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Avant de changer, de savoir où l’on va, il faut savoir qui l’on est, d’où l’on vient. L’article vise à présenter une tranche historique des péripéties d’un hôpital psychiatrique dont tous les acteurs sociaux se questionnent ouvertement sur son avenir et sur les transformations souhaitables à un moment où il passe d’un statut privé à un statut public. Ce questionnement ressemble d’ailleurs à celui que se pose, vers la même période, l’autre grand hôpital psychiatrique francophone, l’Hôpital Saint-Michel-Archange de Québec (Groupe de travail, 1973 ; Bégin et Vinet, 1976)

En 1973, pour l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu (HSJD), cent ans après la signature du premier contrat entre l’établissement et le gouvernement du Québec, qui ont assuré que les soins y furent prodigués aux patients avec une charité compatissante (Courteau, 1989), son année financière se termine sur un déficit de près d’un million. Désormais, l’Hôpital relève du ministère de la Santé du Québec (MSQ) qui y nomme en 1974 le psychiatre Denis Lazure comme directeur général. La condition de son acceptation du mandat ayant été le départ des religieuses. Il devient ainsi une sorte de plénipotentiaire, un tuteur sans le nom, imposé comme un agent extérieur de changement. Il s’attaque rapidement à ce qu’il appelle les « petites chapelles », en disant que ce « n’est pas la grosseur de l’institution en soi qui est le principal handicap, c’est le nombre des petits empires […] ; c’est ensuite l’existence d’une mentalité défaitiste » (Courteau, 1989).

Il combat le « complexe du dinosaure », déplorant la très mauvaise qualité de soins pour les patients à soins prolongés : « ghettos et zones grises » (Courteau, 1989). Il préconise donc la sectorisation globale en intégrant de plus le long terme au court terme en vue d’éviter des hiérarchies d’exclus allant des « curables » aux « incurables », ou des oubliables aux oubliés. Il veut également « combattre aussi l’isolement des disciplines » (Courteau, 1989), et il entreprend l’opération mixité.

Dès 1974, l’Hôpital est restructuré en six secteurs internes correspondant aux secteurs externes déjà existants. L’orientation de sectorisation à l’interne semble contredire les conclusions du Rapport de la Commission d’Étude des Hôpitaux Psychiatriques (1962) dont le docteur Lazure fut un des trois signataires. Cette Commission avait dénoncé la cohabitation, au sein d’une même unité, de personnes ayant diverses pathologies, cohabitation qui conduit à une situation d’homogénéisation indue de l’approche. Cette dénonciation reviendra dans le rapport, celui de la Commission d’enquête gouvernementale sur l’Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, le 21 mai 1984 (Amyot et al., 1984).

En 1975, on intègre directement les foyers affiliés à ces six secteurs. Bernard Courteau, employé retraité devenu historien de l’établissement, rapporte les propos du psychiatre Wolfe : « À l’encontre du principe de la continuité des soins préconisés dans la sectorisation, on en arrive, dans la pratique, à devoir tenir compte de l’itinérance, des déménagements fréquents du patient, ce qui le fait passer à chaque fois d’une équipe à une autre » (Courteau, 1989). On démantèle le corps de police au profit de la mise sur pied d’un service de sécurité. Cette année-là, possible effet du style du réformateur selon des acteurs de l’époque, le nombre de psychiatres passe de 48 à 21. Ces changements n’empêchent pas les réactions du public aux multiples changements de l’institution. Ainsi, dans Montréal-Matin du 6 mai 1975, on trouve ce titre : « Patients de HSJD traités comme des bêtes ».

En 1975, à la suite d’un sondage auprès des usagers et du personnel, on retient le nom Louis-Hippolyte-Lafontaine (LHL) comme nouveau nom de l’hôpital, nom qui deviendra officiel le 1er mars 1976. Sa nouvelle vocation est celle d’un Centre hospitalier (CH) : 1) à court terme pour des soins psychiatriques spécialisés, ouverts à ses clients de secteur ; 2) pour soins prolongés (plus de trois mois) ; et 3) pour patients incurables, c’est-à-dire pour environ 800 de ses 3452 patients. Ce dernier volet, défi séculaire, fera l’objet de débats ultérieurs jusque dans les années 90.

