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Le présent article est une revue critique de la documentation scientifique portant sur les effets du bruit sur la santé mentale.

L’objectif principal de la présente étude est d’exposer l’état actuel des connaissances sur les effets du bruit sur la santé mentale, de dégager les acquis et les insuffisances sur le sujet, et de réfléchir sur les orientations des futures recherches.

Méthodes

La présente revue de la documentation scientifique a été réalisée sur la base des mots clés recherchés dans les articles publiés dans les revues et journaux indexés et à facteur d’impact élevé répertorié par « The medical journal impact factor list ».

Leur sélection a été opérée en tenant compte du titre de l’article (qui devait contenir un des mots-clés) et du nombre de citations de l’article (au moins 10 fois par mois), donné par « The Journal Citation Report (JCR) » dans le « Web of Science ». Hinari a servi de base de données. Environ une centaine d’articles ont été sélectionnés et, après analyse, leur contenu a été regroupé en sections appelées : études fondamentales, études expérimentales et études épidémiologiques.

Résultats

Études fondamentales

Elles avaient pour but la vérification de l’hypothèse suivante : le bruit est un facteur de risque pour la santé mentale et est responsable du stress psychologique. Les recherches ont été orientées vers le dosage des hormones de stress dans les différentes humeurs biologiques (salive, urine, et plasma) avec comme déterminant la sensibilité au bruit. Stansfeld (1986) a noté que cette sensibilité est un indice de la sensibilité générale au stress en relation avec les troubles psychiatriques courants, notamment la dépression névrotique, le trouble du sommeil, les troubles anxieux ainsi que certains troubles de la personnalité. Les résultats ont unanimement confirmé l’hypothèse. Ainsi Favino et al. (1975) ont trouvé le taux d’ACTH et des corticoïdes plasmatiques augmenté, même après une cessation d’exposition au bruit de 82 et 92 dB(A).

Cantrell (1984), dans une autre étude, a soumis un groupe des jeunes à un bruit de 80 à 90 dB(A) 24 heures par jour, toutes les 22 secondes pendant 30 jours. Il a trouvé une augmentation significative du taux des catécholamines et de cortisol plasmatique, tandis que l’exposition à un bruit modéré de 80 dB(A), selon Slob et al. (1973), augmente significativement l’excrétion urinaire de l’adrénaline. De même, Osada et al. (1973), dans une étude menée chez les personnes exposées au bruit de la circulation routière de 40, 50 et 60 dB(A), ont trouvé une augmentation significative du taux de cortisol plasmatique et urinaire. Basset (1997) a trouvé le taux des catécholamines et de cortisol salivaire significativement élevé comme une réponse précoce, chez des employés de banque, exposés à un bruit d’une lecture publique de 15 minutes entre 10 h 30 et 12 h 30. De ce résultat, il conclut que le cortisol salivaire est le meilleur et idéal indicateur de stress. En 1993, Kirschbuam et Hellhammer ont monté une série de tests sur ordinateur afin de vérifier la réponse hormonale due au stress lié au phénomène de compétition. Deux groupes, dont l’un témoin, ont été constitués dans les mêmes conditions de temps et de travail. À la fin de l’expérience, un taux plasmatique significativement élevé des catécholamines et du cortisol a été trouvé par rapport au groupe témoin. Evans et al. (1993) et Hygge et al. (1998) ont dosé le taux des catécholamines plasmatiques des enfants exposés au bruit des avions ; ce taux était significativement élevé. Evans et al. (1995) avaient déjà dosé chez les mêmes enfants le taux de cortisol urinaire et celui-ci était très élevé. Brandeberger et al. (1980) ont trouvé le taux d’excrétion du cortisol augmenté chez les sujets effectuant des tâches cognitives et exposés à un bruit intermittent de 45 dB(A) et 99 dB(A). Frankenhaeuser et Ludbrer (1974), eux, ont montré que le taux d’adrénaline élevé restait haut même après la cessation d’exposition au bruit.

