Article body

Il était une fois Prévost, de l’homme à l’Hôpital en santé mentale

Soulager la souffrance ou la prévenir, ce souci anime le fondateur de l’Institution, qui porte aujourd’hui encore son nom. Le Dr Albert Prévost (1881-1926), Montréalais de naissance, n’y reste initialement que le temps d’obtenir son titre de médecin à l’Université Laval de Montréal[1]. En 1907, il quitte sa ville natale pour l’Europe, animé par le désir de devenir « interne des hôpitaux » (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994). C’est à Paris que son intérêt vers les fonctions nerveuses de l’humain le motive plutôt à poursuivre des études de neurologie, durant lesquelles il côtoie de grands noms de la médecine, figurant encore aujourd’hui dans les manuels (Desgroseillers, 2001 ; Grenier, 2005 ; Leblanc, 2019). Au cours de ses études, il combine la recherche en laboratoire sur la physiologie et l’anatomie du cerveau, et l’observation clinique à l’Hôpital de la Salpêtrière. Il y rencontre Pierre Janet, homme aux nombreux chapeaux (à la fois médecin, philosophe et psychologue), qui lui communique sa vision intégrative des troubles mentaux et de la psychologie. Par la suite, Prévost obtient le titre de médecin légiste de l’Université de Paris (Grenier, 2005 ; Leblanc, 2019 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

À la suite de ses grandes études européennes, Prévost retourne en 1913 dans son Montréal natal et y fait la plus grande partie de sa carrière. Il y est à la fois médecin, enseignant et administrateur/gestionnaire, d’abord comme agrégé de neurologie à la Faculté de médecine de l’Université Laval à Montréal, puis comme chargé de l’enseignement de la pathologie nerveuse à l’Hôpital Notre-Dame, où il est également nommé chef du service de neurologie. Premier titulaire de la chaire de neurologie de l’Université Laval, il est également sollicité pour son expertise en tant que médecin légiste, appelé à témoigner dans plusieurs causes, notamment celle de Marie-Anne Houde, belle-mère d’Aurore, l’enfant martyre du Québec (Grenier, 2005 ; Leblanc, 2019 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

Malgré toutes ses réussites, les ambitions et intérêts cliniques de Prévost se heurtent à la culture hospitalière de l’époque, reflet de la vision de la communauté médicale d’alors, qui préconise l’exclusion des patients souffrant de troubles « psychologiques et psychiatriques ». Ces dispositions dictent alors des critères sévères d’inclusion en milieu hospitalier, gardant effectivement les « aliénés dans les asiles ». En réponse aux dictats de l’époque, Albert Prévost fait l’acquisition de la maison d’un important homme d’affaires montréalais (de la famille Grothé), où il offre des soins « psychiatriques », des années avant la reconnaissance officielle de la psychiatrie au Québec, en 1955 (Desgroseillers, 2001 ; Leblanc, 2019). C’est ainsi que naît, le 27 juillet 1919, le Sanatorium Prévost, qui se consacre aux soins des oubliés, des individus souffrant de névroses, de psychoses, de toxicomanie et de neurasthénies (Leblanc, 2019 ; Aubry, 1922 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

Du Sanatorium à l’Institut

Respecté pour sa compétence autant que son dévouement, Prévost réunit autour de lui de nombreux collègues qui l’accompagnent dans cette aventure innovatrice. Parmi ceux-ci, Mme Charlotte Tassé (1893-1974), infirmière ayant déjà travaillé avec Dr Prévost à l’Hôpital Notre-Dame. C’est à 25 ans, après son cours de perfectionnement au Bellevue Hospital à New York, qu’elle devient garde-malade en chef du Sanatorium Prévost et adjointe de son fondateur. Elle y crée une école d’infirmières dès sa première année de travail et en assure la direction jusqu’à sa fermeture en 1947, contribuant ainsi à la formation de 58 jeunes infirmières. Elle fonde en 1950 la première école de gardes-malades auxiliaires du Québec, puis, trois ans plus tard, conçoit un cours de perfectionnement en nursing psychiatrique pour les infirmières professionnelles. Elle est alors secondée dans ses tâches par Bernadette Lépine (1903-1964), son ancienne étudiante (Leblanc, 2019 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994). Leur dévouement et leur compétence jettent les bases d’une forte présence infirmière au Sanatorium, qui perdure encore aujourd’hui.