Dès 1976, LHL ne traite plus les patients externes qui ont un domicile dans un secteur appartenant à des hôpitaux de la région de Montréal ayant un département de psychiatrie. L’Hôpital ouvre un premier centre de jour au Centre local de services communautaires (CLSC) Hochelaga-Maisonneuve avec l’ouverture d’un premier centre de jour et une clinique externe à Anjou. Par contre, certains services centralisés ne pouvant se diviser en secteurs disparaissent : thérapie par l’art, la musicothérapie, etc. Lors d’une rencontre avec un représentant du MSQ, le psychiatre (aussi poète) Lorenzo Morin déplore que, paradoxalement à l’intention initiale : « [l] a sectorisation rend difficile la continuité de soins » (Courteau, 1989). Ce représentant lui répond : « Le ministère est conscient des problèmes d’un établissement […] à la mesure de son gigantisme […] Idéalement, il serait souhaitable de déconcentrer la distribution des soins. […] Cependant, des investissements énormes devraient être consentis pour réaliser cet idéal » (Courteau, 1989). Bernard Courteau commente : (pourquoi) « Accorderait-on à d’autres des crédits pour le manque desquels on a fustigé leurs prédécesseurs » (Courteau, 1989) ? Cette même année, le MSQ entame l’Opération Pavillonnement, dans le but de « rationaliser » les ressources d’hébergement protégé dans la province. Les Familles d’accueil sont désormais rattachées à un centre de services sociaux et hébergent au plus 9 personnes. Les Pavillons comptent 10 à 29 lits et les Centres d’accueil 30 lits et plus. En août 1976 se crée un comité de parrainage civique, émanant du comité des bénéficiaires de l’établissement, afin de procurer aux malades les moins visités « un compagnon susceptible de l’épauler dans la pratique de son autonomie » (Courteau, 1989). Cette année-là se signe le premier contrat d’affiliation à l’Université de Montréal.

Le 15 novembre 1976, le Parti québécois remporte les élections générales et le docteur Denis Lazure, candidat élu, devient bientôt ministre de la Santé, poste qu’il conservera jusqu’en 1981. Le MSQ change de nom, devenant le Ministère des Affaires sociales (MAS).

Le 11 janvier 1977, le projet d’un centre d’accueil dans l’institution se concrétise. Bernard Courteau en sera nommé responsable. En mars, en vertu d’un accord récent, « Les patients psychiatriques de l’Hôpital Notre-Dame sont admis au terme d’un accord récent dans une des salles de LHL, à charge pour Notre-Dame de détacher les psychiatres requis afin d’en assumer le suivi. À preuve, sans doute, que le patient, lorsqu’il est dit “ suivi ‘, ne fait que précéder » (Courteau, 1989).

Entre mai 1976 et septembre 1977, LHL subit trois incendies majeurs. Donc, on crée un comité ad hoc sur l’avenir de l’Hôpital. Les réflexions émanant de ce comité aboutissent, en 1978, à un document intitulé Quel est l’avenir de LHL ? Au point 5.2 on lit : « Le centre hospitalier doit faire peau neuve dans ses structures physiques, dans le climat de travail qui y prévaut et dans l’image qu’il projette dans la société et chez les patients. Sa taille doit être ramenée à une dimension permettant des rapports plus humains et moins dépersonnalisants » (LHL, 1978) passage repris par l’éditorialiste du Devoir (Jean Francoeur, 1984), ce qui atteste de l’intérêt public quant à la démarche. Aux recommandations 1-4, 8, 11, 19 (LHL, 1978), on trouve : « maintien d’une vocation de responsabilité d’un secteur offrant toute la gamme des services hospitaliers (y compris médecine et chirurgie pour patient psychiatrique) et externes, développement des ateliers thérapeutiques d’abord pour les patients hospitalisés puis, secondairement pour les patients d’autres hôpitaux de la région, abaisser à 1500 lits la capacité de l’Hôpital et y ajuster la politique d’admission des patients à long terme en conséquence, rénover divers pavillons, poursuivre un objectif de normalisation, développer des mécanismes de communication clairs et simples entre la direction du CH et ses cadres » (LHL, 1978).

