir de résultats rapportés par les intervenants eux-mêmes. Il peut donc être possible que ceux-ci aient surestimé leur propre transmission du contenu.

En conclusion, la psychoéducation de groupe, plus particulièrement le LGP pour le traitement du trouble bipolaire, est un traitement efficace qui peut s’implanter fidèlement dans la réalité clinique québécoise. Les études de dissémination et d’implantation peuvent non seulement aider à statuer sur les facteurs importants à considérer pour l’implantation d’un programme, à l’amélioration continue du programme, mais également à augmenter la confiance des cliniciens envers les programmes développés en recherche.