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Au cours des 10 dernières années, les études épidémiologiques font état d’une prévalence de troubles mentaux chez les enfants (0-17 ans) qui varie entre 15 % à 18 % (Instituts de recherche en santé du Canada [IRSC], 2010 ; Offord et al., 1989 ; Wadell et Sheherd, 2002). En nombre absolu, 230 000 enfants québécois sont atteints de troubles mentaux qui causent de la détresse, qui altèrent le développement et le fonctionnement de ces enfants à la maison, à l’école et dans la communauté.

En 2003, plus de 4 000 enfants québécois étaient inscrits sur les listes d’attente des soins spécialisés en santé mentale, et ce, pour une période allant jusqu’à deux ans dans certaines régions (Parenteau, 2006). Bien qu’une diminution globale de 14 % des hospitalisations des enfants de 1 à 17 ans ait été observée entre 1991 et 2001, les hospitalisations pour les troubles mentaux ont augmenté de 62 % chez les 5 à 11 ans et de 69 % chez les 12-17 ans (Lefebvre, 2004). La Société canadienne de pédiatrie (2007 citée dans IRSC, 2010) prévoit en 2020 une augmentation de 50 % des problèmes de santé mentale chez les enfants. De plus, les troubles mentaux font partie des conditions les plus fréquemment associées au suicide. Entre 2004 et 2006, le suicide représente 23 % des décès chez les adolescents de 15 à 19 ans (Gagné et St-Laurent, 2010). Ces données montrent le fardeau important imposé aux services de santé mentale destinés aux jeunes devant les besoins grandissants de cette clientèle.

Malgré cette situation, les ressources en pédopsychiatrie demeurent minimales. Alors qu’en 2001, le poids démographique de la Montérégie était comparable à celui de la région de Montréal (respectivement 309 000 et 350 000 jeunes), le budget des services de pédopsychiatrie y était cinq fois moins élevé (Hôpital Charles LeMoyne, 2001). Conséquemment, plusieurs jeunes Montérégiens ne recevaient pas les services nécessaires.

Dans ce contexte, un groupe de professionnels, sous la responsabilité de l’Hôpital Charles LeMoyne (2001), a reçu le mandat d’élaborer un plan d’action pour répondre aux défis de l’offre des services de santé mentale pour les jeunes vivant en Montérégie. Il a proposé l’implantation d’un réseau intégré de services (RIS) pour ces jeunes, soit le programme « Grandir en santé mentale en Montérégie » (PGSM) qui vise également à convenir des modalités d’accès aux services.

L’implantation d’un RIS est complexe et tributaire de la motivation et de la collaboration des acteurs locaux et régionaux (Contandriopoulos et al., 2001 ; MSSS, 2001 ; Shortell et al., 1993). Plusieurs facteurs contextuels peuvent influencer sa mise en oeuvre et son succès (Gillies et al., 1997 ; Leatt et al., 2000). Selon des études sur les RIS, leur évaluation est une tâche colossale considérant le manque de définition universelle, le manque d’études empiriques et de qualité sur ce sujet et la pénurie d’outils validés qui servent à mesurer le succès ou l’échec du fonctionnement en RIS (Armitage et al., 2009 ; Chen et al., 2000 ; Maslin-Prothero et Bennion, 2010 ; Reilly et al., 2007 ; Strandberg-Larsen et Krasnik, 2009). Les études sur la collaboration primordiale au fonctionnement en RIS font ressortir l’absence de définition commune de ce concept (Kodner et Spreeuwenberg, 2002 ; Zwarenstein et al., 1999). Il a été suggéré que des définitions plus opérationnelles soient requises pour le développement de modèles théoriques. Également des évaluations des approches de collaboration au sein des programmes interdisciplinaires contribueraient à enrichir les études empiriques qui font cruellement défaut (Martin-Rodriguez et al., 2005 ; Naar-King et al., 2000 ; Odegard, 2006).