En réaction à ce document, un comité de travail de la Commission des services psychiatriques du Conseil régional de la santé et des services sociaux du Montréal métropolitain (CRSSSMM) présente les recommandations suivantes : « diminution à 1500 lits de la capacité de l’Hôpital, localisation des équipes de cliniques externes hors les murs, décentralisation des services d’ergothérapie et de réadaptation, création d’une structure par programmes adaptée aux diverses clientèles de l’Hôpital (soins psychiatriques de courte durée, soins psychiatriques de longue durée, services de deuxième ligne en complémentarité avec les hôpitaux de la région, services de psychogériatrie), regroupement des 800 à 900 malades fonctionnels chroniques hébergés à l’Hôpital au sein d’un programme identifié (donc sortie de la sectorisation), arrêt de la dispensation de soins spécialisés en médecine et en chirurgie, confier au Conseil régional de la déficience mentale (CRDM) les quelque 400 déficients mentaux hospitalisés à LHL ». L’essentiel en est accepté le même mois par le Conseil d’administration (CA) du CRSSSMM qui l’expédie amendé au MAS. (CRSSSMM, 1979)

En 1978, en dépit de la réflexion en cours, la direction générale effectue la « refenestration » de l’Hôpital, dépense élevée qui amène certaines critiques ministérielles (Courteau, 1989). Pour celles-ci, voilà un bon exemple du béton avant tout.

En avril 1980, lors d’une visite d’accréditation en vue de la reconnaissance comme milieu de stage pour la formation des futurs psychiatres, le représentant du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) et de la Corporation professionnelle des médecins du Québec (CPMQ) estime que : « Louis-H. s’est amélioré au cours des dernières années… […] Son centre de recherche est sans doute le meilleur de tout le réseau psychiatrique universitaire » (CRSSSMM, 1979). Enfin s’effectue l’annexion, souhaitée dès 1966, à la Ville de Montréal.

Le 8 avril 1980, dans une lettre du sous-ministre adjoint Réjean Cantin au CA de LHL, le MAS approuve le projet de réduction des lits de 2319 à 1500, mais sur un échéancier de trois ans et entend préciser et valider l’approche de sectorisation et le ratio stipulé par le CRSSSMM pour les équipes de soins ambulatoires. Plutôt que le maintien désiré de services médicaux et chirurgicaux sur place, il recommande des ententes et une planification particulières avec un hôpital général en matière de services médicaux et chirurgicaux ainsi qu’en matière de soins prolongés physiques et non psychiatriques. Cependant, il décrète : qu’ « [u] ne conséquence financière ne permettant pas de réaliser le déménagement des 400 places pour arriérés mentaux […] il revient à LHL de conserver à court terme cette responsabilité historique […]. Il faudra toutefois envisager l’extinction graduelle de cette orientation », la vertu étant reportée pour plus tard, sans échéancier cette fois-ci. De plus, le nombre de lits pour les malades fonctionnels chroniques hébergés devra passer de 900 à 500. Quant à l’effort proposé par le CRSSSMM « de tenter d’intégrer ces malades à la société ou de les diriger vers des ressources moins lourdes que l’hôpital psychiatrique », le MAS suggère que le CRSSSMM « procède à une analyse qui permettra d’assurer adéquatement l’avenir de cette vocation ». Dans une lettre datée – quel hasard ! – du même jour que la lettre du sous-ministre adjoint, le directeur du CRSSSMM accuse réception de la lettre du ministre et mentionne qu’en compagnie des membres de la Commission des services psychiatriques, il a déjà fait part de ses commentaires au responsable du service de santé mentale du MAS. Cette célérité de réponse traduit assurément une certaine impatience face à la lenteur du dossier.

En 1980, le ministre Lazure crée un comité tripartite MAS-CRSSSMM-LHL chargé d’établir « un plan directeur comprenant toutes les opérations en vue de réaliser l’avenir proposé… » (Francoeur, 1984). Il siégera d’octobre 1980 à décembre 1981, sans aboutir à des recommandations finales, faute d’« objectifs communs » (Francoeur, 1984). Dès janvier 1982 et jusqu’en 1983, le CA de LHL constate « que le comité tripartite ne siégeait plus. Malgré toutes les vérifications auprès de Québec, force était de constater que toutes les raisons étaient bonnes pour en suspendre les opérations » (LHL, 1983). « Ainsi s’amenuisaient les espoirs de voir se réaliser l’ensemble du projet Quel est l’avenir… ? », qui prévoyait, entre autres, la sortie de quelque 80 bénéficiaires de l’Hôpital, notamment par manque de ressources extérieures » (LHL, 1983).