Les résultats de ces différentes études seraient largement supérieurs si celles-ci étaient menées chez des personnes effectuant des tâches professionnelles en temps réel, et exposées à une pollution sonore de 7 à 8 heures d’affilée. Ensuite, aucune étude sur le bruit spécifique comme le bruit vocal n’a été menée pour évaluer ses effets sur la santé mentale. Aboutirait-elle aux mêmes résultats ?

Études expérimentales

Les chercheurs ont expérimenté l’effet du bruit sur les fonctions cognitives telles que l’attention, la mémoire et la performance.

Bruit et attention

Binet Alfred Sante de Sanctis (1897) et Pierre Janet (1911) sont les premiers chercheurs à avoir déterminé le rôle perturbateur du bruit pour l’attention, à la suite de leur expérience sur le périmètre. Broandbent, psychologue anglais (1926-1993) et père de la psychologie expérimentale, a publié en 1953, 1954, 1957, 1958 et 1980 plusieurs études qui ont confirmé les découvertes de de Sanctis et Janet.

Jerison (1959), dans son étude sur l’effet du bruit sur l’attention, la mémoire et la performance humaine, a publié trois expériences sur trois groupes de sujets qui étaient soumis à un bruit complexe produit par un haut-parleur. Le premier groupe de neuf personnes placées devant le pendule l’observait afin qu’à chacun de ses arrêts, le bouton de redémarrage soit déclenché. Ces arrêts étaient multiples et fréquents par minute, et le bruit délivré par le haut-parleur était de 114 dB(A). Au bout d’une heure d’expérience, le groupe a commencé à commettre des erreurs dans l’exécution des mouvements de redémarrage du pendule. Le deuxième groupe de 94 sujets placés devant un bouton de l’une des trois lampes de l’expérience, pour surveiller leurs clignements jusqu’à 10. Puis appuyer sur le bouton pour les relancer. Le bruit délivré par le haut-parleur était de 77,5 dB(A) et 115,5 dB(A). Dès que l’on passait de 77,5 dB(A) à 115,5 dB(A), les sujets commençaient à commettre des erreurs dans l’exécution de leurs tâches. Pour le troisième groupe, l’expérience était la même que pour le deuxième groupe, à la différence d’une clé détenue par les sujets pour ouvrir la porte en plus de la surveillance des clignements. À la fin de ces expériences, Jerison conclut en ces termes : « le bruit perturbe l’attention, affecte la mémoire immédiate, la performance et réduit le rappel mnésique conscient ».

Corcoran (1962) a publié une étude dans laquelle il rapporte deux expériences où un bruit de 90 dB(A) a provoqué l’insomnie. Ce résultat a été confirmé par plusieurs études ultérieures : Kirk (1963), McGrath (1964), Wisner (1964), Woodhea (1966). Il faut noter qu’en 1959 et 1962, Wilkison avait déjà publié deux études sur le sujet qui n’avaient pas convaincu les scientifiques. En 1966, Richard Lazarus, psychologue américain (1922-2002), pionnier de la théorie cognitive de la remédiation de l’émotion, publia la première étude établissant une triple relation entre : le bruit et les émotions, le bruit et le stress, et le bruit et la cognition.

Bruit et mémoire

La mémoire est un processus qui nous permet de conserver les souvenirs d’une expérience ou d’une information. On décrit globalement : la mémoire à court terme ou mémoire du travail et la mémoire à long terme. Chaque mémoire procède par trois étapes : l’encodage, la consolidation et la remémoration.

