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La prévalence des troubles mentaux (TM) dans les pays industrialisés est en hausse : la dépression deviendra la principale cause de morbidité d’ici 20301. Au Canada et aux États-Unis, ils ont déjà supplanté les maladies physiques au chapitre des journées de travail perdues2. Les TM, particulièrement les TM graves (schizophrénie…), influencent négativement la qualité de vie des usagers. Le décrochage scolaire, la perte ou l’absence d’emploi, la pauvreté, l’isolement social, les troubles d’utilisation de substance (TUS), la judiciarisation, l’itinérance et les tentatives de suicide sont autant de problèmes sociaux souvent associés aux TM, principalement les TM graves3. La fragmentation des services de santé mentale (SM) représente aussi un obstacle à l’accès et à la continuité de services pour ces usagers après leur transfert dans la communauté. Les TM comportent également des impacts économiques importants et contribuent à l’augmentation du fardeau des proches. Par ailleurs, bien que les TM courants (troubles anxieux, dépression) affectent environ 18 % de la population générale par année4, seulement une minorité (33 % à 46 % selon les études) demande des services ou fait appel à un professionnel de soins5.

L’importance des TM a amené la plupart des pays industrialisés à réformer leur système de SM afin d’améliorer leur efficience et de mieux répondre aux besoins des usagers67. Ces réformes ont des objectifs communs, dont la consolidation des soins primaires de SM. Ces derniers sont jugés améliorer l’accessibilité aux services et sont évalués moins stigmatisants que les services spécialisés. Les réformes prônent aussi le déploiement de pratiques cliniques basées sur les données probantes pour bonifier la qualité des services. Enfin, une plus grande intégration des services par une meilleure collaboration interdisciplinaire et interorganisationnelle est proposée pour accroître la continuité des soins.

S’inscrivant dans ces tendances internationales, le Québec a introduit son Plan d’action en SM (PASM) 2005-2010, prolongé officieusement jusqu’en 2015. L’objectif central du PASM était d’améliorer le rétablissement des usagers. Pour accroître l’accessibilité aux services, le PASM préconisait l’implantation : 1) d’un guichet d’accès dans tous les réseaux locaux de services d’une population supérieure à 50 000 habitants ; et 2) d’équipe de SM en soins primaires dans les Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Afin d’améliorer la capacité de ces équipes et des omnipraticiens en cliniques médicales à prendre en charge les TM, des soins partagés ont été déployés par l’entremise de psychiatres répondants. Le PASM visait aussi à consolider l’utilisation de pratiques et d’outils reposant sur des données probantes ; et le Centre National d’excellence en SM a été créé en 2008 pour soutenir le développement du suivi intensif et du soutien d’intensité variable, et quelques années plus tard aussi des soins primaires de SM. Chaque CSSS devait également coordonner les services de son réseau selon les besoins de sa population. L’implantation de stratégies d’intégration (agents de liaison, ententes de services, etc.) était recommandée notamment pour améliorer la hiérarchisation des services. Finalement, des cibles de consolidation des services ont été précisées, par exemple quant au nombre de professionnels ou de services dans chaque réseau et quant aux délais d’attente.

Quelques études ont déjà permis de dresser un bilan de l’implantation du PASM3, 8-10. Cependant, notre étude est originale en ce sens qu’elle intègre un programme récent de recherche qui a permis de cerner l’impact du PASM sur les professionnels des équipes adultes de soins primaires nouvellement créés et des services spécialisés, l’adéquation de l’aide reçue, la continuité des services ainsi que le rétablissement et la qualité de vie des usagers (18 ans et plus) – dimensions non abordées par les études précédentes. Notre enquête est exhaustive en termes de collecte de données, mais basée sur l’étude d’un certain nombre de réseaux de services au Québec. Le travail interdisciplinaire dans les équipes de soins oblige les professionnels à coordonner leurs activités, influençant l’autonomie professionnelle et l’interdépendance des membres11. Les professionnels des équipes possèdent aussi des formations, valeurs ou pratiques parfois très diversifiées, lesquels sont aussi intégrés dans des organisations et réseaux également divergents, pouvant conduire à des risques de conflits accrus12. Ainsi, les effets des services sur les usagers reposent à la fois sur la capacité des professionnels à travailler adéquatement en équipe et sur les caractéristiques des organisations et des réseaux dans lesquels ils sont imbriqués.

