Jusqu’au début du 20e siècle, l’étude de la cognition et des émotions était principalement l’affaire des philosophes. Le débat typiquement cartésien autour de la dualité émotion versus raison, ou raison versus passion a animé les chercheurs ainsi que l’imaginaire collectif jusqu’à nos jours. Les philosophes ont ainsi historiquement divisé l’étude de l’esprit humain en deux catégories : la cognition (comment nous percevons le monde) et l’affectif (comment nous ressentons le monde). Alors que la recherche sur le fonctionnement de l’esprit et ses perturbations se basait initialement sur l’introspection, les dernières décennies ont vu l’essor fulgurant de nouveaux outils conceptuels et techniques pour mieux appréhender le fonctionnement cérébral sous-tendant les interactions entre le raisonnement (longtemps appelé la cognition froide) et les émotions (ou cognition chaude). La psychologie expérimentale et les neurosciences cognitives ont ainsi révélé que la cognition et les émotions sont intimement liées. Entre autres, l’ouvrage princeps d’Antonio Damasio, L’Erreur de Descartes (1994), a apporté un nouvel éclairage sur les relations entre le corps et le cerveau, et leurs rôles dans la perception des objets. Contrairement à ce qu’indiquait la culture purement cartésienne, Damasio propose de montrer de quelle façon les émotions permettent essentiellement une meilleure adaptation à l’environnement et pourquoi elles font partie intégrante de la raison. Les neurosciences affectives et la neuropathologie ont contribué à proposer que certaines régions cérébrales permettent d’anticiper et de former des plans d’action pour l’avenir, avec pour assise la modulation fine des émotions. Les émotions donneraient du poids aux différentes solutions d’avenir qui s’offrent à l’individu, lui permettant ainsi de survivre, de s’adapter et d’optimiser ses intérêts propres. Les interactions entre émotions et cognition sont tout aussi importantes pour comprendre les problématiques de santé mentale. Il est donc surprenant que les altérations des états émotionnels soient universellement reconnues comme la composante majeure des maladies mentales, alors que les manifestations sur le plan cognitif sont souvent négligées, tant dans les modèles théoriques qu’au niveau du diagnostic et de la prise en charge. Qui plus est, bien que certains symptômes cliniques, tels que la dépression, l’anxiété ou les délires psychotiques, soient améliorés par les traitements pharmacologiques en vigueur, les troubles cognitifs ne sont souvent que peu améliorés par ces traitements, pouvant même être aggravés dans certains cas. Notons aussi que les troubles cognitifs des conditions psychiatriques ne sont pas qu’une conséquence secondaire d’affects perturbés, puisque leurs substrats neurobiologiques respectifs diffèrent. Les atteintes cognitives en santé mentale sont également complexes, renvoyant à plusieurs fonctions cognitives, et peuvent être communes ou différer selon la pathologie. Si, par exemple, les problèmes attentionnels se retrouvent dans plusieurs pathologies, ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes. Le dysfonctionnement cognitif est donc une dimension hautement pertinente, mais pauvrement contrôlée dans la maladie mentale, puisqu’elle possède un impact majeur sur le fonctionnement social et professionnel des patients. La plupart des chercheurs reconnaissent maintenant que les émotions sont importantes pour le fonctionnement personnel, et que notre façon de traiter l’information est constamment modulée par nos réactions émotionnelles. C’est donc que les structures anatomiques associées à la mémoire, à l’attention et aux autres fonctions cognitives peuvent chevaucher celles qui sont dédiées aux émotions. Certaines régions du cerveau permettent-elles d’encoder des souvenirs différemment selon leur contenu émotionnel ? L’intensité (activation) d’une émotion ou encore son étiquette (valence plaisante ou déplaisante) influence-t-elle la mémoire ou l’attention ? Les neurosciences cognitives et affectives sont aux prises avec ces questions fondamentales, en tentant de comprendre ce qui était autrefois considéré comme des aspects dissociés et inaccessibles. Les problématiques de santé mentale s’avèrent très propices pour appréhender ces interactions cognition-émotions et en comprendre les perturbations. C’est dans cet esprit que …
PrésentationL’apport des neurosciences affectives et cognitives en santé mentale[Record]
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David Luck
Ph. D., Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Psychiatrie – Université de Montréal, Département de psychiatrieIsabelle Soulières
Ph. D., neuropsychologue, chercheure, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (CRIUSMM) – Département de psychologie, Université du Québec à MontréalMarc Lavoie
Ph. D., directeur du Laboratoire de psychophysiologie cognitive et sociale – chercheur régulier au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal – Professeur-chercheur titulaire au Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal