Nous sommes actuellement devant un constat : les limites de la psychiatrie biologique et des découvertes des neurosciences quant au traitement des troubles mentaux graves. Aujourd’hui, en Amérique du Nord, cette limite de la psychiatrie est en fait interne et inhérente à la méthode scientifique appliquée aux phénomènes de l’esprit. En effet, concernant l’approche thérapeutique des troubles mentaux, la psychiatrie devra choisir entre la science et la clinique. Il s’agit là d’un problème que rencontre aujourd’hui l’ensemble du champ médical, mais qui devient particulièrement critique dans le domaine de ce que la médecine en question désigne sous le vocable des maladies mentales, dites les maladies du cerveau par une certaine psychiatrie. D’une façon générale, la nécessité de ce choix est ignorée par les intéressés, car elle soulève des problèmes d’épistémologies scientifiques considérées comme des problèmes philosophiques donc sans intérêt. En fait, elle ne convient ni aux chercheurs scientifiques ni aux compagnies dont le profit est assuré par la commercialisation de la santé des citoyens, dans des démocraties où, de fait, seul l’État peut assurer certains coûts de santé, à même les impôts de l’ensemble des votants. Ces problèmes d’épistémologie scientifique, se révèlent de plus en plus pour ce qu’ils sont, soit des problèmes d’éthique clinique, compte tenu de l’entrée massive de la question du sujet du droit dans la considération des pratiques médicales. De plus en plus la question du droit des patients, payeurs des taxes avec lesquels les professionnels sont payés pour donner des services dans des institutions publiques, oblige professionnels et administrateurs à prendre en compte des considérations d’éthique qui jusque-là étaient rejetées avec les questions d’épistémologie qui en faisaient une des dimensions d’une approche scientifique véritable. Ce n’est pas qu’aujourd’hui ces mêmes professionnels et administrateurs ont une conscience claire de la nature de ces questions éthiques qui relèvent de l’épistémologie des sciences, mais ils commencent à se douter qu’elles vont devenir un obstacle majeur aux pratiques actuelles. De quoi s’agit-il en fait ? Les limites que rencontre la psychiatrie actuelle, malgré les immenses progrès dont elle se glorifie, sont peut-être de la même nature que celles que la physique quantique rencontre dans les années 1924-1926, et les mathématiques modernes dans les années 1932-1936. Il s’agit du rapport de l’esprit humain à la réalité dans la question de la connaissance. Il aura fallu quelques soixante-dix ans, pour que les chercheurs en philosophie et épistémologie des sciences déblayent de façon un peu satisfaisante ce champ de mines rempli de surprises, sans pour autant arriver à un consensus qui conforte les incertitudes qui demeurent incontournables. Dans le même temps nous voyons la psychiatrie d’aujourd’hui, armée des neurosciences et de la génétique d’une part, de la biochimie et des sciences cognitives et comportementales d’autre part, s’avancer avec certitude et hauteur sur ces terrains des rapports de l’esprit à la réalité, où l’enjeu pour la matière étudiée, l’être humain, est le plus souvent sinon toujours une question de vie ou de mort. Si le mathématicien et le physicien d’aujourd’hui cheminent en compagnons d’incertitude dans ce champ des rapports de l’esprit à la réalité, avec le sentiment d’une prudence épistémologique nécessaire à leurs avancées scientifiques les plus pointues et les plus utiles à l’humanité, c’est qu’ils ont pris la mesure de l’écart incomblable qui sépare les représentations qu’ils construisent de la réalité ou de l’objet que ces représentations prétendent cerner. Surtout l’expérience de la critique de leurs activités et du montage de la machinerie de leurs expérimentations leur a appris à prendre leur distance par rapport à toute visée de l’objet ou à toute prétention au contrôle de la réalité en jeu dans …
ArgumentLes enjeux de la psychiatrie actuelle et son avenir[Record]
…more information
Willy Apollon
Philosophe et psychanalyste.Danielle Bergeron
Psychiatre et psychanalyste.Lucie Cantin
Psychologue, psychiatre, professeur de clinique.