Parallèlement à cette démarche montérégienne, le contexte était propice au développement des services de première ligne pour les jeunes. En effet, le Plan d’action en santé mentale du Québec 2005-2010 (PASM) est lancé (MSSS, 2005). C’est le premier document qui démontre une préoccupation face aux besoins des jeunes souffrant de problèmes de santé mentale, et qui vise à mettre en place les services de première ligne en santé mentale pour les jeunes. C’est dans cette voie que le PGSM a obtenu du financement afin d’ajouter progressivement des postes cliniques aux équipes de base en santé mentale dans chacun des onze Centres de santé et de services sociaux (CSSS, qui étaient des Centres locaux de services communautaires [CLSC] à l’époque) de la Montérégie. Chaque CSSS est l’établissement responsable d’un réseau local de services (RLS) défini par un territoire géographique et une population pour laquelle il doit assumer une responsabilité d’offre de services de santé.

La présente étude repose sur le postulat que ces équipes s’inscrivent dans des contextes et modalités organisationnelles différents. Dans le but d’améliorer leur développement, il était essentiel de connaître leurs pratiques à ce stade de leur évolution. Par conséquent, l’étude vise à décrire les pratiques émergentes au sein de ces équipes selon leurs modes d’organisation ; identifier les facteurs favorables et contraignants à leur fonctionnement actuel ; explorer les conditions et les modes de collaboration entre les différents partenaires internes et externes ; et finalement dégager une taxonomie des modes d’organisation et de fonctionnement de ces équipes.

Méthode

Un devis descriptif par une approche qualitative a été privilégié (Fortin, 1996). La population à l’étude comprend les onze équipes de première ligne jeunesse en santé mentale situées dans les CSSS de la région de la Montérégie. Les cadres supérieurs (n = 11) ainsi que les autres membres (n = 64) (psychologue, infirmière, travailleur social, psychoéducateur, agent de relations humaines, médecin et technicien) ont participé à l’étude. La composition des équipes multidisciplinaires a été prise en considération afin que chacune des disciplines soit représentée. Le seul critère d’admissibilité était que les participants devaient travailler depuis au moins 6 mois, assurant une expérience minimale de fonctionnement. La participation des cadres supérieurs a été sollicitée dans un premier temps puis celle des professionnels s’est effectuée par l’entremise des cadres supérieurs.

Plusieurs caractéristiques contextuelles influencent l’organisation des équipes (tableau 1). Moins de la moitié des équipes offre des services à une population qui vit en milieu urbain et rural, le tiers des équipes se trouve en milieu rural, et deux équipes se situent en milieu urbain. Dans trois des territoires des équipes, on y dénombre plus de 40 000 enfants, dans trois autres, entre 30 000 et 40 000 enfants alors que les cinq dernières équipes sont situées dans des territoires de moins de 20 000 enfants. Dans environ la moitié des CSSS, des services spécialisés de pédopsychiatrie de deuxième ligne sont internes alors que l’autre moitié dispose de ces services à l’externe du CSSS. Six équipes offrent des services à une population plus défavorisée que la moyenne montérégienne.

Tableau 1

Caractéristiques des populations et équipes en 2010-2011

Caractéristiques des populations et équipes en 2010-2011
Source : Direction de santé publique Montérégie (2012)

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Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel retenu (figure 1) s’est inspiré de celui de Lamarche et al. (2003), élaboré afin d’identifier divers modèles d’organisation des services de première ligne au Canada. Ce cadre identifie six dimensions des services de première ligne, dimensions qui reflètent l’organisation des services et qui sont conçues comme un système organisé d’action (Contandriopoulos et al., 2000).