Basé sur les résultats d’un programme de recherche comportant plusieurs publications13-27, cet article résume les principaux changements apportés dans les services et les retombées sur les équipes de soins et les usagers suite à la réforme en SM. Plus spécifiquement, il vise à évaluer : 1.a) dans 11 réseaux locaux de services, le niveau d’implantation des principaux objectifs poursuivis par le PASM (recensés plus haut) et les facteurs ayant influencé son implantation ainsi que 1.b) d’estimer la performance des équipes de SM selon leur coordonnateur ; 2) les processus pouvant influencer la qualité des services selon les professionnels des équipes de SM, à partir d’un sous-échantillon de quatre réseaux ; et 3) les effets des structures et des processus d’équipe sur les usagers – aussi à partir de ces quatre réseaux.

Méthodologie

Approches méthodologiques et description des réseaux

Globalement, le devis de ce programme de recherche (équipe en SM du Fonds de recherche du Québec – Santé) était une étude de cas multiples, comportant une méthodologie transversale et mixte (quantitative et qualitative) pour l’objectif 1, et exclusivement quantitative pour les objectifs 2 (processus – équipes cliniques) et 3 (résultats – usagers).

Les réseaux de l’objectif 1 (n = 11) et des objectifs 2 et 3 (n = 4 inclus dans les 11) ont été sélectionnés par l’équipe de recherche après consultation auprès de 20 décideurs clés en SM au Québec (représentants de la Direction des services de SM du Ministère, d’agences régionales, etc.). Ils ont été choisis en fonction de leur disparité géographique (urbain, semi-urbain, rural), de l’organisation et de la diversité de leurs services, de la présence ou non d’un institut universitaire en SM (IUSM) et de leur degré de déploiement de bonnes pratiques et de stratégies d’intégration. La population de ces réseaux variait entre 21 000 et 702 000 personnes. Ces 11 réseaux peuvent être répartis en 4 groupes : 1) dotés d’un IUSM (n = 3, tous sélectionnés pour les objectifs 2 et 3) ; 2) de plus de 200 000 habitants et avec des services spécialisés en SM dans un centre hospitalier (CH) (n = 3) ; 3) de moins de 200 000 habitants et avec des services spécialisés en SM dans un CH (n = 3 dont 1 réseau pour les objectifs 2 et 3) ; et 4) sans services spécialisés en SM (n = 2).

Collecte des données et sélection des répondants

Les données ont été recueillies à partir de trois sources : 1) de la documentation primaire ; 2) des entrevues semi-structurées avec les acteurs clés des divers réseaux ; et 3) des questionnaires, permettant la triangulation des données. La documentation primaire, consultée entre novembre 2012 et mars 2013, a permis d’obtenir des informations sur la population, sur les caractéristiques des organisations et des services en SM, sur les stratégies d’intégration et les défis spécifiques à chacun des 11 réseaux. Des entrevues individuelles et de groupe ont été effectuées entre mars et juin 2014. Des grilles d’entrevue ont été développées et adaptées à divers types de participants pour les 11 réseaux : coordonnateurs régionaux en SM, coordonnateurs et/ou intervenants d’équipe de soins primaires ou de services spécialisés, directeurs d’organismes communautaires, psychiatres répondants et omnipraticiens. Elles avaient pour principaux thèmes : 1) les caractéristiques des usagers desservis ; 2) le processus d’implantation du PASM ; 3) l’intégration du réseau ; 4) les facteurs facilitant ou entravant l’implantation du PASM ; et 5) les recommandations pour améliorer les services.