L’établissement évolue tout de même. En 1980, la municipalité de Gamelin qui correspond au territoire de l’hôpital dont elle relève est annexée à la ville de Montréal. Signe d’un rayonnement universitaire important, se publie Psychiatrie clinique, volume dirigé par deux psychiatres de LHL, Frédéric Grunberg et Pierre Lalonde. En 1983, les premiers appartements supervisés ouvrent leurs portes rue Parthenais, la première maison de transition est bientôt transférée rue Guillaume Couture alors que la Paroisse HSJD prend le statut d’« aumônerie » (Courteau, 1989).

Devant la lenteur des travaux du comité tripartite mentionné plus haut, l’Hôpital a mis sur pied un comité d’actualisation du rapport sur l’avenir de LHL. En mai 1983, le CA de LHL accepte le contenu et les recommandations d’une Étude sur l’actualisation du devenir de LHL où l’on fait état des démarches antérieures, notamment de la réaction du MAS : « Le MAS refusa, à la fin de l’année financière 1981, de payer la facture du coût d’application des conventions collectives et exigea du réseau hospitalier un plan de redressement en vue d’atteindre l’équilibre budgétaire (…). Devant cet état de fait, le CA vint à douter de la réalisation des espoirs nourris par le comité tripartite » (LHL, 1983). Les principales recommandations de la nouvelle étude sont : maintien de la capacité à 2200 lits, maintien des ateliers, maintien des services (de nature commerciale) offerts aux bénéficiaires, création d’un centre de jour, maintien de programmes de soins spécialisés en psychiatrie a) courte durée – psychiatrie générale, b) courte durée – urgence et unité d’observation, c) courte durée – soins intensifs, d) courte durée – psychogériatrie, e) courte durée – réinsertion sociale). Pour les soins prolongés, on recommande le maintien d’un programme de conditionnement opérant et la mise sur pied de trois grandes catégories de programmes (handicapés mentaux avec problèmes psychiatriques, personnes souffrant de psychoses fonctionnelles, programme gérontopsychiatrique pour les personnes hospitalisées en soins prolongés). Par ailleurs, pour éviter l’institutionnalisation en soins prolongés, on recommande « des programmes spécialisés (…) pour les jeunes adultes montrant une forte instabilité psycho-émotionnelle (…) à l’intérieur des ressources externes (appartements surveillés, familles d’accueil, pavillons) ou de ressources externes (unités aménagées à cette fin) » et favoriser « au maximum l’acquisition d’apprentissage leur permettant de tolérer leur environnement et d’être tolérés par ce même environnement » (LHL, 1983). Enfin, cette étude préconise des réaménagements physiques importants dans quatre pavillons, l’accroissement des ressources humaines et financières et une définition claire de la philosophie de gestion afin d’accroître l’implication et la motivation de tous. (Amyot et al., 1984). Ainsi, de 1978 à 1983, « faute de ressources disponibles hors les murs, il n’est plus question de diminuer progressivement le nombre des patients […] » (Amyot et al., 1984) Par conséquent, LHL n’implante pas les programmes prévus pour divers types de clientèle et effectue plutôt des travaux de rénovation au montant de 11 000 000 $ (Amyot et al., 1984).

Au cours de 1983 et au début de 1984, « on assiste au sein de l’établissement à une remise en question importante de certaines politiques de la direction des soins infirmiers, surtout en ce qui concerne le remplacement d’un certain nombre de postes de préposés aux bénéficiaires par des postes d’infirmières » (Amyot et al., 1984). Le 11 avril 1984 survient une fuite d’un rapport de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIFQ) portant sur la qualité des soins dans cet hôpital. On lit dans le journal Le Soleil : « Selon le document […] les droits des malades sont bafoués. On cite l’exemple de cas de brutalité non rapportés et de malades attachés, d’une même unité, qui sont nourris avec la même cuillère. Le document révèle aussi des problèmes concernant l’administration des médicaments et du non-respect de certaines règles d’hygiène. Le directeur de l’institution […] a confirmé certains passages du rapport, notamment en ce qui a trait à l’hygiène et au manque de connaissances de certains employés. » (Presse canadienne, 1984)