Accompagné de sa fidèle collaboratrice, le Dr Prévost poursuit sa mission de soins (à la fois médicaux et psychologiques) ainsi que la recherche. Il recrute à cet effet les frères Charles-Antoine (radiologiste) et Edgar (neurologue) Langlois en 1921, qui forment avec lui le coeur de l’équipe clinique, permettant la mise en place des pratiques médicales les plus avancées de l’époque (alliant les traitements médicaux à la psychothérapie et la thérapie de milieu). Parallèlement, Mme Tassé s’assure de la qualité des soins infirmiers et préconise le « calme, le repos, le respect de la personne, l’approche optimiste, l’activation par la réadaptation (ergothérapie), la déculpabilisation, l’air pur, la musique, les valeurs chrétiennes, etc. » (Leblanc, 2019). Ces soins d’avant-garde, encore inédits en sol canadien, permettent au Sanatorium d’acquérir une grande notoriété.

Au pavillon principal du Sanatorium (surnommé le pavillon bleu), où peuvent être soignés 10 patients, Prévost ajoute le pavillon rouge (1921), ce qui permet alors d’accueillir 23, puis 35 patients en 1923 (Leblanc, 2019 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994). L’ajout des pavillons vert (1946) et blanc (1947) portera éventuellement ce nombre à 87 (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

En 1926, la carrière de Dr Prévost s’arrête prématurément avec son décès des suites d’un accident de voiture (Grenier, 2005). Malgré la consternation qui règne parmi les endeuillés, les collègues d’Albert Prévost veillent à ce que l’Institution poursuive sa mission en dépit de la perte de son fondateur. Jadis premier interne accueilli au Sanatorium, Dr Edgar Langlois prend la relève de son mentor, à la fois comme directeur médical de l’établissement et comme chef du service de neurologie de l’Hôpital Notre-Dame. L’administration du Sanatorium repose alors sur une corporation de médecins, avec à sa tête la soeur d’Albert Prévost, Mme Heva Prévost-Auger, qui assure la présidence jusqu’en 1930. Les deux autres femmes de tête du Sanatorium, les infirmières Tassé et Lépine, s’illustrent durant cette période de transition. Lorsque la précarité financière de l’établissement laisse peser la menace de fermeture, elles en font l’acquisition en 1945 et en assurent la direction, soutenues par un conseil d’administration alors exclusivement féminin (et sans représentant du corps médical) (Desgroseillers, 2001 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994). Sous leur gouvernance, le Sanatorium peut poursuivre son évolution. L’obtention de subventions des gouvernements provincial et fédéral permet l’agrandissement du bâtiment qui accueille en 1955 160 patients (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

Le Sanatorium, porté par la détermination de Mme Tassé, devient ainsi l’Institut Albert-Prévost (IAP), reflétant sa vocation universitaire (Bibliothèque et Archives nationales du Québec [BAnQ], 2006 ; Desgroseillers, 2001).

Durant ces remaniements administratifs, Albert-Prévost continue d’évoluer dans un contexte clinique en éclosion. La communauté médicale adopte peu à peu la vision du Dr Albert Prévost : la maladie mentale n’est plus forcément vue comme une fatalité. De la malariathérapie (1917) à l’électroconvulsivothérapie (ECT–1938), en passant par la lobotomie et les cures de sommeil sous barbituriques (1930), les standards du traitement psychiatrique font alors face à une révolution, et certains de ces traitements (malariathérapie, électroconvulsivothérapie) font partie des nouveaux traitements adoptés au Sanatorium. Le Sanatorium se dote de sa première clinique externe en août 1951 (dirigée par Dr Fernand Côté), juste à temps pour l’arrivée des neuroleptiques (la chlorpromazine) en 1952-53 et des antidépresseurs (1955), qui facilitent le traitement en communauté des patients (Duprey, 2011 ; Leblanc, 2019). Réputé comme un lieu de haut savoir, l’Institut obtient en septembre 1955 son accréditation comme centre d’enseignement de l’Université de Montréal et Dr Karl Stern devient son premier directeur scientifique (Desgroseillers, 2001 ; Leblanc, 2019 ; Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