Selon ce cadre, le système résulte du jeu d’acteurs qui, dans un champ d’expertise donné (les services de première ligne) et dans un environnement social défini, interagissent pour mobiliser et utiliser des ressources requises. Celles-ci servent à produire des services en réponse aux besoins des jeunes, à partir de la concrétisation des objectifs collectifs. Puisque l’étude porte sur la description des modes d’organisation des équipes, les variables ont été identifiées en fonction des cinq concepts liés aux intrants : l’environnement, la vision, les ressources, les pratiques des acteurs et les structures organisationnelles. Les effets souhaités (extrants) n’ont pas fait l’objet de l’étude. L’environnement représente le contexte au sein duquel les équipes évoluent. La vision évoque les valeurs et les objectifs des équipes. Les ressources sont celles dont les équipes disposent et la structure organisationnelle est celle qui les oriente. Finalement, les pratiques se réfèrent aux procédés qui sous-tendent la production des activités.

Figure 1

Principales dimensions et variables des services de première ligne en santé mentale pour les jeunes : un système organisé d’action

Principales dimensions et variables des services de première ligne en santé mentale pour les jeunes : un système organisé d’action

Environnement : les réseaux locaux de service de la Montérégie

Adaptation de Contandriopoulos et al., (2000); Lamarche et al., (2003)

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Collecte de données

Des collectes de données de quatre types ont été effectuées en 2010-2011 : une recherche documentaire pour décrire l’environnement des équipes ; une enquête par questionnaire auto-administré auprès des cadres ; des entrevues individuelles semi-dirigées avec ces mêmes cadres ; et des entrevues de groupe avec les membres des équipes, entrevues qui ont toutes été enregistrées. La première entrevue individuelle et la première entrevue de groupe ont servi de pré-test. Un journal de bord a été rempli après chaque entrevue.

Analyse des données

Les données quantitatives ont été saisies à l’aide du logiciel SPSS (version 19). Des analyses descriptives univariées ont été réalisées.

Des analyses de contenu ont été effectuées sur les données qualitatives en cinq étapes : 1) transcription des comptes rendus ; (transcription intégrale pour 36 % du matériel et rédaction de résumés pour le reste du matériel) ; 2) identification des segments de textes et de catégories avec l’aide du logiciel Nudist (version 6) dénommé maintenant N’Vivo ; 3) codification et validation des segments de textes (co-codification par trois chercheurs de 10 % du matériel et par deux chercheurs de 25 % du matériel) ; 4) analyse verticale et transversale afin d’identifier les similitudes, mais surtout les différences entre les équipes ; 5) élaboration d’une taxonomie en identifiant et catégorisant les principales composantes discriminantes. Deux axes ont alors émergé de cette analyse : celui des forces et limites opérationnelles et celui de la collaboration. L’élaboration du niveau de collaboration des équipes s’est effectuée en s’inspirant des travaux de D’Amour (1997 ; 2001) et D’Amour et al. 2003.

Le projet de recherche a été soumis et accepté par le Comité éthique de la recherche l’Hôpital Charles LeMoyne.

Résultats

Description des pratiques

Toutes les équipes de première ligne jeunesse en santé mentale ont la responsabilité de recevoir les demandes de services en santé mentale pour les jeunes de moins de 17 ans (figure 2). Ces demandes proviennent des partenaires externes ou internes au CSSS. Un agent de liaison reçoit la demande de services, l’analyse à partir de différents documents et la dirige vers le service approprié. Lorsque la demande est dirigée à l’équipe de première ligne, les professionnels font une évaluation plus approfondie pour confirmer les besoins de services de première ligne de l’enfant. Le cas échéant la demande de services sera alors redirigée vers le service approprié.

La grille de partage des services selon les besoins de l’enfant est un outil utilisé par tous les professionnels des équipes. Cette grille permet d’observer différentes caractéristiques chez le jeune, notamment les manifestations symptomatiques, le niveau de fonctionnement et les facteurs environnementaux. Elle permet de saisir l’impact de la problématique sur la vie du jeune afin de l’orienter en fonction de ses besoins et de la disponibilité des ressources.