Le syndicat représentant les infirmier(e) s de l’Hôpital croit que « c’est l’organisation du travail qui est à repenser » (Presse canadienne, 1984). De son côté, l’Association des hôpitaux du Québec émet des doutes sur les informations provenant des fuites aux médias, mais estime que les compressions budgétaires des récentes années ne sont pas étrangères aux situations alarmantes vécues dans ce centre psychiatrique montréalais (Presse canadienne, 1984). Selon la présidente du syndicat local, « il en coûte moins cher d’asseoir un patient dans une chaise et de le gaver de pilules pour le calmer que d’assurer sa réinsertion sociale » (Presse canadienne, 1984). Selon le vice-président du syndicat des employés de cet hôpital et lui-même préposé aux malades, « la fumée, le bruit, les salles de bains sont souvent inadéquats, les bains sont donnés collectivement, sans cloison. L’asile est toujours là ; ce n’est que le nom qui a changé » (Presse canadienne, 1984). Par ailleurs, le 13 avril 1984, en conférence de presse, la Fédération des affaires sociales de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) affirme que « [l] es cas de surmédicalisation et de traitements douteux dénoncés à LHL ne sont pas isolés ; d’autres centres ont vécu des situations semblables, souvent provoquées par le manque de personnel et des compressions budgétaires appliquées aveuglément » (Presse canadienne, 1984). Le Syndicat réclame qu’on enquête non pas sur des faits isolés et dénoncés sporadiquement, mais de façon générale, sur la qualité des soins en institutions psychiatriques et il réclame aussi « pour les patients le droit de refuser tout traitement ou médicament qui ne leur convient pas » (Presse canadienne, 1984). Pour sa part, « le président du CA de l’Hôpital […] a affirmé hier […] que les faits rapportés par les médias sont fantaisistes. Pressée de questions, la direction a par contre admis qu’un manque de personnel peut entraîner un usage plus fréquent de médicaments auprès de certains des 2200 patients de l’Institution (…) (et) qu’il est possible que des patients aient été privés d’intimité au moment du bain et de l’habillage, en raison d’un manque d’espace dans l’établissement. » De son côté, l’OIIFQ a souligné qu’un plan d’action a été adopté à la suite de ce rapport, et a permis d’améliorer certains points. […] Par ailleurs, le groupe Auto-Psy, à l’époque seul organisme provincial voué à la défense des droits des personnes psychiatrisées, exige du ministre Laurin une commission d’enquête provinciale sur le sort réservé aux personnes recevant des soins psychiatriques en institution, plutôt qu’un comité d’enquête sur le cas de LHL qui selon l’organisme est loin d’être un cas isolé (Presse canadienne, 1984).

Le nouveau ministre du MAS le psychiatre Camille Laurin, auteur de la postface du livre Les fous crient au secours publié en 1961, nomme une commission d’enquête sur la qualité de l’administration et du fonctionnement de LHL composée de deux psychiatres et une infirmière et chargés de « faire toute la lumière ». La direction de l’établissement demande, pour sa part, à la CPMQ de déléguer son comité d’inspection à l’Hôpital et, subséquemment, de produire un rapport circonstancié, ce qui est fait. La conclusion résume ce rapport : « Tout est satisfaisant, mais l’image serait sans doute meilleure si les conditions matérielles l’étaient. »

L’éditorialiste du journal Le Devoir (Francoeur, 1990) écrit : « Le ministre d’alors, Camille Laurin, pris de panique, avait institué une enquête particulièrement odieuse dont les conclusions, heureusement, ont fait litière des pires allégations faites contre l’Hôpital. » Il poursuit : « Le plus navrant de cette histoire, c’est que les enquêteurs arrivaient à peu près aux mêmes conclusions que l’administration de LHL quatre ou cinq ans plus tôt. Et notamment, qu’il fallait « repenser la vocation, définir les objectifs, amorcer les virages, mettre sur pied des programmes, améliorer les communications, coordonner les services, motiver et stimuler le personnel, établir des liens de complémentarité, créer une ouverture vers l’extérieur […] « Mais, en 1981, le ministère, après avoir approuvé un train de mesures (mises de l’avant par l’Hôpital même), avait tout laissé choir because la crise des finances publiques. Que le vrai docteur Denis Lazure se lève… » (Francoeur, 1990).

Les enquêteurs ne reprennent pas à leur compte toutes les accusations véhiculées dans les médias. Pas d’abus de médication au titre de camisole de force ; au contraire, l’institution s’avère être un site d’étude des médicaments et il se fait de l’enseignement continu quant à leur usage. Quant à l’hygiène personnelle des patients, il y a des problèmes, mais des réaménagements simples et une touche humaine pourraient améliorer grandement les choses. La violence et la brutalité existent, mais la direction a élaboré une politique qui a paru pertinente aux enquêteurs et dont l’application a conduit, en quatre ans, à dix congédiements et douze suspensions. Les unités où persiste la violence sont les unités où il y a peu d’infirmières, pas d’implication des autres professionnels, pas de programme de réadaptation, ainsi que très peu de formation et d’encadrement du personnel en place. Ces actes de brutalité se produiraient souvent en soirée.[1] La gestion des allocations de dépenses des personnes ne pose pas de problèmes importants.