Les questionnaires impliquaient quatre types de répondants : les psychiatres répondants et les coordonnateurs de l’ensemble des équipes des services publics de SM des 11 réseaux, ainsi que pour quatre sous-réseaux : l’ensemble des professionnels des équipes des soins publics et d’usagers de ces services (échantillon clinique). Le questionnaire destiné aux psychiatres répondants (octobre 2013 à juin 2014) portait sur les soins partagés, et s’intéressait aux caractéristiques des usagers, à leurs activités et à leurs impacts sur les services. Le questionnaire complété par les coordonnateurs des équipes de SM (octobre 2013 à juin 2014) incluait 252 items, dont certains reliés à deux échelles standardisées (tableau 1). Il couvrait : les caractéristiques du coordonnateur, des usagers et de l’équipe, la culture organisationnelle, les activités cliniques, les stratégies d’intégration ainsi que la fréquence et la satisfaction des interactions avec les autres équipes ou organisations. Le questionnaire destiné aux professionnels (mai à novembre 2013) couvrait lui aussi 252 items, la plupart provenant d’échelles standardisées (tableau 2). Finalement, les usagers étaient invités à compléter huit questionnaires standardisés (tableau 3).

Tableau 1

Description des échelles standardisées (Coordonnateurs des équipes)

Description des échelles standardisées (Coordonnateurs des équipes)

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L’ensemble des psychiatres répondants et des coordonnateurs des équipes de SM des 11 réseaux ont été identifiés à l’aide d’un comité d’orientation formé de décideurs-clés de chacun des réseaux. Pour le sous-échantillon de quatre réseaux, les coordonnateurs ont fourni une liste exhaustive des professionnels travaillant dans chacune des équipes. Ces professionnels faisaient ainsi partie des équipes de soins primaires ou spécialisés du secteur public ; ils étaient constitués de trois membres ou plus par équipe provenant d’au moins deux disciplines. Les usagers ont été recrutés dans ces quatre mêmes réseaux par diverses stratégies (publicité dans les CH et CSSS, séances d’information auprès des intervenants, etc.). Les critères d’inclusion pour les usagers étaient d’être âgé entre 18 et 70 ans, d’avoir un diagnostic de TM répertorié dans le DSM-528 ainsi que de consentir à ce que l’on consulte leur dossier médical. Le protocole de l’étude multisite a été approuvé par le comité d’éthique de l’IUSM Douglas.

Tableau 2

Description des échelles standardisées (Professionnels)

Description des échelles standardisées (Professionnels)

Tableau 2 (continuation)

Description des échelles standardisées (Professionnels)

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Tableau 3

Description des questionnaires standardisés (Usagers)

Description des questionnaires standardisés (Usagers)

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Analyse des données

Les analyses quantitatives ont été produites à partir de SPSS-24.0. Pour les trois objectifs de l’étude, des analyses de fréquence pour les variables catégorielles et des moyennes pour les variables continues ont été effectuées. Pour les objectifs 1.b, 2 et 3, des analyses multivariées (linéaires, hiérarchiques, structurales et typologiques) ont été réalisées sur les variables dépendantes (performance, satisfaction et promotion du rétablissement dans les services ; besoins, rétablissement et qualité de vie chez les usagers). La sélection des variables indépendantes a été balisée par l’adaptation de cadres d’analyse déjà publiés, dont le modèle de Donabedian29, le Input-mediator-outcomes input (IMOI) model30 et le modèle de Caron sur la qualité de vie31. Quant aux analyses qualitatives (objectif 1a), elles ont été produites à partir de N-Vivo-10. Après la transcription des entrevues, la codification s’est effectuée considérant les thèmes identifiés dans les grilles d’entrevue (volumes et délais de services, gamme de services, stratégies et outils déployés, facteurs facilitant ou entravant l’implantation du PASM, etc.), et tenant compte des réseaux, organisations et types d’équipes et professionnels participant à la recherche. Différentes procédures de validation ont été suivies (validité interjuge sur les codes, etc.).

Résultats

Évaluation du niveau d’implantation du PASM et facteurs favorisant ou entravant sa mise en oeuvre

Pour répondre au premier objectif de recherche, 102 acteurs clés (94 %) ont participé aux entrevues qualitatives. Globalement, 78 entrevues ont été réalisées, soit 63 individuelles et 15 de groupes. De plus, 90 coordonnateurs (93 %) et 16 psychiatres répondants (80 %) ont répondu aux questionnaires. La figure 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des répondants.

Dans chacun des 11 réseaux, au moins une équipe de soins primaires en SM a été déployée, ce nombre étant supérieur dans les réseaux urbains. Un guichet d’accès a été implanté dans neuf des 10 réseaux ayant 50 000 habitants ou plus. Des psychiatres répondants étaient en fonction dans huit réseaux (73 %). Néanmoins, le ratio de professionnels par 100 000 habitants n’était réalisé que dans six réseaux. Plusieurs équipes de soins primaires étaient dépourvues d’omnipraticiens et du soutien de psychiatres répondants. Ces derniers intervenaient davantage auprès des équipes de soins primaires en SM qu’auprès des omnipraticiens en cliniques médicales. Plusieurs omnipraticiens ont été réfractaires à utiliser le guichet d’accès ou les services des psychiatres répondants, ces derniers étant perçus comme ne répondant pas suffisamment adéquatement à leurs besoins. Pour les guichets d’accès, le temps d’attente élevé et la non-rétroaction du suivi aux omnipraticiens étaient particulièrement critiqués ; pour les psychiatres répondants, l’inadéquation de leur soutien quant à leur horaire chargé était la principale critique recensée. Certains psychiatres se sont aussi vivement opposés aux soins partagés, craignant une augmentation des listes d’attente aux services spécialisés15. Enfin, l’accès aux guichets d’accès et aux traitements de l’équipe de soins primaires de SM ou des services spécialisés, dont des maximums de temps d’attente avaient été fixés par le PASM pour l’évaluation et le traitement, était problématique dans la majorité des réseaux étudiés13, 14.

Les objectifs de la réforme ont été mieux atteints dans les grands réseaux pourvus de services spécialisés dans un CH. Dans ces réseaux, des collaborations entre les organismes existaient préalablement et certaines composantes du PASM avaient déjà été introduites avant son implantation. Le PASM représentait donc pour ces réseaux une continuité dans les transformations plutôt qu’un changement majeur. Dans les réseaux pourvus d’un IUSM, la rivalité entre ce dernier et le CSSS a retardé l’implantation du PASM. Les conditions de départ étaient encore plus défavorables dans les petits réseaux pourvus de services spécialisés dans un CH et dans ceux sans service spécialisé. Ces réseaux, plus défavorisés en ressources, ont été plus affectés par le roulement de personnel et par le transfert d’usagers ayant des TM graves ou concomitants vers les soins primaires14.

Le fait que le PASM se soit concentré surtout sur le déploiement de nouvelles structures sans focaliser sur les pratiques et sur les stratégies pour les opérationnaliser a également conduit à une implantation mitigée, particulièrement dans les réseaux moins pourvus en ressources ou d’un leadership affirmé en faveur du PASM. Lorsqu’elles ont été implantées, les stratégies d’intégration ont entraîné une plus grande formalisation des relations interorganisationnelles. Les ententes de services et plusieurs pratiques basées sur les données probantes ont été peu implantées. Le recours au Centre national d’excellence en SM a cependant joué un rôle clé de facilitateur dans la consolidation de l’intégration des services et des soins primaires, principalement en offrant de la formation et de l’encadrement auprès des équipes de suivi intensif et de soutien d’intensité variable et en introduisant certains outils cliniques standardisés pour les soins primaires.