Figure 2

Cheminement de la demande de services en santé mentale jeunesse au sein du réseau

Cheminement de la demande de services en santé mentale jeunesse au sein du réseau

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Cependant, les équipes ont démontré certaines spécificités lors du cheminement d’une demande. Ainsi, différents professionnels assument la fonction d’agent de liaison. Dans plus de la moitié des équipes, c’est une travailleuse sociale qui assume ce rôle, dans le tiers, c’est une psychoéducatrice, et dans deux équipes, ce sont une psychologue et une technicienne.

Le temps accordé à chaque évaluation varie dans les neuf équipes pour lesquelles l’information était disponible. Quatre équipes prennent de 2 à 4 heures, une équipe nécessite 8 heures et les quatre autres équipes requièrent entre 11 et 15 heures.

La fréquence des situations de collaboration entre les équipes et leurs partenaires varie également. La moitié des équipes collabore à l’occasion avec les partenaires internes du CSSS alors que l’autre moitié a affirmé collaborer souvent. Presque toutes (10 équipes sur 11) collaborent souvent avec les partenaires externes.

Au sujet de la rotation du personnel, les équipes se répartissent à peu près de la même manière, un peu plus du tiers la perçoit faible, un autre tiers la trouve occasionnelle et plus d’un tiers la considère fréquente pour les psychologues.

En ce qui concerne les objectifs poursuivis, toutes les équipes souhaitent répondre à des objectifs centrés sur la mission et plus particulièrement reliés aux services rendus, notamment l’évaluation et le traitement des problèmes de santé mentale. Cependant certaines équipes sont davantage centrées sur des objectifs reliés à la santé comme la diminution de la souffrance des jeunes, tandis que d’autres sont plus sensibilisées aux objectifs liés aux indicateurs de performance que l’on nomme cibles ministérielles. Ces indicateurs sont inhérents au nombre de jeunes à évaluer et à traiter périodiquement. Finalement, quelques équipes poursuivent des objectifs orientés sur leur développement en tant que groupe.

Facteurs favorables et contraignants au fonctionnement des équipes

Trois catégories de facteurs favorables au fonctionnement des équipes ont émergé : facteurs organisationnels, liés aux partenaires et à l’équipe.

Parmi les facteurs organisationnels qui favorisent leur fonctionnement, l’importance de tenir des réunions d’équipe, de la supervision clinique et de la présence d’une coordination clinique a été mentionnée par la majorité. Les réunions d’équipe et la supervision clinique fournissent aux professionnels un espace d’échange sur des questionnements cliniques. La coordination clinique procure une structure à laquelle les professionnels se réfèrent pour les besoins de communication avec l’ensemble des partenaires. L’ouverture du gestionnaire au développement d’une autonomie professionnelle et à la liberté de choix d’approche clinique des professionnels est jugée favorable.

Les deux principaux facteurs favorables liés aux partenaires sont la proximité physique et les formations communes qui facilitent les échanges. Pour les facteurs liés à l’équipe, le travail en interdisciplinarité a aussi été jugé favorable à son fonctionnement. Il consiste en l’intervention conjointe de deux membres de l’équipe auprès d’un jeune. La clarté des rôles de chacun des professionnels ainsi que l’accessibilité aux moyens de communication sont des aspects qui favorisent un travail interdisciplinaire.

Les facteurs contraignants ont été regroupés en quatre catégories : organisationnels, liés aux cibles ministérielles, à la clientèle et à l’équipe.

L’ensemble des équipes a évoqué des difficultés organisationnelles importantes qui se situent à différents niveaux selon les CSSS. Les changements rapides et constants dans l’organisation nécessitent un sens de l’adaptation développé pour les professionnels. Par contre, s’adapter continuellement devient épuisant. La pénurie de certains professionnels comme les psychologues amène une surcharge de responsabilités sur les autres membres de l’équipe qui contribue à leur épuisement. Les différences entre les valeurs cliniques des professionnels et les priorités de gestion des cadres amènent un sentiment de ne pas être entendu chez les professionnels. Le manque de formation continue, de supervision clinique et d’outils cliniques (tests cliniques) entrave leur fonctionnement. Ces éléments limitent le développement continu des compétences professionnelles et gênent l’actualisation des pratiques cliniques.