Les études expérimentales menées sur la mémoire ont consisté à tester l’effet du bruit sur la rétention des informations visuelles, auditives, tactiles, verbales ou olfactives. Colle et Wetch (1976) ont montré qu’un bruit de parole de 85 dB(A) qui survient pendant l’exécution des tâches de lecture et de rappel d’un matériel verbal perturbe la mémoire et diminue la performance. Ce même constat a été fait par Salame (1982, 1987), soutenant que la performance dans une tâche de mémoire est perturbée par le bruit de parole. Jones (1983) souligne que si le langage est entendu pendant la lecture et le stockage en mémoire, ce bruit diminue la performance. La vulnérabilité mnésique à l’égard d’un bruit verbal non pertinent se manifeste aussi pendant les tâches de raisonnement, de calcul mental, de résolution de problèmes, tâches qui sollicitent directement la mémoire du travail selon Salame et Baddeley (1982, 1987). Jones (1991) précise que le bruit verbal non pertinent provoque le même degré d’interférence sur la lecture, la correction des textes et la mémoire, sans tenir compte de son intensité. Les propos de Jones sont commentés par Floru et Cnockaert (1991) en ces termes : « l’action perturbatrice du bruit verbal sur la mémoire à court terme ne dépend pas de la signification des paroles car elle (perturbation) existe aussi avec des mots prononcés dans une langue étrangère inconnue, des mots épelés à l’envers et même des mots sans signification. La musique vocale a un effet plus perturbateur sur la performance des tâches de mémoire que la musique instrumentale. Mais si la composante vocale est fredonnée, l’effet perturbateur disparaît. Il semble que l’action perturbatrice des stimuli vocaux sur la mémoire soit due principalement aux mots bien articulés plutôt qu’à la voix. » Il ajoute en conclusion : « Il n’est pas évident que le bruit agisse directement sur la mémoire. Dans l’hypothèse d’un traitement séquentiel de l’information, d’autres processus qui précèdent ou concourent au stockage et à la consolidation en mémoire, tels que l’attention ou la perception, peuvent être affectés par le bruit, l’effet sur la mémoire étant alors secondaire… » Broadbent (1958) affirme que si le processus cognitif est perturbé par une stimulation environnementale, par conséquent, cette stimulation distrait aussi l’attention pour réaliser une tâche de mémoire. Boman, Enmarke et Hygge (2005) rapportent l’expérience qu’ils ont réalisée avec des participants classés en quatre groupes d’âges différents afin de tester l’effet du bruit sur les mémoires épisodique et sémantique. À la fin de l’expérience, ils ont conclu que le bruit affecte plus la mémoire épisodique que la mémoire sémantique.

Études épidémiologiques

Bruit et performance

Moskou et Ittema (1997) affirment à propos de la performance que le bruit augmente le nombre d’erreurs lorsqu’on effectue un travail ou une tâche mentale. Mais lorsqu’il s’agit d’une tâche manuelle, la qualité globale du travail n’est pas affectée. En ce qui concerne la question du bruit dans l’environnement scolaire (de la maternelle à l’université), elle reste un véritable problème de santé publique mais peu d’attention lui est accordée. Pendant que les conséquences du bruit sur le foetus et son développement sont bien connues. Hygge, Evans et Bullinger (1998) ont mené une étude autour de l’aéroport de Munich, celle-ci a démontré que les enfants exposés aux nuisances sonores pendant plus de cinq ans avaient des performances scolaires réduites. Ce constat a été confirmé par le rapport de Pinche (2006) qui recommande la réduction de bruit ambiant à cause des problèmes de santé des enfants. Stansfeld (1993, 1996, 2005), dans une étude multicentrique RANCH réalisée sur 2000 enfants dans 90 écoles aux alentours de trois aéroports internationaux (Londres, Madrid et Amsterdam), a mis en exergue la relation entre l’exposition au bruit et la baisse de performances scolaires, essentiellement l’apparition de dyslexie. Lukas, Depree et Swing (1987) ont conduit une autre étude dans 14 établissements de Los Angeles situés à quelque distance de voies routières. Ils ont constaté que les enfants de ces écoles ont présenté des scores différents en lecture et en mathématiques par rapport aux classes de même niveau des écoles situées dans un environnement non bruyant. De même, pour l’étude effectuée à Orly chez les enfants exposés au bruit des avions par Moch (1987), deux groupes d’élèves ont passé le test au début puis à la fin de l’année. Les résultats ont montré que les élèves fréquentant les écoles situées dans un environnement non bruyant ont présenté les meilleurs résultats que ceux des élèves des écoles situées dans un environnement bruyant.