Dorénavant investi d’une triple mission de soins, de recherche et d’enseignement, l’IAP raffine ses services, en partie grâce à l’arrivée d’une équipe de psychiatres, dont Dr Camille Laurin (1922-1999), psychanalyste et (futur) homme politique (Picard, 2003). En juillet 1958, l’établissement accueille ses trois premiers résidents en psychiatrie et en 1961, ouvre ses portes aux étudiants en médecine, alors que les stages en psychiatrie deviennent obligatoires dans le cursus universitaire (BAnQ, 2006 ; Leblanc, 2019). Cette même année marque également l’obtention de l’accréditation de l’American Psychiatric Association (APA) de l’Institut, honneur détenu par seulement trois établissements hospitaliers canadiens à ce moment (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994).

De 1964 à 1966, le Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent voit le jour (précurseur des cliniques spécialisées) dans la « Maison rouge », sous la direction de Dr Ernest Tétreault (Bossé, 2001). Outre les jolies briques rouges qui lui valent son nom, cet établissement représente le premier service de pédopsychiatrie en dehors des enseignes d’un hôpital ou asile. En 1966, l’arrivée de Dr Robert Buies permet l’ajout d’un centre interne et d’un centre de jour « adopsychiatriques » : il s’agit du premier service dédié aux adolescents, qui étaient auparavant hospitalisés avec les adultes ou en pédiatrie (Bossé, 2001 ; Laurendeau, 2019a). Outre les soins cliniques, les dirigeants du service offrent également un enseignement de qualité, sous l’oeil attentif du Dr Julien Bigras (Bossé, 2001 ; Laurendeau, 2019a).

Durant les années soixante, la culture psychiatrique québécoise est fortement influencée par les pratiques états-uniennes et françaises, lieux de formation de plusieurs des psychiatres oeuvrant à l’IAP. La psychanalyse et les idées de Freud y règnent donc et cette modalité psychothérapeutique est massivement intégrée au traitement offert à l’Institut (Bossé, 2001 ; Desgroseillers, 2001). À l’image de la société québécoise de l’époque, les changements de moeurs et le délaissement des pratiques traditionnelles ne se font pas sans heurts. S’affrontent alors les visions de Charlotte Tassé, fervente partisane du statu quo, et celles des médecins dirigés par Camille Laurin (alors directeur scientifique). Il faut se souvenir que cette époque coïncide avec la publication de Les fous crient au secours de Jean-Charles Pagé (1961), qui livre un témoignage virulent sur son expérience « à l’asile », l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Ce livre, qui remet en cause l’administration des communautés religieuses, fait alors un tel tollé que la Commission d’Étude des Hôpitaux psychiatriques (Bédard, 1962) est mise sur pied afin de faire enquête. Le rapport émis est peu reluisant : le gouvernement et les communautés religieuses sont pointés du doigt et un appel au changement est fait afin que le statut du patient psychiatrique soit équivalent à celui du patient « ordinaire » (Desgroseillers, 2001 ; Duprey, 2011 ; Wallot, 1979). Bien que l’IAP échappe aux critiques, plutôt décrit comme un modèle des soins psychiatriques, ses dirigeantes, menées par Mme Tassé, ne pardonnent pas au Dr Laurin d’avoir signé la postface (aussi nuancée soit-elle) du livre de Pagé (Desgroseillers, 2001 ; Lesage, 2015a).