Les cibles ministérielles reposent sur le Système d’information sur la clientèle et les services des CLSC (I-CLSC), qui est utilisé notamment pour mesurer la performance des équipes. Les professionnels ont nommé des difficultés majeures à l’égard de ces cibles et du système d’information. En effet, I-CLSC est jugé non représentatif du travail effectué. Par exemple, le temps consacré à la collaboration avec les partenaires n’est pas pris en compte par ce système. Conséquemment, cette réalité amène des frustrations et un sentiment de non-reconnaissance du travail effectué. Les cibles ministérielles s’avèrent être un frein important pour une grande partie des équipes.

Certaines équipes considèrent contraignants des facteurs liés à la clientèle. Elles se réfèrent à l’alourdissement des cas d’enfants à traiter (comorbidités) et aux facteurs psychosociaux défavorables (ex. : pauvreté). D’autres équipes perçoivent certaines particularités de leur fonctionnement comme des défis importants : le travail en silo, les différences de vision des membres de l’équipe et le manque de recul par l’envahissement du professionnel par la problématique du jeune.

Conditions de collaboration

Les conditions optimales de collaboration au sein des équipes relèvent des organisations et des pratiques. Le développement de structures officielles de collaboration, l’existence d’ententes de services écrites et officielles avec les partenaires, la présence d’une coordination clinique et la reconnaissance du temps consacré à la collaboration par les professionnels dans le calcul de la performance sont jugés des conditions idéales de collaboration.

Selon le PGSM, les équipes doivent soutenir les services plus généraux de leur réseau parce que ces derniers doivent également accueillir des enfants souffrant de problèmes de santé mentale. En contrepartie, les premières doivent recevoir une forme d’assistance de la part des services plus spécialisés. L’augmentation de l’utilisation du Plan de service individualisé, qui est un outil de collaboration officiel lorsqu’un jeune reçoit plusieurs services de différents partenaires, fait partie des conditions jugées optimales de collaboration. Le développement d’une vision commune du travail en RIS semble également améliorer la collaboration ainsi que la connaissance des rôles et responsabilités mutuels.

Taxonomie des modèles d’organisation des équipes de première ligne en santé mentale jeunesse

La taxonomie s’est construite à partir des principales composantes discriminantes identifiées et catégorisées auxquelles des valeurs numériques ont été attribuées. Ces catégories de caractéristiques organisationnelles et de fonctionnement sont :

  1. Les ressources. Elles réfèrent à quatre composantes discriminantes : (a) la présence ou non d’une coordination professionnelle au sein de l’équipe ; (b) la rotation des professionnels au sein de l’équipe (faible/ occasionnelle/fréquente) ; (c) la disponibilité des services spécialisés de deuxième ligne au CSSS (internes/externes) ; et (d) l’existence ou non d’une entente de services officiels avec au moins un partenaire externe ;

  2. Les structures administratives et le cheminement de la demande. Elles comprennent trois composantes : (a) le rattachement administratif des équipes (santé mentale ou FEJ/autres) ; (b) la première collecte de données est effectuée ou non par l’accueil psychosocial ; et (c) la prise de décision face à l’orientation de la demande (individuelle / en équipe) ;

  3. Les pratiques. Elles représentent neuf composantes discriminantes : (a) le niveau de coordination avec les différents acteurs (coordonné/en processus/en difficulté) ; (b) et (c) le niveau de collaboration avec les partenaires internes et externes (en action/en construction/en latence) ; (d) la pression de la performance de la part des gestionnaires (faible/moyenne/persistante) ; (e) l’adoption de la grille de partage (adoptée/zones grises/difficultés) ; (f) la vision de la position occupée par l’équipe dans le RLS (claire/confuse) ; (g) la présence ou non de soutien de la part de services de deuxième ligne ; (h) le soutien accordé ou non par l’équipe aux services jeunesse généraux (FEJ) ; et (i) la perception de la distance entre l’équipe et les partenaires (près/éloignée).