Performance des équipes de SM selon leurs coordonnateurs

La recherche a aussi porté sur les déterminants de la performance (définie comme les dynamiques individuelles et d’équipe contribuant à l’efficacité, et reliée à la maîtrise des tâches et la capacité d’adaptation ou d’innovation)32 de 79 équipes de SM selon le point de vue de leur coordonnateur (figure 1). Ces travaux17, 21 ont montré que le nombre d’années d’expérience (séniorité) du coordonnateur et une plus grande utilisation d’outils cliniques standardisés (p. ex. guide de dépistage et d’évaluation des TM ou des TUS) étaient les variables influençant le plus directement la performance d’équipe. Une plus grande utilisation d’approches cliniques telles que la thérapie cognitivo-comportementale, l’approche par les forces et l’entretien motivationnel, le fait d’être une équipe spécialisée, et une plus grande fréquence d’interactions entre les équipes et les organisations ont aussi été considérés comme contribuant à la performance. Néanmoins, les réseaux comportant une plus grande proportion de grands utilisateurs et d’usagers aux prises avec un trouble de la personnalité rapportaient une moindre performance d’équipe. Quant aux stratégies d’intégration comme les ententes de services, les agents de liaison et la formation conjointe, elles ont influencé indirectement la performance d’équipe en agissant sur les facteurs précédents. Enfin, la performance d’équipe était associée à deux types de culture organisationnelle, soit celle dite « hiérarchique »33 (axée sur la qualité et la collaboration) plus fréquente dans les services spécialisés, et celle dite « de clan » (axée sur l’esprit familial, voir paternaliste), dominante surtout dans les équipes de soins primaires.

Perception des professionnels des équipes de SM concernant les processus cliniques

Le second objectif de la recherche, soit l’appréciation des processus (performance, satisfaction, promotion du rétablissement) était basé sur la perception de 315 professionnels (taux de réponse : 68 %) intervenant dans quatre réseaux de services (figure 1). Concernant la perception des professionnels sur leur performance d’équipe, les résultats montrent que celle-ci était surtout influencée par l’interdépendance, le travail collaboratif, la participation aux processus décisionnels, la promotion du rétablissement et la croyance dans les bénéfices de la collaboration interdisciplinaire16, 19, 21. Le facteur le plus important était le partage des connaissances, influençant autant la performance des équipes de soins primaires que des services spécialisés. Les variables géographiques (fréquence des interactions avec les omnipraticiens…) ont surtout exercé une influence sur la performance des équipes spécialisées. Les caractéristiques individuelles (moindre séniorité dans l’équipe…) et organisationnelles (faible proportion d’usagers ayant des troubles de personnalité et un moindre pourcentage de temps consacré à la gestion des épisodes de crise…) ont davantage influencé la performance des équipes de soins primaires16. Par ailleurs, une analyse typologique18 a permis d’identifier cinq profils d’équipe de professionnels selon le degré perçu de performance. Cette dernière était plus forte dans les équipes rassemblant les membres de professions biomédicales (psychiatrie, médecine, sciences infirmières) intervenant dans des équipes spécialisées externes, mais nettement plus faible chez les équipes composées surtout de professionnels psychosociaux ayant peu d’expérience et intervenant dans les soins primaires. Les équipes présentant une moins bonne performance étaient plus affectées par des conflits et présentaient de plus mauvais résultats dans la plupart des autres processus d’équipe (autonomie, confiance, familiarité avec les autres membres, engagement affectif envers l’équipe, support de l’équipe, etc.).