L’impasse découlant de ce conflit paralyse les soins à l’Institut et une Commission d’enquête doit être mise en place pour dénouer la situation : le Rapport Régnier de 1964 donne alors raison au parti du Dr Laurin, décriant « l’ingérence » des administratrices dans les soins prescrits (Regnier, 1964 ; Desgroseillers, 2001 ; Klein, 2018 ; Leblanc, 2019). La charte de l’IAP est ensuite modifiée, entraînant une réorganisation des structures médico-administratives (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994). Charlotte Tassé et Bernadette Lépine donnent leur démission, mais préservent leur statut de membres de la corporation et du conseil d’administration de l’Institut (BAnQ, 2006 ; Desgroseillers, 2001). Malgré la discorde, les soignants maintiennent leur dévouement et motivation envers leurs patients.

Les courants cliniques à l’Institut

Parallèlement au règne de la psychanalyse, certaines approches « idéalistes » teintent, à différents degrés, les pratiques à l’IAP. Parmi celles-ci se retrouvent le concept de l’hôpital psychiatrique en tant que « communauté thérapeutique » partiellement gérée par les patients (Jones, 1953), le courant « antipsychiatrique » qui voit les symptômes psychotiques en tant que réponse à son entourage (Laing, Cooper, Deleuze et Guattari) et la vision de Szasz (1960, 2008), qui considère la maladie mentale comme un concept désignant plusieurs problèmes de la vie (versus un fait établi). Bien que ces courants cliniques n’aient pas supplanté la psychanalyse ni été appliqués dans leur entièreté à l’IAP, ils s’accordaient à la philosophie du milieu, selon laquelle la médicalisation du trouble mental ne doit pas faire oublier les difficultés contextuelles du patient (Desgroseillers, 2001 ; Leblanc, 2019 ; Lesage, 2015a ; Szasz, 1960). Fidèle à la vision de son fondateur, la culture clinique de l’Institut préconise une approche centrée sur la personne et non pas uniquement sur la pathologie. La réadaptation du patient doit s’inscrire dans son contexte de vie et ne se limite pas seulement à une éradication de symptômes. La fin des années soixante à Albert-Prévost est ainsi influencée par le développement des Community Mental Health Centers américains qui vise à rapprocher les intervenants de la communauté. La première équipe d’Urgence psychiatrique à domicile est mise en place à l’IAP en 1965 par le Dr Jacques Drouin, formé à Boston. Au même moment, la psychiatrie de secteur, popularisée en France par Philippe Paumelle, combine le traitement individuel et le développement de ressources thérapeutiques dans le milieu de vie de la personne. Cette approche trouve écho à l’IAP suite au passage à Montréal du Dr Paumelle, de 1966 à 1967, et plusieurs résidents en psychiatrie et infirmières de l’établissement le suivent à Paris pour y être formés (Desgroseillers, 2001 ; Leblanc, 2019).

Parmi ceux-ci, le Dr Jean Bossé, qui revient à Montréal en 1966 imprégné de cet enseignement (combiné à sa formation psychanalytique) et convaincu qu’« une psychiatrie infantile éclairée et compétente était une prévention pour l’adulte de demain » (Bossé, 1985 ; Gignac et coll., 2015). Il devient porteur de la création d’une clinique pédopsychiatrique multidisciplinaire de secteur à Laval. Ce modèle, combinant l’approche psychanalytique et celle des soins de communauté, se répand dans plusieurs autres secteurs de Montréal (Bossé, 2001 ; Laurendeau, 2019a). De plus, sous l’impulsion du Dr Arthur Amyot, plusieurs équipes multidisciplinaires « volantes » se déplacent de façon bimensuelle vers la région éloignée de l’Abitibi afin d’offrir des soins et de soutenir les équipes locales (Rodriguez, 2019). Grâce aux avancées technologiques, au début des années 2000, ces évaluations et discussions de cas se feront plusieurs fois par mois, par visioconférence.