Deux axes ont émergé de l’analyse : l’axe de la collaboration (1 d ; 3 a, b, c, e, f, g, h et i) et l’axe des forces et limites opérationnelles (1 a, b, c ; 2 a, b, c ; et 3 d). Les équipes ont été positionnées sur ces axes en fonction de leurs scores (figure 3).

Figure 3

Position des équipes à partir des axes des forces et limites opérationnelles et de la collaboration

Position des équipes à partir des axes des forces et limites opérationnelles et de la collaboration

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Ainsi quatre modes d’organisation et de fonctionnement ont émergé :

A. Collaboration en construction avec forces opérationnelles (n = 3)

Au sein des trois équipes de ce mode de collaboration, la collaboration avec les partenaires internes est en processus d’officialisation. Quelques ententes officielles sont présentes avec les partenaires externes, mais il n’y a pas de coordination professionnelle dans l’équipe. Les services spécialisés de deuxième ligne sont internes au CSSS, mais les différents services du RIS sont éloignés géographiquement. Les équipes reçoivent du soutien des services spécialisés mais ne peuvent en donner aux services généraux. La grille de partage comprend encore plusieurs zones grises et n’est pas adoptée par tous les partenaires. Cependant, la vision de la place occupée par l’équipe dans son réseau est perçue clairement. La pression de la performance par les gestionnaires et la rotation du personnel sont faibles.

B. Collaboration en action avec limites opérationnelles (n = 3)

Les trois équipes de ce groupe démontrent une collaboration stable avec leurs partenaires. La grille de partage est adoptée par les différents services. Les rôles de chacun des partenaires sont clairs ainsi que la vision de la place occupée par l’équipe dans son réseau. L’équipe soutient les services généraux et est soutenue par les services spécialisés. Il y a présence d’une coordination professionnelle ainsi que d’une structure de coordination, mais la rotation du personnel est fréquente et les services spécialisés sont à l’externe. Il n’y a pas d’entente officielle avec les partenaires externes et la pression de l’atteinte des cibles est persistante.

C. Collaboration en construction avec limites opérationnelles (n = 3)

Ce trio d’équipes a démontré une collaboration stable avec les partenaires externes, mais problématique avec les partenaires internes. Elles ont des difficultés de coordination bien qu’une coordination professionnelle soit présente. La grille de partage comprend plusieurs zones grises et les rôles sont parfois flous. Il n’y a pas d’ententes officielles avec les partenaires. La vision de la place occupée par l’équipe est confuse. Ces équipes n’offrent pas de soutien aux services généraux et n’en reçoivent pas des services spécialisés. La rotation du personnel est occasionnelle, les partenaires sont près géographiquement et les services spécialisés sont offerts à l’externe des CSSS.

D. Collaboration en latence avec limites opérationnelles (n = 2)

Les deux équipes de ce mode s’inscrivent dans une collaboration en latence puisqu’elle y est pratiquement inexistante. Elles présentent des difficultés majeures sur le plan de la coordination, il n’y a pas de coordination professionnelle ni d’ententes formelles avec les partenaires. La vision de la place occupée dans le réseau et les rôles de chacun sont confus. Elles ont des difficultés majeures avec la grille de partage car cette dernière n’est pas adoptée par les partenaires. Ces équipes reçoivent du soutien des services spécialisés.

Discussion

Constats

La présente étude est la première au Québec et en Montérégie à porter sur le PGSM. La description des pratiques est éloquente quant à leurs variations. Ces différences confirment notre postulat de départ que les équipes disposent de modalités contextuelles et de fonctionnement variées. Ce constat rejoint celui de plusieurs auteurs (Gillies et al., 1997 ; Leatt et al., 2000 ; Pineault et al., 2008 ; Richard et Poissant, 2008) qui ont constaté que les modèles d’organisation des RIS ainsi que les services de première ligne adaptent leur fonctionnement selon des contextes distincts.