Figure 1

Caractéristiques sociodémographiques des répondants

Caractéristiques sociodémographiques des répondants

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Nos résultats indiquent aussi une forte association entre la performance et la satisfaction au travail22, 24, 25. À l’instar de la performance, la satisfaction au travail était surtout associée à des processus d’équipe, principalement la faible présence de conflits, un grand soutien de l’équipe, l’intensité de la collaboration et la participation aux processus décisionnels. Un bon climat d’équipe influençait positivement la plupart des variables de satisfaction au travail. Une culture de type « marché »33 (axée sur les résultats dans des milieux compétitifs, incluant la satisfaction des usagers) favorisait aussi la satisfaction au travail. Finalement, les infirmières étaient beaucoup moins satisfaites au travail que les membres des autres professions24.

Quant aux services axés sur le rétablissement, ils ont davantage été associés à des caractéristiques organisationnelles : appartenir à une équipe de soins primaires, interagir davantage avec les organismes communautaires en SM, utiliser plus d’outils d’évaluation de la satisfaction des usagers, ne pas intégrer une culture organisationnelle du type « clan »33, et suivre une plus grande proportion d’usagers ayant des TM concomitants et de santé physique, et ayant des idées suicidaires26. Divers processus d’équipe sont associés à la promotion du rétablissement : le partage et la production de connaissances, la réflexivité (capacité à s’adapter à des conditions nouvelles), le support et la confiance envers l’équipe et l’existence d’un climat propice à l’innovation34.

Effets des services de SM sur les usagers

Concernant le troisième objectif de la recherche s’intéressant à la capacité à répondre aux besoins des usagers, à assurer leur rétablissement et leur qualité de vie, l’information fut collectée auprès de 327 usagers (taux de réponse de 81 %, quatre réseaux – figure 1). Nos résultats indiquent que la performance des services (définie ici selon l’aide reçue, la continuité des services et la promotion du rétablissement) était associée au rétablissement et à la qualité de vie des usagers20, 23. Une augmentation du nombre de besoins sérieux perçus par les usagers était aussi reliée à une moindre performance des services et à des effets moins positifs chez les usagers.

Bien qu’une meilleure qualité de vie soit la variable le plus fortement associée au rétablissement, ce dernier était également influencé positivement par plusieurs variables d’utilisation de services : avoir un médecin de famille, utiliser un centre de réadaptation en dépendance (alcool), une banque alimentaire et consulter un psychologue. Une association négative était toutefois rapportée entre le rétablissement et l’utilisation des centres de réadaptation en dépendance pour les drogues et le nombre de professionnels consultés. Le rétablissement était aussi fortement relié à un plus grand nombre de besoins perçus et à une moindre sévérité des besoins de santé (p. ex. symptômes psychotiques), sociaux (p. ex. relations sociales) et de base (p. ex. logement).

Quant à la qualité de vie, elle était surtout associée à une faible sévérité des besoins, à une plus grande continuité des services, à un plus grand rétablissement et à l’adéquation de l’aide reçue par rapport aux besoins. Être un homme, ne pas vivre seul, être affecté d’un trouble de l’humeur comparé à d’autres diagnostics, et ne pas être affecté d’un TUS (drogues) étaient les autres variables associées à une meilleure qualité de vie23.

Discussion

Tout comme dans les autres pays industrialisés, les objectifs du PASM 2005-2015 étaient d’accroître le rétablissement des usagers, l’accessibilité aux services de SM en renforçant les soins primaires, d’améliorer la qualité des soins principalement par le développement de pratiques reposant sur des données probantes et d’accroître l’intégration des services. Ces objectifs n’ont été réalisés que partiellement dans les réseaux de services à l’étude. Divers éléments peuvent expliquer les retards et lacunes observés dans l’implantation du PASM. D’une part, son implantation a coïncidé avec la réforme du système de santé qui a entraîné la fusion de plusieurs organisations ayant des valeurs et des pratiques différentes. D’autre part, l’absence de guide précisant comment mettre en oeuvre les nouvelles structures et services a causé des retards dans leur implantation. Aussi, certaines de ces nouvelles structures, comme le guichet d’accès ou les soins partagés ne répondaient pas toujours aux attentes des professionnels, dont les omnipraticiens, expliquant leur réticence à les utiliser. Enfin, contrairement à d’autres réformes35, le PASM n’a pas mis un grand accent sur le soutien et la formation du personnel, particulièrement dans les nouvelles équipes de soins primaires. Sans surprise, les réseaux ayant mieux réussi l’implantation du PASM étaient ceux qui avaient déjà commencé à mettre en oeuvre certaines de ses composantes avant son déploiement officiel.