Ces années, qui collectivement représentent la première grande période d’Albert-Prévost, sont ainsi dédiées au rejet du traitement « asilaire » au profit du développement de la psychiatrie communautaire, avec la création d’un réseau de cliniques de secteur. Ces remaniements visent alors à accroître l’accessibilité aux soins et à faciliter la proximité des soignants avec les enjeux psychiatriques, mais également sociaux des patients (Duprey, 2011 ; Jonard, 1973 ; Wallot, 1979).

Cependant, un vent de révolution s’annonce sur la scène politique, remettant en cause les structures administratives et le partage des pouvoirs.

De l’Institut au Pavillon

Il est facile, sous la loupe de l’« ici-maintenant », d’oublier que toute crise n’est pas la première. Si le contexte politico-administratif (et donc clinique) n’est pas des plus reluisants à l’heure actuelle, il ne faut pas oublier que l’Albert-Prévost d’aujourd’hui s’est construit en réponse aux crises et instabilités des années 70.

En effet, la situation économique québécoise déplorable des années 60-70 ouvre la porte aux mouvements de contestation et protestation, qui s’expriment à diverses intensités, des plus pacifistes aux plus violentes. Ce contexte extérieur ne peut qu’influencer la culture de milieu de l’IAP, qui perd notamment en 1970 Dr Camille Laurin, ce dernier poursuivant alors ses aspirations politiques et échangeant (temporairement) ses fonctions de psychiatre pour celles de député du Parti Québécois (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994 ; Picard, 2003 ; Simard, 2010).

La société québécoise fait alors face à une multitude de crises : crise d’Octobre avec la Loi des mesures de guerre, arrivée de l’assurance-maladie et grève des médecins spécialistes en guise de contestation (avec réponse rapide de l’Assemblée nationale les sommant de retourner au travail) et grèves du Front commun (regroupant trois centrales syndicales, CSN, FTQ et CEQ) (Cournoyer, 2001 ; Desgroseillers, 2001 ; Rodriguez, 2019). Alors que l’insatisfaction face au gouvernement libéral croît, Albert-Prévost est vu par certains, à tort ou pas, comme un microsystème reflétant la situation politique, l’égérie des revendications (Rodriguez, 2019).

Les rapports du Comité exécutif du Conseil des médecins (alors présidé par Dr Arthur Amyot) de 1971 démontrent d’ailleurs des rapports tendus avec l’Administration. Les tentatives du Comité exécutif de participer à la conception et application de politiques de soins sont perçues comme des menaces d’ingérence par les instances administratives en place. Les tensions et désaccords croissent et culminent au printemps 1971, opposant le Comité d’Administration aux médecins, représentants syndicaux et résidents en psychiatrie. Ces derniers demandent alors la démission des principaux membres du Comité administrateur, afin de pouvoir faire de l’IAP un milieu plus démocratique et compatible avec l’approche de psychiatrie communautaire (Rodriguez, 2019).

Le tumulte caractérisant ces négociations (ou confrontations) fragilise la situation de l’IAP : multiples débrayages, injonctions de retour immédiat au travail, accusations d’outrage au Tribunal et emprisonnement des chefs syndicaux entraînent la révolte dans l’enceinte de l’établissement. Les employés décident alors d’occuper les lieux, bloquant effectivement l’entrée aux gestionnaires pendant quatre jours. Malgré la volonté des syndiqués (et l’appui des médecins, qui cherchent à concilier soins des patients et soutien aux employés), l’escouade antiémeute qui envahit l’Institut le 16 mai 1972 réussit à expulser ses occupants. Lorsque la poussière retombe, cinq infirmières et 12 employés sont suspendus ou renvoyés (Rioux, 1996). Parmi les médecins, quatre membres du Comité exécutif, Dr Amyot, Dr Villard, Dr Léal et Dr Mauriello, sont suspendus puis renvoyés par le Conseil d’administration de l’IAP. Parmi les reproches émis par le ministre de la Santé, Claude Castonguay, celui de s’être associés aux syndiqués et d’avoir négligé la protection des patients (alors qu’en fait, les soins de ceux-ci avaient été assurés). Toujours selon le ministre, la situation est telle à l’IAP que seule une restructuration majeure s’impose (Desgroseillers, 2001 ; Rodriguez, 2019).