Les caractéristiques organisationnelles observées que sont la pénurie du personnel et les limites des gestionnaires correspondent aux obstacles à l’intégration décrits par Touati et al. (2001) et par Maslin-Prothero et Bennion (2010). Tout comme démontré ici, ces auteurs avaient trouvé favorable la proximité physique avec les partenaires.

Selon la taxonomie, la majorité des équipes présentent des limites opérationnelles, Plus de la moitié des équipes sont en mode de collaboration en construction. Cette situation traduit des difficultés de fonctionnement en RIS malgré la création des équipes depuis plus de 10 ans. Les équipes ayant une vision moins claire de la place qu’elles occupent au sein du RIS ne peuvent entretenir une collaboration en action avec leurs partenaires. Les équipes en mode A, bien qu’elles disposent de plusieurs forces opérationnelles,démontrent malgré tout des difficultés de collaboration. Les équipes en mode B, malgré leurs limites opérationnelles, démontrent une collaboration en action. La présence d’une coordination professionnelle laisse supposer que ce facteur est un élément-clé à l’égard de la collaboration différenciant les équipes du mode A de celles du mode B.

Les résultats de la taxonomie convergent vers ceux de Richard et Poissant (2008) qui ont souligné que les concepts de coordination et de collaboration étaient des éléments fondamentaux des pratiques des équipes de première ligne jeunesse en santé mentale. D’autres avaient aussi confirmé que la collaboration était un élément primordial d’un RIS (Kates, 2002 ; Kates et al., 1997 ; Maslin-Prothero et Bennion, 2010 ; et Touati et al., 2002).

La pression pour l’atteinte des cibles ministérielles est un élément important. Bien que l’appréciation de la performance soit utile à la reddition des comptes et à l’amélioration continue, elle génère un effet paradoxal susceptible de décentrer les pratiques d’intervention.

Un groupe d’experts composé de spécialistes qui contribuent au développement du PGSM a été consulté en fin d’étude. Ce groupe a indiqué que ces cibles étaient importantes au début du PGSM afin de diminuer rapidement les listes d’attente. Ces spécialistes considèrent qu’elles doivent, sans doute, être révisées. De plus, ils ont souligné que les résultats de cette étude étaient cohérents avec leurs observations de la réalité des équipes. Il faut considérer que les modes mis en évidence regroupent des équipes à un moment précis dans le temps et que, par conséquent, celles-ci poursuivront leur évolution au sein de leurs modes respectifs.

En terminant, les études qualitatives offrent une perspective intéressante afin de décrire de façon réaliste le mode d’organisation et de fonctionnement. La taxonomie représente une contribution significative pour les recherches ultérieures sur l’optimisation de telles équipes.

Pistes d’action

Les résultats ont permis de dégager une synthèse de la réalité des équipes et d’avancer des pistes d’action pertinentes afin de rendre leur travail plus efficace.

Les équipes collaborent davantage avec les partenaires externes qu’avec leurs partenaires internes. Cette réalité indique qu’il est important, avant tout, de résoudre les obstacles de collaboration avec ce type de partenaire.

L’analyse des conditions optimales de collaboration suggère des changements à effectuer afin d’améliorer le fonctionnement en RIS :

  • Conclure des ententes officielles de collaboration avec les partenaires ;

  • Favoriser le respect du cadre de partage par tous les acteurs ;

  • Assurer une coordination clinique dans chaque équipe ;

  • Développer des formations communes entre les services ;

  • Reconnaître le temps de collaboration avec les partenaires.