En fait, les enquêteurs s’en prennent au gigantisme de l’institution et proposent d’en retirer les personnes âgées et les déficients mentaux par le biais de la création de trois corporations, ce qui, entre autres, présuppose une catégorisation des bénéficiaires selon leur diagnostic plutôt que selon leur secteur. Ils recommandent, implicitement bien sûr, une tutelle, ce que le ministre comprend vite. On critique cette vision, notamment dans la presse. Dans une vision historique, la presse estime que l’inertie appartient d’abord au gouvernement. Notamment, dans « un document, daté du 8 avril 1980, émanant du MAS dont le titulaire était alors Denis Lazure, le ministère donnait son aval aux réformes, “substantielles” et “radicales”, que l’administration de LHL avait proposées deux ans plus tôt et qui, l’année suivante, avaient reçu l’accord du conseil régional. Que dit cette pièce au sujet des déficients mentaux ? Proposition de l’Hôpital : “Que les arriérés mentaux ne nécessitant pas de soins psychiatriques actifs (plus de 400) quittent l’Hôpital dans les meilleurs délais”. Réponse du ministère : “Une conséquence financière ne permettant pas de réaliser le déménagement […] il revient à l’Hôpital de conserver à court terme cette responsabilité historique […] Il faudra toutefois envisager l’extinction graduelle de cette orientation […] La détermination de ce recyclage est à être déterminée (sic) ultérieurement par le conseil régional”. Ultérieurement ! Un comité tripartite a été formé. Il a siégé un an. La crise des finances publiques a éclaté et toute l’opération a été mise en veilleuse jusqu’à ce que le conseil d’administration de l’Hôpital, en mai 1983, entreprenne un nouvel effort pour “réactualiser son devenir” » (Francoeur, 1984). L’éditorialiste Jean Francoeur conclut à ce propos et au sujet du rapport Amyot-Aird-Charland, ceci : « Qu’on accuse aujourd’hui l’Institution de se traîner les pieds comme les enquêteurs le font, c’est à l’insulte ajouter l’injure » (Francoeur 1984). Selon lui, le rapport passe rapidement sur un autre point : « Le coût quotidien des soins physiques à court terme est de 148,28 $ à LHL (contre 240 $ dans les hôpitaux généraux), celui des soins psychiatriques à court terme est de 97,72 $, et le coût d’un lit long terme (gériatrie, déficience, fonctionnel) est de 80,76 $. Comment être sûr que le ministre met vraiment assez de ressources à la disposition de cette institution ? La question n’est même pas posée. […] N’empêche que le diagnostic de fond est juste. La direction de LHL s’évertue à le répéter depuis six ans. […] Le rapport s’achève sur une question à laquelle les enquêteurs n’ont pas osé apporter une réponse limpide. Après avoir défini les réformes à accomplir, ils se demandent “qui, à l’intérieur de l’Hôpital, peut assumer le leadership nécessaire à la réalisation de ces tâches considérables“. Mais l’insinuation est transparente : il faut confier LHL à la curatelle pour irresponsabilité » (Francoeur 1984) !