Bien que le PASM ait conduit à l’implantation d’équipe de soins primaires, nos travaux ont démontré que la performance et la satisfaction des professionnels y étaient moindres que dans les équipes spécialisées. Comme l’ont démontré les résultats de l’analyse typologique18, l’absence de psychiatres ou d’omnipraticiens dans plusieurs de ces équipes et d’autres processus d’équipes défavorables (autonomie, confiance, etc.) pourraient expliquer leur moindre performance. Dans certains pays à l’encontre du Québec, les équipes de soins primaires sont davantage multidisciplinaires, regroupant l’ensemble des professionnels nécessaires aux services de SM, incluant des spécialistes en dépendance35. Par ailleurs, les équipes de soins primaires étaient encore récentes au moment de l’étude et les professionnels qui les composaient n’avaient pas encore appris à travailler ensemble, ce qui explique l’influence de variables plus endogènes sur leur performance (caractéristiques individuelles et organisationnelles), par rapport à des variables plus exogènes contribuant plutôt à la performance des services spécialisés (variables géographiques). Notamment, une familiarité dans l’équipe permet une meilleure communication et la réduction des risques d’erreurs36. L’association entre la séniorité du coordonnateur et la performance des équipes souligne également l’importance pour les décideurs d’assurer une stabilité dans les équipes, un coordonnateur établi étant plus apte à assumer son leadership et à influencer les processus d’équipe37. En outre, les professionnels transférés des services spécialisés vers les nouvelles équipes ont dû s’ajuster aux conditions de travail en première ligne. Selon plusieurs études38-40, l’ambiguïté des rôles est une importante source de stress individuel pouvant nuire à la performance d’équipe. Inversement, quand le rôle de chacun est bien défini, les professionnels ont un meilleur contrôle sur leurs activités, ce qui renforce la capacité de l’équipe à s’adapter et à être proactive32. Une culture organisationnelle « hiérarchique », souvent retrouvée dans les grands établissements de santé33 où les rôles sont bien établis et les fonctions axées sur la qualité des services, mériterait d’être promue dans les équipes de soins primaires. Finalement, la moindre performance de ces dernières peut être reliée à la proportion élevée d’usagers ayant des troubles de la personnalité ou autres TM complexes ou concomitants que les intervenants des soins primaires ne sont peut-être pas toujours bien préparés à prendre en charge41.

Un plus grand déploiement des pratiques fondées sur les données probantes était souhaité dans le PASM afin d’améliorer la qualité des soins. Nos résultats ont montré une association entre l’utilisation des outils standardisés et des approches cliniques et la performance des équipes21. Ceux-ci augmentent la capacité des professionnels à dépister et à traiter adéquatement les TM42. De plus, ils facilitent le déploiement d’une communauté de pratique chez les professionnels, favorisant leur capacité à travailler en collaboration43. Nos résultats soulignent néanmoins que les pratiques basées sur les données probantes ont néanmoins été peu déployées, particulièrement dans les réseaux hors des IUSM.

Le PASM préconisait aussi une plus grande intégration des services afin d’assurer une meilleure continuité des soins, particulièrement pour les usagers avec des TM graves ayant été transférés dans la communauté. Nos résultats ont illustré qu’une plus grande fréquence d’interaction entre les équipes et organisations augmentait à la fois la performance des équipes de SM et la continuité des services aux usagers. De fréquentes interactions organisationnelles facilitent le transfert de connaissances et de pratiques qui peuvent ensuite émerger à l’intérieur de l’équipe, améliorant la performance individuelle et d’équipe. Elles contribuent également, si elles sont satisfaisantes, à créer un climat de confiance entre les organisations44 et propice à la collaboration interdisciplinaire.