Ces pistes d’amélioration rejoignent celles énoncées par Maslin-Prothero et Bennion (2010) qui avaient mis l’accent sur l’importance du leadership des gestionnaires des équipes fonctionnant en RIS. Ils avaient spécifié qu’il était de la responsabilité des cadres de clarifier les rôles et les responsabilités des acteurs du réseau. Selon ces auteurs, le manque de clarté du concept d’intégration et le manque d’accord de partenariat entre les services étaient des obstacles à l’intégration. Il est donc de l’imputabilité des décideurs d’effectuer les ajustements indiqués qui offriraient la possibilité aux équipes de réellement fonctionner en RIS.

Selon Kate et al. (1997), afin de favoriser la collaboration, un service du RIS doit détenir le rôle de leader. Les équipes de première ligne peuvent assumer ce rôle par leur position centrale dans le RIS jeunesse en santé mentale. Pour ce faire, elles devront être dotées de capacités opérationnelles et entretenir une collaboration stable et non fragilisée par les changements récurrents au sein des différents services.

Forces et limites de l’étude

Forces

La présente étude respecte les critères de rigueur méthodologique (Miles et Huberman, 1994 ; Patton, 2002) : la crédibilité, la fiabilité, l’objectivité et la transférabilité.

Afin d’assurer sa crédibilité, la triangulation des données a été effectuée par la triangulation des sources (cadres et professionnels), la triangulation de l’analyse et par la triangulation des perspectives (validation des résultats par l’équipe auprès d’un groupe d’experts).

La fiabilité de l’étude est assurée par le processus de collecte et d’analyse des données. Les entrevues ont été effectuées par une seule personne. Une saturation des données a été atteinte après la neuvième équipe. Une co-codification des données a été effectuée sur 35 % du matériel avec une bonne fidélité interjuge.

L’enregistrement de l’ensemble du matériel et la tenue d’un journal de bord, afin de nuancer les idées préconçues, ont contribué à augmenter l’objectivité de l’étude.

Les objectifs de l’étude ne visaient pas la généralisation. Par contre, la description des milieux offre au lecteur l’opportunité de juger de l’applicabilité des résultats à son propre environnement. Par ailleurs, la Montérégie offre une variété de milieux et l’étude peut être une source d’inspiration pour d’autres équipes québécoises de première ligne en santé mentale jeunesse.

Limites

Un biais de sélection peut s’être introduit par le processus de recrutement. Ce sont les cadres supérieurs qui ont présenté l’étude et qui ont sollicité la participation des professionnels. De plus, la variabilité du nombre des participants lors des entrevues de groupe dans les différents sites peut avoir accentué le biais de sélection malgré le souci de maintenir la représentativité professionnelle.

Également, certaines variables ont été mesurées uniquement par le questionnaire administré au cadre. Il n’était pas possible de mesurer l’ensemble des variables auprès des deux types de participants. Lors de la collecte, une des équipes était déstabilisée par d’importants changements organisationnels. Ainsi, certaines données n’ont pas pu y être obtenues.

Conclusion

Les décideurs encadrant les équipes de première ligne ne devront pas négliger que le fonctionnement en RIS requiert la présence de pratiques de collaboration intra-établissement. Les ententes entre les services devront être officialisées, la grille de partage devra être adoptée plus largement, les équipes devront apporter leur soutien aux services généraux, mais également en recevoir des services spécialisés, les structures de coordination devront être développées et la présence d’une coordination professionnelle au sein de ces équipes devra être assurée.

Cette étude a permis de faire ressortir des pistes pour que les décideurs puissent poursuivre le développement des équipes afin d’améliorer leur fonctionnement en RIS. Améliorer l’accès aux services de santé mentale pour les enfants doit demeurer une priorité. Il importe que les équipes de première ligne en santé mentale jeunesse puissent se doter d’une identité organisationnelle forte auprès de leurs partenaires au réseau de collaboration. Le PGSM représente une innovation majeure en contexte de pénurie de ressources pour répondre aux besoins importants des jeunes.