Bruit et troubles mentaux

Beaucoup d’autres études se sont intéressées à l’aspect de la prise d’antidépresseurs par la population exposée aux zones bruyantes : en Europe, ces zones sont exposées au bruit de 55 dB ou de 60 dB et 15 % de cette population recourt à ces médicaments selon Berglund et Maschke (2000). Au Canada, plus précisément en Ontario, le même phénomène est constaté dans l’étude de Bly et al. (2001). L’étude de Knipschild et Oudshoorn (1990) aux alentours de l’aéroport d’Amsterdam, aux Pays-Bas, montre une corrélation entre la consommation des psychotropes et l’exposition aux nuisances sonores. Cette étude indique aussi une augmentation du taux des consultations psychiatriques : elle est de 9,5 % dans les zones exposées contre 5,7 % dans celles non exposées. Cohen et al. (1999), dans leur étude à Roissy, ont fait le même constat. Et les études menées en Angleterre par Tarnopolosky et Morton (1980) affirment que le pourcentage des admissions au service de psychiatrie augmente avec l’exposition au bruit. Patric (2010) a trouvé les mêmes résultats au Danemark chez les habitants aux alentours de l’aéroport de Copenhague. En France, l’observatoire d’épidémiologie psychiatrique a mis en évidence la relation entre les états anxio-dépressifs et le rôle de la nuisance sonore comme cause. Haine et al. (2003) affirment dans une étude plus large que le niveau de détresse psychique est très élevé chez les enfants exposés au bruit. Plusieurs autres études, dont celle de Kreyet (1999) en Allemagne, de Kawada et al. (1992) au Japon et de Schreinicke et al. (1990) en Grande-Bretagne, ont fait le même constat. Il en est de même de l’étude de Hiramatsu et al. (1997) chez la population de Kadena au Japon ; ils ont décrit chez celle-ci une tendance à la dépression et à l’anxiété. Halpern (n.d.) rapporte que le bruit de trafic routier est responsable des désordres mentaux corrélés à l’âge, au sexe et au niveau socioéconomique. Par contre, les études de Stansfeld et al. (1996, 2005) ont conclu à la non-relation entre la morbidité psychiatrique et le bruit. Jenkins et al. (1981) font le même constat : « le bruit n’est pas la cause directe des maladies mentales mais favorise leur apparition chez les personnes vulnérables ». Pour leur part, Levy-Leboyer et al. (1987) et Fields (1983) récusent les résultats des études épidémiologiques à cause, disent-ils, des difficultés méthodologiques (on reproche le petit nombre des échantillons). Il en est de même de l’auteur du Résumé d’orientation sur les directives de l’OMS (2013).

Conclusion

La recension des écrits sur les effets du bruit sur la santé mentale présente des avancées significatives sur lesquelles un consensus se dégage : les études fondamentales ont largement convaincu en ce qui concerne la relation entre bruit et stress, et la relation entre stress et santé mentale. La relation entre perturbation cognitive et bruit a été démontrée par des études au moyen d’expériences sur la mémoire, l’attention et la performance. Les résultats des études épidémiologiques restent mitigés : si la perturbation cognitive chez les enfants fréquentant des écoles situées dans un environnement bruyant paraît évidente, la relation entre troubles psychiatriques et habitants de milieux bruyants d’une part, et d’autre part la relation entre habitants de zones bruyantes et consultations psychiatriques nécessitent de plus amples études dans le futur. Pour convaincre, ces études devront également intégrer les autres formes de pollution sonore (bruit de la parole ou bruit vocal) tel que recommandé par l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la Santé (2013).