Pour sa part, le Conseil des médecins et dentistes (CMD) de LHL se déclare « très inquiet face à certaines recommandations faites par la commission d’enquête […] Par ailleurs, le conseil se dit surpris que les enquêteurs n’aient pas mentionné les effets négatifs des compressions budgétaires sur la qualité des services donnés aux patients » (Presse canadienne 1984). Le 24 juillet 1984, le CMD produit, à l’intention du ministre d’alors, Camille Laurin, un rapport intitulé Commentaires du CMD sur le rapport de la Commission d’enquête sur la qualité de l’administration et du fonctionnement de LHL. Le CMD se dit étonné « qu’une commission d’enquête chargée d’enquêter sur la qualité des soins […] n’ait pas, de façon officielle, convoqué le CMD à venir témoigner devant lui ». Le document accuse les commissaires de s’en tenir à des périphrases, à des affirmations gratuites et dogmatiques prises sous forme de présumées évidences « cet établissement est trop gros » ou d’incitation volontariste « il faut […] il faut […] il faut […] » (CMD, 1984). Les enquêteurs proposent des solutions sans savoir si elles seront applicables […] (CMD, 1984). S’ils avaient voulu être objectifs, ils auraient mis en balance les avantages et les désavantages d’avoir un hôpital de 2000 lits (CMD, 1984). (et) qu’une telle concentration de patients permet (…) une économie d’échelle. » (CMD, 1984) « Tel que l’ont souligné les enquêteurs, il existe une pénurie de psychiatres au centre LHL. Cette pénurie est difficilement corrigible, car le recrutement est rendu difficile par les mesures prises par le MAS visant à limiter le nombre des nouveaux gradués à l’intérieur des centres urbains » (CMD, 1984). Par ailleurs, « les enquêteurs ignorent complètement qu’en dehors de la spécialité psychiatrie, il existe une notion de médecine et de chirurgie psychiatriques » (CMD, 1984). Qui plus est, « les déficients mentaux présentent très fréquemment des problèmes psychiatriques aigus et chroniques. (…) Qui dispensera ces soins si on modifie les structures de l’Hôpital ? » (CMD, 1984). « Quant à l’affirmation voulant que des bénéficiaires soient refoulés graduellement du court terme au long terme, elle est réfutée aisément par la constatation que la durée moyenne de séjour est de 28 jours dans la section soins à court terme. […] Avant d’être admis dans les unités de soins long terme (les patients) doivent être acceptés par le comité d’admission » (CMD, 1984). Quant à l’ouverture de l’Hôpital sur le monde, le CMD rappelle que la plupart des cliniciens interviennent dans divers milieux hors de l’Hôpital : centres d’accueil, centres hospitaliers de soins prolongés (CHSP), etc. Aussi, le CMD recommande fortement : 1) qu’une enquête objective ait lieu sur la situation réelle à LHL ; et 2) que soit réalisée une étude prospective analysant les conséquences des modifications proposées sur les soins (CMD, 1984).

Pour sa part, rapporte le journal Le Soleil, le syndicat des travailleurs de LHL se montre encore plus outré par ce rapport « décevant », et il « juge inadmissible qu’à la suite d’une “enquête éclairée”, des “constatations superficielles” et “certaines conclusions hâtives”, on soit sur le point de prendre des décisions majeures concernant l’avenir des 2,200 bénéficiaires du centre. “Les importantes lacunes de l’enquête, en particulier sur la qualité des soins internes et externes, l’ignorance totale de conditions scandaleuses dans lesquelles seraient hébergés les bénéficiaires en foyer (famille d’accueil) ou en pavillons d’accueil (de LHL), interdisent de foncer tête baissée dans des décisions irrévocables. […] De son côté, le Syndicat des professionnels des affaires sociales du Québec, section LHL, qui regroupe une cinquantaine de psychologues, conseillers en orientation, ergothérapeutes, éducateurs physiques, opine que le rapport […] ne s’interroge en aucune façon sur les problèmes réels de l’Hôpital » (Presse canadienne, 1984). Une syndicaliste écrit dans une libre opinion au journal Le Devoir : « Nous sommes alors en droit de nous demander si le fait qu’actuellement il en coûte quotidiennement entre 80 $ et 97 $ pour héberger un patient à LHL, alors qu’il n’en coûte que 14,71 $ dans un pavillon d’accueil, ne serait pas le principal critère qui a amené ces recommandations sur la désinstitutionnalisation » (Parenteau, 1984). De fait, la littérature mondiale rapporte que la désinstitutionnalisation trop bon marché aboutit à la « transinstitutionnalisation » (Wallot, 1980) dans des lieux moins visibles à la surveillance et à l’itinérance.

Le 8 juin 1984, contredisant son discours sur la concertation (Francoeur, 1984), le gouvernement nomme un tuteur du nom de Léonard Aucoin. Des jours meilleurs attendront l’institution, non sans une autre tutelle imposée le 3 mai 1990, mais, contestée par les médecins de LHL, elle sera déclarée non justifiée et illégale par la Cour Supérieure le 13 mars 1991. Déjà réputée durant la période étudiée ici, pour l’enseignement et la recherche, LHL développera au cours des années divers partenariats cliniques et de recherche avec d’autres établissements de la région de Montréal pour finalement à nouveau changer de nom et de statut en 2011, et devenir l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, reconnaissance et nouvelle vocation qui lui étaient dues.