Il y a donc, en 1973, fusion avec l’Hôpital Sacré-Coeur de Montréal, dont l’Institut devient le département de psychiatrie, adoptant par le fait même le nom de Pavillon Albert-Prévost (PAP). L’année marque également le retour du Dr Amyot, qui après son exil forcé, devient chef du PAP, poste qu’il occupe avec brio jusqu’en 1981 (période où il devient directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal) (Rodriguez, 2019).

La fusion (contrainte) avec Sacré-Coeur est tolérée, mais les psychiatres rejettent l’assimilation totale ainsi que l’abandon des bâtiments d’origine au profit d’un nouveau pavillon sur les terrains de Sacré-Coeur. Malgré la modernité et les avantages que fait miroiter l’Administration, les psychiatres se mobilisent afin de poursuivre la mission d’Albert-Prévost là où elle avait débuté, dans les lieux déjà porteurs d’une histoire riche, faisant la preuve de leur alliance devant l’adversité.

Ce n’est que plusieurs années plus tard, en 1985, que le débat est clos (temporairement) par le retour de Camille Laurin, figure tutélaire du PAP (Rodriguez, 2019). Il devient chef du Département de psychiatrie jusqu’en 1994, moment où il retourne en politique, élu comme député et nommé Représentant régional de Montréal (Pavillon Albert-Prévost, album souvenir, 1994) ; Simard, 2010).

L’irréductible Albert-Prévost, maintenant Pavillon, continue son évolution, malgré son identité malmenée et son indépendance fragilisée. C’est au courant des années 80 que certaines lacunes des cliniques de secteurs deviennent plus évidentes, notamment quant à la possibilité d’offrir un traitement spécialisé, tandis que les soins plus généraux, avec la présence accrue des omnipraticiens et équipes de santé mentale en première ligne, se développent. L’apparition dans d’autres milieux de cliniques psychiatriques spécialisées motive les cliniciens du PAP à demander un comité de réflexion, qui voit le jour en 1990. Ce comité, présidé par le docteur Jean Leblanc, a pour mandat de se pencher sur la façon de répondre aux besoins spécifiques des patients tout en composant avec l’impossibilité d’accroître les ressources disponibles. Des populations particulières nécessitant des soins adaptés à leur problématique sont ainsi identifiées, mais la situation budgétaire implique également de faire des choix. Le PAP est divisé, certains prônant le maintien d’équipes générales et d’autres désirant l’instauration d’équipes spécialisées. C’est finalement Dr Laurin qui tranche en faveur des cliniques spécialisées et met sur pied un comité d’implantation de ce projet en 1993, présidé par Dr Dumont (Blouin, 2019).

Ce virage innovateur transforme le dispositif de soins, qui se regroupent dorénavant en cliniques s’organisant autour du concept de programmes visant à offrir à chaque population clinique les traitements les plus appropriés à leur(s) condition(s). C’est ainsi que voient le jour les programmes de gérontopsychiatrie, des premiers épisodes psychotiques, des troubles psychotiques, des maladies affectives et des troubles anxieux. À ceux-ci s’ajoute également le premier programme ambulatoire structuré de traitement des troubles de la personnalité au Québec en milieu francophone, fondé par Dre Christiane Bertelli. À l’exception de la clinique de gérontopsychiatrie, première au Québec et déjà implantée en 1990 sous les soins du Dr Bernard Gauthier, ces programmes se développent graduellement à partir de 1994 (Blouin, 2019).