Nos résultats démontrent qu’outre les structures, les processus d’équipe contribuent à la performance et aux effets des services sur les usagers. Notamment, la participation des professionnels aux décisions d’équipe favorise leur performance et le rétablissement des usagers. Des études ont montré que l’implication des professionnels dans les décisions les rend plus satisfaits de leur travail45 et plus responsables dans leur engagement envers les usagers46. De mêmes nos résultats ainsi que ceux d’autres études47, 48 ont démontré qu’une plus grande autonomie des professionnels augmente leur motivation au travail, contribuant à améliorer la performance d’équipe. Le partage des connaissances est aussi une condition essentielle pour assurer l’efficacité d’une équipe interdisciplinaire49. La sévérité des besoins des usagers limite néanmoins l’adéquation de l’aide, influençant la performance des équipes20. Nos résultats rapportent enfin une association importante entre la qualité de vie des usagers et leur rétablissement ainsi que la continuité et la diversité des services23.

Limites de la recherche

Comme il s’agit d’une recherche synthèse d’un programme comportant près d’une vingtaine d’articles publiés ou en révision, il a été impossible de présenter les détails des analyses ou résultats de chaque article. Des tests de comparaison entre les répondants et non-répondants (coordonnateurs, professionnels, usagers), incluant des analyses multiniveaux pour les équipes, ont aussi été réalisés comportant aucune différence significative entre les groupes ; ces derniers ont été essentiellement présentés dans d’autres publications21 26, 34. Cette étude était par ailleurs transversale et ne concernait que l’évaluation de certaines composantes du PASM ; elle n’a donc pas permis d’étudier l’évolution de l’implantation du PASM à travers le temps et les résultats de ce dernier dans sa globalité. Enfin, la généralisation des résultats à l’ensemble du Québec devra être testée par d’autres études similaires.

Conclusion

Ce programme de recherche a permis de mieux cerner l’implantation du PASM et son impact sur les services, la performance des équipes et sur les usagers. Bien que les soins primaires aient été consolidés, les pratiques et services méritent grandement d’être améliorés afin de rehausser la continuité, l’adéquation de l’aide aux besoins et le rétablissement des usagers. Plusieurs recommandations découlent de nos résultats. Sur le plan des structures, les décideurs pourraient promouvoir dans les équipes des cultures organisationnelles favorisant davantage la qualité des services et la collaboration. Étant donné que les stratégies d’intégration influencent indirectement la performance d’équipe, mais qu’elles sont sous-utilisées, il est recommandé de les implanter plus systématiquement. Ces stratégies devraient concerner non seulement l’intégration clinique, mais aussi l’intégration administrative et professionnelle. Les contrats de services et agents de liaison sont des exemples de stratégies favorisant l’intégration administrative entre les organisations. Par ailleurs, une plus grande emphase sur le soutien et la formation est recommandée, encourageant le partage des connaissances entre les professionnels et l’augmentation de leurs compétences. Ceux-ci pourraient viser particulièrement l’utilisation d’outils d’évaluation et de dépistage des TM et de meilleures pratiques d’intervention, éléments essentiels pour assurer une bonne qualité des soins. Dans un contexte de réforme susceptible de perturber les pratiques professionnelles, il est aussi suggéré pour les coordonnateurs de bien encadrer les professionnels et de soutenir leur implication dans les processus décisionnels concernant le traitement des usagers. Enfin, un soutien biopsychosocial diversifié et continu d’intensité variable est recommandé pour améliorer l’adéquation des services aux usagers ainsi que leur qualité de vie et leur rétablissement.