Dans ce débat sur l’avenir de la psychiatrie, il nous semble pertinent de reformuler la question en tenant compte du premier intéressé, le patient, pour nous pencher sur le type de psychiatrie dont nos sociétés nord-américaines ont besoin et nous demander quelle est la psychiatrie souhaitable pour nos concitoyens de nos jours ? Pour y parvenir, nous situerons ce qui nous apparaît être les grands enjeux de la pratique actuelle de la psychiatrie pour ensuite aborder les questions éthiques et conclure par la proposition d’une philosophie de soins adaptée au contexte de ce début de siècle. Combien de fois des patients sont venus nous parler du questionnement torturé qu’avait provoqué en eux telle ou telle émission de télé sur la schizophrénie où d’éminents spécialistes, nous disaient-ils, avaient brandi la thèse génétique comme cause de leur maladie. En une heure ou moins, les paroles de psychiatres chercheurs, soutenues par des images animées et colorées de cerveaux dysfonctionnels ou déficients, venaient de les condamner à l’attente passive du produit-miracle qui corrigerait le défaut dans leur biologie tout en minant leur espoir d’en finir avec la souffrance, puisque c’est la prochaine génération qui, croyaient-ils, bénéficierait des découvertes à venir. Face à de tels énoncés, répondions-nous à nos patients, nous n’allions pas les abandonner à leur isolement, calés devant la télévision de leur lieu de vie, à espérer que « le » médicament ou l’intervention physique idéale arrivent sur le marché ! La vie continuait et nous leur offrions de mettre tout en oeuvre pour qu’ils puissent, dès maintenant, minimiser les effets de leur maladie et à partir d’une compréhension de ses causes dans leur propre vie, changer le cours de leur histoire trop souvent tragique, par un remaniement du sens de celle-ci, une autre interprétation des événements. Nous allions les aider à organiser les modifications nécessaires dans leur environnement socio-familial et dans leur vie personnelle pour qu’ils cessent de souffrir et retrouvent l’accès à la satisfaction dans la coexistence. Et, si le médicament tant attendu était découvert, alors nous serions les premiers à les en informer. Mais d’ici là, ils ne se laisseraient pas écarter de la vie sociale par les conjectures démotivantes d’experts promus par les médias et apparemment inconscients des conséquences de leurs déclarations sur l’avenir des personnes concernées. Depuis cinquante ans notre psychiatrie promet des guérisons miracles pour la prochaine génération. Et, il faut reconnaître que jusqu’à présent, ce qu’offre la psychopharmacothérapie n’est pas très enthousiasmant, du moins pour les psychotiques : « 10 à 30 % des patients ont peu ou pas de réponse à la médication antipsychotique et un autre 30 % des patients n’ont qu’une réponse partielle, c’est-à-dire qu’ils s’améliorent mais continuent à avoir des hallucinations et des délires, de légers à sévères » (ma traduction), c’est ce qu’indique le supplément 2004 au guide de pratique dans le traitement de la schizophrénie de l’Association américaine de psychiatrie (Supplement to the American Journal of Psychiatry, 2004, 24). Ces statistiques ne font que confirmer ce que d’expérience les psychotiques savent et qu’ils nous confient, pour peu qu’on s’intéresse à ce qu’ils pensent et qu’on les laisse parler : l’antipsychotique n’a pas l’effet annoncé, il n’entame pas les fondements sur lesquels ils ont construit le sens original donné à leur vie, il ne fait que calmer, diminuer l’ardeur avec laquelle les psychotiques s’appliquent à raffiner et à solidifier les assises du sens. D’autres aussi, des déprimés par exemple, distinguant subtilement leur « maladie bipolaire » de leurs problèmes psychiques, considèrent que le cocktail médicamenteux reçu a stabilisé leur état mais sans régler quoi que ce soit de toutes …
Appendices
Références
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