Entre-temps, dans les années 70 et 80, le PAP-Pédo devient un lieu de formation recherché par les résidents en psychiatrie et les stagiaires de toutes les disciplines. Le service se développe en quatre points de service comprenant des cliniques externes couvrant le nord-ouest de Montréal et tout Laval, un centre de jour pour enfants d’âge préscolaire et un centre des adolescents multifonctions (hôpital de jour, unité d’hospitalisation, clinique externe), le tout regroupant plus de 70 employés (Bossé, 2001 ; Laurendeau, 2019a). Par la suite, la pédopsychiatrie connaît également une modification de ses pratiques, les cliniciens optant pour une division des services selon les trois périodes du développement (0-5, 6-12 et 13-18 ans) qui permet de s’adapter au fait que les psychopathologies ne sont pas encore cristallisées avec précision avant l’adolescence (Laurendeau, 2019b). Les services intrahospitaliers et hôpitaux de jour sont également restructurés selon le même modèle dans un souci de continuité des soins.

La réorganisation des soins est de plus complétée par une centralisation des évaluations des nouveaux patients (qui se faisaient avant dans les équipes de secteur) au Module d’Évaluation-Liaison, premier du genre au Québec. Imaginé par le docteur Bernard Gauthier (Doré-Gauthier et coll., 2019), ce modèle d’évaluation voit le jour grâce aux efforts du docteur Daniel Dumont.

Le succès de cette restructuration au PAP (dû en grande partie à la créativité des équipes cliniques devant le manque de ressources) sert alors de modèle aux autres instances de soins de la province (Blouin, 2019).

Du Pavillon à l’Hôpital en santé mentale

De façon plus contemporaine, 2015 annonce une nouvelle réforme, cette fois davantage administrative que clinique, avec une réorganisation du système de santé en Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et en Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) et la fusion de plusieurs établissements (et des populations desservies par chacun). La Loi 10, se voulant une façon de simplifier l’accès aux soins et aux services (et d’économiser), implique l’abolition d’un palier administratif, soit les agences régionales et est décriée par les associations médicales. Elle ne laisse officiellement place qu’à deux lignes en santé : la première ligne, composée des groupes de médecine familiale et une ligne spécialisée, sous la gouvernance des CISSS-CIUSSS (Bertelli, 2019 ; Lesage 2015b). Le PAP se retrouve alors à l’intérieur du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NIM pour les intimes) dans un amalgame dont font également partie l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, l’Hôpital Fleury, l’Hôpital Jean-Talon et bien entendu, l’Hôpital du Sacré-Coeur (Bertelli, 2019). L’ensemble des ressources en santé mentale sont intégrées dans un même Programme, incluant la gérontopsychiatrie et pédopsychiatrie (Bertelli, 2019 ; Lesage, 2015b). Une nouvelle cohabitation, un nouveau partage auquel le PAP, dorénavant rebaptisé Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP) doit s’adapter sans perdre son identité, mais sans s’aliéner ses nouveaux acolytes, sans sacrifier la qualité de ses soins, mais sans non plus épuiser les ressources du système…

Et surtout, sans oublier sa triple mission : l’enseignement à la relève, la recherche en psychiatrie et les soins aux plus vulnérables.

Un défi de taille pour les prochains cent ans.

Le mot de la fin suite…

Ce retour vers le commencement d’Albert-Prévost et vers l’émergence de sa mission est autant affaire d’hommes et de femmes que d’institutions, de tradition que d’innovations, de conflits que de cohabitation, conciliation et cocréation. Il nous emporte aux confins de la (pré) histoire d’Albert-Prévost, mais aussi de l’histoire de la psychiatrie au Québec. Les années passées montrent qu’Albert-Prévost, dans son essence, ne se limite pas à un bâtiment ou bien même à un groupe de personne : il devient plutôt incarnation d’un souci du soin, d’empathie et d’humanisme, principes qui conditionnent les rapports de réciprocité et de collaboration entre ses membres et la population.

Ainsi, Albert-Prévost, sous toutes ses itérations, célèbre ses cent ans. Un centenaire, déjà, depuis les premiers individus soignés sous son enseigne, un siècle qui sépare les premiers psychiatres et professionnels, cherchant à bâtir un lieu dédié à la santé mentale, des acteurs actuels, oeuvrant maintenant à assurer la pérennité et l’évolution d’Albert-Prévost.

Et ce, peu importe le nom qu’il portera.